Chapitre 11
Astrid inspectait les rayons du supermarché sans pouvoir se décider. Il fallait acheter des couches pour Marcus, qui allait arriver dans une semaine, mais il y avait un tel choix qu'elle ne savait pas quel paquet prendre. Björn n'était pas avec elle : il la rejoindrait après avoir pris de l'essence. Alors, elle se dit qu'elle allait l'attendre.
Un homme souriant apparut, des lunettes de soleil coincées dans les cheveux.
- C'est pour bientôt ? fit-il en indiquant le ventre d'Astrid.
- Oui, pour le vingt du mois.
- Garçon ou fille ?
- Garçon.
Elle lui rendit son sourire. Elle avait toujours été fascinée par ces gens qui parlent à des inconnus sans la moindre gêne. L'homme, encouragé, tendit la main pour toucher son ventre.
- Je peux ?
- Même pas en rêve, espèce de connard !
Björn venait de surgir, dans un état de colère disproportionnée. Depuis quelques temps, il avait beaucoup progressé en langue italienne et connaissait même des mots distingués. Il repoussa brutalement l'homme qui changea aussitôt de couleur et répliqua :
- Tu m'as traité de connard ?
- Ouais !
Björn reçut un coup de poing auquel il répondit aussitôt. Les deux hommes s'empoignèrent sous le regard consterné d'Astrid. Ils heurtèrent le rayon et firent tomber une vingtaine de paquets de couches.
- Arrêtez, enfin ! s'écria la jeune femme. Björn, lâche-le !
Son gros ventre l'empêchait d'intervenir. Soudain, l'homme trébucha sur un paquet de couches éventré, glissa et s'étala sur le dos. Au même moment, un vigile arriva en courant. Il sépara les deux combattants qui repartaient déjà à l'assaut. Astrid se rendit compte que sa gorge était nouée et qu'elle n'allait pas tarder à pleurer.
- Il m'a insulté sans raison ! rugit l'homme aux lunettes de soleil.
- Sans raison ? s'étrangla le Suédois. Il a...
- Tais-toi ! intervint Astrid. Tu me fais honte, Björn ! Sors d'ici !
Contre toute attente, il hésita, puis obéit. La jeune femme ne retint plus ses larmes et, embarrassée, voulut se pencher pour ramasser les couches répandues comme autant de cadavres sur un champ de bataille. Le vigile l'arrêta.
- Ça ira, madame. Faudra juste rembourser celui-là.
- Bien sûr, bien sûr...je suis désolée, dit-elle à l'homme. J'espère qu'il ne vous a pas fait mal...
Vexé, il rajusta ses lunettes de soleil et sa veste en haussant les épaules.
- Ça va ! Je vous souhaite bien du courage, pour gérer un bébé et un malade dans son genre !
Il tourna les talons et disparut, la tête haute. Astrid alla rembourser les couches à la caisse. Ses larmes semblèrent attendrir le vigile, qui, finalement, changea d'avis.
- C'est bon, madame. Vous pouvez partir. Bon courage.
Astrid sortit et trouva Björn adossé à la voiture sur le parking du magasin.
- Tu as pleuré ? fit-il.
- Oui, parce que tu m'as vraiment fait honte ! Est-ce que tu as vu le bazar que tu as mis ? Tu as eu de la chance que ce type ne porte pas plainte !
- Il a essayé de te toucher !
- Et alors, bon sang ?
- Et alors ? répéta Björn. Et alors, tu ne l'as peut-être pas encore compris, mais...
Il ne finit pas et se passa deux mains dans les cheveux.
- Mais ? l'encouragea Astrid.
- Mais moi, il y a huit mois, j'ai tout perdu ! Tout ! Mon unique raison de vivre maintenant, la seule chose qui me raccroche à la vie, c'est Marcus et toi ! Sans vous, je n'ai plus qu'à me foutre en l'air !
Cette tirade stupéfia la jeune femme. Björn se détourna, tremblant. Elle l'attira alors contre elle, autant que son ventre le permettait, et le serra dans ses bras. Elle sentit ses larmes couler sur son épaule, les spasmes qui le secouaient, et lui caressa les cheveux.
- Chut...murmura-t-elle, bouleversée. Chut, calme-toi...
Astrid s'écarta, et essuya les traînées humides qui mouillaient les joues du Suédois avec ses pouces. Il avait l'air d'un petit garçon malheureux. Elle déposa un petit baiser sur ses lèvres.
- Ne pleure pas, Björn.
- Je...je te demande pardon. Je ne voulais pas te faire honte.
- Ne t'en fais pas. Viens, rentrons à la maison. C'est l'heure du goûter et je meurs de faim...
Ils retournèrent à la Villa. Björn était parfaitement calmé et prit la main d'Astrid pour l'aider à descendre de la voiture. Une surprise les attendait devant le portail. Au début, Astrid eut un accès de panique : il y avait là trois hommes grands et forts, qui auraient très bien pu être des Golems. Mais elle remarqua une longue jeune femme noire, au crâne rasé, qu'elle mit un certain temps à reconnaître :
- Reine ?
Reine (ou Queen, comme elle aimait qu'on la surnomme) Obalambo avait été membre de la Pension, l'établissement qu'Antonio avait construit pour accueillir les proches de ces collègues criminels ou mafieux. C'était là, à Frosinone, qu'Astrid avait rencontré Kate, le docteur P, Ahmet, le petit Juan, Leïla...et qu'elle avait retrouvé Lars.
La jeune Congolaise au caractère de feu avait encore grandi : c'était maintenant une vraie femme, avec des formes et un air décidé. L'un des trois hommes qui l'accompagnait lui ressemblait.
- Vous êtes son père, n'est-ce pas ? Monsieur Youssouf ?
- C'est ça, répondit le grand Africain en lui serrant la main. Ravi de vous rencontrer enfin.
- Depuis quand t'es enceinte ? s'exclama Reine en avisant le ventre d'Astrid. Et c'est qui, lui ?
- C'est Björn. Tu le connais, c'est...c'était un ami de...Lars.
Il fallait qu'elle change de sujet. Prononcer son nom était encore trop difficile.
- Je ne vous remercierai jamais assez, monsieur, pour ce que vous avez fait pour Mama quand elle était au Congo. Je sais que vous l'avez libérée d'un chef de guerre complètement mégalomane...
- Ce fut un grand honneur.
- Je vous en prie, entrez.
Astrid ouvrit le portail, en tenant Björn par la main, au cas où il lui viendrait l'envie de s'attaquer au colonel Youssouf Obalambo ou à ses deux gardes du corps trois fois plus musclés que lui.
- Qu'est-ce que je vous sers ?
- Un bon café italien ! s'exclama Reine en se laissant tomber sur le canapé.
- Moi aussi, et deux pour mes hommes.
- Que me vaut le plaisir de votre visite ? demanda poliment Astrid en leur servant le café.
- Tu dois bien t'en douter ! Ça fait plusieurs fois que j'essaie d'appeler Kate, Claudiu ou Leïla et aucun ne répond ! répliqua Reine.
Björn s'était raidi. Lui aussi avait encore énormément de mal à entendre « son » nom.
- Oh, Reine...soupira Astrid en s'asseyant près d'elle. Kate et Claudiu sont à la P.I.H.S.
- Quoi ? La prison ?
- Oui...ils y ont été envoyés par...par un type qui m'en veut.
- Encore un président ? railla Reine en grignotant un biscuit.
- Non, il s'appelle Axel Desmarais et...
C'est le père de Daniel. Mais les mots ne purent franchir ses lèvres.
- Et il est complètement fou, improvisa-t-elle. Je n'ai pas de nouvelles de Kate et Claudiu, ou de Mama, Gonzalo et Ernesto qui sont avec eux...je suis désolée.
- Et Leïla aussi ?
- Leïla est...morte, souffla Astrid.
Björn leur tournait le dos, mais elle le vit frémir.
- C'est pas vrai ! Elle ? Mais Leïla était une dure à cuire !
- Elle a été tuée par les Golems, une armée dirigée par un ami d'Axel Desmarais.
- J'ai déjà entendu parler de cette armée, fit Youssouf Obalambo. On dit qu'elle est la plus forte du monde.
Astrid dut répondre aux autres douloureuses questions de Reine : où étaient Lars, Salvatore et Daniel ? Chaque réponse lui déchira le cœur. Finalement, la jeune Congolaise comprit qu'il fallait parler d'autre chose :
- Mon père et moi, nous avons pas mal d'ennemis, aussi. Bah, comme ce Célestin, celui qui avait capturé Mama Bayou. Mais on lui a fait un sort, hein, papa ?
- Il n'embête plus personne là où il est, approuva Youssouf. En ce moment, nous sommes aux prises avec un type encore pire que lui : Kgodi Adesina, mais nous lui réglerons son compte bientôt.
Astrid ne connaissait pas le monde où évoluait maintenant Reine, ces histoires de chefs de guerre qui menaient une lutte sans merci dans la jungle congolaise. Elle écouta néanmoins leurs récits avec intérêt pendant une bonne demi-heure.
- Quoi qu'il advienne, vous pouvez compter sur nous, conclut Youssouf. Si vous avez besoin d'aide, Reine et moi serons présents.
- Merci infiniment...
La jeune Congolaise mordit dans un carré de chocolat au piment et faillit le recracher :
- Beurk, mais c'est dégoutant !
Astrid eut un petit rire et haussa les épaules :
- C'est ça, d'être enceinte. On a envie de choses bizarres.
Elle se tourna vers Björn, qui était resté muet pendant toute la conversation, et sourit.
- Nous n'allons pas vous déranger plus longtemps, fit le colonel. Maintenant que Reine sait ce qu'elle voulait savoir, nous allons rentrer...bon courage et bonne chance.
- Salut, ma vieille ! J'espère que ça ira pour Kate et Claudiu, et pour tous les autres...tiens moi au courant !
Youssouf, sa fille et ses gardes du corps sortirent. Reine s'arrêta une dernière fois devant le portail et indiqua le jardin, ravagé par l'installation de McRaven et des Golems, qui avaient creusé des fossés, planté des obstacles, arraché les massifs de fleurs et coupé deux oliviers.
- Il a pris cher, votre jardin !
Astrid eut un sourire triste : à vrai dire, elle l'avait complétement oublié, ou, du moins, elle en avait fait abstraction. Cela lui donna une idée pour occuper Björn, que cette visite n'avait pas vraiment réjoui. Les Africains partis, elle se tourna vers lui :
- Comment avons-nous pu laisser le jardin à l'abandon pendant tout ce temps ? C'est scandaleux, tu ne trouves pas ?
Elle se dirigea d'un air résolu vers le fossé rempli d'eau boueuse, où, il y a un certain temps, elle avait failli finir noyée par McRaven.
- Ne te penche pas ! Je vais le faire !
Björn remonta ses manches et, en regardant autour de lui, établit son diagnostic.
- Je vais démonter les obstacles et reboucher les trous. J'essaierai ensuite d'enlever les deux souches mortes, et je replanterai deux oliviers à leur place. Et je pourrais mettre de nouvelles fleurs, ici et ici...
- Excellente idée ! approuva Astrid. Tu t'y mets tout de suite ?
- Allez ! Il me faudrait...
Il dressa alors une liste d'outils que la jeune femme s'empressa de lui apporter. Il démonta le parcours d'obstacles, le porta à la déchetterie et reboucha les fossés. Celui lui prit le reste de la journée et toute celle du lendemain. Astrid se rendit à un magasin de jardinage pour acheter de nouvelles graines de fleurs à planter et revint avec de la lavande, des sauges, des bougainvilliers, du romarin, des pois de senteur et des dizaines d'autres que lui avait conseillées le vendeur. Elle retrouva Björn recouvert de boue, épuisé, mais heureux.
Les grands projets comme ça lui changent les idées...comme refaire la chambre de Marcus, le jardin, ou protéger une femme enceinte menacée par Axel Desmarais.
Astrid tenta bien de négocier, mais elle dut rester sagement sur un transat sans rien faire en regardant Björn s'agiter. La rénovation du jardin lui apportait une joie presque inattendue : une impression de libération, de soulagement, comme un baume sur une cicatrice douloureuse. Une reconstruction.
Elle profita du doux soleil et ferma les yeux. Quand elle les rouvrit, elle s'aperçut qu'elle avait dormi. Björn s'approcha et s'accroupit à côté d'elle.
- Il y a encore quelqu'un au portail, dit-il, l'air exaspéré. Un peintre avec sa femme. Il dit que tu le connais. Il s'appelle Adriano.
Astrid mit un certain temps à se souvenir. Mais le prénom lui évoqua tout de suite Venise, des tableaux sous des draps blancs, et le sourire émerveillé de Daniel. Elle se rappela enfin du peintre vénitien qu'elle avait rencontré lors de son « tour du monde d'affaires ». C'était il y a longtemps, à une époque où tant de gens qu'elle avait perdu vivaient encore.
- Oui...je le connais...fais-le entrer.
- Tu es sûre ?
- Oui...je crois qu'au fond, ces visites me font du bien. J'ai besoin de voir d'autres personnes.
- D'autres personnes que moi ? fit Björn en haussant un sourcil.
- Exactement, répliqua-t-elle en riant.
- Je le prends très bien, ironisa-t-il. D'accord, je vais introduire les invités de madame...
Avec ses boucles noires et son sourire lumineux, Adriano était toujours aussi beau. Il était accompagné de sa femme, Sara, une ravissante créature aux yeux noirs et au visage de madone.
- Désolés de passer à l'improviste, s'excusa le peintre avec son accent vénitien qu'Astrid trouvait charmant. Sara et moi étions dans la région mais nous n'avions pas votre numéro de téléphone pour vous prévenir.
- Peu importe ! Soyez les bienvenus. Enchantée de vous rencontrer, Sara. Voici mon compagnon, Björn.
- Le père du bébé ? demanda gentiment Adriano.
- Oui !
Elle le remercia intérieurement de ne pas évoquer Daniel, avec qui elle était encore en allant visiter l'atelier à Venise. Sara s'émerveilla :
- Oh, quel beau jardin !
Björn se rengorgea et expliqua avec ferveur tous les travaux qu'il avait effectués. Adriano en profita pour entraîner Astrid à l'écart :
- Je ne vous ai pas assez remerciée pour tout ce que vous avez fait pour nous. Nous étions dans une mauvaise passe mais vous avez continué à nous verser de l'argent et à nous soutenir. Aujourd'hui, comme vous le savez, nos ventes ont explosé. Nous avons enfin dépassé les Asiatiques qui nous tenaient la dragée haute.
- Vous m'avez déjà remerciée, Adriano, avec cette superbe copie du tableau de Renoir, que j'ai d'ailleurs dans ma chambre...
Le Vénitien eut un sourire sincère et continua :
- Sara et moi sommes en Campanie pour peindre. Nous avons reçu une commande de vingt tableaux dans le style de l'école de Posillippo...
- Vraiment ? Avec le célèbre pin parasol ?
- Tout à fait ! Enfin, Sara et moi vous avons apporté des cadeaux.
Il alla ramasser deux paquets rectangulaires de taille moyenne et appela sa femme. Björn vint se poster près d'Astrid pour pouvoir voir « les cadeaux ». C'était évidemment deux tableaux. Le premier chamboula la jeune femme : un portrait d'elle, le menton dans la main, peint avec des pigments et dans un merveilleux style impressionniste lumineux, fluide et tout en jeux de texture.
- C'est moi ! s'écria Astrid.
- Oui, je me suis inspiré du portrait de Jeanne Samary, de notre cher Renoir. Il vous plaît ?
- Il est extraordinaire ! N'est-ce pas, Björn ?
Elle voulait le pousser à dire quelque chose de gentil.
- Très joli, reconnut le Suédois. Surtout le modèle.
Astrid lui donna un petit coup de coude mais Adriano et Sara éclatèrent de rire.
- J'ai moi aussi un tableau pour vous, fit cette dernière.
- Vous peignez, Sara ?
- Elle est très douée ! répondit Adriano en embrassant sa femme qui rougit de modestie.
- Je sais que vous êtes espagnole, alors j'ai recopié un de vos compatriotes...j'espère que vous aimerez...c'est une Vue de Venise, de Juan Giménez Martín.
Une belle toile aux allures orientales et aux couleurs chaudes, excepté un bleu pur pour le ciel et la lagune, représentant la Sérénissime, apparut sous les yeux d'Astrid qui, ayant largement dépassé son quota d'éblouissement artistique, ne put dire un mot.
- Mer...merci, balbutia-t-elle finalement. C'est beaucoup trop.
- Vous êtes une mécène exceptionnelle, sourit Adriano. Vous le méritez.
- C'est vrai ! renchérit Sara.
Le couple embrassa Astrid, salua chaleureusement Björn et repartit. La jeune femme éclata en sanglots sous le regard surpris et soudain soucieux du Suédois.
- Mais qu'est-ce qui se passe ?
- C'est juste que...c'est tellement beau, tu ne trouves pas ?
Elle indiqua les deux tableaux qu'ils avaient rapportés à l'intérieur.
- Je ne te savais pas si sensible à l'art...
- Les hormones y sont sans doute pour quelque chose...oh !
Elle rougit brusquement. Un liquide chaud avait coulé entre ses jambes.
- Oh, non ! Je crois que je me suis fait pipi dessus...
Björn pâlit soudain et secoua la tête :
- Non, Astrid...tu as perdu les eaux !
La jeune femme regarda la flaque de liquide transparent et lâcha un petit gémissement : une douleur aiguë lui transperça les reins.
- Il faut aller à l'hôpital, vite !
Björn fit preuve d'un calme étonnant, aida Astrid à enfiler ses chaussures et son manteau, puis l'installa dans la voiture avant de démarrer au quart de tour. La jeune femme sentit les premières contractions lui vriller le ventre. L'infirmière qui la prit en charge annonça que le travail avait commencé. On administra à Astrid une péridurale qui la soulagea grandement. Le temps semblait défiler à toute vitesse : elle se retrouva sur la table d'accouchement, Björn, vêtu d'une blouse bleue, lui tenant la main.
- Le col est à dix ! annonça le médecin. Vous allez devoir pousser, ma petite dame !
Astrid fit ce qu'on lui dit : elle souffla, elle poussa, elle bloqua, encore et encore. Il lui semblait ne plus vraiment être elle-même.
- Je vois la tête ! Encore un effort !
La jeune femme sentit la petite chose qu'elle abritait depuis neuf mois sortir entièrement de son corps. Puis on déposa sur sa poitrine le plus beau bébé du monde, encore recouvert de muqueuses. Des larmes se mêlèrent à la transpiration qui coulait sur son visage. Un médecin coupa le cordon ombilical et Marcus disparut. Il poussa un long cri qui rassura Astrid. On leur administra les soins nécessaires, à elle et au bébé, et enfin, on les laissa seuls.
Björn, qui pleurait aussi, marmonnait des mots admiratifs en suédois.
- Coucou, Marcus, chuchota Astrid.
Le bébé, tout rose, ses petits poings serrés et la bouche entrouverte, se remettait du choc de sa venue au monde. Sur son crâne minuscule se voyait déjà une touffe de cheveux châtain.
- Il est magnifique, souffla Björn en l'effleurant du bout des doigts.
- Il est là, conclut Astrid. Enfin.
Ma chère Xiu,
Je t'écris dans mon lit d'hôpital. Marcus dort juste à côté de moi, et Björn aussi. Ils ont la même position, c'est très drôle.
J'ai eu un bébé. Je n'arrive pas à y croire, ma Xiu. Comment cet être bien vivant a pu pousser dans mon ventre ? Comment moi, Astrid Cavaleri, puis-je être une maman ? Oh, il est déjà toute ma vie ! Je sais qu'il sera parfait. Mais moi, le serais-je ? Pourrais-je le protéger contre ceux qui lui voudront du mal ? Je donnerai ma vie s'il le faut !
En écrivant ces mots, je vois ton visage sage et souriant, ton visage de grand-mère idéale. Tu devrais être là, auprès de moi. Tu lui aurais appris tant de choses. À faire la cuisine, par exemple. Faire de la bonne cuisine chinoise n'est pas donné à tout le monde. Tu lui aurais aussi appris ta fabuleuse « langue des doigts ». Je m'en souviens encore, tu sais.
Je me demande pourquoi tu n'as jamais eu de bébé, toi. La vie ne t'a pas épargnée, ma Xiu. Sans doute ne t'es-tu jamais sentie assez en sécurité. Où n'as-tu pas trouvé le bon homme ? Moi, je suis en danger et Marcus n'est pas de Daniel. Pourtant je l'aime et je suis heureuse. Tu es morte pour sauver des gens, Xiu. Solovine, encore lui, pensait que tu savais des choses sur le Pacte de Manfredi. Est-ce vrai ? Aurais-tu connu Twen-Chang Huang ? Ah, tu es morte avec tant de secrets. Tu étais un secret, ma Xiu. Un doux mystère.
J'aurais voulu que tu vois Marcus, que tu joues le rôle que tu as joué pour moi. À la Villa, j'avais un père étouffant (Salvatore), une mère attentive (Mama), un oncle rigolo (Ernesto) un autre oncle complice (Antonio) et une grand-mère exceptionnelle, dans tous les sens du terme (toi). Finalement, j'ai eu une vraie famille traditionnelle ! J'espère que Marcus l'aura aussi. Il a déjà un père et une mère très dévoués. Salvatore et Mama feront de bons grands-parents, et Ernesto continuera à faire le clown. Ces deux derniers sont à la P.I.H.S, mais je les ferai sortir.
Salvatore m'a appelée, l'autre jour. Il pleurait. Oh, pourquoi n'est-il pas là, lui aussi ? POURQUOI bon sang ? À cause d'Axel Desmarais. Sur ma vie, cet homme mourra, et j'éprouverai une joie immense.
Marcus m'a redonnée une force, Xiu, que je pensais disparue à jamais. Je me battrai pour lui redonner sa famille injustement éloignée de lui. Je ferai payer à tous ceux qui ont voulu nous détruire. Je serai une maman guerrière.
Marcus s'est réveillé. Il est si beau. Il me regarde. Et je crois que je comprends pourquoi Salvatore me couvait comme une poule et voulait m'empêcher de grandir. Comment peut-on accepter que cet enfant dont les battements de cœur rythment notre vie s'envole un jour ? Qu'il n'ait plus besoin de nous, qu'il aime quelqu'un d'autre ? Rien que de penser que Marcus va devenir un adulte me bouleverse.
Oui, je sais, j'ai le temps. Mais le temps passe vite, hein, ma Xiu ? Il passe et on ne peut rien y faire. Tu me manques, et je t'aime fort. Repose en paix, dans ce beau jardin du ciel, ce beau jardin zen avec des chants d'oiseaux, des fontaines, des graviers blancs, des cerisiers, un petit vent, une odeur de paix et de bonheur. Ce jardin créé spécialement pour toi au Paradis.
Ton Astrid.
Merci <3
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro