Chapitre 4 : Will
Will Duchêne sortit du lycée, emporté par la foule de lycéens dans le même cas que lui. Ils avaient fini leur première journée de cours, enfin. Après deux mois d'oisiveté total, le rythme était dur à reprendre. Certains parlaient déjà des prochaines vacances, d'autre se plaignaient des devoirs qu'ils avaient, alors que ce n'était que le premier jour.
Les vielles habitudes se reprenaient, les fumeurs sortaient leurs paquets dès le portail franchi, les autres leurs portables et leurs écouteurs. Des petits groupes se formaient autour de nuages de fumée, les parents pressés en voiture klaxonnaient, les secondes sortaient tout excités en parlant avec leurs nouveaux amis. Le cycle du lycée reprenait, en à peine quelques heures tout avait recommencé.
Will observait ce ballet bien rodé un peu en retrait, dans une rue adjacente. De là où il était, il voyait tous les détails de la sortie des cours. Il n'en prenait pas part, pas vraiment. C'était son truc à lui, observer de loin. Il n'était jamais au cœur de l'action, il préférait l'analyser de loin.
Il vit Dakota sortir, et son cœur manqua un battement. Elle n'avait pas changé cet été, elle était restée fidèle à elle-même, ses cheveux noirs virevoltants au rythme de ses pas. Elle sortit son paquet de cigarettes de sa poche, en tira une et attrapa son briquet. Elle la coinça entre ses lèvres, et l'alluma rapidement. Elle prit une longue taffe, et souffla un nuage de fumée, qui s'ajouta modestement à celui déjà existant.
Elle aperçu alors Will, et se dirigea vers lui à grands pas, comme à son habitude. Il lui lança un petit sourire.
- Hey, le salua-t-elle d'un ton blasé.
- Ça va, cette rentrée ? Pas trop dure, la S ?
Elle soupira longuement, renvoyant toute sa fumée à la figure de Will. Il toussa.
- Pardon. Et non, c'était juste chiant. Mon prof de maths me déteste déjà, je suis arrivée en retard et je lui ai répondu plusieurs fois pendant le cours, on peut pas dire que ça lui ait plu.
- Je vois. La routine pour toi.
- Exact. Et toi, la ES ? Pas trop chiant ?
- Pour moi non, toi en revanche tu serais sans doute morte d'ennui.
- Je meurs d'ennui pour un rien de toute façon.
Will l'observa un peu plus en détails. Elle avait plus de cernes que l'année dernière, elle avait déjà l'air épuisée. Elle avait un peu grandi aussi, elle faisait toujours une bonne tête de plus que lui, et au moins dix kilos de moins. Niveau physique, ils étaient le jour et la nuit tous les deux : elle était grande et maigre, il était petit et avait quelques kilos en trop, elle avait des yeux sombres en amandes qui lançaient des éclairs, les siens étaient bleus et ronds, ce qui lui donnait un air constamment étonné, et il avait toujours cette maudite acné qui lui collait au visage, alors qu'elle n'avait jamais eu le moindre bouton de toute sa vie. Quelle injustice.
- Will ? Tu es toujours là ?
Il sursauta et repris ses esprits.
- Oui pardon, tu disais ?
- Que t'avais l'air en forme.
- Si tu le dis. Toi par contre tu as l'air complètement crevée...
- Bof, j'ai l'habitude. J'en suis plus à une insomnie près...
- Hm. Sinon ta classe ça va ?
- Will, à ton avis ? Je suis la fille la moins sociable du lycée, je te rappelle que tu es mon seul ami, alors je peux pas vraiment répondre, j'en ai aucune idée ! Le mec à côté de moi à l'air cool, c'est tout ce que je peux te dire. Timothy Auzenne je crois.
- Oh c'est pas lui qui a un frère jumeau ? Je crois qu'il est dans ma classe, Théodore Auzenne.
- Ouais sûrement. On a un peu parlé en maths, et il a pas l'air trop con.
- Cool.
- Ouais. Bon, je vais y aller, faut que je rentre tôt chez moi pour que ma mère croit que je commence bien l'année.
- Tu pourrais essayer d'être sérieuse et réellement bien commencer l'année tu sais Dakota ?
- Hm, ça n'aurait plus le moindre intérêt...
- T'es incorrigible !
- Parce que je ne veux pas me corriger, termina-t-elle en éteignant son mégot sous sa semelle avant de le jeter dans le caniveau.
- Pollution, lui fit remarquer Will.
- Tu portes des fringues en synthétiques fabriquées par des pauvres petits chinois dans une usine hyper polluante.
Il leva les yeux au ciel, et elle lui sourit d'un air insolent.
- Tu es vraiment insupportable comme fille.
- À demain Will !
Et elle s'éclipsa, le laissant seul sur le trottoir. Les lycéens avaient fini par partir, et la rue était presque vide maintenant. Seuls quelques élèves attendaient, et un petit groupe de terminales était posé sur le porche d'un immeuble, amorphe.
Will se mît à marcher vers le centre-ville, lentement. Son arrêt était loin, mais son bus ne passait qu'à 17 heures 25, alors il avait tout son temps. Il détestait cette ville pour ça, les horaires étaient absurdes.
Une fois devant son arrêt, il s'adossa contre l'abribus, son sac eastpack gris à ses pieds. Deux filles de secondes piaillaient, et deux trois autres élèves de St George attendaient avec lui, notamment une fille de terminale L, une très belle métisse. Will la reconnue, c'était Olive Olsen. La fille qui avait trompé son copain avec le mec de sa meilleure amie. Il avait vu la vidéo que cette fille, Nina Peltier, avait posté sur Twitter. Ça lui avait donné envie de vomir, il trouvait ça abjecte de faire ça. Ok cette fille, Olive, avait clairement déconné, mais ce n'était pas une raison pour l'afficher sur internet. Maintenant, sa réputation était fichue, et elle devait être dévastée.
Il hésita à aller lui parler, mais sa timidité le retînt, comme toujours. Et puis, qu'aurait-il pu lui dire ? « Désolé pour toi que tout le lycée te traite de pute, personnellement je trouve ça abject même si tu n'aurais pas dû faire ça » ? Non, c'était ridicule.
Elle sembla remarquer qu'il l'observait, alors il lui lança un sourire qu'il espérait amical. Elle haussa les sourcils, avant de se détourner.
Son bus arriva enfin, et il fut chez lui un quart d'heure plus tard. Ces trajets quotidiens ne lui avaient absolument pas manqué, mais il faudrait bien qu'il s'y fasse, il n'avait pas vraiment le choix.
Il habitait en banlieue, dans un petit lotissement sans âme rempli de couple avec enfants, ce qui lui permettait de faire du babysitting sans trop de problème.
Il rentra chez lui, et dès qu'il eut poussé la porte, son chien, Freud, se jeta sur lui. C'était un beagle blanc et sable, et selon Will, le chien le plus adorable du monde. Au départ sa grande sœur Sarah l'avait appelé Fred, pour rendre hommage à Fred Weasley dans Harry Potter, mais quand elle était partie pour faire ses études, Will l'avait renommé Freud, ce qui lui allait beaucoup mieux à son sens.
Après l'avoir câliné, il se fit un petit goûter, et monta dans sa chambre. Il avait déjà des devoirs, alors que ce n'était que la rentrée... Il soupira, avant de s'y mettre consciencieusement.
Il ne releva la tête de ses cahiers que quand sa mère l'appela pour mettre la table. Il sursauta, il ne l'avait même pas entendu rentrer.
- Alors le boulot, ça a été, demanda-t-il en attrapant les assiettes dans le placard.
- Normal, c'était très calme.
Ses parents tenaient une librairie en centre-ville.
- Et toi, la rentrée ? reprit-elle avant de couper les légumes pour le repas.
- Ça va, la routine. J'ai l'impression de n'avoir jamais été en vacances !
- Ça promet pour la suite... Tu t'es fait de nouveaux amis ? Vu que cette Dakota n'est plus dans ta classe...
- Maman... Dis-le tout de suite, si tu veux savoir si on traine toujours ensemble.
- C'est juste que cette fille ne me plait pas, c'est tout. Elle n'apporte que des problèmes, c'est à cause d'elle si tu t'es fait collé l'année dernière !
- N'importe quoi, c'est parce que j'avais oublié mes affaires de sport deux semaines d'affilées, et que la prof a cru que je faisais exprès pour sécher. Dakota n'a rien n'a voir là-dedans.
- En plus elle fume, continua sa mère comme s'il n'avait rien dit.
- Et alors, du moment que moi je ne fume pas il n'y a pas de problème !
- Je ne l'aime pas, c'est comme ça ! C'est mon instinct de mère, je sens que cette fille ne t'apportera rien de bon. Et au fond de toi, je suis sûre que tu le sais aussi !
Will monta dans sa chambre sans répondre, excédé par sa mère. Ils avaient eu cette conversation des dizaines de fois, et à chaque fois elle invoquait son instinct maternel quand elle n'avait plus d'arguments.
- Will, ne claque pas les portes ! s'exclama sa mère.
- Je ne l'ai pas claquée, je l'ai fermée un peu brusquement !
- Tu vois, c'est exactement ce que je disais : cette fille t'entraine sur une mauvaise pente ! Tu ne me répondais jamais avant de la connaître !
- Et peut-être que c'est un phénomène naturel, l'adolescence par exemple ! Je te rappelle qu'à mon âge, Sarah était dans sa période punk, et Arthur ne devait pas avoir plus de six de moyenne, alors arrête avec moi, je suis le plus sage de nous trois !
- Will...
Il l'entendit soupirer distinctement, avant de monter à l'étage. Elle commença à tourner la poignée de sa chambre, avant de se rappeler les règles qu'ils avaient fixées et de frapper.
- Entre, bougonna son fils.
Elle entra sur la pointe de pied, alors que la chambre était nickel. Seul le sac de cours de Will trainait par terre, sinon tout était parfaitement rangé. Même le lit était fait.
- Écoute, j'ai peut-être un poil dramatisé les choses avec cette fille...
Will songea à lui faire remarquer que cette fille avait un prénom, mais il s'abstint pour ne pas envenimer les choses.
- À peine, rétorqua-t-il à la place en levant les yeux au ciel.
- Mais c'est juste que pour moi tu es encore mon petit garçon tu comprends, alors te voir avec cette fille, qui fume, ça me fait bizarre...
- Mais j'ai 16 ans, il faudrait peut-être que tu me laisses grandir à un moment. Je ne suis plus un enfant !
- Je sais, mais tu es le petit dernier, alors ça me fait bizarre te voir grandir comme ça.
- Ça me fait bizarre d'être traité comme un gamin alors que presque tous les garçons de ma classe ont eu leur code et font de la conduite accompagnée. Moi c'est limite si t'as pas peur de me laisser prendre le bus tout seul !
- J'exagère peut-être un chouia, c'est vrai...
- C'est bien de le reconnaître, mais maintenant ça serait mieux que t'arrêtes de le faire, tu penses pas ?
- Si... Oh mon dieu, ça sent le brûlé ! Les légumes !
Et elle descendit en trombe dans la cuisine pour éteindre le feu. Will rigola et la suivit.
- Tu vois moi quand je cuisine je ne risque jamais de créer un incendie, la railla-t-il en l'aidant à sauver les légumes rescapés.
- En même temps c'est plus compliqué de faire cramer des pâtes...
- Je cuisine d'autre choses !
- Ah oui pardon, tu sais aussi faire des galettes, en bon petit breton.
- T'exagères... C'est toujours moi qui fais les gâteaux, et je réussi n'importe quelle recette pas trop compliquée !
- Mais quand tu dois cuisiner, tu fais toujours des pâtes.
- C'est meilleur, j'y peux rien ! Qui hésiterai entre des légumes et des pâtes ?
- Un adulte !
Une voix les coupa dans leur discussion, le père de Will venait de rentrer.
- Désolée chérie, mais pour ce coup là je suis avec Will : les pâtes, c'est largement meilleur que les légumes !
- Merci papa !
- Pff, je vois... Tel père tel fils, soupira sa mère, avant de laisser tomber les légumes. Puisque c'est ça, je vous laisse cuisiner, de toute façon là c'est fichu. Et par ta faute Will, je ne te félicite pas !
- Quoi ? C'est toi qui a laissé les légumes à cuire sans surveillance, et même, c'est toi qui a mis Dakota sur le tapis !
- Bref, c'est pas important, moi j'abandonne, débrouillez-vous pour nous faire à manger !
Will et son père se lancèrent un regard complice.
- Oh non, je connais ce regard, s'exclama sa mère, inquiète.
- On pourrait faire des...
- Pizzas ! termina Will avec un sourire jusqu'aux oreilles.
- J'en étais sûre, vous êtes tellement prévisibles tous les deux.
- S'il te plait, la supplia son mari. Ça fait longtemps !
- Très bien... Il y en a des surgelées au congélateur.
- Yes ! s'exclamèrent Will et son père d'une même voix, heureux.
Le repas se déroula dans une ambiance chaleureuse, malgré les soupirs de la mère de Will, qui regrettait surement ses légumes brûlés.
Après avoir fini de débarrasser, Will remonta dans sa chambre. Il s'affala sur son lit, et prit son portable. Devait-il envoyer un message à Dakota ? Il avait envie de lui parler, mais ne savait vraiment pas comment commencer la discussion. L'année dernière il lui parlait des devoirs qu'ils avaient à faire, mais là... Il n'allait tout de même pas l'informer que sa mère la détestait si ?
Il reposa son portable, et soupira. Sa mère avait raison d'un certain côté : Dakota risquait effectivement de le faire souffrir. Il était évident qu'il n'était qu'un simple ami pour elle. Alors que Will lui, était amoureux d'elle depuis le premier jour...
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro