VI. Conclusion
C'est un combat forgé de mots, détruit par une violence extrême de la part de certains membres des forces de l'ordre. Il est extrêmement important, selon moi, de ne pas généraliser, en les mettant tous dans le même sac.
Violenter, injurier, mépriser, humilier, il me semble que c'est trop facile de mal-traiter sans être dénoncé.
Depuis mon plus jeune âge, mes proches m'ont toujours répété : " Si tu as un problème appelles la police ". Je les croyais. Peut-être naïve, je pensais qu'ils me protégeraient jusqu'au bout, qu'ils seraient prêts à tout. Alors si certains membres des forces de l'ordre sont là pour notre protection, d'autre n'ont pas hésité à tourner leur veste pour leurs revendications. Ces personnes ci n'ont pas hésité une seconde à nous frapper pour nous faire taire. Certains sont là pour leur métier, d'autres pour se défouler si j'ose dire.
J'ai longuement hésité à me mettre dans le lot des manifestants en écrivant ce livre, à dire ouvertement que j'en suis une à cause des éventuelles répercussions. Puis, après réflexion, je me suis dit : Pourquoi me cacher puisque je n'ai rien à me reprocher ? Alors oui, je suis une manifestante, une militante, et quoique vous puissiez en penser. Après tout, assumer ce que nous faisons et le poursuivre jusqu'au bout, c'est pour cela que nous sommes là. Se battre quoi qu'il en coûte, sans pour autant avoir la certitude d'être entendu. Mais persister pourtant.
Des traumatismes se sont créés chez un bon nombre de personnes, et je suis la aujourd'hui et je serai toujours là demain pour crier que les violences policières existent bel et bien et que les preuves ne sont pas si loin.
Avez-vous déjà regardé une manifestation en train de se produire, avez-vous déjà écouté les manifestants blessés ? Avez-vous déjà réfléchi à ce que nous avions pu subir sans l'avoir demandé ?! Manifester est un droit, battre quelqu'un est selon moi une " atteinte à la personne et à sa liberté d'expression ". Nous ne sommes pas les principaux fautifs dans cette histoire, mais bel et bien les victimes ; et ce comme beaucoup trop de manifestants violentés. La violence entraine la violence ; ils sont la cause, nous en sommes la conséquence. Alors même si je n'irais en aucun cas dire que les manifestants sont tous courtois, polis et pacifistes, sachez que leurs violences sont minoritaires comparées à celles de certains membres des forces de l'ordre (au regard des différents moyens d'équipements).
Je pense que nous pouvons ranger les manifestants dans quatre catégories : les manifestants pacifiques qui refusent de crier les slogans mettant tout le monde dans le même sac, les manifestants qui ne sont là que pour dégrader le matériel de la ville en n'hésitant en aucun cas à mettre certaines personnes (dont beaucoup des membres des forces de l'ordre) en danger. Puis deux intermédiaires ; ceux qui lancent des projectiles vers les forces de l'ordre sans le désir de blesser mais plutôt de faire parler de la manifestation, et ceux qui lancent des projectiles sur les forces de l'ordre par pure haine.
Mais à qui la faute ? Aux manifestants ? Aux forces de l'ordre ? Si l'on se fait violenter, injurier, mépriser, gazer ; nous devons-nous de ne rien
rétorquer ? Devons-nous rester pacifiques malgré tout ? Pourquoi nous demander de rester calme lorsque les personnes censées nous montrer l'exemple nous entrainent dans une violence douteuse ? Peut-être que si nous avions été respectés, nous les aurions respectées à notre tour. Peut-être aurions-nous fait les choses différemment. Peut-être que les projectiles n'auraient pas été lancés, le matériel moins dégradé, les forces de l'ordre moins blessés. Mais lorsque l'écoute est au plus bas, que les injures perdurent et que les coups ne sont que plus présents ; peut-être qu'à ce moment-là nous avons raison de redescendre dans les rues, de faire plus de bruit.
La violence ? Je suis contre. Je n'irais jamais approuver toute les violences survenues dans ce monde remplit d'injustice. Mais il est certain qu'en moi s'est développé une certaine haine envers certaines personnes, envers certains membres des forces de l'ordre. Partir en manifestation un matin et voir nos parents s'inquiéter. Les entendre nous dire " fais attention à toi " comme si on partait au combat. Les voir inquiets, ne sachant pas si on rentrera indemne. Constater la peur dans leurs regards, de peur qu'on passe la nuit en garde à vue. Partir avec du matériel de survie si j'ose dire, du matériel médical en cas de besoin, une tenue de rechange pour ne pas être repéré.
Mais où va la France ? Manifester était un droit, aujourd'hui c'est devenu dangereux. Cela m'étonne de la France, de ma France. De la France que j'ai connue étant petite, de la France dans laquelle j'ai grandi, appris et évolué. On me répétait qu'en France on avait de la chance parce que le peuple était entendu, que nos droits étaient nombreux, et notre sécurité était certaine. Mais regardez-nous aujourd'hui, regardez-vous. Lorsque l'on voit un enfant dans une manifestation, on s'inquiète pour lui.
Autrefois je descendais avec mes parents manifester, tout se passait au mieux. Le temps est-il si différent ? La mentalité a tant changé ? Comment voulons nous éduquer et élever nos enfants dans une société avec tant de violence ? Dans une société où la violence vient même de nos protecteurs ? Et l'on nous rétorque de ne pas nous inquiéter, de nous calmer ?! Cela me désole.
Cela me révolte. Je ne suis pas la seule, la population française ne parle même plus des manifestations, l'unique sujet est devenu la violence. La population, les informations quotidiennes, les gens ne parlent plus que de ça. Chacun entend ce qu'il veut bien entendre.
Sans étonnement, certains médias déforment bien les choses : " La violence ne vient que d'un côté, des manifestants. " La notion de
" casseurs " revient plus que jamais, ce qui est un amalgame dû à la médiatisation.
Mais n'ont-ils pas compris que ce n'étaient que des manifestants en colère qui n'ont pas trouvé un autre moyen pour exprimer leur désaccord ? Et n'oublions pas que ces personnes-la ne sont qu'une minorité chez les militants français. Mais voilà le sujet à changer, parce que c'est tellement plus facile de rejeter la faute sur des personne qui veulent changer les choses plutôt que de les assumer. Et n'oubliez pas que ça l'est d'autant plus quand il s'agit d'adolescents, de pré-adultes parce que nous sommes des soi-disant " enfants " et je cite " qui ne comprennent pas la situation actuelle ". Voilà ce que disaient certaines personnes de nous, parait-il nous n'étions et nous ne sommes toujours pas en âge de comprendre. Et puis c'est tellement plus facile d'aller sur un sujet où on ne se sent pas concerné plutôt que de poursuivre sur un sujet délicat. Parce que oui c'est bien plus facile de ne pas demander son avis au peuple (comme avec la loi 49.3).
C'était censé être des manifestations, des mouvements contre une loi. Beaucoup ont désormais changé leur objectif premier.
Si vous saviez... Si vous saviez combien de personnes ont pu se retourner contre les forces de l'ordre en étant arrêtées pour de banals prétextes. Mais ces personnes-là les défendaient. Ces personnes-là étaient simplement contre cette loi et aujourd'hui descendent dans les rues simplement pour les affrontements. Et qu'on ne me dise pas que se sont des casseurs, parce que ce sont des manifestants qui ont une certaine haine envers et contre eux parce qu'ils les ont blessés. Ils ont envenimé la situation. L'objectif de ces manifestants-là n'est plus le retrait de cette loi, mais il se limite bel et bien à des cris de haine contre les forces de l'ordre parce qu'ils nous ont tourné le dos. Alors que nous avions choisi de nous défendre par une marche et des slogans, ils ont préféré rivaliser avec de la violence.
La société devait être protégée, les protecteurs l'ont pourtant détruite. Forces de l'ordre (certains membres), censées défendre leurs citoyens, ont en ces mois-ci, décidé d'étouffer les valeurs d'autres personnes.
Eux qui étaient censés défendre nos droits, nos libertés, nos vies, ont préféré faire passer leurs convictions avant leur service, et ont donc décidés d'en venir aux coups. Eux qui sont pères et mères de familles, tantes, oncles, frères ou sœurs ; eux qui ont une famille aussi, ils n'ont pas hésités à frapper sur celle d'autrui. Ils n'ont en aucun cas hésité à leur causer du tort et selon moi, chacun en payera les conséquences.
Nous savons ce que nous valons, et nous connaissons nos erreurs mais regardez-nous. Nous sommes pour la plupart des adolescents, les travailleurs et citoyens de demain et ils nous ont enlevé notre innocence. Ils ont arraché notre enfance, nos rêves, notre mentalité encore fragile pour beaucoup. Ils nous ont donné un côté sombre, des pensées obscures et après tout cela ils osent se plaindre ? Mais croyez-moi, croyez-nous, allez demander aux pédopsychiatres combien d'enfants sont venus dans leurs cabinets à cause des manifestations. Allez demander aux parents de manifestant, la peur au ventre qu'ils ont lorsqu'ils voient leurs enfants revenir couverts de bleus. Aller dans les commissariats et regardez le visage des arrêtés. Regardez leur air innocent et regardez leurs contusions. Demandez-vous comment peut-on oser traîner des gens par terre alors qu'ils n'étaient pas dans un acte illégal.
Questionnez-vous sur tout cela parce que la réflexion en vaut la peine et la cause, le détour.
Il faudrait que les forces de l'ordre fassent la part des choses, qu'ils apprennent à différencier pour ne pas emmener et traumatiser n'importe qui.
On nous traite d'enfant mais on nous punie comme des adultes, cherchez la logique. On ne croit pas à notre combat. Selon certaines personnes, nous sommes là de sorte à sécher les cours, à nous faire remarquer ou à nous défouler.
Mais au final qui a le plus sa place ici ? Les manifestants ou les forces de l'ordre ?
Nous sommes pris pour des enfants pas en âge de comprendre, immatures comme ils disent tous. Mais quand vont-ils comprendre que nous sommes là parfois avec la peur au ventre ; que ce n'est pas chaque jour une partie de plaisir et que parfois rentrer chez soi serait plus facile ? Mais nous sommes là parce que nous avons grandi avec l'idée qu'il fallait se battre pour ce que l'on voulait ou ce que l'on ne voulait pas. Alors je mentirais si je disais que j'y vais toujours sans angoisse, que je vais aux manifestations avec une joie miraculeuse. Car non, recevoir des messages me disant " Tu t'es faites arrêter ? " chaque jour n'est pas une réelle partie de plaisir. Devoir envoyer chaque soir un message à nos amis qui savent à quel point ça peut être dangereux en les rassurant en leurs disant " je vais bien ", ça n'a jamais été un bonheur quotidien.
Alors pourquoi y allons-nous ? Pourquoi poursuivons-nous cette lutte ? Je pense que chacun sera d'accord avec ma réponse. L'espoir. Nous avons encore un minimum d'espoir. Penser que nous allons enfin être entendus. Que c'est encore possible, que la France ne va pas devenir un pays horrible, voir une dictature.
On nous parle sans arrêt de démocratie. " Démocratie " qui, du grec ancien veut dire " pouvoir au peuple ", on nous dupe avec les soi-disant valeurs de la France pour au final nous imposer une loi qui ne nous convient pas. La loi est votée, et n'est pas censée passer car elle n'a pas obtenu assez de voix. Mais comme chaque fois, lorsque les représentants de la France ne sont pas satisfaits, ils nous bernent un peu plus. Le 49.3 est une loi faite pour faire passer une loi sans l'obliger à être votée pour être adoptée. Une loi qui ne demande donc pas l'avis des citoyens qui sont pourtant les premiers concernés. Une loi qui ne correspond donc pas à notre démocratie. Je pense même pouvoir dire que la loi 49.3 est une bonne raison de manifester car cela enlève à notre pays notre titre de démocratie et notre image de pays qui était pour moi réellement respectable et qui aujourd'hui n'en a que l'apparence.
Alors on poursuit nos efforts dans les rues, parce que nous sommes contre. Vouloir se faire entendre et être rejetés par de la violence, voilà notre routine. Alors oui l'espoir nous maintient dans notre dynamique. On a l'espoir qu'elle ne passe pas. Espérer tout simplement, puis agir enfin.
Nous avions commencé nos mouvements par des blocus devant nos divers lycées de sorte à montrer notre mécontentement, ce qui s'est poursuivi par des manifestations, puis des blocages de voies publiques ainsi que des installations industrielles. Nos mouvements prenaient de plus en plus d'ampleur et l'on s'en satisfaisait. Mais lorsque le nombre de manifestations augmentait, celui des manifestants diminuait.
Certaines personnes cessaient de venir par méfiance, d'autres pour cause d'examens, et d'autres encore pour cause de blessures trop importantes dues aux mouvements précédents. Le nombre de militants diminuait et celui des forces de l'ordre augmentait. Je vous laisse donc deviner ce qu'il s'est passé. De plus en plus d'arrestations, une NAS mise en évidence, de plus en plus de blessés et certains médias qui transformaient nos actions encore et toujours. Et le mouvement s'est réduit.
C'était censé être un combat uni contre une loi que nous avions dénoncée comme précarisante qui au final s'est retrouvé être une bataille entre manifestants et forces de l'ordre.
Certain décrivent les manifestations de " guerre civiles ".
Beaucoup ne pouvaient plus dormir sans lumière de peur de se retrouver sur ce qu'on appelait " le champ de bataille ". Nous vivions dans la peur continue. Le bruit d'une sirène policière nous rappelait les arrestations de nos amis, ou la nôtre dans le pire des cas. Celle des pompiers nous rappelait ces moments de panique à aider les blessés les plus graves. Les uniformes de CRS, nous rappelaient ces instants à hurler notre haine envers cette loi et à se prendre des coups pour avoir osé montrer notre insatisfaction et notre désaccord.
Certains lieux nous refaisaient penser à des évènements traumatisants. Certaines dates nous perturbaient. Et je pense que dans certains cas, chez certaines personnes, parler au passé n'est même pas justifié.
« Me faire frapper n'aura pas été le plus dur, recevoir un coup et en voir la blessure m'a effrayé certes, mais ces blessures restent superficielles comparées à celles mentales. Un réel traumatisme est encré en moi. Je réentends souvent les cris et les pleurs de personnes apeurées. Je les revois tomber à genoux, les mains derrière la tête, se faisant frapper puis tomber contre terre. Je revois les militants suffoquant à moitié morts, priant l'arrêt de ce cauchemar incessant. Je revois les regards dévisageurs des CRS qui m'ont fait me sentir une moins que rien. Et ces images, et ces sons, tournent en boucles dans ma tête. Les flashs reviennent sans cesse et ne me permettent en aucun cas de revivre paisiblement. Les cauchemars perdurent ; et les visions affreuses me hantent. Fermer les yeux m'est souvent impossible. Ces visions m'effrayent. Je ne parviens plus à entendre certains cris sans devoir me boucher les oreilles, comme par exemple, celui de l'enfant dans son berceau en plein milieu du Cour Julien dans une manifestation. Je ne m'habitue pas à ces sentiments qui sommeillent en moi. Je ne peux plus remettre les pieds dans une gare dans me souvenir de ces instants ou la peur m'envahissait. » témoigne une manifestante, le 22 mai 2016.
Nous en garderons des séquelles il est certain, mais nous resterons fiers d'avoir manifesté pour nos valeurs et nos convictions.
Les coups s'oublient, mais les chocs psychologiques restent ; on s'y habituera, on apprendra à vivre avec.
Lycéens, et pourtant citoyens de demain, nous étions, sommes et resterons contre cette loi précarisante.
Être le porte-parole de centaines de personnes blessées et traumatisées à travers cet ouvrage, a été pour moi un véritable défi qui en valait la peine. Ce projet qui partait d'une idée abstraite, s'est rendu concret grâce aux témoignages et avis de nombreuses personnes choquées. Avoir vécu des manifestations décevantes et effrayantes m'a permis de comprendre le mal être ressenti chez certaines personnes et m'a donnée l'envie de faire partager ces troubles psychologiques qui, je pense, resteront gravés dans nos mémoires.
Ce n'était pas une histoire, ce n'était pas un conte, ce n'était pas un roman. C'était, c'est et ça restera nos témoignages. Les témoignages de comme qui dirait, des humains. Des enfants, des adolescents, des adultes, mais des humains. Des humains qui ont subi des coups pour avoir osé montrer leur désaccord. Des coups que nous avons subis, mais que nous oublierons pour la plupart.
Violences physiques, souffrances psychologiques.
Des regards humiliants, des paroles blessantes, des actions choquantes, et des flashs traumatisants ; voilà ce que nous n'oublierons pas.
Nous tentons de passer au-dessus de ces massacres. Comparées par beaucoup à une guerre civile, ces manifestations ont tourné au drame.
Ils vont essayer de faire taire nos revendications, on ne fera que plus de bruit. Ils veulent dissoudre le mouvement, n'ont-ils pas compris qu'on ne dissout pas une idée ?
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