Chapitre 7
Chapitre 7
Outre son église avec son petit cimetière et le restaurant "Chez Luigi", San Gennaro ne comptait qu'une quarantaine de maisons, serrées les unes contre les autres. De plus, les jeunes ayant tous migré vers la ville de Naples, il n'y vivait pratiquement que des personnes âgées, souvent veuves. De fait, la moyenne d'âge de San Gennaro était d'environ soixante-dix ans.
Quand l'armée d'Andrea Noro débarqua tôt le dimanche matin, la plupart étaient sortis pour aller faire les courses au marché. Et tant mieux.
Les Shiro avaient une arme ; le Sutangan, un poison paralysant, dont ils avaient enduit leurs shurikens. Mais ça, les habitants de la Villa Gialla et leurs alliés ne le savaient pas encore...
Evidemment, Salvatore, Daniel, Tenoha et Mattia s'allièrent pour empêcher Astrid de se rendre à la bataille. La jeune femme eut beau insister, protester, supplier, menacer, personne ne céda.
Finalement, elle promit de rester dans sa chambre, avec la ferme intention de passer par la fenêtre à la première occasion. Astrid s'assit en tailleur sur son lit et tritura sa couverture rouge.
En fait, je suis morte de trouille. Pour eux et pour moi. Mais il n'y a aucune raison que je reste enfermée comme une lâche pendant que mes hommes vont risquer leur vie. Ce n'est pas ce que mes parents auraient voulu. Ce n'est pas ce qu'Antonio aurait voulu.
Ils auraient voulu que tu sois en sécurité, répliqua la voix de sa conscience, qui ressemblait étrangement à celle de Salvatore. Tu ne serviras à rien là-bas, tu seras blessée ou pire...et il y aura encore plus de problèmes.
Après un quart d'heure d'une intense discussion intérieure, Astrid se leva et ouvrit la fenêtre. Elle sauta. Elle se hâta de traverser la pelouse ; Xiu était toujours à la maison et risquait de la voir.
San Gennaro semblait calme. Néanmoins, quand Astrid tendit l'oreille, elle perçut comme un vague crépitement au loin, une sorte de feu d'artifice assourdi. Des coups de feu !
Elle emprunta la minuscule ruelle qui menait au cimetière ; à l'exception d'une poubelle éventrée, il n'y avait rien d'anormal. Mais un sifflement attira son attention et, avant qu'elle ne puisse réagir, une forme tomba d'un toit. Astrid reconnut Fuyuki Shiro.
- Je savais bien que vous finiriez par montrer le bout de votre nez, ricana-t-il.
La panique l'emporta et la jeune femme voulut fuir. Au moment où elle faisait volte-face, elle sentit une douleur cuisante dans le bas du dos. Elle s'effondra sur le ventre.
Fuyuki la retourna brutalement et eut un sourire terrifiant en exhibant un deuxième shuriken, avec lequel il visa la gorge. Astrid voulut crier, mais, aussi soudainement qu'il était apparu, le japonais disparut, projeté sur le côté par quelqu'un d'autre. Fuyuki ne bougea plus, assommé.
Astrid cligna des yeux, les reins douloureux. Elle retira la petite étoile de métal qui y était fichée avec une grimace.
- Vous êtes touchée !
Son sauveur était Björn Olofsson. Astrid eut encore plus peur et recula comme un insecte affolé.
- Laissez-moi vous aider, je...
- Vous êtes avec eux !
- Non, vous...
Mais la jeune femme n'avait plus assez de courage pour le laisser finir, et s'enfuit en courant. Björn l'appela plusieurs fois, mais elle courut jusqu'à ce qu'elle ne l'entende plus. Adossée à un mur, elle reprit son souffle. Le silence était revenu. Je ferais mieux de rentrer à la maison. Je saigne. Non. Je dois être courageuse. Daniel a peut-être besoin de mon aide. Il gît dans un coin, blessé et...Elle refusa d'y penser et avança vers le bruit des coups de feu. Dans une autre ruelle, elle aperçut Mattia, accroupi derrière une poubelle, visant soigneusement une cible qu'Astrid ne voyait pas. Elle se dépêcha de passer derrière lui.
En entendant un déclic d'arme à feu tout près, elle piqua un sprint et rentra brutalement en collision avec quelqu'un. Encore un ninja fou ?
C'était Tenoha. Quand il la vit, ses yeux verts s'enflammèrent.
- Qu'est-ce que tu fiches ici, toi ? Rentre à la Villa !
Il la prit par les épaules et la repoussa. Mais, finalement, il la retint.
- Attends...tu es blessée ?
Avant qu'Astrid n'ait pu répondre, il appuya cruellement sur la plaie, lui arrachant un cri de douleur.
- Ça, c'est pour être sûr que tu fasses bien ce que je viens de dire.
La jeune femme tomba à quatre pattes ; ses jambes étaient devenues aussi molles que de la guimauve. Espèce de psychopathe ! l'insulta-t-elle intérieurement.
Elle n'avait plus le choix ; pour se déplacer, elle allait devoir ramper. Bon sang, ce n'est qu'une coupure ! Pourquoi j'ai mal comme ça ?
Elle échoua sur les quelques marches qui menaient à une petite maison rose, comme un gros poisson pris dans un filet. Bientôt, elle ne put plus bouger du tout les jambes, et elle sentit l'engourdissement se diffuser dans son dos. Que m'arrive-t-il ?
Astrid resta là, paralysée et endolorie, un long moment. Soudain, un homme déboucha dans la ruelle. Cette fois, c'était Lars Wolfgang. Il s'approcha de sa démarche de félin et contempla la jeune femme un moment. Il va me tuer.
Il s'agenouilla et souleva le tee-shirt d'Astrid pour voir la plaie.
- Das Blut ist schmutzig, décréta-t-il avant de repositionner soigneusement le vêtement.
Astrid ne comprenait pas l'allemand, mais elle éprouva une sensation bizarre de soulagement en l'entendant parler. Lars se releva, puis partit, la laissant seule, encore une fois.
L'engourdissement monta peu à peu jusqu'à sa tête, et bientôt son champ de vision se réduisit à des taches de couleur brouillées, comme les peintures sur la palette d'un peintre. Elle n'avait même plus mal. Mais à un moment, elle entendit quelqu'un parler, puis elle fut soulevée du sol.
Astrid reconnut l'eau de Cologne d'Andrea. Son nez marchait encore très bien.
- Elle est morte ? fit une voix qu'elle ne connaissait pas.
- Paralysée, le Sutangan, sans doute. Mais on va faire comme si. Attendez.
Andrea reposa Astrid sur le sol, préleva un peu de sang de sa plaie du dos, et lui en étala sur le visage et le ventre. Puis il la reprit dans ses bras et marcha à travers les petites rues de San Gennaro. Il s'arrêta sur la place de l'église, où le combat faisait rage.
- Baissez vos armes ! J'ai trouvé quelque chose...
Les bruits de coups de feu cessèrent brusquement. Il y eut un moment de silence absolu, puis quelqu'un poussa un cri :
- Non !
C'était Daniel. Salvatore s'effondra littéralement ; Tenoha le retint in extremis par le bras. Andrea posa Astrid sur le sol...aux pieds de Lars Wolfgang. La jeune femme commençait à sentir des fourmillements dans ses jambes et ses bras. Son cœur battait furieusement, mais le poison refluait vers la plaie de son dos, qui redevenait douloureuse. Je ne suis pas morte, non !
- Elle n'est pas morte, son sang est noir, c'est le Sutangan ! intervint bêtement Fuyuki.
Andrea se retourna vers lui et le fusilla du regard.
- Espèce d'imbécile !
Du bout du pied, Lars tourna la tête d'Astrid sur le côté. De fait, elle entendit la détonation mais ne vit pas le japonais tomber. Il m'a empêchée de le voir mourir. Pourquoi ? Pour me protéger ?
- Non, elle n'est pas morte, c'est vrai, mais elle pourrait l'être dans l'instant, reprit Andrea. En échange de sa vie, je veux tout ce qui appartenait à Antonio. Son argent et son pouvoir.
- Relâchez Astrid, et vous aurez tout ! lâcha Mama Bayou, furieuse.
- Vous avez perdu. Je veux vous l'entendre dire avant.
Astrid sentit qu'elle était de nouveau libre de ses mouvements. Elle bondit sur ses pieds et arracha le pistolet de la ceinture de Lars avant de le pointer sur ce dernier.
- Laissez partir ma famille où je tue votre ami ! cria-t-elle à Andrea.
Lars Wolfgang regarda Astrid de ses yeux glacés. Puis il parla :
- Antonio Cavaleri est mort. Mais même mort, il reste le plus grand homme que j'ai jamais connu. Et ma loyauté perdure.
Puis, il reprit l'arme de mains d'Astrid et tira sur Andrea Noro.
Suivit un chaos indescriptible. Affaiblie, Astrid tomba sur le sol et, quand elle voulut se redresser, Daniel la prit dans ses bras.
- Ne regarde pas. Ce n'est pas très beau à voir...
- Lars...
- Apparemment, il était avec nous depuis le début. Nous avons gagné, Astrid. C'est fini.
- Astrid ! Oh mon dieu ! Donnez-la-moi, Tremblay !
Elle passa des bras de Daniel à ceux de Salvatore.
- Tu m'as fait tellement peur ! J'ai cru...j'ai cru...
Autour d'eux, les coups de feu cessaient peu à peu. On a gagné. Enfin, Astrid s'autorisa à s'évanouir.
***
La jeune femme apprit que Tenoha Moarere avait empêché Björn Olofsson de lui révéler que Lars Wolfgang et son groupe étaient de son côté depuis le début, et n'avaient fait qu'infiltrer les rangs d'Andrea Noro pour mieux le détruire. Le suédois lui raconta toute l'histoire, en insistant sur la paranoïa et la possessivité dangereuse du mercenaire.
Furieuse, elle renvoya le tahitien qui lui lança d'une voix pleine de haine :
- On ne me renvoie pas comme un malpropre ! Tu n'en as pas fini avec moi, Astrid Cavaleri !
Les rares Shiro qui restaient regagnèrent le Japon au plus vite. Carlo Battaglione avait été tué durant la bataille, comme Andrea Noro. Gloria Solaro dut quitter la Campanie et s'exiler à Turin.
La victoire était pour l'instant acquise aux habitants de la Villa Gialla, mais Astrid savait que de nouvelles épreuves les attendaient, parce que leur forteresse avait commencé à s'écrouler depuis qu'Antonio n'y apportait plus le ciment de sa présence.
Il allait falloir reconstruire.
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