Mehdi
Nour était venu me récupérer à la maison. Quand je le vis débarquer en dobok et ceinture bleue je marquais un temps d'arrêt l'examinant de haut en bas. J'avais tellement l'habitude de le voir en jogging, vêtu de sombre, l'éclat blanc de l'habit faisait ressortir son teint mate. Pour une fois il avait dompté sa chevelure bouclée dont il était très fier par un élastique Hello Kitty volé à sa petite sœur. Quand il vit mon regard se poser dessus il s'empressa de préciser « Me juge pas, c'est ça ou on fait demi-tour dès qu'on arrive là-bas. Le coach m'as dit que s'il me revoyait avec ma grosse touffe de cheveux, il me tondrait comme le mouton de l'Aïd.
— Et t'as rien trouvé d'autre que de piquer l'élastique de ta sœur ? répondis-je moqueur.
— Qu'est ce tu veux que je fasse ? Je m'en suis rappelé juste avant de sortir.
Le dojo que Nour appelait dojang en coréen, était encastré entre une boulangerie et une pharmacie. Nour avait quelque peu enflammé mon esprit avec ses histoires de maîtrise de soi et d'arts martiaux ancestraux. Je m'étais imaginé une tout autre ambiance, une salle parsemée de tatamis impeccables qui couvriraient le sol de manière régulière. Les reflets dans les miroirs alignés le long du mur accentueraient le sentiment de symétrie et de rigueur et dans lesquels se refléteraient des drapeaux coréens et des hanja décorant des murs lambrissés en bois rappelant les principes fondamentaux des arts martiaux. Je me préparais à pénétrer dans un monde à part, où le temps semblerait suspendu, et où les valeurs de respect et de discipline régneraient en maîtres.
L'endroit dans lequel j'avais pénétré était en fait une petite salle miteuse du club d'arts martiaux de la ville, fournie gracieusement par la mairie, à mille lieues de ce que j'avais pu imaginer. Les murs étaient bruts de décoffrage en ciment à peine poncé ou des affiches jaunies à moitié déchirées étaient placardées contre un tableau en liège. Plus personne n'avait dû se donner la peine de les lire depuis une bonne dizaine d'années. Quelques armoires en métal cadenassées où étaient entreposées raquettes, patte d'ours, pao et autres matériels d'entraînements habillaient la pièce. Le sol en caoutchouc bleu électrique était recouvert de tatamis usés jusqu'à la corde sur lequel une dizaine d'enfants attendaient plus ou moins sagement le début de la séance. Un punching-ball pendait du plafond sur lequel une ceinture bleue un peu plus âgé que moi s'entraînait à frapper une série de coups de pied. Nour remarqua mon intérêt et me proposa de frapper quelques coups dans le sac. J'aurais dû me méfier.
J'armais mon poing et frappai le bas du sac, tentant de reproduire les mouvements que j'avais vus dans des vidéos d'entraînement de boxe. Je lâchais un cri de douleur sous les rires hilares de Nour et du grand dadais qui m'avait laissé sa place pour frapper. Mon poing rencontra une surface aussi dure que la pierre ; si j'avais frappé mon poing contre le mur, je n'aurais vu aucune différence. La douleur lancinante dans mes phalanges me fit comprendre l'importance des gants de boxe.
Le grand dadais me donna une petite tape dans le dos.
« Tu t'es bien fait avoir, en plus Nour a fait exprès de remonter le punching-ball, il a tout fait pour que tu tapes le bas, sauf que personne ne frappe cet endroit. Tout le sable bien compacté par l'impact des coups est tassé à cet endroit ; il faut viser le haut, c'est plus mou. Tu n'as pas fait attention quand tu m'as vu frapper avant ?
— Je m'étais dit que tu frappais le haut parce que tu voulais t'entraîner à frapper à la tête, et puis comme t'avais l'air hyper souple, je me suis dit que tu en profitais pour un peu m'impressionner. Nour m'avait dit qu'il y avait un grand qui aimait bien frimer, j'en avais conclu que c'était toi, Nurcan, c'est ça ?
— C'est bien ça, je me demande bien qu'est-ce qu'il a pu te raconter d'autre. Rétorqua Nurcan à Nour, lui lançant un regard en coin suivi d'une balayette amicale ».
L'entrée de l'entraîneur mit fin au chahut qui commençait à s'installer dans la salle. D'une voix ferme, il lança : « Tous en ligne, on va commencer la séance ! » Les élèves se disposèrent en un dégradé de couleurs en fonction de leur ceinture, je voyais Nour rejoindre la tête de la ligne et le suivis, il me stoppa et m'expliqua :
« Les plus gradés se placent à droite, les ceintures rouges sont les plus gradés, toi tu dois aller avec les ceintures blanches, mets-toi bien à la toute fin, c'est la place réservée aux sans dobok.
— Les parias quoi. C'est quoi cette ségrégation ?
— Tout de suite les grands mots ! Tu t'en fiches c'est ta première séance, si ça te dérange autant, achète-toi un dobok à la fin de la séance et on en parlera plus », me rétorqua-t-il avec pragmatisme.
Je gagnai donc la place qui m'était assignée un peu bougon, mais ma déception s'évapora rapidement. J'étais venu pour être dépaysé et cette première séance avait dépassé mes attentes. La séance débuta par le traditionnel salut, les élèves faisaient face au maitre, vêtus d'un dobok à col noir et de sa ceinture noire. Nous nous sommes salués avec respect, puis l'échauffement a pu démarrer. Nous nous sommes déplacés en file indienne courant en rond autour de la salle. Nous agrémentions nos foulées de pas chassés, de montées de genoux et d'accélérations. Ensuite, le coach a demandé à quatre des élèves les plus gradés, dont Nurcan, de tenir les raquettes. Il choisit nurcan pour faire la démonstration de l'exercice. L'objectif était de maintenir sa garde contre la poitrine, de faire un pas chassé en arrière, de changer de garde, puis de frapper avec la jambe arrière. Tout au long de la séance il déclina cet enchainement sous différente combinaison ajoutant un coup des poings, imposant des handicaps, les possibilités étaient infinies. J'essayais de me concentrer au maximum, j'étais complètement perdu avec le nom des techniques en coréen. Le coach comptait même en cadence en coréen, ana, dul, set, net. Certaines consignes étaient données en coréen, et dans le lot, quelques mots d'arabe s'échappaient du professeur quand il était dans le feu de l'action. À force, tout le monde finissait par comprendre. Il choisit de terminer la séance par un en poomsae, le passage de grade approchait et il restait deux mois pour se préparer. Je n'avais même pas encore mon dobok que je rêvais de troquer ma ceinture blanche contre une ceinture jaune, je voulais au moins avoir une keup à ma ceinture blanche pour témoigner de mon progrès. S me plaça dans le groupe des débutant sous la houlette de Nour qui avait pour mission de nous enseigner le premier poomsae et le nom des techniques qui y étaient effectuées j'avais bien remarqué que les mot maki tchigui et Eulgoul revenait souvent
« Il y'a trois niveau bas, moyen, tête : are, momtong et Eulgoul. Tu verras ça finir par sonner comme du français d'ici quelques séances si tu veux passer le passage de grade tu vas devoir apprendre ces noms. Les poomsae sont des combats contre des adversaires imaginaires, ne vas pas voir ça comme une chorégraphie, c'est un vrai combat il faut y mettre de la puissance même si la beauté et la technique du geste priment.
— Il y a combien de poomsae à connaître ? ai-je demandé.
— Huit pour obtenir la ceinture noire", m'a-t-il répondu. »
J'étais un peu refroidi, mais cela ne me découragea pas pour autant. Nurcan qui en avait fini avec son groupe entendit notre conversation et ajouta :
« Nour et moi on est ceinture bleu, il reste plus que la rouge et on pourra essayer de passer la noire. Pour l'instant on en connait que cinq mais ne compte pas trop sur les séances de taekwondo pour apprendre les poomsae, le coach est plus branché combat. Là c'est exceptionnel il prépare les passages de grades de fin d'année. Je te conseil d'aller regarder quelques vidéos de poomsae en rentrant chez moi. Le nom des techniques est détaillé geste par geste. Et mention spéciale pour les maîtres coréens qui se filment dans des décors traditionnels et qui mettent des bruitages pour exagérer la force de leur mouvement. »
La fin de la phrase fut étouffée par le coup de sifflet du coach qui signa l'arrêt de la séance. A l'image du début du cours chacun repris sa place en face du l'entraineur pour le salut final.
Je rejoignis Nour pour lui demander comment faire pour m'inscrire quand le coach m'interpella :
« C'est ta première séance de taekwondo, alors ça t'a plu, gamin ? Je t'ai un peu observé pendant la séance, tu t'es plutôt bien débrouillé. C'est bien tu as déjà la bonne attitude, tu es attentif et concentré, si tu continues comme ça tu vas bien progresser. Très bonne recrue ton ami t'as l'œil, ajouta-t-il en s'adressant à Nour.
— Merci beaucoup », répondis-je gêné, je n'étais pas habitué à tant de compliments, « ça m'a vraiment plu ! J'aimerais m'inscrire d'ailleurs et acheter un dobok aussi, mais je ne crois pas avoir assez d'argent. » Je lui tendis le chèque prérempli par ma mère qui ne couvrait que les frais d'inscription.
S jeta un rapide coup d'œil à la somme, il balaya mes inquiétudes d'un revers de la main : « On va s'arranger », dit-il en m'entraînant dans son minuscule bureau rempli de bric-à-brac. Comme je débarquais en plein milieu de l'année, le coach m'avais fait un prix. C'était la parade qu'il avait trouvée pour faire rentrer dans mon budget le prix du dobok, de la ceinture et de l'inscription avec la licence. S était un entraîneur dévoué, il se donnait corps et âme. Le taekwondo c'était toute sa vie. Alors voir quelqu'un vibrer comme lui était son moteur, la raison pour laquelle il sacrifiait ses jours de repos pour enseigner le taekwondo a une vingtaine de gamins dans un dojang miteux. S'il arrivait en faire mordre un il avait réussi l'objectif de sa carrière. Je crois que dès cette première séance S avait flairé mon potentiel. Il avait décidé de façonner le diamant brut que j'étais, à me polir jusqu'à ce que je brille comme jamais.
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