Chapitre 22.2
Astrid jugea qu'il serait peut-être un peu moins lâche de demander à Daniel de l'aider en face à face. Alors elle décida de prendre l'avion pour Québec, ville où Kim-Sung l'avait localisé.
Comme elle ne pouvait pas le dire à Salvatore, Lars et les autres, elle dut se créer un alibi. Elle appela Georgios.
- J'ai besoin que tu confirmes à tout le monde que je serai avec toi en Grèce à partir de ce lundi jusqu'à mercredi. Je dois m'absenter et j'ai besoin que tu me serves de couverture.
- Pourquoi ? Où comptes-tu aller ?
- Je ne peux pas te le dire. Mais fais-moi confiance. Je ne risque rien.
- Bon, dans ce cas...oui, je dirais que tu es avec moi.
- Merci ! Tu me sauves la vie !
- Je croyais que tu ne risquais rien !
- C'est une façon de parler, papi. Merci encore. Je t'embrasse.
Elle savait que son grand-père garderait le secret. Elle prit donc l'avion jusqu'à l'aéroport JFK de New York, qu'elle commençait à bien connaître, puis un second vol jusqu'à Québec. Ce fut le plus long voyage de sa vie. Astrid avait le ventre noué, comme si elle attendait devant une salle d'examen pour passer devant un jury. C'est toujours l'attente qui est la plus insupportable. Elle relut une centaine de fois l'adresse que lui avais donné Kim-Sung. Elle regarda trois films d'affilée sans parvenir à penser à autre chose. Si je lui avais téléphoné, cela aurait été plus simple. Mais ça aurait été tellement méprisable. Et tu ne dois pas avoir peur de lui. Votre histoire est terminée. Tu es avec Lars maintenant.
Daniel habitait dans le quartier Saint-Roch, assez loin de l'aéroport, et Astrid dut prendre un taxi pour y aller. Il la déposa devant ce qui ressemblait à une église. Des fils électriques formaient un quadrillage au-dessus du croisement des deux rues, entre lesquelles se trouvait le grand immeuble en briques brunes où vivait Daniel. La plupart des autres bâtiments alentour étaient tagués. Elle trouva l'entrée de l'immeuble en face d'un parc avec des balançoires et un toboggan. Un garçon en sortit et lui tint la porte. Elle n'eut donc pas à sonner, ce qui fut un soulagement. Astrid monta et frappa trois fois à la porte, mais elle n'entendit pas les coups, car son cœur battait trop fort.
Et il apparut, un peu décoiffé et vêtu d'un pull gris. Ses yeux bleus s'écarquillèrent et brusquement, Astrid se retrouva dans ses bras, le visage écrasé contre son torse, tandis qu'il entremêlait ses doigts dans ses cheveux.
- Oh, Astrid ! Je savais que tu allais revenir ! Je suis tellement heureux.
L'alerte rouge se déclencha dans le crâne de la jeune femme, qui n'osa pas bouger.
- J'ai attendu, et tu es enfin là.
Il la tint à bout de bras pour la dévisager avec un beau sourire. Il croit que je reviens pour qu'on se remette ensemble ! Mon dieu, non. Pas ça.
- Daniel...je suis avec Lars. Je croyais que...tu le savais.
Il la lâcha et lui tourna le dos un long moment. Je t'en supplie, ne pleure pas. Quand il se retourna, son visage était parfaitement impassible.
- Excuse-moi, je me suis emporté. Que veux-tu ?
Oh, cette voix si froide ne lui ressemble pas. Qu'est-ce que j'ai fait ?
- J'ai besoin d'un service.
- Tu aurais pu me téléphoner.
J'aurais pu. J'aurais dû.
- Oui, je pensais que ça...que...
Reprends-toi, Astrid. Va droit au but, il n'y a plus que ça à faire.
Elle lui expliqua qu'il devrait contacter le russe et lui donna son adresse. Daniel s'était transformé en statue de glace et Astrid se crut obligée de lui demander :
- Tu vas le faire ?
- Oui. Bien sûr.
La jeune femme le remercia en faisant un petit signe de la tête, et quitta son appartement. Une fois dehors, elle marcha quelques pas, trébucha et se rattrapa à un poteau électrique. Un petit garçon qui jouait dans le parc la fixa. Elle se redressa, et alla s'asseoir sur un banc un peu plus loin, où elle passa une heure à gratter sa peinture écaillée.
***
Dans l'avion qui la ramenait de New York à Naples, elle se retrouva assise à côté d'un grand homme chauve, avec des yeux en forme de virgules couchées. Asiatique, sans doute. Peut-être va-t-il au « Lotus rouge ». Puis elle remarqua qu'il portait un badge indiquant : « Docteur Fajar Sakwan ».
- Vous êtes docteur ? demanda-t-elle en anglais.
- Oui...ah, je n'ai pas enlevé mon badge.
Il l'arracha presque brusquement et le glissa dans sa poche. Il portait une grosse bague à l'index. Astrid lui trouva un air étrangement fébrile.
- Vous avez une spécialité ?
- Oui. La virologie.
La jeune femme sentit un frisson d'excitation lui remonter le long de la colonne vertébrale. Un cadeau du ciel ! Le dernier du quatuor ! Un signe que Monsieur Chance ne m'a pas complètement oublié ! Astrid eut envie de frétiller comme un enfant qu'on emmène au parc.
- Que faisiez-vous à New York ?
- J'avais une conférence.
Il n'avait pas l'air très bavard, mais Astrid ne comptait pas lâcher son bioterroriste potentiel.
- Et qu'allez-vous faire à Naples ?
- Je vais rencontrer quelqu'un.
- Un docteur ?
- Euh, non. Vous ne le connaissez pas.
- Au fait, je m'appelle Astrid Cavaleri, dit-elle en insistant sur le nom de famille.
Fajar Sakwan sursauta comme si son siège s'était transformé en braises ardentes. Touché coulé ! exulta intérieurement Astrid.
- Cavaleri ? Comme Antonio Cavaleri ? chuchota-t-il. C'est lui que je vais voir. Cela fait cinq fois que je lui propose mes services, mais il a toujours refusé. Vous êtes de sa famille ?
- Oui. Mais, monsieur, je suis désolée, il est mort.
Il devint aussi pâle que du lait, et ses épaules s'affaissèrent.
- J'avais un projet fabuleux à lui proposer. Quel dommage.
- Quel projet ?
- Créer son propre virus, entièrement personnalisable.
Jamais Astrid n'avait entendu de phrase aussi improbable. Un virus personnalisable !
- Que voulez-vous dire ?
- Il aurait pu, entre autres choses, choisir son mode de transmission, ses symptômes, son taux de létalité...Je travaille sur ça depuis des mois dans mon laboratoire de Jakarta.
- Ça pourrait m'intéresser.
- Qui êtes-vous, exactement ? Sa femme ?
- Sa filleule.
Fajar Sakwan sembla hésiter. Mais Astrid le tenait et ne comptait pas le lâcher, tel un chien qui aurait mordu une cheville particulièrement juteuse.
- Vous êtes une fille, lâcha-t-il avec un certain mépris.
- Et alors ? Seriez-vous misogyne, monsieur Sakwan ? Si c'est le cas, alors vous venez de rater une occasion de vendre votre virus personnalisable.
Astrid se sentit soudain dans la peau d'une grande mafieuse puissante et calculatrice, comme Bianca Manfredi. Elle eut une idée.
- Très bien, très bien. J'accepte, madame Cavaleri, s'empressa de dire l'indonésien.
- Nous discuterons de notre affaire dans un endroit plus tranquille et plus apaisant. Que diriez-vous d'un centre de relaxation ?
***
Le centre de relaxation où Kate, Ahmet, Leïla et Queen lui avaient offert une journée se trouvait en Toscane. La région où tout a commencé, songea Astrid en se rappelant le coup de téléphone du russe dans le musée de Florence.
Elle avait appelé tout le monde pour annoncer qu'elle prolongeait son séjour chez Georgios de deux jours, y compris ce dernier, pour qu'il puisse confirmer.
Arrivée sur place, elle se rendit compte qu'elle n'avait pas de maillot de bain. Elle ne trouva qu'un magasin qui en vendait, et le seul qui restait était un deux-pièces trop petit orné de petites tranches de pastèques. Ses seins débordaient un peu, mais la jeune femme se résigna en se disant que ça pourrait peut-être être un atout.
Fajar Sakwan, déjà installé dans un grand jacuzzi, faillit s'étrangler en la voyant arriver. Presque fière, Astrid se glissa à côté de lui. Finalement, elles ne sont pas si mal, ces pastèques. L'eau chaude apaisa agréablement ses muscles tendus. Depuis Québec, elle se sentait raide comme un bout de bois, ou comme un gros robot rouillé. Elle avait déjà fait plusieurs massages, mais cela ne l'avait pas décrispée. Rien ne vaut de l'eau bien chaude pour se détendre.
Fajar Sakwan fit mine de ne pas regarder ses seins. Il s'agitait en faisant clapoter l'eau, comme pour dresser une barrière aquatique entre eux. Gêné, Fajar ?
- En réalité, ce n'est pas moi qui aie besoin d'un virus. C'est un ami.
- Quel ami ?
- Vous ne le connaissez pas. Il est russe.
- Russe ? Compte-t-il relancer la Guerre Froide ?
- Vous lui demanderez.
- J'espère que je serais rémunéré en conséquence.
- Vous aurez votre argent.
L'indonésien tourna ses yeux bizarres vers elle et eut un sourire lubrique.
- Je suppose que si le clan Cavaleri vous laisse faire affaire avec moi, c'est pour me faire miroiter une autre récompense...
Il parle de moi ? Mon dieu, il passe de prude à obscène. Gros dégoutant !
Avant qu'elle ait pu réagir, il glissa un doigt sous la bretelle de son maillot de bain et tira dessus. Elle bondit sur ses pieds et sortit du jacuzzi.
- Vous vous trompez, monsieur Sakwan. Contactez mon ami russe et suivez ses instructions ; vous aurez de l'argent et rien de plus !
En regagnant le vestiaire, sa bretelle de maillot de bain céda. Furieuse, elle se rhabilla et quitta le centre de relaxation. Elle posa son front sur le volant de sa voiture, qu'elle avait laissée sur le parking de l'aéroport de Naples et qu'elle avait récupérée en rentrant de Québec, pour rejoindre la Toscane avec Fajar Sakwan. Astrid prit une grande inspiration pour se calmer. Elle était encore loin d'avoir le sang-froid, le charisme et l'autorité de Bianca Manfredi.
Rentrons à la maison. Ma mission est terminée. Si le russe n'est pas content, il ira se faire voir.
Astrid retrouva la Villa et ses habitants avec un soulagement immense. Elle commençait à croire qu'on allait enfin la laisser tranquille, quand elle reçut un colis. À l'intérieur, il y avait une dent en or et une grosse bague, ainsi qu'un mot disant : « Les personnes néfastes doivent être éliminées, mademoiselle Cavaleri. Nous nous reverrons bientôt. » C'était signé : Simon Solovine. C'est lui.
Merci et mangez de la pastèque !
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