Une personne à qui confier sa tristesse
Une épaule sur laquelle pleurer
Quand le cœur est lourd
comme Mercure

Le ciel est bas sombre pesant
un couvercle lourd qui
oppresse aux larmes
Les nuages se fondent dans le gris
ils pleurent captifs du ciel
perclus de morosité
Cela fait longtemps que le soleil
a refermé ses yeux
car le monde est devenu si froid
car il n'y a plus que l'horreur à regarder
La lune même a disparu
Le phare dans la nuit ne guide plus
Et l'on patauge à tâtons à tâtons
ressassant ressassant : pourquoi
rester si soleil et lune nous ont quittés ?

Il n'y a que le vent qui est resté
il siffle aux oreilles caresse cyniquement
les chairs fatiguées et blafardes
les chairs sur lesquelles les larmes ruissellent
Le vent ne rencontre que des enfants
qui pleurent dans leur corps déphasé
qui pleurent d'épuisement
qui pleurent sur les enfants endormis
avec des fleurs rouges au coin des lèvres

Je nais au cœur des bois
là où les animaux se sont cachés
pour ne pas affronter la bataille
j'ai salué les arbres effarés
j'ai salué les lièvres confus
j'ai salué les hiboux muets
j'ai salué dans les yeux des trèfles
la saignée des derniers rêves

Je m'aventure à l'orée des bois
S'offre à mes yeux une immense plaine
parcourue de ruines poussiéreuses
restent les échos des rires et des baisers
qui ne flottent plus que comme des adieux
Le ciel est bas sombre pesant
un couvercle lourd qui
me frappe la poitrine lacère ma gorge

La tristesse est partout

Elle est dans l'herbe arrachée et souillée de sang
Elle est dans la chair des enfants  aux yeux vitreux
Elle est dans les mâchoires serrées de douleur
Elle est dans les regards implorants qui fixent le ciel
Elle est dans les mains pâles serrant d'autres mains
Elle est dans les balles de fusils qui écrasent les fleurs
Elle est dans les jouets les livres les bijoux orphelins
Elle est dans les photos de fantômes perdus dans la masse
Elle est dans les cris qui déchirent le chant des oiseaux

Elle est dans le silence
dans le silence
dans le silence

dans le silence qui est partout
maintenant que la vie ne peut plus s'exprimer
qu'elle a été bafouée oubliée abandonnée
dans le sang dans le piétinement
dans l'enfer

Je traverse la plaine où
les corps s'amoncellent
j'observe le visage de chacun
des soldats dont je croise la route
je lis dans la jeunesse de leurs traits
leurs rêves leurs amours leurs désirs
que la guerre a broyés
mais que le cœur n'a pas oubliés
et dans la mort
les regrets la peur les souvenirs
sont tout ce qui reste
et la tristesse étouffe
étouffe
étouffe
étouffe
encore encore encore

Des visages ont traversé les années
ils ont rencontré tant d'autres cœurs
à aimer ou à haïr
ils ont vécu un millier de vies
pour connaître une mort que
je ne puis décrire
une mort que le temps la terre la vie
n'ont jamais voulue pour eux —
une guerre contre ses frères ses sœurs

Les pays les langues les idéaux
ne sont que futiles
une fois que la mort éteint un cœur
je ne vois qu'un visage
qui n'est en rien différent
de celui de l'assassin

Pourquoi se battre inutilement ?
Pourquoi briser
ceux qui devraient jouer innocemment ?
ceux qui devraient aimer et ressentir pleinement ?
ceux qui devraient embrasser leurs souvenirs ?
ceux qui devraient respirer rire et ne pas vivre dans la peur ?
ceux qui ne demandent qu'à vivre ?

Plus je progresse au milieu des corps désarticulés
au milieu des décombres d'un passé révolu
au milieu des espoirs égorgés
plus je récolte la tristesse
de ces êtres froids qui ne reviendront pas

et je pleure
je pleure
sans discontinuer
je pleure une mer
qui déferle
qui ne rencontre pourtant
qu'un silence qui l'essouffle
que des flammes qui la brûlent
mes larmes pleurent sur
la guerre qui a tout détruit

et la mort pleure avec moi
lorsqu'elle voit elle aussi
les échos des sourires
au coin des yeux des enfants
qui n'ont pas eu le temps de vivre