Le jour où je t'ai rencontré
One-shot
Post Crooked Kingdom
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Wylan n'avait pas envie d'y aller. Le faire-part de naissance était arrivé il y a deux mois, dans lequel Alys l'invitait à venir chez elle pour voir son nouveau-né. Sans vraiment savoir pour quoi, il appréhendait grandement cette rencontre. Alors, lâchement, il avait enchaîné excuses sur excuses, pretextes idiots sur mensonges bancals. Mais il ne pouvait fuir éternellement.
Wylan n'osait pas en parler à Jesper. Il ne comprendrait pas. Alors il lui a aussi menti, disant qu'il était allé voir Alys le mois dernier. Jesper avait semblé surpris, mais il n'avait pas insisté. Wylan aurait aimé qu'il perçoive son mal être, qu'il le réconforte et l'écoute. Il savait bien que c'était absurde, c'était lui qui refusait d'en parler, mais il était déçu de l'aveuglement de Jesper. N'avait-il pas observé sa mine décomposé et ses mains tremblantes en ouvrant le faire-part ? N'avait-il pas vu son visage se fermer dès qu'il était question du jeune Bazil ? N'avait-il pas remarqué ses cauchemars à répétition ? Lui-même ne comprenait pas son comportement si étrange. Cela n'avait aucun sens.
Il ne pouvait pas continuer comme ça, il ne se reconnaissait plus. Tôt ou tard il devrait affronter ce petit être innocent, qui avait pourtant été destiné à le remplacer. Et l'heure avait sonné.
Wylan avait pris son courage à deux mains, et bien décidé à rendre visite à sa belle-mère, il se rendit chez elle, en périphérie de Ketterdam. C'était une belle maison de campagne, un cottage pour être précis. La façade de pierre et le toit en chaume donnaient un aspect rustique des plus charmants, les volets colorés illuminaient la devanture et les rosiers grimpaient aux fenêtres. Le soleil brillait, ses rayons baignant le paysage de sa douce lueur, on entendait au lointain le fracas des vagues sur les falaises et le gazouillement des oiseaux. C'était le lieu idéal, où il fait bon vivre, foyer rempli de vie et de rires. Tout le contraire du froid manoir des Van Eck.
Il avait eu le temps d'examiner chaque renfoncement de la bâtisse, analysant fissures, fleurs et rideaux. Il faut dire que cela faisait presque quinze minutes qu'il poireautait devant le pas de la porte, incapable de frapper ; ses bras et jambes semblaient comme collés, malgré ses efforts, Wylan ne parvenait pas à esquisser le moindre geste. Oh, il avait bien conscience d'avoir l'air d'un parfait idiot, à rester planter là immobile. Mais que voulez-vous, il était débile. Il l'avait toujours été. N'est-ce pas ce que son père avait affirmé avant de se détourner de lui ? Avant qu'il se mette en tête de le remplacer ? Jan Van Eck avait raison : il n'était bon qu'à être jeté, il était une erreur de la nature. Et les erreurs se doivent d'être supprimées. C'est d'ailleurs pour ça que Bazil a vu le jour. Il devait remplacer l'aberration qu'il représentait.
Wylan savait que le bébé n'y étais pour rien. Il n'avait pas demandé à naitre. Il était innocent. Mais il lui en voulait terriblement. Il était en colère. Il le haïssait. L'amertume lui serrait la gorge, la rancoeur nouait son estomac et la colère brulait ses yeux. Wylan ne se reconnaissait plus. Depuis quand était-il si malveillant ? Où était passé l'enfant perpétuellement joyeux, au regard pétillant et au sourire scotché sur sa frimousse ?
Un ricanement lui échappa. Il le savait bien, ce qu'était devenu son innocence. Elle avait disparue, piétinée par les désillusions, étouffée par l'hypocrisie, brisée par les moqueries. Son père avait tué l'enfant qu'il était.
Perdu dans ses pensées douloureuses, il ne s'aperçut pas immédiatement qu'Alys lui parlait depuis la fenêtre.
— Wylan ? Ici Alys, qui parle à Wylan ! Tu comptes rentrer, un jour ?
La douceur de sa voix surpris Wylan. Prisonnier de sa rancune, il avait oublié qu'Alys était si gentille. Celle-ci semblait d'ailleurs sincèrement ravie de le voir, ses lèvres pulpeuses étirées en un grand sourire qui dévoilait ses dents à la blancheur incomparable. Radieuse, elle ressemblait à un ange. Un ange terriblement jeune. Elle avait quoi, trois ans de plus que lui ? Wylan ne détestait son père que davantage pour cela.
— Oui, j'arrive, je... regardais les rosiers. Ils sont magnifiques, marmonna-t-il, rougissant jusqu'à la pointe de oreilles.
Maladroitement, il pénétra dans le séjour bien décoré. Des canapés en cuir moelleux ne demandaient qu'à s'assoir dedans, le tapis bariolé rajoutait de la vie sur lequel était posé une petite table en bois massif croulant sous la paperasse en tout genre. C'était un vaste bric-à-brac de couleurs et de forme, irradiant de chaleur et de bonne humeur. De nombreux tableaux colorés couvraient d'ailleurs les murs, mais ce qu'ils représentaient n'étaient pas toujours très facile à deviner. Peut-être une araignée, à la réflexion, une araignée rouge, verte et bleue, à douze pattes et au corps en forme d'étoile...
— Tu regardes les peintures ? C'est moi qui les ai faites ! Celle-ci représente la falaise d'en bas, juste à côté de chez nous, j'en suis très fière, mais il faut dire que j'ai un bon professeur, dit-elle dans un petit rire ravi.
— Euh, oui, c'est très... très... original, enfin je veux dire que c'est unique... je les trouve très... fortes... et-
Mais Alys ne prêta aucune attention à sa réponse maladroite, elle lui prit fermement le bras avant de le tirer dans la pièce d'à côté.
La pièce était petite mais très lumineuse, et un rayon de soleil venait caresser de sa lueur printanière le centre de la pièce, où trônait un berceau blanc. A sa vue, Wylan sentit son estomac se tordre sous l'appréhension. On y était, il allait faire la connaissance de son... demi-frère.
La démarche mal-assurée, il s'approcha quelque peu vacillant du berceau, sous le regard encourageant, mais pesant, de la jeune mère. Comprenant probablement que Wylan préférait être seul, elle annonça qu'elle allait faire un peu de tisane à la bergamote -il parait que ça fait maigrir et détoxifie l'organisme- et quitta la chambre.
Enfin, Wylan le vit. Il ne s'attendait pas à ça. Bazil ressemblait à un bébé tout ce qui a de plus normal. A quoi s'était-il attendu ? Il ne le savait pas lui-même. Peut-être à un monstre avec des cornes, un petit diable aux dents pointues et au regard cruel. Mais il ne voyait qu'une petite chose enroulée dans des couvertures, dormant à poings fermés. Rien à voir donc avec la créature cauchemardesque qui peuplait ses nuits depuis si longtemps. Ce n'était qu'un petit garçon à la peau rose et aux joues rebondies comme celles d'un hamster. On avait déjà connu plus effrayant.
Wylan n'aurait su dire combien de temps il resta à l'observer. Il cherchait la mindre ressemblance avec son père. Avec lui. Mais hormis les fils d'or lui servant de cheveux, rien ne pouvait le rattacher à son terrible géniteur, son visage rond n'exprimait aucune méchanceté ou sournoiserie, juste le contentement d'une bonne nuit de sommeil. Wylan était soulagé, tellement soulagé qui en avait les larmes aux yeux. Son père ne reviendrait pas le hanter à travers Bazil. Et cet être encore minuscule ne lui ressemblait pas, il ne pourrait donc pas le remplacer. Il se rendait bien compte que son raisonnement était bancal, mais il était tellement apaisé à cette pensée...
Bazil finit par ouvrir ses grands yeux verts légèrement interrogateurs. Malgré lui, Wylan sentit une bouffée de tendresse le traverser tout entier, comment ne pas fondre devant cette bouille adorable ? Un mince sourire aux lèvres et le coeur léger, il prit son poing encore serré dans sa main, jouant avec les petits doigts recroquevillés du poupon. Cet enfant était définitivement un ange. Ses yeux écarquillés, luisant d'intelligence, suivant le moindre de ses gestes, amusaient Wylan, tellement qu'il ne voulait plus le quitter.
Bien qu'il était au prise de cet affection naissante, une part de lui ne pouvait s'empêcher d'être jalouse. Bazil avait des parents aimants, à l'écoute, qui le soutiendraient toute sa vie. Il vivrait dans cette maison de campagne chaleureuse, au milieu des rires et des chants discordants. Il aurait une belle enfance et il resterait innocent. Il ne connaitrait ni drame ni rejet. Il serait heureux.
Wylan n'avait pas eu cette chance. Pourquoi n'y avait-il pas eu le droit ? Qu'avait-il fait de mal pour ne pas mériter ça ? Pourquoi il n'avait pas eu cette chance ? Il était un peu triste, mais la colère avait disparu. Oui, Bazil avait de la chance. Mais il était content pour lui, et ferait tout ce qui était dans son pouvoir pour contribuer à son bonheur. Après tout, n'était-il pas son grand frère ? C'était son devoir.
L'esprit allègre, il quitta la chambre, se promettant de revenir bientôt. Dans le salon, il vit Alys, attablée devant sa tasse de thé, qui lui sourit doucement. Gêné, Wylan s'approcha d'elle.
— Merci de m'avoir laissé seul, j'en avais... besoin, je crois.
— Je sais. Et je comprends. Je ne pensais pas que tu viendrais. Tu est très courageux, Wylan. Et je t'admire beaucoup, sache-le.
— Non, je ne suis pas digne d'être admiré ! J'étais en colère, terriblement haineux. Je détestais Bazil car il a le droit au bonheur, parce qu'il vous a vous, des parents qui l'aiment ! explosa-t-il dans un sanglot.
— Et c'est normal. Ne t'en veux pas pour ça Wylan, murmura-t-elle en lui caressant les cheveux d'un geste maternel.
Combien de temps restèrent-ils ainsi ? Nul n'aurait pu le dire. Mais les pleurs de Wylan finirent par se tarir, et quelque peu embarrassé, il annonça qu'il était temps d'y aller. Alys, toujours arborant cette expression d'infini douceur, le raccompagna à la porte.
— Wylan... Tu n'as pas eu de chance et tu as souffert. Mais tu sais, je ne t'ai jamais vu les yeux aussi pétillants depuis que je te connais. Tu seras toujours le bienvenue chez nous, je compte sur toi pour nous rendre visite de temps à autre. Et il faudra que je te fasse écouter la dernière chanson de ma composition, je l'ai créée pour endormir Bazil !
— Merci pour tout, murmura Wylan avant de partir.
Ce n'est qu'arrivé devant le manoir des Van Eck, où Jesper l'attendait, qu'il se rendit compte qu'Alys avait raison. Il était heureux.
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Désolé pour le retard, j'ai un peu galéré à écrire ce chapitre -je déteste les bébés-. Mais j'espère qu'il vous a plu ! N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez, quelques avis sur ma plume seraient bienvenue ^^
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