Chapitre 24.1
Salvatore regardait Jan Lobosky manger. C'était la meilleure façon d'éviter les œillades de Daria. À ses côtés, Georgios tenait une bouteille de vin qu'il versait dans le verre du polonais quand celui-ci le réclamait. Quel porc immonde.
- Dîtes-moi, Umberto, comment va votre fille adoptive ?
Salvatore inspira profondément pour ne pas répliquer vertement.
- Quel âge a-t-elle, maintenant ? continua Lobosky. Vingt-cinq ans ? Rassurez-moi, vous avez attendu qu'elle soit pubère pour la mettre dans votre lit ?
Il y eut comme une explosion radioactive dans la tête de Salvatore. Il bondit en avant, prêt à étrangler Lobosky, mais il fut retenu par Georgios, d'une poigne bien plus forte qu'il ne s'y attendait. Salvatore voulut se dégager, et renversa le vin sur la chemise et le visage du grec qui ne le lâcha pourtant pas.
- Laissez-moi, Thessaris !
- Calmez-vous, Salvatore. C'est exactement ce qu'il veut. Je vous en prie.
- Vous n'êtes qu'un lâche ! Il a dit que...
- J'ai entendu. Mais il veut vous pousser à bout pour pouvoir vous blesser. Comment réagirait Astrid si elle vous voyait revenir à elle mutilé ?
Cela calma immédiatement Salvatore. Il regarda Georgios, dont la barbe dégoulinait de vin. Il a raison. Sous le regard moqueur de Jan Lobosky, Salvatore quitta la pièce. Il regagna sa petite chambre sous les combles et se prit le visage entre les mains. Au bout d'un moment, Georgios le rejoignit et s'assit sur son lit en face de lui. Il avait essuyé son visage mais sur sa chemise blanche restait une large tâche écarlate.
- Je vais craquer, Thessaris, avoua Salvatore à mi-voix.
- Non. Vous ne pouvez pas. Astrid vous attend.
Quand Salvatore se redressa, le grec lui adressa un sourire triste.
- Astrid...elle est toute ma vie.
- C'est une jeune femme merveilleuse.
Salvatore se leva et s'approcha de la minuscule fenêtre ronde qui donnait sur la route.
- Oui. Mais elle a ses défauts. Elle est têtue, et...je l'ai découvert récemment...elle exprime sa souffrance en se montrant froide...cruelle. Comme son père. Alvaro réagissait exactement de la même façon.
- Il était votre ami.
- Mon meilleur ami, comme Antonio. Mais maintenant, ils sont morts, tous les deux.
Salvatore se retourna et constata que Georgios ne souriait plus, mais le fixait avec une étrange intensité. Il demanda :
- Pourquoi me regardez-vous comme ça ?
- En vous écoutant, je m'aperçois que mon existence a été terriblement vide. C'est ma faute, évidemment. J'ai fait les mauvais choix. Mais vous, vous avez eu des amis, presque des frères, et une adorable petite fille.
- Oui, c'est vrai.
Au moment où Salvatore allait se rasseoir, beaucoup plus serein, on frappa à la porte. Il fit signe à Georgios de rester là et alla ouvrir. C'était Daria.
- Madame Lobosky, fit Salvatore d'un ton raide.
- Je suis désolée de vous déranger. Je voulais m'excuser pour ce qu'a dit mon mari ce midi. C'était odieux.
- Vous n'avez pas à vous excuser. Je ne suis qu'un...majordome.
- Oh, ne dîtes-pas ça. Je peux vous aider, Salvatore, vous et votre ami. Je peux vous redonner vos cartes d'identité et vos téléphones, je sais où Jan les cache. Je peux vous donner les clés d'une voiture pour rentrer chez vous. Je peux distraire mon mari pour vous permettre de vous enfuir, ainsi que ses hommes de main.
- Vraiment ?
- Je ne demande qu'une chose en échange.
- Dîtes-moi, fit Salvatore, soudain tendu.
Les yeux bleus de Daria se remplirent de larmes.
- Je veux juste un moment dans vos bras.
Oh, nom de dieu. D'un certain côté, il s'y attendait. D'un autre, il ne croyait pas vraiment qu'à son âge, on puisse encore lui proposer un « coup d'un soir ».
- Laissez-moi un moment pour réfléchir.
Quand Salvatore poussa la porte de sa chambre, Georgios s'écarta d'un bond.
- Vous étiez en train d'écouter, Thessaris ?
- Excusez-moi.
- Vous avez entendu ?
- Oui...c'est peut-être notre seule chance, ajouta-t-il au bout de quelques secondes.
- Je ne ferais pas ça ! Je ne suis pas...
- Pas comme votre mère ? Ça n'a rien à voir, Salvatore.
- Comment savez-vous pour ma mère ? demanda ce dernier, qui n'était plus à un choc près.
- Astrid me l'a dit.
- Super ! Que vous a-t-elle dit d'autre ?
Georgios se frotta la tête et tenta de restituer précisément ce qu'avait dit la jeune femme quand ils étaient ensemble en Grèce.
- Elle m'a dit : « il est égoïste et autoritaire. Il a une grosse carapace, mais au fond, c'est tellement facile de le blesser. J'ai compris ça quand j'étais encore une enfant. Alors, j'ai toujours essayé de le protéger, avec mes petits moyens. Quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise, je lui pardonnerai toujours. Enfin, ça, il ne doit surtout pas le savoir. »
Georgios sourit.
- Ne lui dîtes pas que je vous ai répété cela...pour en revenir à la proposition de Daria, je crois vraiment que vous devriez accepter. Pas pour vous, pas pour moi, mais pour Astrid... Elle a besoin de vous. J'ai trouvé ça dans la salle de bain de Lobosky.
Il lui tendit une pilule bleue.
- Oh mon dieu, Thessaris. Vous avez volé ça avant même que Daria ne fasse sa...proposition ?
- Je me suis douté que...bah, si vous ne la voulez pas...
- Ah ! Donnez-la-moi, et enlevez ce sourire satisfait de votre visage !
Georgios s'allongea sur son lit, les bras croisés sous la tête, et attendit. Il se demanda en souriant combien de temps Salvatore allait tenir. Ça dépend s'il prend la pilule ou pas.
Il revint une heure plus tard, impassible.
- Alors ? demanda Georgios.
Salvatore sortit de sa poche leurs cartes d'identité, leurs téléphones et des clés de voiture.
- Bougez-vous, Thessaris. On part maintenant.
Ils descendirent au garage sans rencontrer personne, et se dirigèrent vers une petite voiture grise discrète. Salvatore tapa un code et la porte s'ouvrit. Il prit le volant et s'élança sur la route. Georgios lui lançait des regards interrogateurs qu'il ignora. Salvatore se dirigea vers l'ouest et la frontière tchèque. Vers la République Tchèque, vers l'Autriche puis l'Italie, et Naples. Vers Astrid.
- Vous avez pris la pilule ? ne put s'empêcher de demander Georgios.
Salvatore la sortit de la poche de sa veste et la jeta avec mépris sur les genoux du grec.
- Je n'en ai pas eu besoin. Je suis encore un guerrier.
- À votre arme de guerre, alors ! pouffa Georgios en levant une main.
Salvatore lui jeta un regard en coin, puis éclata de rire.
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