Le monstre aux yeux verts (1/2)
Post Crooked Kingdom
One-shot
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Inej venait de rentrer à Ketterdam après six longs mois passés sur l'océan. Si elle était parvenue à arrêter plusieurs grands trafiquants, son équipage avait également beaucoup souffert. Trop souffert.
Alina. Sapia. Vasily. Talia. Kristoph. Yanik. Lucy. Patrik. Silmali. Missandra. Zackary. Sofy.
La liste était longue. Morts. Ils étaient tous morts. Elle était responsable d'eux. Ils constituaient son équipage, sa bande, ils étaient ses camarades, ses amis. Elle était leur capitaine. Elle aurait dû pouvoir les protéger. Elle était Inej Ghafa, alias le Spectre, la meilleure araignée de Kerch, une voleuse de secret talentueuse, elle maniait les couteaux avec dextérité et ne ratait jamais sa cible, elle avait assassiné et volé nombres personnes, elle avait participé à des entreprises dangereuses... Elle était forte, elle était crainte.
Et pourtant, elle avait failli dans sa mission. Elle n'avait pas réussi à les sauver. Elle les avait abandonnés. Et jamais elle ne se le pardonnerait.
Kaz lui avait manqué. Jamais elle n'avait souffert de son absence aussi durement. S'il avait était là, il aurait pu empêcher ce massacre. S'il avait été là, il aurait compris qu'ils fonçaient droit dans un piège. S'il avait été là, il aurait su réagir. S'il avait été là, il aurait pu tous les sauver. Inej voulait lui parler. Elle avait besoin de le voir. Dès qu'elle l'apercevrait, tout irait mieux, c'était certain.
Alors, elle hâta le pas à travers les ruelles sinueuses de Ketterdam, se faufilant entre les badauds déguisés et autres énergumènes bruyants. Pour la première fois depuis depuis la mort de ses amis, ses lèvres se relevèrent en un semblant de sourire, ses pensées errant du côté de Kaz. Elle mourait d'envie qu'il la prenne dans ses bras. Elle rêvait de l'embrasser et de voir ses joues s'empourprer. Ils parleraient certainement toute la nuit, dans les bras l'un de l'autre, les mains étroitement liées. Elle voulait sentir son odeur, mélange de jurda, de whisky et d'herbe fraichement coupée, qui lui était propre. L'odeur de la maison. Elle souhaitait être avec Kaz, tout simplement, et oublier le reste du monde.
Enfin, elle finit par arriver au Crow club, s'attirant par là les regards surpris des habitués et des Dregs : ils ne s'attendaient pas à la voir ici. Les murmures enflaient sur son passage tandis qu'elle traversait la salle, à la recherche de Kaz. La jaune fille aperçut du coin de l'oeil Anika échanger un étrange regard avec Pim, mais elle n'y prêta aucune attention. Elle voulait voir Kaz.
Elle hâta le pas, ne saluant que très vaguement les Dregs, et gagna l'antre du patron. Son bureau était désert. La pièce lui sembla étrangement silencieuse sans l'habituel grattement de sa plume et le tintement des kurges. Bon, il devait être autre part, ce n'était pas grave, pensa-t-elle. Elle parcourut les endroits préférés de Dirtyhands, mais il n'était pas non plus dans la salle de jeu, ni même au bar et elle n'entendait pas le claquement régulier de sa canne. En dernier recours, elle courut au Crow Club, heurtant deux ou trois Dregs au passage. Peut-être que Kaz était arrivé depuis qu'elle y était allée ?
Mais rien n'avait changé. Toujours les mêmes touristes aux yeux dilapidés, les mêmes tables étaient occupées, les mêmes Dregs surveillaient. Elle devait se rendre à l'évidence. Il n'était pas ici.
La puissance de sa déception la surprit elle-même. Elle se sentit brusquement vidée de toute énergie, ses épaules s'abaissèrent, les bras ballants, immobiles le long de son corps, elle était incapable d'esquisser le moindre geste, la moindre parole. Son cœur se serra, sa gorge se noua et les larmes lui montèrent aux yeux. Son souffle devint erratique, son sifflement seul troublant la torpeur qui s'était installée. Elle allait craquer, ici, au milieu du Crow club, au milieu de touristes qui la devisageaient, le regard avide, espérant une scène qui égayerait leur soirée et alimenterait les potins du lendemain. "Non, elle ne devait pas fondre en larmes ici, elle était le Spectre, que diable !" se reprit-elle, ravalant ses pleurs. Alors, sans un mot, elle tourna les talons et quitta la pièce d'un air digne, le pas assuré et le dos droit.
Dès qu'elle franchit le pas de la porte, l'air vicié du Barrel lui sauta à la gorge. C'était infecte. L'aigreur de l'air envahit bientôt son coeur : elle en voulait à Kaz de ne pas être là, avec elle. Plus qu'amer, elle devint en colère. Pourquoi n'était-il pas là ? Qu'avait-il de si important à faire ? Il aurait dû être là pour l'accueillir, comme toujours !
Elle avait conscience qu'elle était injuste, que Kaz était un homme occupé et qu'il était certainement en mission quelque part. Mais c'était plus fort qu'elle. A cet instant précis, elle se sentait si seule que s'en était presque insupportable. Peut-être qu'elle méritait cette solitude. Après tout, elle avait abandonné ses amis à leur sort.
Elle ruminait ses sombres pensées, oscillant entre tristesse et colère, tandis qu'elle parcourait les rues familières de Ketterdam. Sans vraiment faire attention, son regard accrocha une haute silhouette surmontée d'un chapeau qui sortait d'une maison biscornue. Elle fronça les sourcils. Ce manteau, ces épaules, ce profil... Ils lui rappelaient quelque chose. L'homme se tourna alors de trois-quarts et porta sa main à son haut-de-forme dans un geste douloureusement familier. A sa vue, elle se figea. Non, c'était impossible, c'était quelqu'un d'autre. Ce devait être quelqu'un d'autre. Ou bien il s'agissait d'une simple illusion, d'une hallucination. Il était tout à fait impossible que Kaz sorte de cette maison, une fille pendue à son bras, les yeux rieurs.
Non, pas impossible, réalisa-t-elle tristement, improbable.
Inej ne savait pas comment réagir. Elle ne s'attendait pas à ça. L'idée ne lui avait même pas effleurer l'esprit, à vrai dire. Son coeur était compressé dans sa poitrine, elle étouffait. Elle aurait voulu fuir, prendre ses jambes à son coup, pour oublier ce cauchemar éveillé. Mais elle n'en fit rien. Comme hypnotisée, elle les suivit du regard, jusqu'à ce qu'ils disparaissent au sein de la foule. Kaz ne l'avait même pas remarquée. Inej émit un léger ricanement : il devait être trop absorbé par les jolis yeux de sa dulcinée pour prêter attention au monde qui l'entoure.
La jeune fille savait que c'était possible. Les histoires d'amour, de tromperies, de mensonges et de secrets pullulaient au Slat. Tous les Dregs avaient au compteur un certain nombre de conquêtes. Et bien sûr, elle savait que l'amour n'était pas immuable, qu'il pouvait se faner et dépérir. Mais Kaz ? L'homme qui l'avait sauvée, qui lui avait appris à se battre, à devenir forte, celui qui veillait sur elle, celui qui lui avait déclaré son amour maladroitement, qui avait retrouvé ses parents, qui avait fait fi de sa phobie pour elle ? L'homme souvent insupportable qu'elle aimait ?
Pourtant, Inej était presque sûre que lui aussi l'aimait. Sinon, pourquoi aurait-il fait tout cela pour elle ? Et puis, Kaz avait déjà sous-entendu qu'il avait des sentiments pour elle. La suli songea brusquement qu'il ne lui avait jamais dit "je t'aime". Cela ne lui avait jamais effleuré l'esprit jusqu'à présent, Kaz n'étant pas du genre démonstratif, elle n'avait jamais attendu une telle chose de sa part. Mais c'était peut-être la preuve que tout n'était qu'illusion. Amèrement, Inej se demanda s'il lui disait "je t'aime" à elle.
Elle. Sans même lui avoir adressé la parole, Inej la détestait. Sa beauté crevait les yeux. Même avec toute la mauvaise foi du monde, on ne pouvait pas nier qu'elle était à tomber. Elle était tout son opposé, d'ailleurs. Douloureusement, Inej réalisa combien elle devait sembler terne face à une telle prestance. L'inconnue était grande et élancée sans pour autant être dépourvue de féminité, ses membres interminables était mis en valeur par sa tenue sobre près du corps. Sa peau diaphane constellée de tâches de rousseurs semblait irradier telle la lueur de la lune, la berçant dans une tendre lumière. Ses cheveux d'un roux profond tombaient en cascade jusqu'à la chute de ses reins, ondulant au gré de ses mouvements. La perfection de son visage forçait l'admiration : des traits fins et réguliers, des lèvres rouges, des pommettes hautes, un nez grec, des sourcils parfaitement arqués. Et surtout, des yeux bruns-verts hypnotisants, des yeux dans lesquels on plongeait sans pouvoir en ressortir, absorbé par leurs paillettes dorées et la flamme de détermination qui y sévissait.
Oui, Inej faisait pâle figure à côté. Le charisme et l'élégance qui se dégageait de la rouquine étaient renversants. Sa beauté était presque surhumaine. Pourtant, elle n'était pas dénuée d'imperfections, elle avait un léger écart entre les dents ainsi que de fines cicatrices translucides, mais cela ne faisait que rehausser son charme. Personne ne peut résister à une femme pareille. Et quand on est le boss du Barrel, pourquoi se priver si on a accès aux jolies filles ?
Inej était vidée. Elle n'était même plus en colère, et ne pleurait pas. Le ciel venait de lui tomber sur la tête. Elle resta longuement plantée au milieu de la rue, se faisant bousculer par les touristes empressés, totalement hébétée. Finalement, dans un état second, elle rejoignit le manoir des Van Eck. Elle n'avait pas envie de retourner au Slat, le risque de croiser Kaz et sa nouvelle "amie" était trop grand. Elle comprenait le regard d'Anika désormais. Tout le monde devait être au courant. Elle était vraiment trop stupide !
Elle resta longtemps devant la haute porte du manoir. Elle hésitait à frapper. Qu'est-ce qu'elle pourrait dire, de toute manière ? Elle ne voulait pas que ses amis la regardent avec pitié. La jeune fille était fatiguée, terriblement fatiguée. Elle n'avait même pas le courage de rentrer par une fenêtre comme à son habitude. Au prix d'un ultime effort, elle souleva son bras et toqua mollement trois fois contre l'ébène. Quelques minutes plus tard, Wylan apparut.
— Inej ? Tu es rentrée ? s'exclama-t-il avec enthousiasme.
Pour toute réponse Inej lui adressa un petit hochement de tête, la lèvre tremblante.
— Attends... Qu'est-ce qu'il y a ? demanda le rouquin, les sourcils froncés. Allez, rentre vite, on va parler de tout ça auprès du feu.
La suli, apathique, se laissa conduire dans le vaste salon de la maisonnée. Un maigre sourire apparut sur ses lèvres lorsqu'elle vit Nina.
— Nina ? Tu es rentrée à Kerch ?
— Eh bien, a priori je ne suis pas à Zovyi Zem. Toi aussi tu es rentrée plus tôt, non ? Tu ne nous as pas prévenu de ton retour, petite cachottière ! rit-elle.
Inej ne savait plus trop quoi ressentir. Tout se mélangeait en elle. Son coeur était meurtri par la perte de son équipage, la vue de Kaz l'avait sonnée, elle oscillait entre colère, déception et désespoir, mais la vue de ses amis la réconfortait étrangement.
— Tu es un peu pâle, Nej'... Tu ne serais pas malade ? s'inquièta Jesper.
— Je ne sais pas, souffla-t-elle.
— OK, il y a clairement un truc qui ne va pas. On doit tuer qui ?
Inej déglutit péniblement. Ses amis ne semblaient pas être au courant, ou alors ils mentaient avec brio. Elle avait besoin de leur soutien, de leur avis sur la situation. Alors, elle se lança.
— Vous avez vu Kaz récemment ?
— Euh, non, la dernière fois c'était il y a une semaine environ. Pourquoi ? répondit Wylan.
— Parce que... Parce que... Parce que je viens de le voir avec une fille, débita-t-elle à toute vitesse.
Un silence tomba. L'air sembla se rafraîchir, une étreinte glacée leur serra le coeur. La stupéfaction, l'horreur et l'ébahissement se peignit progressivement sur leur visage, en même temps qu'ils réalisaient l'énormité de ses paroles. La scène aurait presque pu être comique, si les circonstances étaient différentes.
— Quoi ?
— Kaz ?
— Non... c'est impossible !
— Et pourtant c'est la vérité, murmura Inej.
— Attends, reprends ton histoire depuis le début. Qu'est-ce que tu as vu, exactement ? demanda Nina.
— Tu ne me crois pas ? siffla la suli.
Ce n'était pas la réaction qu'elle attendait. Elle voulait être réconfortée, et là ses amis semblaient mettre en doute sa parole et prendre la défense de Kaz.
— Je dis juste que ce genre de scène peut prêter à confusion. Honnêtement , Kaz a beaucoup de défauts, il est même assez détestable, mais je ne le vois pas du tout faire ça. Tu les as vu s'embrasser ?
— Hum, non, mais ils sortaient d'une maison et elle était accrochée à son bras, ce qui n'avait pas l'air de lui déplaire.
— Et elle ressemblait à quoi, cette fille ? questionna Jesper, l'air préoccupé.
— A une déesse. Elle était juste magnifique. Très élégante, mais elle semblait être une dure à cuire, du genre à savoir se battre.
— C'est plutôt le style de Kaz, fit remarquer le jeune homme.
Inej eut un petit rire qui s'étrangla dans sa gorge.
— Inej, t'es aussi super jolie, si c'est ce qui te fais rire. Et même si l'autre ressemble "à une déesse", je peux te garantir qu'elle ne t'arrive pas à la cheville ! Aie plus confiance en toi, tu es courageuse, intelligente, belle et déterminée ! Tu es une guerrière, Inej, ne l'oublie pas.
— Je n'ai rien d'une guerrière. Je ne suis même pas capable de protéger mon propre équipage ! explosa-t-elle.
Le silence retomba. La jeune fille semblait vraiment à bout. Sa peau cuivrée était anormalement pâle, des cernes bruns encerclaient ses yeux, ses traits étaient tirés et elle était agitée de tremblements.
— De quoi tu parles ? murmura Nina.
— Rien, oubliez. Je ne veux pas en parler.
— Comme tu veux, Inej, mais tu ne vas pas bien. Tu peux tout nous dire, tu sais. Pour ce qui est de Kaz, le mieux c'est que tu ailles en parler avec lui. Tu iras demain, ce soir on reste tous les quatre et tu te reposes, trancha la grisha.
Inej n'eut pas la force de contester. Elle se contenta d'acquiescer, le regard dans les vagues.
La soirée passa rapidement. Si ses amis réussirent à lui soutirer quelques sourires, elle resta tout de même morose, l'esprit embrumé et le coeur compressé. On ne tarda pas à se coucher. Contrairement à ce qu'elle pensait, et pour la première fois depuis l'attaque, elle ne fit pas de cauchemars. Elle dormit d'un sommeil sans rêve.
Le lendemain, réveillée à l'aube par habitude, elle partit au Slat. L'heure de la confrontation a sonné.
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La suite au prochain épisode ! Mes OS sont toujours plus longs que prévus, donc celui-ci est coupé en deux. L'autre partie renfermera la fin bien évidemment, ainsi qu'un petit bonus pour répondre à une demande qui m'avait été faite. Je la poste demain, donc pas inquiétude, vous n'aurez pas à attendre trois semaines.
Petite parenthèse de blabla pas très intéressante. Je voulais vous remercier. Cela fait désormais un an que j'ai commencé ce recueil, et honnêtement je ne m'attendais pas à un tel succès : presque 8,5 k de vues et 840 votes. Donc merci, merci pour votre lecture, pour vos votes et surtout vos commentaires. Si ce livre est vivant c'est aussi grâce à vous, et je ne vous remercierais jamais suffisamment pour cela.
Pour ce qui est de l'avenir de ce livre, je compte y mettre un terme en juin. Mais d'ici là, une vingtaine de chapitres sont prévus, dont la fin de la fan fiction AU, et même après juin s'il y a des demandes je continuerai à faire des OS. Je vais également poster des chapitres de "transition" dans un style aesthetics pour bien délimiter les différentes parties du recueil. Et les titres de chapitres vont être changés pour un côté plus recherché. D'ailleurs, si vous avez des idées de titres, n'hésitez pas à m'en faire part !
Enfin, je vais juste vous poser deux-trois petites questions ^^
• Quel est votre OS/headacon préféré ? Pourquoi ? •
• Quel est celui que vous aimez le moins ? Pourquoi ? •
• Pensez-vous que la fan fiction AU devrait-être dans un livre à part ? (et à ce moment là je retravaille les chapitres et les recoupe) •
• Avez-vous une remarque à faire, un conseil à donner, une idée ? •
Merci d'avance pour vos réponses !
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