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Chapitre 22

« Comprendre ! toujours comprendre.

Moi, je ne veux pas comprendre.

Je comprendrai quand je serai vieille.

Si je deviens vieille. Pas maintenant. »

- Jean Anouilh, Antigone.


Apolline sentit très nettement ses poumons se vider. Il lui sembla que ses entrailles se recroquevillaient sur elles-mêmes et que son sang se solidifiait. Une torture singulière, personnelle, intime même, dont son mari était le seul responsable.

La hauteur de la trahison était délirante. Une rougeur cuisante envahit ses joues et la jeune noble ne saurait dire ce qui était le plus douloureux. L'humiliation d'avoir été trompée, le fait qu'il s'agisse d'un homme ou encore que celui-ci procure à son époux un plaisir auquel elle ne saurait aspirer. Le choc prenait tant de place qu'elle se trouva incapable de démêler ses réflexions. La souffrance la fit suffoquer et oublier la raison de sa méfiance, celle-ci même qui l'avait menée jusqu'en ces lieux. La vision d'Héliodore, des lèvres de cet individu qui ravissait les siennes encore et encore, elle était incapable de le supporter. Elle se sut touchée à mort.

Apolline recula d'un pas, puis d'un second. Elle fut saisie d'une envie folle, celle de sauter sur cet homme qui lui volait son époux, qui piétinait sa vertu et son honneur, lui arracher sa beauté indécente à la manière d'une furie. Ce besoin s'étendit, se répandit comme une trainée de poudre dans son organisme et en devint viscéral. La nécessité de la vengeance s'offrit à elle et elle faillit prononcer une parole. Rien de bien audacieux, choquée comme elle l'était, elle s'en révélait bien incapable, mais juste de quoi les séparer et mettre un terme à cet affligeant spectacle. Elle n'en fit rien. Exprimer sa présence serait l'humilier davantage et elle n'en avait pas le courage. Elle se sentait étrangère à cet homme et aurait aimé affronter avec bravoure le visage de ce ridicule bohémien. Elle aurait ainsi fait face à sa beauté, à son charme, à l'attraction irrésistible dont il disposait, peut-être n'aurait-elle même pas pu le haïr. L'envie de lui cracher au visage, de saccager sa vie qu'elle imaginait misérable, rendait le venin plus terrible encore. Une envie de chaos, soudain, une envie de provoquer le désespoir comme une ironie du sort.

Apolline porta sa main à sa bouche. Elle était terrifiée et des larmes lui piquaient le nez. Elle n'avait jamais connu pareil affront et elle était restée immobile trop longtemps à contempler cette vue épouvantable. Jamais elle n'oublierait la manière dont cet inconnu avait embrassé son mari dans cette ruelle, comme des gens de petite vertu. Jamais elle n'oublierait le plaisir évident et coupable qu'Héliodore tirait à cette étreinte. Il n'existait rien de plus répugnant, de plus condamnable à ses yeux et lorsqu'elle tourna les talons, aussi furtive que les ombres qui masquaient en partie les visages des deux criminels, elle promit qu'un tel affront ne resterait pas impuni.

***

Héliodore regagnait à contrecœur son domicile parisien. Malgré sa dizaine de pièces, son salon immense et le luxe des lieux, le noble s'y sentait à l'étroit. Il avait passé une large partie de son adolescence ici et cette maison était chargée de mémoire. D'une mémoire qu'il découvrait moins heureuse que ce qu'il avait laissé entendre.

Si Héliodore rechignait à prendre le chemin qui le menait vers cette prison, fort agréable à regarder, mais dont les barreaux étaient aussi solides qu'invisibles, c'était car un nouvel événement était prévu. Apolline et sa mère lui rabattaient les oreilles avec un bal qui aurait lieu le soir même et que la famille de Thancy ne devrait rater pour rien au monde. Une tante richissime fêtait son anniversaire et avait invité, pour l'occasion, une généreuse part de la bourgeoisie parisienne. Des courtisans, des personnalités proches du roi, étaient conviés et il était essentiel qu'ils s'y rendent autant pour l'image qu'ils renverraient que pour prouver que leur influence n'était en aucun cas un lointain souvenir. Tout avait été planifié depuis des jours, de leur arrivée aux personnes qu'il leur faudrait à tout prix fréquenter en passant par les toilettes réalisées spécialement pour l'occasion. Avec le climat d'instabilité qui planait sur la capitale, les événements comme celui-ci se faisaient plus rares et réunissaient moins de monde. La plus haute sphère parisienne se souvenait encore de 1789 et du sort terrible qui s'était abattu sur nombre des grandes familles de la capitale. La situation se faisait plus délicate et si Héliodore s'en détachait, las de ces priorités qui n'étaient pas les siennes, les deux femmes de la maison ne lui laissaient pas le loisir de s'en éloigner trop longtemps. Elles savaient lui rappeler où se trouvaient ses obligations et, en ce jour encore, elles ne manqueraient pas de le lui prouver.

Héliodore poussa la porte. Il s'était revêtu comme il en avait désormais l'habitude et ce, sans jamais réaliser qu'il épousait la parfaite attitude de l'infidèle. Il lissa ses cheveux qui reprirent leur mouvement initial comme s'il n'avait jamais tenté de les dompter et pénétra dans le salon. Sa mère s'y trouvait et elle n'était pas seule. Apolline se tenait très droite, sans doute alertée par le bruit caractéristique de la porte, et elle toisait son époux avec une dignité encore plus prononcée que celle à laquelle elle les avait tous habitués. Les lèvres pincées, elle semblait d'une humeur massacrante, mais Héliodore n'était pas disposé à partager avec elle l'une de leurs joutes verbales. Il s'apprêtait à poursuivre sa route sans songer aux conséquences et sans penser au fait que son attitude lâche l'avait déjà condamné lorsque le son sec d'un livre qui se ferme interrompit son geste. Rose de Thancy, à bien y regarder, semblait aussi furieuse que sa belle-fille, mais sa colère avait pour réputation d'être bien plus dangereuse.

— Mère, la salua Héliodore, d'une voix égale. Est-ce votre dos qui vous fait encore souffrir ? Si vous le souhaitez, nous pourrons nous rendre seuls à la fête de notre tante, je suis certain qu'elle ne vous en tiendra pas rigueur.

Le silence qui suivit ses paroles était de mauvais augure et l'homme, qui connaissait les sauts d'humeur de sa génitrice, sut qu'une tempête s'apprêtait à déferler sur la maisonnée. Cependant, il était encore loin de deviner que cela le concernait étroitement et que les conséquences n'en seraient que plus terribles. Les cheveux de Rose, qu'elle n'avait pas encore pris soin de recouvrir d'une perruque d'apparat, grisonnaient sur ses tempes et formaient un nuage autour de son visage congestionné.

— J'aurais aimé qu'il ne s'agisse que d'un bénin mal de dos, mon fils, celui-ci au moins m'épargne quelque humiliation et je n'en porte pas la trace ignoble aux yeux de tous.

— Je ne suis pas certain de saisir le sens de vos propos, avança Héliodore, avec prudence.

Il remit à leur place ses lunettes qui glissaient de son nez. Apolline le considérait toujours avec un dédain proche de la répulsion, une lueur blessée dans son regard, lorsqu'il reprit :

— Est-ce un reproche ? S'il s'agit du dossier que je n'ai pas classé ce matin, je vous promets de m'y affairer lorsque nous rentrerons même si je suis forcé d'y passer la nuit.

— Au moins, cette nuit-là, tu ne la passeras pas en plus charmante compagnie, commenta Rose, avec aigreur.

Héliodore sentit sa bouche s'assécher. Sa mère laissa tomber négligemment l'ouvrage qu'elle était affairée à lire et avança de plusieurs pas en direction de sa progéniture. Sa bouche fine, celle-ci même que bien des hommes avaient convoitée avec envie, était tordue par une affreuse grimace. Il semblait à son fils qu'il ne l'avait jamais vue dans un tel état de colère et elle ne ressemblait en rien à la femme mûre, assurée, mais toujours maîtresse de ses moyens. Cette femme-là était réservée à ses apparitions publiques et n'épargnerait pas son fils.

— Mère, je...

— Silence ! Tais cette bouche perfide et garde ta bravoure éhontée pour ce soir, il nous faudra sauver le peu de dignité qu'il nous reste et espérer que ton... anormalité n'ait pas encore quitté les rues malfamées où tu as choisi de salir ton rang et notre nom !

— Je n'ai sali ni votre précieux nom ni le rang qui est le mien, s'indigna Héliodore qui peinait à reprendre son souffle.

— Forniquer avec un homme, est-ce que tu appelles faire honneur à ta famille ? beugla Rose dont le teint virait au rouge.

Cette fois, l'homme ne put empêcher le choc de marquer ses traits. Il avait repoussé loin de lui l'idée que sa mère puisse savoir quelle sorte d'aventure il partageait avec Sorel, il avait fermé les yeux et en payait les conséquences. La bouche entrouverte sur une respiration irrégulière, ses oreilles chauffaient et un mélange de honte, de peur et de colère traversaient son être par vagues successives. Il venait de perdre sa superbe, l'ébauche maladroite de son assurance qui avait pour habitude de camoufler l'échec cuisant de sa vie et sa profonde insatisfaction.

— Comment... Comment est-ce possible... balbutia-t-il.

— Je vous ai vus ! clama subitement Apolline, qui était restée silencieuse jusqu'alors. Je vous ai vus, cet... homme et vous, ensemble !

— Si ton père voyait ce que tu es devenu... murmura Rose, dans un murmure suffoqué. Quelle honte ! Non content de bafouer ton mariage et d'humilier ton épouse, tu te vautres dans les bas-fonds de Paris comme une putain !

Héliodore se sentit soudain acculé. Quels arguments pouvait-il tenir face à pareilles accusations ? Ce n'était que le début, les prémices de la tempête qui grondait, il pouvait le lire sur le visage blême d'Apolline comme sur la face écarlate de sa génitrice. Quoi qu'il lui en coûte, il lui fallait préserver l'identité de Sorel et chaque personne que leur relation mettait en danger. Héliodore avait joué avec le feu, avec la flamme et son allure séductrice, charmeuse, et il s'était brûlé.

— Comment avez-vous osé ? l'interrogea Apolline, dans un halètement étouffé. M'humilier de la sorte, me tromper à la vue de tous ?

— Vous ne serez pas la première femme à subir l'appétit jamais comblé d'un homme, ironisa durement Héliodore à son encontre.

Sa voix se teintait d'amertume et il ressentit le besoin incompréhensible de blesser cette femme à son tour. Il était incapable de saisir la raison de sa douleur, la sienne écrasait toute perception du monde. L'injustice qu'il subissait, la souffrance qui lui était infligée, effaçait tout ce qui ne lui appartenait pas.

— Ces hommes savent au moins qu'ils ne doivent pas s'accoupler avec un autre homme. Même les animaux le savent, asséna Rose.

— Est-ce là tout ce que je suis à vos yeux ?

— Un homme... répéta encore l'épouse, qui oscillait entre la force que lui conférait la douleur et la fragilité engendrée par ce qu'elle refusait encore d'admettre.

— Ce n'est pas qu'il s'agisse d'un homme que vous déplorez, mais le fait que je le préfère mille fois à votre compagnie. Il est tout ce que vous ne serez jamais !

Le cœur d'Héliodore semblait sur le point de jaillir de sa cage thoracique. Là encore, ses émotions l'étranglaient. Cette discussion pouvait durer des heures entières et Rose en était entièrement capable. Celle-ci secoua la tête, le nez froncé de dégoût, elle envisageait déjà les possibilités qui s'offraient à elle. Il lui était impossible de renier son unique héritier, pas avant qu'il donne à Apolline un enfant, il lui fallait donc opter pour une autre solution, tout aussi peu réjouissante.

— Tu vas cesser de voir ce... bohémien.

— Je refuse !

— Il n'est pas question de choix, Héliodore, je ne t'en donne aucun. Tu vas cesser de fréquenter cette abomination qui a osé te pervertir ou vous le payerez tous les deux !

— Je suis le maître de cette maison, vous pouvez faire de ma vie un enfer, mais il est des choses que vous ne pouvez empêcher.

Héliodore n'en était pas aussi certain que ce qu'il voulait bien laisser entendre. Sa mère disposait de moyens colossaux et contre lesquels il n'avait jamais osé se dresser. Ce courage qu'il démontrait l'enivrait et il se trouvait la force de tenir tête à l'unique figure d'autorité qu'il n'eut jamais connu. Rose en tremblait de rage, les poings serrés et la mâchoire crispée sur une grimace qui ne la quittait plus. Les vestiges de sa beauté d'antan se répandaient aux quatre vents et elle s'offrait enfin dans toute sa laideur. Celle de l'esprit plus que celle de ce corps vieilli par des années d'opulence.

— Je refuse que vous détruisiez l'héritage des Thancy pour un caprice d'enfant.

— Vous ignorez de quoi vous parlez.

— Cet homme dont vous vous êtes entiché n'est rien d'autre qu'un caprice, rétorqua Apolline avec hauteur, la voix étouffée par des sanglots retenus. Il ne possède rien que vous n'ayez déjà.

— Même sa beauté flétrira, énonça Rose.

— Je ne comprends pas, reprit l'autre femme, encouragée par la facilité avec laquelle elle pouvait abattre ses cartes. Comment cela est-il possible ? Je ne comprends pas comment vous pouvez...

— Vous refusez de comprendre !

Héliodore haletait. Il n'avait jamais élevé la voix, il avait toujours pris soin de ne pas tenir tête à sa mère et les joutes verbales qui l'opposaient à sa femme se résumaient à quelques provocations bien senties. Ce qui n'avait jamais été dit s'élevait enfin, une floppée de reproches que les deux époux ne pouvaient exprimer en toute intimité. Rose était décidée à ne pas taire son implication et son emprise s'exprimait par sa façon d'effacer Apolline :

— Tu refuses de comprendre, Héliodore. C'est toi et toi seul qui es responsable de cette débâcle, de la honte que tu laisses planer sur notre famille !

Héliodore aurait pu leur hurler au visage tant de vérités, il les avait au creux des lèvres, il les sentait hurler jusqu'aux tréfonds de son âme, ces faits éclatants. Sorel ne méritait pas ces qualificatifs injurieux et ce mépris, mais comment pourraient-ils le comprendre ? L'étroitesse de leur esprit rivalisait avec le vaste espace de cette prison dorée.

— Il est tout ce que vous ne serez jamais. La richesse ne fait pas la grandeur d'un homme et tout ce luxe n'a jamais fait mon bonheur. Ne cherchez pas d'autres réponses que celle-ci, vous n'en méritez aucune autre.

Puis, il tourna les talons. La tension accumulée, celle-ci même qui saturait la pièce jusqu'à la rendre irrespirable et qui enlaidissait les rideaux, les tapis épais, les fauteuils imposants, lui coupait le souffle. Une explosion silencieuse qui réduit au silence toute autre pensée et qui engourdit, l'espace d'un bref instant, l'ombre inarrêtable des conséquences. Cette journée en comprenait plusieurs dizaines et s'il fuyait cette discussion, il ne pourrait leur échapper.

— Inutile de nous faire l'honneur de votre présence ce soir, tempêta Apolline, à son attention.

— Oh que oui, il viendra ! contra Rose, de la voix forte de celle qui n'avait pas pour habitude de voir sa parole remise en doute. Je ne tolérerai aucun retard et je vous conseille vivement d'adopter une attitude exemplaire au cours de la soirée.

La mâchoire d'Héliodore se crispa et ses dents grincèrent. Il haïssait sa mère comme il n'aurait jamais cru possible d'exécrer un être humain. Elle lui avait volé un pan entier de sa vie en lui imposant une existence qui ne lui ressemblait en rien et il avait fait d'elle un modèle inconscient, mais absolu. Une ère qui avait lentement pris fin et qui voyait son dernier jour se profiler.

Le calme dont il faisait preuve ne demandait qu'à éclater en morceaux à ses pieds, mais il ne céda pas. Le peu de bonheur qu'il était parvenu à ériger se voyait durement atteint et se tenait qu'à si peu de choses. Le noble s'y raccrochait avec la fermeté du désespoir et avec la peine étouffée de l'éternel malheureux lorsque Rose abattit sa dernière carte :

— Nous poursuivrons cette conversation demain, ne crois pas t'en en sortir à si bon compte !

Héliodore disparut à l'angle de l'escalier, devant ses illusions en miettes et les échos d'un cœur qui martelait sa poitrine comme pour hurler son erreur. Quelques minutes à peine avaient suffi à souffler les espoirs déchus et à laisser apparaître une réalité qu'Héliodore avait voulu fuir. Une réalité qui lui éclatait en plein visage et qui menaçait d'emporter ce qu'il possédait désormais de plus précieux.

Cela, Apolline comme Rose ne pouvaient le comprendre. 


Vous l'attendiez (ou pas), vous l'avez ! La confrontation entre Rose et Apolline et Héliodore. J'imagine que leur réaction ne vous étonne pas et que vous ne vous attendiez pas à mieux. Qu'en pensez-vous ? J'ai bien aimé écrire ce chapitre, moi :)

J'approche de la fin de l'écriture avec moins d'une dizaine de chapitres à écrire (presque une vingtaine seront postés, j'ai pas mal d'avance, comme toujours). Il sera bientôt temps pour moi de dire adieu aux personnages et j'appréhende. 

Passez une belle semaine !

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