Chapitre 22
Je suis du regard le long filet rouge qui trace son chemin dans la mare noirâtre qui a envahi la pièce. Il s'étend d'un bout à l'autre de la chambre et disparaît devant la porte. Je cherche l'origine de ce rouge qui tourne lentement au marron. On dirait qu'il s'échappe de mon corps. De ma main. De ma cuisse. De mes bras. De ma tête. C'est à moi. Il m'appartient.
Je passe une main dans mes cheveux. Elle s'y agrippe et les tire avec force, mais je ne sens toujours rien à part quelque chose de chaud. Je réussis à relâcher ma prise. Ma main passe sur mon visage, touche le liquide qui s'échappe de ma tête et griffe ma joue. Mes ongles s'enfoncent profondément dans ma chair. Je crois que je sens enfin quelque chose. Je n'en suis pas sûre, mais j'ai l'impression de ressentir un picotement.
Les voix se mettent à crier de plus en plus fort. Elles hurlent de douleurs, de colère et de désespoir. Un chant de détresse qui couvre le tambour funèbre de l'orage. Une mélancolique mélodie que moi seule peux entendre. Une chanson qui me détruit un peu plus chaque jour.
Le simple martèlement qui provient de l'autre côté de la porte devient tellement puissant que je ne perçois plus le ruissellement de la pluie. Il est là. Il est venu pour terminer ce qu'il a commencé. J'ai encore fait des bêtises, alors il est en colère. Il est venu pour m'achever une bonne fois pour toutes.
- Kira ?
Je réponds quelque chose, je crois. Mais je n'en suis pas sûre. Ma voix est couverte par trop de sons différents, à moins qu'elle ne soit qu'un soupir. Un son étranglé. Je porte ma main à mon cou. Je sens un liquide chaud du bout des doigts. Ma main s'écarte, mais le liquide reste dessus. C'est la même substance que le filet rouge qui trace son chemin sur le liquide noir.
- Kira, laisse-moi entrer.
Aucun son ne s'échappe de ma gorge coupée. Je fixe avec désespoir la porte s'entrouvrir. Désespoir ? Est-ce vraiment cela ? Si j'étais si désespérée, des larmes couleraient à flots sur mes joues, non ? Alors pourquoi je souris ? Pourquoi je ne fais que rigoler ? Je suis incapable de m'arrêter.
La porte s'ouvre un peu plus alors que je n'arrive pas à esquisser le moindre mouvement ou à produire un son. Il est vraiment là pour en finir. Ma fin arrive. Ils avaient raison. Je ne suis qu'une ratée. Une anomalie. Une erreur.
Un pied se pose dans l'embrasure de la porte.
- Dégage ! Hurlais-je
J'attrape le premier objet qui passe pour le lui envoyer.
- Kira, laisse-moi entrer avant que je ne détruise cette porte.
- Va-t'en !
Je me lève et bloque la porte avec une chaise. N'avait-elle pas été absorbée un peu plus tôt par le liquide noirâtre ? Je ne sais plus. Je ne sais rien. Le tambourinement contre la porte reprend un peu plus fort.
- Lâche-moi et disparaît de ma vie une bonne fois pour toutes ! Criais-je
- Je veux juste t'aider !
- Menteur tais-toi !
Mes mains se plaquent à nouveau sur mes oreilles. Est-ce qu'il dit la vérité ? Est-ce qu'il veut vraiment m'aider ? Mais qui est-il ? Pourquoi je ne sais plus qui il est ? J'ai l'impression que mon crâne va exploser.
Ne l'écoute pas. Il essaie de te manipuler pour mieux te détruire. Me soufflent les voix. Mais qui croire ? Lui, elles ou moi ? Je m'appuie sur le mur pour ne pas tomber, mais mes mains couvertes de sang glissent et je manque de m'effondrer.
La chaise vole à l'autre bout de la pièce, la porte s'ouvre en grand et, morceau de verre à la main, je me jette sur celui qui se trouve derrière la porte. Il s'écrase sur le sol de la chambre couverte de débris, lame sous le cou.
- Fais le moindre mouvement et je te tue.
- Kira, c'est moi...
- Ferme-la !
Les voix toujours plus fortes me hurlent d'en finir avec lui. Si je le tue maintenant, je serai libre. Je pourrais vivre la vie que je veux. Alors pourquoi ma main refuse de m'obéir ? Ou de leur obéir ? Qu'est-ce qui m'empêche de lui couper la gorge ? Et pourquoi il ne bouge pas ?
- Kira. Lâche-moi. Je veux juste discuter.
- Tais-toi !
Il n'a jamais discuter auparavant, ce n'est pas aujourd'hui que ça va changer. La lame se presse un peu plus contre son cou.
- Fais-moi confiance
- Je n'accorde ma confiance à personne. Encore moins aux gens comme toi.
- Mais écoute moi !
- Je refuse ! Je n'écouterai pas un traître mot de ce que tu as à me dire !
Je plaque ma main contre sa bouche. Il la retire et me reprend le morceau de verre d'un mouvement agile et rapide. Mon arme provisoire vole sous le lit. Il parvient à s'échapper de ma prise et s'éloigne de quelques pas. Je me lève à mon tour. Je sens qu'il est sur ses gardes. Il fait attention à ses moindres faits et gestes. Qui aurait cru qu'il montrerait un jour de la peur ?
Mon pied avance d'un pas, il recule. Il avance, je le plaque sur le sol. Mes mains entourent son cou. Il se débat mais je ne compte pas lâcher.
- Kira ! Tu me fais mal !
- Ce n'est pas grand-chose pour un monstre comme toi !
- De quoi tu parles ? On est ami !
- Ami ? Toi et moi ? Ne me fais pas rire ! Je n'ai pas d'ami ! Je suis seule et ça ne changera jamais ! Vociférais-je
Les voix rigolent. Elles sont heureuses. Pour une fois nous sommes totalement d'accord elles et moi.
- Mais t'es sûre de me prendre pour la bonne personne ?
- Arrête ! Tu sais très bien qui tu es !
- Je suis One Osolov !
- Voilà c'est ce que-
Ma prise se desserre quand je réalise ce que je suis en train de faire. Ce prénom m'est familier. Je l'ai déjà entendu mais je ne sais plus où.
Un bruit strident résonne soudainement dans mes oreilles. Mes mains se posent dessus pour les boucher mais le bruit est toujours aussi fort. C'est comme s'il était dans ma tête. Il me vrille les tympans. J'ai mal à la tête, j'ai l'impression d'être sur le point de m'évanouir. Alors pourquoi j'ai ce présentiment qui me dit de tout faire pour rester éveillée ?
Je suis soudainement tiré en avant. Je n'entends plus rien à part une sorte de tambour. Même les voix se sont apaisées.
- Qu'est-ce que tu-
- Fais simplement ce que je vais te demander de faire. Souffla-t-il
- Mais je ne sais même pas qui tu es !
- Je te l'ai dit, je suis One, ton ami. Et l'ami de Niko et Luc, comme toi.
Ces noms là aussi me sont vaguement familier. Ils me font penser aux couleurs jaune et bleu.
- Mais tu peux très bien me mentir.
- Est-ce que le bruit que tu entends te donnes l'impression que je mens ? M'interrogea-t-il
- Tout le monde peut raconter des bobards.
- Je te jure que je ne te raconte que la vérité.
Il me tire un peu plus en avant. Le tambour dans sa poitrine se fait plus fort et plus rapide. C'est son cœur qui bat à toute allure. Des images me reviennent d'un coup en mémoire. Des cheveux blonds, du rouge, un sourire. Puis des lieux. Une salle de sport, une salle de classe, des couloirs.
- Mon téléphone est dans la poche droite de mon sweat. Prends-le s'il te plaît.
Ma main s'exécute toute seule. Je dois m'écarter légèrement pour pouvoir passer ma main alors il couvre mes oreilles. Je hausse un sourcil.
- Orik m'a dit de faire ça.
Qu'est-ce que mon frère a à faire dans cette histoire ? Cette question me brûle les lèvres mais je me retiens. Je glisse le téléphone hors de sa poche.
- Le code c'est 0209.
- Tu veux que je fasse quoi après ?
- Ouvre l'appli de musiques.
Je déverrouille le portable et observe le fond d'écran. C'est une photo de quatre personnes. Trois garçons et une fille. Un garçon aux cheveux gris, un blond et un blonds foncé et une fille aux cheveux noirs. Cette fille, c'est moi ? Je ne souris pas et pourtant j'ai l'air heureuse... Celui qui a pris la photo est celui aux cheveux gris. Il me dit quelque chose mais mon esprit bloque. Son prénom ne me revient pas. Le blond ne sourit pas non plus, enfin si, il a un sourire à peine perceptible. Je me suis vraiment trompé de personne.
- Kira, lance de la musique.
- Ah oui pardon.
Je cherche l'application et clique dessus pour l'ouvrir. J'appuie sur la première musique. En même pas deux secondes, une guitare électrique résonne dans la pièce. Elle couvre tous les autres sons. Le garçon me lâche et s'écarte. Je m'assois, ma tête s'appuie contre le mur alors que je commence à réaliser ce qu'il se passe.
One est debout face à moi. Il se frotte le cou avec sa main et examine la chambre. Il a mal à cause de moi. Je suis un monstre. J'ai blessé un de mes amis. Il se tourne pour me regarder et ses sourcils se froncent.
- Je devrais peut-être laisser quelqu'un d'autre s'occuper de toi. Orik ou Niko sauront mieux comment t'aider.
Et me laisser ici toute seule ? Je n'en ai pas envie mais je ne peux pas le forcer à rester ici. Surtout après ce que je lui ai fait. J'aurais pu le tuer. S'il ne veut plus être mon ami je comprendrai. Je suis une mauvaise amie.
- Je viendrai récupérer mon téléphone ce midi.
- Ce midi ? Répétais-je
- Tu ne sais pas quel heure il est ?
Je secoue la tête.
- Il est trois heures et demi du matin.
Mes yeux s'écarquillent. Trois heures et demi ? J'ai passé presque toute la nuit à détruire ma chambre. C'est la première fois que ça dure aussi longtemps. D'ailleurs, comment il a su que j'avais des problèmes ?
- Tu peux les poser tes questions, tu sais.
- Comment tu as su ?
- Orik est venu toquer à ma porte pour me demander d'aller voir comment tu allais. Quand je lui ai demandé pourquoi il ne pouvais pas le faire lui même, il m'a dit que c'était une très mauvaise idée. Expliqua-t-il
- Tu ne dormais pas ?
- J'avais pas sommeil.
Il est pris d'une quinte de toux alors je me lève pour m'assurer qu'il n'est pas en danger. Il recule quand je me trouve devant lui.
- Désolée, je ne voulais pas...
- Je sais. Je vais chercher Niko ou Luc ou même Orik si tu préfères pour qu'un d'entre eux te tienne compagnie.
Il s'avance vers la porte mais mon corps se déplace tout seul et l'en empêche. Ma main attrape son poignet.
- Reste s'il te plaît... Me laisse pas seule.
Ses yeux me fixent et aucune réponse ne sort de sa bouche. En même temps, à quoi je m'attendais ? Il doit sans doute me détester. Qui ne me déteste pas ? Tout le monde me hais. Alors pourquoi pour une fois j'ai envie d'être égoïste ?
- Ne me laisse pas. Je t'en supplie...
Son regard s'adoucit et un micro sourire apparaît aux coins des ses lèvres.
- Je ne pars pas. Je suis là, avec toi...
- Merci.
Je lâche son poignet. Il y a un flash de lumière et One me tire contre lui. Mon oreille droite est collée contre son torse et j'entends le même tambour que tout à l'heure. Il fait ça pour que je n'entende pas l'orage alors que je l'effraie. Je ne mérite pas un tel traitement.
Mes bras pendent le long de mon corps. J'évite de le toucher avec mes mains sales, les mains d'un monstre. La musique joue toujours dans la pièce.
One me serre contre lui pendant une dizaine de minutes et je reste immobile. Lorsqu'il me lâche, j'en profite pour examiner rapidement les marques sur son cou. Je ne les touche pas, je les regarde simplement.
Il recule d'un pas pour mettre de la distance entre lui et moi.
- Essaie de voir si tu peux récupérer certaines de te affaires. Tu ne peux pas rester dans cette chambre.
- Il doit pas y avoir grand chose.
Je jette un regard rapide vers le bureau complètement détruit. Le carnet était dessus normalement. Je fouille dans le tas de débris. Je tire des objets à la forme similaire mais je tombe sur les CD que j'ai acheté avec Vicky. Je les pose à part et je continue de chercher mon carnet. Je le trouve et le pose dans un sac qui traînait dans un coin de la pièce. Je range aussi les CD dedans.
- Tu as besoin d'un coup de main ?
- Je cherche des vêtements propres, non craqué et sur lesquels il n'y a pas de verre.
- Il doit bien y en avoir dans tout ce...
- Bordel ? Ouais, deux t-shirt et deux shorts devraient faire l'affaire.
- Ok.
Nous passons un moment à chercher, la musique rend l'atmosphère plus détendu. Je me tourne vers One pour voir s'il a trouvé quelque chose mais il fixe juste le plafond. Je remarque alors ses oreilles complètement rouge. Je regarde ce qu'il se trouve devant lui et je me dépêche de tout ramasser.
- Désolé.
- Pas grave. Répondis-je embarrassé
Au moins je n'aurais pas besoin de chercher des sous-vêtements. Même si ça reste très gênant de savoir que quelqu'un les a vu. Je les range dans le sac et reprends mes recherches. Je trouve le t-shirt que Vicky m'a acheté.
Nous passons tellement de temps à chercher que nous sommes accueillis par les premiers rayons du soleil. Le bazar m'apparaît beaucoup plus clairement. Il est impossible de se déplacer sans se blesser. Heureusement, One porte des chaussures alors il ne risque rien.
Je referme mon sac et me tourne vers One qui m'attend à côté de la porte, téléphone à la main. L'orage s'est calmé pendant nos recherches alors il a coupé la musique.
- Tu es sûre de pouvoir marcher ?
- Ouais, t'inquiète. Je vais déposer ça au BDE et ensuite je passe à l'infirmerie.
- Je vais t'y accompagner.
- Tu devrais surtout aller soigner ta blessure.
Il me met un petit coup sur la tête et je grimace.
- Arrête de t'inquiéter pour moi.
Je détourne simplement le regard et ouvre la porte.
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