Chapitre 37.2
Astrid reçut plusieurs e-mails de Theodore Ring, qui lui annonçait qu'il était de passage à Rome et qu'il aimerait beaucoup prendre un café avec elle. La jeune femme décida d'accepter : elle pourrait passer voir Ahmet et Leïla à l'université La Sapienza de Rome. Ils étudiaient respectivement l'économie et la médecine. Mais seul le premier était disponible. Leïla, elle, passait ce jour-là un examen très important.
Astrid et Ahmet prirent des paninis dans un minuscule restaurant tout près de la place Navona, où s'alignaient les stands des portraitistes et des peintres, autour de la majestueuse fontaine des Quatre Fleuves et son obélisque.
- Chaque statue représente un fleuve du monde, expliqua Astrid. Celle-ci est le Nil, l'autre le Gange, celle-là le Danube et la dernière, le Rio de la Plata.
Ahmet lui jeta un regard admiratif :
- Waouh, tu en sais, des choses.
- J'ai fait un exposé sur cette fontaine en histoire de l'art.
- Tu as dû avoir une super note !
- Non. Pas du tout, pouffa Astrid. Mais chut, c'est un secret.
Ils continuèrent à déambuler dans les environs jusqu'à ce qu'arrive l'heure de son rendez-vous avec Theodore Ring.
- Je suis contente de t'avoir revu, Ahmet. Travaille bien !
Il l'embrassa sur les deux joues et la regarda un moment.
- Tu as l'air fatigué. Prends soin de toi.
La jeune femme, en effet, était épuisée. Elle avait raccompagné Björn à l'aéroport très tôt le matin. Il rentrait à Hambourg, auprès de Lars. Ils avaient rompu, sans trompette ni tambour. Sans cri, presque sans parole. Dans le hall, Björn lui avait dit :
- Daniel reviendra, Astrid. Vous êtes faits l'un pour l'autre.
La jeune femme avait caressé la joue du suédois du bout des doigts.
- Tu trouveras une autre fille, Björn, qui ne sera pas stupide et égoïste comme moi. Une fille qui t'aimera de tout son cœur. En amour, tu mérites ce qu'il y a de mieux.
Ils s'étaient étreints une dernière fois, puis Björn était parti, emportant avec lui les dernières traces d'aventures, de la Russie et du Brésil, d'un amour tendre et rassurant dont ils savaient dès le départ qu'il ne durerait pas toujours.
- Au revoir, Ahmet.
- Au revoir, Astrid.
La jeune femme traversa le pont Victor-Emmanuel II et retrouva Theodore Ring dans un café près du Vatican. Il portait une tenue détonante dans cette Rome de fin d'automne : chemise hawaïenne et pantacourt en jean. Il serra la main d'Astrid en souriant.
- Dire que c'est ici le siège de la religion catholique ! Difficile de déterminer si c'est un lieu de décadence morale ou de persistance d'un espoir de rédemption pour l'humanité.
- Euh, oui.
- Il y a tellement de choses que j'aimerais dire...des idées que j'aimerais diffuser... Vous qui êtes jeune, comment feriez-vous pour transmettre un message qui vous tient particulièrement à cœur ?
Astrid remarqua soudain une affiche délavée par la pluie, qui devait être là depuis des mois, annonçant un concert en faveur d'une association. Elle repéra un nom : Domenico Sorabella. La jeune femme eut un sourire triste et soupira :
- Je crois que j'écrirais une chanson.
- Une chanson ?
- Oui, les jeunes aiment la musique, vous savez.
- Quelle genre de musique ?
Astrid eut une idée si soudaine qu'elle tressauta sur sa chaise.
- Le rap !
- Le rap ? répéta Theodore en soulevant un sourcil broussailleux.
- Oui ! Vous pourriez écrire un album avec Gangsta Johnson !
Le rappeur lui avait confié, en Écosse, qu'il aimerait refaire un disque. Il avait ajouté, avec une humilité étonnante, qu'il n'était pourtant pas très doué pour écrire des paroles.
- Je peux vous donner son numéro, proposa Astrid.
Elle imagina Theodore, en chemise à fleurs, chanter un texte contestataire sur une musique hip-hop, et faillit s'étrangler de rire. Sûr que ça ne passerait pas inaperçu !
- Eh bien, pourquoi pas ? s'exclama-t-il.
***
Il y a neuf ans...
- Est-ce que je peux aller à la soirée d'Anna ?
Astrid colla un bisou sur la joue d'Antonio qui lui tapota la tête en souriant.
- Bien sûr, ma grande. Mais tu sais que ce n'est pas à moi qu'il faut demander.
- Oui, mais s'il proteste, je lui dirais que toi, tu es d'accord. Ce sera déjà un bon argument.
- Bonne chance !
L'adolescente alla trouver Salvatore qui travaillait dans le salon avec Ernesto.
- Anna, tu sais, mon amie, organise une super soirée ce soir. Je peux y aller ?
- À quelle heure ? demanda Salvatore sans lever le nez.
- De dix-neuf heures...jusqu'à deux heures du matin.
- Hors de question.
- Minuit ? Allez, s'il te plaît, minuit !
Elle lui passa les bras autour du cou.
- S'il te plaît, mon Salva chéri que j'aime.
- Ah, pas de ça ! D'accord pour minuit. Tu m'appelleras et je viendrais te chercher.
- Oui ! cria Astrid en esquissant une danse de la victoire.
- À minuit, jeune fille ! Pas plus tard.
- Promis ! Je t'aime !
Ernesto lui fit un clin d'œil et l'adolescente partit préparer la tenue qu'elle porterait pour l'occasion.
Salvatore n'aimait pas qu'Astrid aille « en soirée ». Il savait que dans ce genre de fête d'adolescents, les choses pouvaient mal tourner. Il pouvait y avoir de l'alcool ou de la drogue. Astrid traversait une période difficile. Elle était vulnérable. Elle fait la grande, mais c'est encore un bébé. Mon bébé. Alors Salvatore rongea son frein jusqu'à minuit.
Évidemment, elle n'appela pas.
À minuit et quart, il prit sa voiture et partit chez Anna, inquiet et en colère. À dix mètres de la maison, on ressentait déjà les pulsations de la musique. Salvatore alla à la porte et frappa : comme personne ne répondait, il la poussa : c'était ouvert. L'intérieur était enfumé et puait le mélange de parfums de mauvaise qualité, la sueur et la pizza. Sur la droite, il repéra immédiatement un alignement de bouteilles d'alcool vides. La musique était si forte qu'on ne discernait plus les paroles. Des flashs de lumières jetaient des tâches multicolores sur le sol, les murs et le plafond. Des adolescents dansaient, buvaient, criaient, gloussaient. Impossible de trouver Astrid dans cette beuverie.
Il attrapa une blonde décolorée par le col, qui écarquilla ses yeux fardés d'un air stupéfait.
- Où est Astrid ?
- Vous êtes qui ?
- Où est Astrid ? répéta Salvatore, furieux.
- Euh, dans le coin, là-bas.
Elle indiqua un endroit où se trouvaient plusieurs fauteuils et un canapé, autour d'une table basse où trônait un narguilé. Astrid était sur le canapé, les joues rougies, et un grand adolescent ébouriffé était collé à elle comme un répugnant bulot à un superbe rocher. Écartant ce dernier sans ménagement, Salvatore attrapa Astrid par le bras. Elle poussa un cri de surprise et voulut se dégager. L'adolescent joua les héros :
- Laissez-la tranquille, le vieux !
Oh, si ce n'était pas un gamin, je l'étranglerais d'une seule main !
- Tu as vu quelle heure il est ? demanda Salvatore d'un ton sec.
- À peine minuit et demi ! geignit Astrid.
- J'avais dit à minuit pile !
- Lâche-moi !
L'adolescent, ivre ou drogué, tenta soudain de frapper Salvatore, qui le saisit par le tee-shirt et le projeta contre la table. Le narguilé vacilla sous le choc avant de se fracasser sur le sol. Les autres filles présentes hurlèrent. Astrid persistait à vouloir s'échapper.
- Viens avec moi, tout de suite !
- Non ! Tu n'es pas mon père ! cria-t-elle.
Salvatore la gifla sans réfléchir et les adolescentes poussèrent de nouveaux hurlements. Astrid avait les larmes aux yeux mais chercha encore à le provoquer :
- Tu n'avais pas à venir me foutre la honte devant mes amis ! Mais tu ne peux pas t'en empêcher, tu gâches toujours tout !
- Arrête ! Viens !
- Personne ne t'aime, parce que tu es un gros con !
Salvatore la gifla une deuxième fois. Autour d'eux, certains fêtards avaient cessé de danser et regardaient la scène avec des yeux ronds. Cette fois, Astrid céda. Salvatore la traîna hors de la maison, puis jusqu'à la voiture.
- Monte ! ordonna-t-il.
Sa voix tremblait tellement qu'il ne la reconnaissait plus. Astrid avait le visage couvert de larmes. Une véritable catastrophe, cette foutue soirée !
Salvatore n'arriva même pas à faire démarrer la voiture. Il prit une profonde inspiration.
- Est-ce que tu as bu ?
- Non.
- Fumé ?
- Non.
- Est-ce que ce garçon t'a touchée ?
- Qu'est-ce que ça peut te faire ?
- Réponds !
Astrid s'essuya le nez du revers de la main. Elle n'arrivait plus à contenir ses sanglots.
- Si ce petit imbécile a...
- Il n'a rien fait, Salvatore ! Arrête, je t'en supplie !
Oh, mon bébé. Si tu savais comme j'ai eu peur. Si tu savais comme j'ai envie de te prendre dans mes bras là, tout de suite. Mais il se contenta de démarrer, enfin, et de regagner la Villa en gardant le silence. Il gara la voiture et s'empressa de la contourner pour aider Astrid à descendre. Mais elle le repoussa si violemment qu'il faillit tomber.
- Hé ! protesta-t-il.
- Je ne te pardonnerai jamais !
Je dois faire quelque chose maintenant, où elle me fera la tête pendant des jours. Peut-être même des semaines. Il la serra contre lui en la maintenant de force. Elle se débattit, d'abord très vivement, puis de moins en moins. Salvatore sentait son cœur affolé et les violents tremblements qui la secouaient. Il posa son menton sur son crâne et la berça doucement.
- Pardon, pardon...ne pleure pas. Pardon.
Elle se calma peu à peu, mais resta raide contre lui. Il prit ses poings serrés dans ses mains et les déplia délicatement.
- J'ai eu tellement peur, mon amour. Cette soirée était horriblement dangereuse.
- Non. Ça allait !
- Tu sais que c'est faux. Allez, ne m'en veux pas.
- Tu n'aurais pas dû pousser Stefano.
- Je regrette. Je voulais te protéger.
- Tu m'as giflée deux fois.
- Je suis désolé. Mais ce que tu as dit était intolérable.
Astrid renifla puis murmura :
- C'est vrai. Pardon. Je t'aime.
Dernier flash-back ! Et plus que trois chapitres... TINTINTINTIN !
Merci <3
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