Chapitre 3
Chapitre 3
Son premier réflexe fut de taper contre la porte, puis de l'assaillir avec les ongles en continuant à hurler, puis enfin de l'attaquer à coups d'épaules. La porte ne céda pas. En revanche, son épaule montra vite des signes de fatigue.
Astrid se laissa tomber par terre en gémissant. Soudain, elle pensa à la fenêtre et se précipita vers elle. Elle était implacablement fermée.
Astrid savait que la Villa était dotée d'un système de défense ultra-moderne, qui comprenait la possibilité de rendre les fenêtres blindées et imprenables. Ils n'ont tout de même pas utilisé cette fonction pour m'enfermer ici comme une folle dans une chambre d'isolement ? Si.
Elle avait un goût de sang dans la bouche. La colère lui cognait contre les tempes. Bientôt, elle se mit à pleurer de désespoir en tournant en rond. Bien sûr, son téléphone était resté sur la table.
Elle se sentait comme un animal enragé dans une cage trop petite. C'était un cauchemar.
Astrid se roula en boule sur son tapis et attendit qu'on vienne la sortir de là, que le monstre qui avait pris la place de Salvatore disparaisse, que Daniel la prenne dans ses bras en lui disant que tout irait bien. Elle attendit. Un bruit, une voix, quelque chose, n'importe quoi.
Vers deux heures du matin, elle s'endormit d'épuisement.
Elle fut réveillée le lendemain par une délicieuse odeur de tarte aux noix de pécan, la spécialité de Mama Bayou. Mais malheureusement, elle n'avait pas faim.
- Comment te sens-tu, ma fille ?
Mama était là, assise sur son lit, le regard insondable derrière ses lunettes rouges.
- Je suis toujours enfermée ? chuchota Astrid
Sa voix était complètement éteinte. Elle avait un goût horrible dans la bouche et la lumière du petit jour lui fit cligner des yeux. Elle se sentait comme un vampire sortant de son tombeau après mille ans de sommeil.
- Non. Tu peux sortir, maintenant.
- Je veux voir Daniel.
Mama retira lentement ses lunettes.
- Astrid...tu ne le verras plus. Salvatore a gagné.
- Pourquoi tu ne l'as pas arrêté, Mama ?
Elle pleurait déjà. Le mot "gagné" pour Salvatore signifiait que pour elle, c'était "perdu".
- J'ai essayé. Mais tu connais Salvatore, il était fou furieux, il m'a même traitée de sorcière.
Mama haussa un sourcil et essuya ses verres sur son corsage à motifs tribaux.
- Le petit Tremblay n'a pas pu résister. Il est même parti convaincu que Salvatore avait raison, que votre histoire avait été une erreur, qu'il ne devait plus t'approcher.
- Non ! Je dois l'appeler, lui dire que...
- Ma fille, il ne répondra pas. C'est terminé. Parfois, les humains sont plus forts et plus cruels que les esprits. Erzulie pleure avec toi. Mais tu surmonteras cette épreuve. Mange, maintenant.
Mama se leva et se dirigea vers la porte. Elle s'arrêta pour dire :
- Salvatore voudrait te parler. Je suppose que toi, non ?
Astrid n'était plus qu'un gigantesque trou noir de douleur et de désespoir. Elle poussa un gémissement bien plus significatif qu'un hurlement. Mama n'avait jamais rien entendu d'aussi douloureux. Astrid répondit néanmoins :
- Dis-lui que je suis morte. C'est terminé.
***
Ça commença par un simple claquement de dents, puis une épouvantable sensation d'impuissance. Il devait être environ trois heures du matin, quand le corps d'Astrid se fit l'écho de son esprit dévasté. Elle se mit à trembler, à avoir trop froid, puis trop chaud, sans pouvoir lutter, sans pouvoir faire autre chose que subir. Finalement, elle réussit à se traîner hors de son lit, portée par une nausée qui lui soulevait dangereusement l'estomac.
Dans le couloir, plus morte que vive, elle eut un premier haut-le-cœur, puis un second dans la salle de bain, mais heureusement quand le troisième arriva, elle avait atteint les toilettes. Elle n'avait pas mangé, et du coup, vomir fut encore plus horrible.
Au bout d'un moment, elle sentit qu'on écartait doucement les cheveux qui lui tombaient sur le visage et qu'on la soutenait par la taille. Astrid fut heureuse qu'on lui vienne en aide, mais quand son cerveau embrumé et épuisé réalisa qui c'était, elle le repoussa si brutalement qu'il retomba sur les fesses. C'était lui.
Salvatore se redressa et voulut parler, mais Astrid vociféra :
- Ne me touche pas ! Va-t'en !
Elle se repencha pour vomir à nouveau. Elle l'entendit sortir en catastrophe de la salle de bain et, bientôt, elle entendit des chuchotements.
- Elle ne va pas bien du tout...elle m'a repoussé...elle est en train de vomir, elle est brûlante...aide la.
Mama entra à son tour dans la pièce et soutint Astrid jusqu'à ce que son estomac se calme. Elle lui passa ensuite un peu d'eau fraîche sur le visage et l'aida à se recoucher.
- Mama...je ne veux plus le voir. Jamais.
- Il a compris, ma fille. Essaie de te calmer. Ferme les yeux. Imagine un paysage. Chez moi, par exemple. Regarde. On est dans le Vieux Carré. Il y a un vieil homme qui joue du saxophone. C'est du jazz ; sûrement du Louis Armstrong. Là, il y a une femme qui vend du gombo. Tu la vois ?
- Oui.
- Tu reconnais la chanson ?
- Oui. C'est "What a wonderful world".
- Chante-la dans ta tête. Allez.
Astrid s'exécuta. C'était sa chanson préférée. Elle entendait clairement la voix de Louis d'Armstrong dans son crâne, qui l'accompagnait. Bientôt, les tremblements cessèrent enfin, et elle s'endormit. Mama la regarda un moment et passa une main affectueuse sur ses cheveux trempés de sueur.
Il fallut bien reprendre une vie à peu près normale, retourner à l'université, en tentant d'oublier que chaque nuit, cela recommencerait. Elle n'était plus un vampire, mais une sorte de loup-garou qui se transformait tous les soirs. Astrid ne parlait plus, et surtout, elle évitait Salvatore autant que possible. Il fallait supporter sa présence de temps en temps ; visiblement, il comprenait un peu mieux chaque jour qu'il avait fait une erreur. Antonio passait ses journées enfermée dans son bureau. Xiu et Ernesto apportaient à Astrid un soutien silencieux. Mama était la seule à pouvoir l'approcher à moins d'un mètre.
Daniel l'avait abandonnée. Il était parti sans lui laisser un mot. Son amour n'avait pas été assez fort pour résister à la tempête Salvatore. Et c'était ce qu'il lui faisait le plus mal. Astrid avait toujours perçu quelque chose d'étrange chez Daniel, quelque chose de fragile, de brisé. Mais de là à imaginer qu'il l'abandonne ! Elle l'aurait suivi n'importe où, loin de la Villa, elle aurait dormi sous les ponts, cherché à manger dans les poubelles, peu importe, elle aurait été avec lui !
Dans un moment de colère, elle avait saccagé sa robe rouge, puis avait sangloté dessus pendant une demi-heure. Elle avait écrit six fois "Daniel" sur sa feuille pendant son cours d'histoire moderne, avant de tout gommer si brutalement qu'elle avait détruit ses notes.
De son côté, Salvatore était rongé par la culpabilité. Il ne dormait plus la nuit, attendant le moment où il entendrait Astrid ramper jusqu'aux toilettes pour vomir. Il devait lutter de toutes ses forces pour ne pas aller l'aider. Salvatore avait l'impression de remonter le temps et de retourner à l'époque où Astrid était un nourrisson, mais cette fois, ce n'était pas lui qu'elle appelait en pleurant. Il avait pensé qu'elle n'était qu'entichée de Tremblay, que ça lui passerait au bout de quelques jours, quelques semaines tout au plus. Apparemment, il avait commis une grosse erreur.
Un soir, il trouva Astrid seule dans la cuisine, en train de faire la vaisselle. Les yeux dans le vide, elle nettoyait distraitement une assiette. Salvatore s'approcha et entreprit de sécher avec un torchon les couverts qui attendaient sur le bord de l'évier. Il craignait qu'elle ne s'en aille : elle ne le fit pas.
À un moment, une fourchette glissa et tomba dans l'eau mousseuse. Ils plongèrent en même temps la main dedans pour la récupérer. Salvatore, dans un geste suppliant, agrippa désespérément les doigts d'Astrid. Il voulait lui montrer qu'il était désolé, qu'il l'aimait, qu'il était là.
Elle ne retira pas sa main tout de suite, mais garda les yeux baissés. Puis, elle abandonna la vaisselle et monta les escaliers.
Salvatore se retrouva seul mais étrangement soulagé. Il restait encore un peu d'espoir.
Quelques jours plus tard, il décida de tenter sa chance à nouveau. Un matin, avant de partir faire son jogging matinal, il monta dans la chambre d'Astrid et, prenant soin de rester derrière l'encadrure de la porte, lui demanda :
- Je vais courir. Tu veux venir ? On ne fera que marcher, si tu veux. À ton rythme.
La dernière fois qu'ils avaient couru ensemble, Astrid s'était foulé la cheville. Elle n'était pas très sportive. Elle avait déjà réussi à se casser le poignet en jouant au badminton à l'école. Il attendit avec angoisse sa réponse ; ce n'était peut-être pas une bonne idée.
Lentement, sans parler, elle hocha la tête.
- D'accord. Je t'attends en bas.
Dans le salon, il ne put s'empêcher d'esquisser un pas de danse. Elle avait dit oui ! Elle ne le fuyait plus comme la peste, elle allait marcher avec lui, et parler. Cela faisait presque deux semaines qu'il n'avait pas entendu le son de sa voix.
Elle apparut, en débardeur et vieux pantalon gris, mais elle fit à Salvatore l'impression d'une apparition divine. Mon bébé.
Ils empruntèrent l'habituel chemin rocailleux qui longeait la Méditerranée jusqu'à la baie de Naples. En contrebas, nichée entre deux avancées rocheuses, il y avait une plage privée, qu'Antonio avait achetée et où tous les habitants de la Villa Gialla allaient se baigner en été. San Gennaro, dont les maisons s'égrenaient au bord du chemin, dormait encore.
Ils marchèrent d'abord en silence, puis Salvatore ne put plus tenir :
- Tu me détestes toujours ?
- Un peu, avoua Astrid.
- Moins qu'avant?
- Oui.
Salvatore la regarda et avisa une petite cicatrice qu'elle avait au-dessus du sourcil gauche. Dans un geste audacieux, il l'effleura du bout des doigts ; elle ne recula pas.
- Tu sais d'où te vient cette cicatrice ?
- Je suis tombée sur un rocher.
- Oui. J'étais avec toi. Nous nous promenions ensemble sur ce même chemin. Tu avais trois ans. J'ai reçu un appel important, et je t'ai quittée des yeux deux minutes. Tu saignais tellement, j'ai eu la peur de ma vie. Je t'ai emmenée à l'hôpital le plus proche. Mais manque de chance, il y avait eu un grave accident de voiture, et les urgences étaient bondées. Nous avons attendu plus de deux heures, tu étais épuisée, mais je ne voulais pas que tu t'endormes. J'avais peur que tu ne te réveilles pas.
Il grimaça, comme s'il revivait la scène. C'était sûrement le cas.
- Tu pleurais et tu me regardais avec tes grands yeux tristes. J'ai essayé d'attraper une infirmière, mais elles me disaient toutes d'attendre encore. Quand j'y repense, c'était honteux. Et puis, enfin, un médecin est venu nous voir. Mais un type, avec un gamin franchement moche, s'est levé et a crié au scandale, sous prétexte qu'il était arrivé avant nous. J'étais à bout de nerfs, et tu souffrais tellement, que je lui ai envoyé mon poing dans la figure. Je l'aurais probablement tué, si les infirmiers ne nous avaient pas séparés. Le médecin t'a emportée et m'a ordonné de rester dans la salle d'attente et de me calmer. Je bouillais de rage et de peur.
Astrid ne se souvenait absolument pas de cet épisode.
- Ils sont venus me chercher parce que tu me réclamais...J'aurais vendu mon âme pour avoir mal à ta place.
Salvatore regarda Astrid puis glissa sa main dans la sienne. Elle la serra doucement.
- Tu as eu trois points de suture, conclut-il. Par ma faute. Et si aujourd'hui tu es malheureuse, c'est encore à cause de moi. Je suis tellement, tellement désolé. Pardon.
Astrid sentit des larmes couler sur ses joues. Salvatore ne s'excusait jamais, ou en tout cas pas comme ça. Elle ne lui en voulait plus.
- Tu avais raison. Daniel ne m'aimait pas. Sinon, il ne se serait pas enfui. Pas sans moi.
- Oh, mon amour.
Il l'attira contre lui et Astrid enfouit sa tête dans sa poitrine, respirant son odeur aussi familière que la sienne. Elle pleura longtemps. Salvatore la tenait fermement, comme s'il imaginait qu'elle pouvait encore s'enfuir en courant. Enfin, Astrid se sentait plus légère.
- Tu m'aimes, bébé ?
- Oui.
***
Après son cours d'histoire de l'art moderne, Astrid alla au Mac Donald's, prit des frites et un muffin à emporter, puis s'installa dans le jardin du Molosiglio, près de la mer. Sur son banc, elle ferma les yeux un moment, écoutant les bruits de sa ville, les klaxons, les moteurs de voiture, les voix et le bruissement de la Méditerranée. Quand elle rouvrit les yeux, il y avait un homme à côté d'elle.
Grand et brun, il était viril, avec d'épais sourcils noirs en accent circonflexe. Il lui sourit.
- Bonjour. Et bon appétit.
- Merci, fit Astrid, en fixant ses frites et en ayant soudain honte de manger aussi gras.
- J'adore ce parc.
Il faisait visiblement partie de ces gens qui voulaient toujours parler aux inconnus.
- Moi aussi, répondit-elle, polie.
- Je m'appelle Andrea. Andrea Noro.
Ah. Présentation à la James Bond. Est-ce bon signe ?
- Astrid Cavaleri.
- Que fait une ravissante jeune femme comme vous seule sur un banc ?
- Je suis juste là pour déjeuner.
- Vous déjeunez souvent seule ?
- D'habitude, je suis avec des amies.
- Pas aujourd'hui ?
- Pas aujourd'hui.
- Et demain ?
Elle le fixa, vaguement intriguée. Serait-il en train de me draguer ?
- Demain, je viendrais sûrement ici aussi.
- Et je pourrais vous inviter ?
Il avait l'air gentil. Au fond d'elle, quelque chose se crispa. Pourquoi pas, après tout ? Oui, je penserai toujours à Daniel. Mais je ne peux pas empêcher tous les hommes de s'approcher de moi.
- On verra, sourit Astrid. Peut-être.
- À demain, alors, Astrid.
- À demain, Andrea.
Elle se leva, jeta le reste de ses frites et quitta le jardin du Molosiglio. La vie continuait. Des chagrins d'amour, il y en avait sûrement autant que de gouttes d'eau dans l'océan. La Terre n'en avait rien à faire, des petits tracas d'Astrid Cavaleri.
La jeune femme se surprit même à attendre le lendemain midi avec impatience. Elle avait peut-être une capacité de résilience plus grande qu'elle ne le pensait. Peut-être que Daniel Tremblay n'était pas une fatalité.
Elle retrouva Andrea sur le même banc. Il se leva en la voyant et désigna un petit restaurant au coin d'une rue.
- J'ai réservé une table. Vous aimez les lasagnes ?
- Évidemment.
- Ce sont les meilleures du quartier. Venez.
Andrea commanda une bouteille de chianti, et deux assiettes de lasagnes. L'endroit était petit, intime, avec une photo du Pape juste derrière le bar, et des murs couleur argile. Andrea paraissait sincèrement intéressé par ce qu'elle disait ; elle lui parla surtout de l'université et de ses études, en évitant soigneusement le thème "famille". Andrea lui apprit qu'il travaillait dans une banque et qu'il avait longtemps vécu à Turin. Il était charmant et, quand il lui proposa de venir prendre le café chez lui, elle accepta sans réfléchir.
Elle aurait dû.
***
Salvatore commençait à s'inquiéter quand son téléphone portable sonna : c'était Astrid.
- Enfin tu téléphones ! Où es-tu ?
- Elle est chez moi, monsieur Umberto.
- Qui est à l'appareil ? sursauta Salvatore.
- Andrea Noro. Mon nom vous dit quelque chose, j'espère.
Les Noro étaient une famille mafieuse qu'Antonio avait, avant son installation définitive à San Gennaro, consciencieusement écrasée. Cet Andrea était sans doute le fils de Giuseppe Noro, le chef de cette famille, mort quand Astrid était encore petite. Salvatore eut peur mais ne le montra pas.
- Qu'est-ce que vous voulez ? De l'argent ? Vous en aurez, mais laissez partir Astrid, ce n'est qu'une gamine, elle n'a rien à voir avec ça.
- Une gamine avec un sacré cul. Je ne veux pas d'argent, je veux Antonio Cavaleri.
- Vous êtes ridicule. Vous êtes tout seul, et Antonio a des centaines d'hommes près à l'attaque.
- Faîtes-le, et votre précieuse petite Astrid en subira les conséquences. J'appliquerai la célèbre procédure VTM.
- Pardon ?
- Viol, Torture, Mort.
- Vous avez perdu la tête, Noro !
- Vous voulez que je commence maintenant ?
- Bon. Et si moi, je viens, vous la laisserez partir ?
- Oui. Dans une heure, jardin du Molosiglio.
Salvatore s'efforça de réfléchir. Envoyer un groupe d'homme armé en plein milieu d'un parc fréquenté serait une mauvaise idée. La police pourrait intervenir et ce serait sur Antonio que tout retomberait. Ils auraient tout le temps et surtout les moyens d'agir quand Astrid serait libre. Il devait y aller. Avant, il alla tout de même prévenir Antonio.
- Noro ? Bon sang, mais je croyais avoir éradiqué l'espèce !
- Apparemment non. Je dois y aller, Astrid doit être tellement effrayé, et elle est encore si fragile...
- Tu risques de te faire tuer.
- Comme si ça me faisait peur.
- Il ne tiendra peut-être pas sa promesse. D'ailleurs, il n'a même pas promis.
- Au moins, je serais avec Astrid.
- Fais attention à toi. Attends-toi à tout. Je vais me renseigner sur cet Andrea Noro, et dès qu'Astrid sera en sécurité, j'enverrai un groupe te chercher.
Quand Salvatore arriva au lieu de rendez-vous, un homme l'accueillit. Ils sont au moins deux.
Il l'emmena dans un immeuble en piteux état, avec une porte recouverte d'inscriptions. Il monta un escalier et, arrivé sur le palier, Salvatore se retrouva entouré d'une dizaine d'autres hommes, tous armés. Ça va être beaucoup plus compliqué que prévu. Il faut que je sorte mon bébé de là.
- Bonsoir, monsieur Umberto.
Andrea Noro venait d'entrer dans la pièce par ailleurs vide, au plancher poussiéreux, où se trouvait juste un carton dans un coin.
- Où est Astrid ? attaqua Salvatore, qui n'était pas d'humeur à discuter.
- Elle va bien.
- Rendez-la-moi.
- Parlons un peu. Comme vous le voyez, vous vous êtes trompé, je suis loin d'être seul. Antonio Cavaleri reste un tyran qui a beaucoup d'ennemis, notamment dans cette ville.
Salvatore leva les yeux au ciel. Un tyran, ben voyons !
- Pas seulement à Naples, d'ailleurs. Je tiens à vous faire savoir aussi que j'ai engagé des groupes étrangers, qui lutteront à mes côtés. C'est une guerre qui commence, monsieur Umberto.
- Mmh. Et qui sont ces fabuleux alliés ?
Noro l'ignora. Quelle insolence !
- Astrid...la fille d'Alvaro et d'Esperanza Villanueva. Tués dans l'explosion de leur voiture provoquée par les Shiro il y a vingt-deux ans.
Les Shiro étaient une famille de yakuzas japonais complètement fous, qui se prenaient pour des ninjas. C'étaient eux en effet qui avaient tué les parents d'Astrid.
- Qu'est-ce que vous voulez dire, Noro ?
- Vous avez l'esprit lent, dîtes-moi. L'âge sans doute. Ce que je veux dire, c'est que les Shiro seront avec moi. Entre autres.
Oh, non. Pas ça. Pas eux.
- Assez de blabla. Laissez partir Astrid.
- Et en plus, maintenant, je sais que vous avez un point faible. Elle. Mais, comme je tiens mes engagements, nous allons procéder à l'échange. Luca, allez chercher mademoiselle Cavaleri.
L'interpellé revint avec la jeune femme. Elle était un peu pâle, mais avait l'air sain et sauf.
- Salva ! fit-elle. Tu es là.
Elle se précipita dans ses bras sous le regard moqueur de Noro.
- Écoute, mon amour, tu vas rentrer à la maison. Tout va bien se passer.
- Je ne veux pas que tu prennes ma place.
- Rappelle-moi qui doit protéger l'autre ? Ce sera réglé bientôt, je te le promets.
- Non ! protesta-t-elle quand Luca les sépara et la poussa vers la porte.
- Je t'aime, articula silencieusement Salvatore.
Elle lui jeta un regard triste et disparut. Andrea Noro sourit.
- À nous deux, monsieur Umberto.
Astrid se retrouva dehors, complètement perdue. Cela s'était passé si vite qu'elle avait à peine eu le temps de comprendre. L'invitation d'Andrea, puis ce brusque retournement de situation quand il lui avait conseillé de rester tranquille, ou sinon, il lui arriverait « des bricoles ». Sur le moment, elle n'avait pas compris qu'elle était prise en otage. Elle revoyait encore Andrea lui confisquer son téléphone, l'enfermer dans une pièce presque nue et disparaître. Ce n'est que quand Salvatore avait surgi, avec un air encore plus inquiet que d'habitude, que la jeune femme avait réalisé la gravité de la situation.
Elle finit par faire quelques pas en prenant instinctivement la direction de San Gennaro. Devant le jardin du Molosiglio, une voiture s'arrêta à sa hauteur.
- Astrid !
Cette voix vint faire s'envoler ses dernières miettes de calme, comme une boule de bowling contre des quilles. C'était Daniel. Il vint vers elle doucement, comme s'il approchait d'un animal dangereux. Astrid recula.
- C'est Antonio qui m'envoie. Il veut que je t'emmène à l'abri. Grace a préparé ta valise.
Astrid s'attendait presque à voir une soucoupe volante atterrir dans la rue. Le monde ne tournait plus rond. Elle fixa Daniel, en chair et en os, avec ses yeux bleu cobalt inquiets et ses petites pattes d'oie si sexy. Comme il était beau ! Mais il m'a abandonnée.
- Où va-t-on ? bafouilla-t-elle.
- Chez moi. En France.
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