Chapitre 11
Chapitre 11
- J'ai Thessaris sous la main, et il fera un bon sosie d'Antonio. On annoncera à tout le monde que ton parrain n'est pas mort, et que je suis à présent son second. Et pour consolider cette alliance, il m'a donné ta main, expliqua Tenoha comme si c'était le plan parfait.
- Nous ne sommes plus au Moyen-Âge, on ne donne plus « la main » de quelqu'un pour consolider une alliance. Et les morts ne ressuscitent pas. C'est complètement stupide.
- Ça marchera, tu verras. De plus, les alliés d'Antonio ne sont pas tous des génies, loin de là. Ils ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Antonio aurait pu très bien faire croire à sa mort pour être tranquille.
Il est fou, inconscient, arrogant. Antonio est mort. Georgios ne le remplacera jamais. Moi qui le croyait intelligent !
- Je ne t'épouserai pas, de toute façon.
- Je peux te laisser du temps pour réfléchir. Mais chaque jour que tu passeras à hésiter sera un jour sans eau et sans nourriture pour ce cher Salvatore Umberto. Tu as donc à peu près trois jours.
- Tu n'as pas le droit !
- Moi aussi, je négocie, ma douce.
Je ne peux pas laisser mon Salva mourir de soif dans sa chambre. Je ne peux prendre aucun risque avec sa vie, parce qu'il s'agit aussi de la mienne. Que ferais-je sans lui ? Je n'ai déjà plus Antonio, et Daniel.
- D'accord.
- Parfait ! Publions les bans !
Qu'elle ait accepté de l'épouser n'empêcha pas Tenoha d'enfermer la jeune femme dans sa chambre, elle aussi. Il lui confisqua son téléphone et lui interdit d'aller même aux toilettes sans son autorisation. Elle ne pouvait pas voir Salvatore.
Pourtant, la première nuit, quand elle poussa la porte, cette dernière n'était pas fermée ; quelqu'un avait ouvert le verrou. Qui ? Sur la pointe des pieds, Astrid traversa le couloir et entra dans la chambre de Salvatore.
- Mon bébé, souffla-t-il, comment vas-tu ?
- Je vais bien. Et toi ? Tu vas probablement avoir un cocard.
- Hum, ce ne sera pas le premier. Comment es-tu sortie de ta chambre ?
Elle haussa les épaules.
- Le verrou était ouvert. Où sont Daniel et Lars ?
- Wolfgang, en tout cas, a foutu le camp quand il a vu arriver Moarere. Daniel, je ne sais pas.
Ce n'est pas du genre de Lars de fuir. Il avait sûrement une idée derrière la tête.
- Je suis désolé, mon amour. Pour Saccombes, pour tout ça.
- C'est bon. Ce n'est pas grave. Laisse-moi un peu de place.
- Tu n'as pas dormi avec moi depuis tes six ans !
- Eh bien, je crois que sinon, je vais faire des cauchemars.
Il eut un sourire heureux et rassuré.
- Tu vas ronfler, je le sens, chuchota-t-il.
- Parle pour toi !
La nuit suivante, Astrid entendit des pas dans le couloir, et de nouveau, on ouvrit son verrou. Elle attendit un moment pour rejoindre Salvatore. Elle avait sa petite idée sur ce mystérieux libérateur.
La jeune femme négocia avec Tenoha pour sortir de sa chambre dans la journée. Il accepta de la laisser se promener librement dans la Villa sans néanmoins en sortir. C'est un petit pas pour Tenoha, mais un grand pas pour Astrid, songea-t-elle. Je vais pouvoir faire tomber les masques.
Elle intercepta Georgios Thessaris alors qu'il allait prendre une tasse de café. Le grec sembla surpris de la voir s'approcher. Elle se planta devant lui.
- C'est vous.
- Pardon ?
- Vous ouvrez ma porte le soir, chuchota-t-elle, pour empêcher Hohepa, qui passait dans la pièce, de l'entendre. Pourquoi ?
- Je sais que vous aimez retrouver Salvatore.
- Euh, oui. Mais je ne vois pas quel est votre avantage, à vous.
Il ressemble à Antonio, mais ce n'est pas lui. Pourtant, j'ai l'impression de le connaître quand même.
- J'essaie de faire en sorte que vous ne me détestiez pas trop.
- Pourquoi ? répéta Astrid.
Georgios hésita, remua son café et y trempa le bout de son petit doigt. Oh !
- À cause de Carmen et d'Esperanza.
- Carmen et Esperanza ? Comme ma grand-mère et ma mère ?
- Ma fiancée et ma fille.
Astrid se passa une main sur le visage. Elle contempla Georgios un long moment, incapable de parler. Mon grand-père !
- Non. Ce n'est pas possible. Non.
- J'avais seize ans, Carmen aussi, j'étais trop jeune et trop stupide. Je suis parti quand elle était enceinte, je l'ai laissée seule avec ta mère, que je n'ai jamais vue. Je porterai ce regret toute ma vie. Mais quand j'ai appris que vous organisiez ce...casting, je me suis dit que c'était une bonne occasion de te voir, et surtout de te parler un peu. J'étais déjà passé à la Villa, mais tu faisais la sieste ou tu étais à l'école. Je te demande pardon, parce que je t'ai abandonnée toi aussi.
Astrid sentit les larmes picoter ses yeux.
- Vous n'avez pas de preuve, vous pouvez mentir, pour m'embrouiller, pour...
- Regarde.
Il sortit de la poche de sa chemise une petite photo. C'était un portrait de sa grand-mère, Carmen.
- Elle seule savait que j'étais le père d'Esperanza. Elle ne l'avait jamais dit à personne. Ni à Antonio, ni à Salvatore, ni à ta mère, ni à ton père. Tu es la deuxième à le savoir, maintenant. Je garde toujours cette photo avec moi. Pour me souvenir.
J'ai un grand-père grec. Et il est devant moi.
- Si vous...tu es mon grand-père, pourquoi m'avoir livrée à Tenoha ?
- Il a dit qu'il te tuerait. C'était ça où le mariage. La mort ou la vie. J'ai choisi.
- Mon dieu.
Astrid se laissa tomber sur une chaise. Elle avait la tête lourde.
- Ça reste entre nous, mon petit, d'accord ? S'il l'apprenait, ce serait une arme supplémentaire pour Tenoha. Et...je ne crois pas que Salvatore le prendrait très bien, surtout en ce moment.
C'est le moins qu'on puisse dire. Après un fiancé, un grand-père tombé du ciel !
Georgios s'assit en face d'elle et la regarda par-dessus ses lunettes.
- Je ne pensais pas que ma petite fille puisse être encore plus jolie que dans mes pensées.
Astrid s'essuya le nez peu gracieusement.
- Je ne pensais pas que mon grand-père ressemblait autant à mon parrain.
- Étrange coïncidence, n'est-ce pas ?
- Je n'arrive pas y croire.
- Je te dirais tout ce que ce tu voudras savoir sur ta grand-mère, en temps voulu.
- Carmen...elle est morte quand ma mère avait vingt ans.
- Oui... Est-ce que je peux te faire la bise ?
Astrid eut un sourire humide et se pencha pour lui tendre sa joue.
- Je suis contente que tu ne sois pas un traître. Dès que je t'ai vu, je t'ai tout de suite fait confiance.
Georgios lui prit la main.
- Je suis très heureux d'entendre ça.
Ils échangèrent un sourire. Waouh.
***
Astrid rêvait d'arbre généalogique quand elle fut réveillée par un curieux bruit métallique. Un oiseau s'était posé sur le rebord de la fenêtre. Quand elle se leva et s'approcha, il ne bougea pas. Elle découvrit alors que c'était un robot...en forme de pigeon. Ses yeux rouges clignotèrent et son bec s'étira. Elle ouvrit la fenêtre. Il y eut un grésillement et une voix familière s'éleva :
- Ici le docteur P, vous me recevez ?
Un pigeon-robot. J'aurais dû m'en douter !
- Cinq sur cinq. Je suis contente de vous entendre !
- Je vous passe monsieur Wolfgang.
Lars ! Il est avec le docteur !
- Astrid, c'est moi. Tout va bien ?
Un pigeon-robot avec la voix de Lars, c'était plutôt drôle. Elle sourit.
- Oui, tout va bien. Mais apparemment, je vais devoir épouser Tenoha.
- Même pas en rêve, chérie. On va lui régler son compte avant.
Il y eut un nouveau grésillement, et une troisième voix, qu'Astrid aurait reconnue entre mille, jaillit de l'étrange animal en métal :
- Astrid, c'est Daniel.
- Oui, murmura-t-elle.
- Je te pardonne, d'accord ? Tout est pardonné. Maintenant, écoute bien le docteur P.
Avant qu'elle n'ait pu répondre, ce dernier reprit la parole.
- Dans le pigeon-robot ici présent, il y a un cube à mémoire tactile. Votre mission sera de faire en sorte que Tenoha et ses hommes touchent tous ce cube. Le pigeon-robot reviendra demain.
- Euh, d'accord.
- Appuyez-bien sur le petit bouton noir avant. Portez-vous bien. Terminé.
Le robot sembla s'éteindre, puis son abdomen s'ouvrit, révélant un creux où était logé le fameux cube. Astrid ne comprenait pas très bien à quoi il pouvait servir, mais elle ferait tout pour mener sa mission à bien. Et puis...tout est pardonné !
Le cube ressemblait à une simple petite boîte noire, avec un bouton minuscule sur le côté. Le pigeon-robot s'envola grâce à ses ailes métalliques et surtout à un moteur caché dans sa queue.
- Montre-moi ça.
Salvatore était réveillé, et attira Astrid à côté de lui pour examiner le cube.
- Je vais le faire, annonça-t-il. C'est trop dangereux.
- En quoi est-ce dangereux de faire toucher un cube à quelqu'un ?
- Ils pourraient se douter de quelque chose et nous le faire payer.
- C'est à moi que le docteur P a dit de le faire.
- Ça ne change rien. Je le ferais.
- Non.
Ils s'affrontèrent un moment du regard, et, contre toute attente, Salvatore céda.
- Très bien. Mais si Tenoha découvre que nous essayons de le gruger, je me dénoncerai.
- Marché conclu.
Astrid avait déjà une idée, qui nécessitait de l'audace. Elle attendit que les hommes de Tenoha soient réunis, et commença par montrer le cube à Hohepa, en lui parlant en anglais :
- J'ai trouvé ça, hier. C'est à vous ?
Le grand Maori haussa les épaules et, Astrid en ressentit un tressaillement de joie, le passa à son voisin, qui fit de même. Ils sont tellement bêtes ! Ça marche !
- C'est quoi ce truc ? demanda un blond à l'accent australien.
- Je ne sais pas. Je l'ai trouvé dans les toilettes.
L'australien lui rendit le cube en riant.
- Ça doit être un jouet pour gamin...ou pas !
Astrid ne comprit pas tout de suite le sous-entendu. Elle était trop excitée. Trop facile !
Néanmoins, il manquait deux personnes qui n'avaient pas encore touché le cube : Tenoha et son second, un néo-zélandais nommé Patariki. Astrid décida de piéger ce dernier. En le croisant dans le couloir, quand il sortait de la chambre où Tenoha s'était installé, elle poussa un cri et le bouscula. Le cube tomba à terre, et, par réflexe, Patariki se baissa pour le ramasser. Tenoha sortit en trombe de la chambre.
- Qu'est-ce qui se passe, ici ?
- Patariki m'a touché les fesses !
- Quoi ? Ce n'est pas vrai ! protesta le néo-zélandais.
- C'est quoi, ce cube ?
- C'est à moi, il a essayé de me le voler, et après il m'a mis la main aux fesses !
- Voleur et pervers, Patariki, ce n'est pas ton genre, sourit Tenoha en prenant le cube entre ses mains. À quoi ça sert ?
- C'est pour les filles, fit Astrid.
- Ça vibre ?
- Je ne répondrai pas à cette question ! Rends-le-moi.
Le tahitien le lui tendit avec un sourire carnassier.
- Bientôt, ma douce, tu n'auras plus besoin de ça.
Astrid fit volte-face et rentra dans sa chambre en serrant le cube contre sa poitrine. Elle était pressée de dire à Salvatore qu'elle avait réussi sa mission en une après-midi. Quand Georgios vint lui ouvrir son verrou aux alentours de vingt-et-une heures, elle se faufila dans la chambre de Salvatore et lui raconta son aventure. Il fronça les sourcils mais ne fit pas de commentaire.
À vingt-deux heures, le pigeon-robot apparut, l'abdomen grand ouvert. Astrid y inséra le cube et attendit que quelqu'un parle. Mais l'oiseau métallique resta silencieux et s'envola sans demander son reste. Un peu déçue, la jeune femme se coucha.
- J'espère que le plan du docteur P va marcher.
- Pourquoi l'appelles-tu comme ça ?
- Bah, euh...son nom de famille est Popa.
- Il n'a pas de prénom ?
- Je ne le connais pas.
Salvatore leva les yeux au ciel et tira la couverture sur Astrid jusqu'à son menton.
Personne ne s'attendait à ce qui arriva le lendemain.
Douze pigeons-robots survolèrent la Villa tôt le matin, avec un épouvantable bruit de moteur. Alertés, Tenoha et ses hommes sortirent dans le jardin, et immédiatement, les oiseaux piquèrent vers eux et se mirent à les mitrailler de billes de plomb. Les mercenaires s'éparpillaient en criant, incapables de comprendre ce qui leur arrivait. Ils se bousculèrent, certains perdirent l'équilibre et s'étalèrent dans l'herbe en se couvrant la tête. Les pigeons-robots, implacables, leur tournaient autour en grinçant comme des joins mal huilés. La pluie de billes ne cessait pas. Ce sera un casse-tête de les ramasser dans la pelouse ! Lars, Björn et d'autres arrivèrent à leur tour et n'eurent qu'à regrouper les mercenaires désorientés et sonnés.
- Le cube m'a servi à désigner des cibles pour mes pigeons, expliqua le docteur P. Grâce aux empreintes récoltées, ils ont reconnu les méchants et n'ont pas attaqué les gentils. Au fait, Astrid, j'ai les résultats du test.
- Qu'allez-vous faire d'eux ? demanda un peu plus tard Astrid à Lars, en désignant Tenoha, Patariki et Hohepa du menton.
- Nous allons les tuer, chérie. Il n'y a pas d'autre solution. On se revoit bientôt.
Il lui lança un regard glacé, et lui tourna le dos. Il a compris que lui et moi, c'était fini. J'ai choisi Daniel. Je le choisirai toujours. Quand son amoureux arriva, elle hésita un moment mais il la prit dans ses bras et l'embrassa.
- Nous avons parlé, Wolfgang et moi. Il a avoué qu'il ne t'avait pas vraiment laissé le choix. Je meurs d'envie de lui casser la figure.
C'est faux. J'étais totalement consentante. Daniel la regarda avec tendresse et cala une mèche de cheveux derrière son oreille.
- Je me suis encore comporté comme un lâche.
- Les hommes sont tous comme ça, plaisanta Astrid. Et moi, je te demande pardon pour...Lars. C'est toi que j'aime, je le jure.
Daniel posa un doigt sur ses lèvres.
- Oublions ça. C'est fini. On va aller vivre dans notre appartement, tous les deux. Moi aussi je t'aime.
Georgios apparut et posa délicatement une main sur l'épaule d'Astrid.
- Si vous le souhaitez, Daniel et toi pouvez venir sur mon île, Zafeíri. Vous aurez la plus belle chambre de mon hôtel, gratuitement.
- Je vous demande pardon, Thessaris ? s'insurgea Salvatore. Vous êtes un traître, elle n'ira jamais chez vous, comment...
- Salva, murmura Astrid. Il faut qu'on parle. Viens.
Elle lui prit la main et l'entraîna à l'écart. Il lui caressa la joue du bout des doigts.
- Je suis tellement fier de toi, mon bébé. Que voulais-tu me dire ?
- C'est à propos de Georgios. Salva...c'est le père d'Esperanza.
Salvatore laissa retomber sa main, bouche bée. Astrid continua :
- C'est mon grand-père.
- C'est un menteur ! s'emporta Salvatore. Il se moque de toi ! Je vais le tuer pour avoir osé...
- Il dit la vérité. J'ai demandé au docteur P de faire un test génétique. Il est positif.
- Non !
- Je vais aller en Grèce avec Daniel. Je vais apprendre à connaître Georgios, mais jamais, jamais il ne prendra ta place. Je sais que tu as peur. Mais tu ne crains rien ! Je t'aime, articula-t-elle.
Elle le serra dans ses bras mais il ne lui rendit pas son étreinte. Il se fera à l'idée, il le faudra bien. Astrid retourna auprès de Daniel et Georgios.
Pour le moment, l'histoire se finissait bien, mais la jalousie avait pointé le bout de son nez crochu.
Merci à ceux qui sont encore là ! ;)
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