La voix de Mathilde résonna dans la cour d'assises. Posée, portante, persuasive. L'avocate pénaliste était dans son élément. Dans sa robe, sur ses talons hauts, les cheveux détachés et ses lunettes en main, elle allait commencer sa plaidoirie après s'être solennellement adressée au tribunal.

Eden s'était naturellement constitué partie civile. Des jours de procès dans cette salle en bois massif, irrespirable, étouffante, imposante. Confronter les discours, faire défiler les témoins, présenter les preuves à charge... Il n'en pouvait plus de toute cette paperasse, de son intimité qui avait été dévoilée au grand jour.

Violences notamment sexuelles. Interpellation, disparition inquiétante, contrôle judiciaire. Procédure de divorce, chantage financier, garde de l'enfant. Il lui en avait fallu du courage pour se défendre, et répondre de ces accusations. Mathilde s'était tenue aux côtés d'Eden. Droite dans ses bottes en cuir qui devaient coûter une fortune, elle se tortillait souvent sur le banc inconfortable. Elle avait mal au dos, et surtout à ses oreilles.

À présent, elle dévisageait l'accusée. Deux femmes extrêmes se faisaient face, et aucune d'entre elles n'avaient l'intention de se soumettre. Alors, Mathilde prit le temps de déplier en 4 une feuille blanche, se tourna vers le président et pesa chaque mot de la lettre.

C'est avec une profonde tristesse que j'écris ces quelques lignes. Admiratrice de ton art, je ne peux rester silencieuse face à cette tempête. Les accusations portées à ton encontre suscitent en moi des émotions contradictoires. Le choc, le chagrin et la déception m'envahissent, et il m'est difficile de trouver les mots justes. L'image en tant qu'artiste est fragilisée, comme si elle souffrait d'un Takotsubo.

Tu as toujours été bien plus qu'un simple artiste. Tes paroles résonnent comme celle d'un ami, une voix familière qui m'accompagne dans les moments de joie et de peine. C'est troublant de voir un homme que je respecte et que j'admire associé à ces comportements. J'ai l'impression de perdre une part de moi-même, celle qui depuis tant d'années a trouvé du réconfort et de l'inspiration dans tes mots.

Tes sons ont été la bande sonore de ma vie depuis mes 15 ans. J'en ai 28 aujourd'hui, je réalise à quel point tes textes ont façonné mon parcours. Tes albums ont été des refuges, des échos de mes luttes et aspirations. À travers tes chansons, j'ai appris, j'ai ressenti, j'ai rêvé.

Chaque voix qui s'élève contre la violence mérite d'être entendue. J'espère sincèrement que cette situation ouvrira des discussions sur le respect, pour toi et pour nous tous qui te suivons et t'identifions à ta musique. J'espère également que tu prendras rapidement la parole pour éclaircir cette affaire, car la vérité doit être rétablie et la voix doit être donnée à ceux qui en ont besoin.

Que Dieu te garde,

On aurait pu entendre une mouche voler. Le silence en était devenu assourdissant. S'il avait écouté ses émotions, s'il s'était laissé déborder par elles, Eden aurait fondu en larmes... Mais il était un homme, il était un père, il devait être digne, il devait être fier.

- Pour cette plaidoirie, on m'a conseillé de la faire plus émotionnelle que d'habitude, moins centrée sur des arguments juridiques froids, et davantage sur l'injustice de la situation. La salle retenait son souffle. Mathilde était une stratège hors pair. Une tacticienne qui avait un sens de persuasion aussi aiguisé qu'un négociateur du GIGN. En effet, j'aurais pu souligner l'importance de la présomption d'innocence, mettre en lumière la souffrance de mon client et l'impact de cette fausse accusation sur sa vie et sa famille. Elle ressemblait à une politicienne. Elle ne se déplaçait que de quelques pas, mais sa seule présence envahissait les lieux. Elle déploya ses ailes et on aurait dit un corbeau capable de roder pendant des heures, afin de saisir l'instant idéal pour lancer une attaque. J'aurais dû aussi mélanger des arguments juridiques solides avec des éléments émotionnels. Par exemple, j'aurais pu utiliser des témoignages ou des preuves montrant la faille dans l'accusation, mais également souligner la souffrance humaine derrière cette erreur judiciaire. Sans mentir, Eden commençait à paniquer, parce qu'il ne voyait pas où Mathilde voulait en venir. Mon argumentaire aurait pu être une ode à l'empathie et à la justice, en étant une remise en question de l'aspect mécanique de la loi... Mais aujourd'hui, j'ai décidé de vous lire cette lettre, qui présente un moment de vulnérabilité dans ma stratégie de défense.

Le monde était pendu à ses lèvres. C'était son moment... Où tous les projecteurs étaient braqués sur elle. Elle se retourna comme dans une pub de L'Oréal et...