⚘34. Les dix-neuf bougies
━ 1 mars 2020 ━
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AUJOURD'HUI ÉTAIT UN JOUR SPÉCIAL POUR MALO. Aujourd'hui, mon meilleur ami soufflait ses dix-neuf bougies.
Et pour ce faire, j'avais pris soin de prévenir les autres membres de la bande et les avais conviés à l'appartement, profitant du fait que Malo dormait encore comme un loir. Ils étaient tous arrivés un par un, s'installant silencieusement dans le salon le temps que notre Belle au Bois Dormant s'éveille de son sommeil imperturbable.
Léo s'était tout de suite laissé choir sur le sol, caressant Van Gogh en ponctuant ses gestes de murmures terriblement niais. Esther, qui avait préparé un gâteau au chocolat, s'empressait de disposer les bougies sur ce dernier, tandis que Jasmine, briquet en main, se préparait à les allumer. Alizé regardait les passants par la fenêtre, les bras croisés contre son pull-over sable. Quant à Anh, il avait posé un bras autour de mes épaules et attendait patiemment de pouvoir crier : "bon anniversaire !" à Malo.
Anh et moi, on pouvait désormais dire qu'on sortait ensemble, du moins, que c'était devenu un peu plus sérieux. Jasmine avait sauté de joie lorsque je lui avais annoncée, trop heureuse pour son meilleur ami. Et Léo, qui s'était avéré être le seul à ne pas être au courant des derniers événements, nous avait menacé de nous faire manger son ignoble tarte au thon maison, si jamais nous lui cachions autre chose.
Nous avions bien ri, Anh et moi, bien que nous sachions pertinemment que Léopold ne reculait devant rien et serait prêt à nous faire déguster son met, si par malheur nous ne tenions pas notre promesse.
— Bordel... Mais c'est qu'il dort bien le bougre ! Il est quatorze heure ! commenta le blond aux épis vagabonds.
— En même temps, s'il s'est couché à cinq heure du matin, c'est même pas étonnant ! renchéris-je en coulant un regard en direction de la porte du brun.
— Cinq heure ?! Mais il est malade lui ! reprit Jasmine depuis la cuisine.
Esther avait achevé sa tâche et se recula pour laisser la place à la métisse. Avec une dextérité dont je ne lui connaissais pas, Jasmine alluma chacune des dix-neuf bougies à l'aide de son briquet des Rolling Stones. Les mèches ne tardèrent guère à s'éveiller et déjà, des coulées de cire colorée menaçaient de s'échouer sur le fondant.
— Faudrait peut-être y aller ? proposa Alizé en jugeant le carnage que les bougies risquaient de provoquer.
J'hochai la tête et tout en délaissant l'étreinte d'Anh, je m'avançai sur la pointe des pieds en direction de la chambre. Esther, ses tresses flamboyantes claquant dans son dos, se saisit du plat à gâteau et entra dans mon sillage, suivie des autres. Je toquai faiblement contre le bois de la porte, espérant obtenir une réponse. Néanmoins, je ne fus accueillie que par le silence — et les jurons de Léo qui tentait d'embarquer Van Gogh dans notre cortège.
Aussi tournai-je la poignée et nous pénétrâmes dans la pièce.
Le stores étaient fermés, même si quelques rayons du soleil jaillissaient ça et là entre les stries de métal. Malo était étendu face à nous, la tête enfoncée dans l'oreiller, replié sur lui-même comme un enfant apeuré. Son ordinateur ainsi que ses écouteurs reposaient aux pieds de sa table de chevet, confirmant ma théorie selon laquelle il avait encore regardé ses séries jusqu'à point d'heure. Le brun avait l'air paisible ainsi, ses traits étaient détendus et ses boucles chocolats retombaient doucement autour de son visage.
C'était le moment parfait pour nous exclamer :
— Bon anniversaire !
De ma vie, je ne pensais pas avoir vu Malo sursauter aussi brusquement. Pas même lors de son dix-huitième anniversaire, que son père et sa belle-mère avaient tenu secret jusqu'au jour-j. Néanmoins, on pouvait attribuer cette réaction exagérée au fait qu'il venait tout juste de se réveiller, et par conséquent, ignorait peut-être quel jour nous étions.
Malo, les phalanges agrippées à ses draps bleutés, nous examina tour à tour du regard, fronçant les sourcils en se demandant ce que nous faisions tous là. Puis ses iris jade serties de rubans violines se posèrent sur le gâteau d'Esther et un sourire se dessina sur son minois espiègle. Le brun se redressa, se frottant mollement les yeux et la rousse s'avança près de lui. Léo, fidèle à lui-même, fut le premier à prendre les choses en main et bientôt, nous nous retrouvâmes à scander "Joyeux anniversaire" en mode Patrick Sébastien.
Malo manqua de peu de s'étouffer tant il riait et nous le couvrîmes d'applaudissements lorsque toutes ses bougies furent éteintes.
— Waouh... Je m'attendais vraiment pas à ce genre de réveil...
— Et encore ! T'as pas vu le meilleur ! coupa Léo en levant l'index. Anh, mon cher, aurais-tu l'amabilité de ramener le cadeau de Monsieur ?
— Sans aucun problème.
Je me pinçai les lèvres, les doigts croisés dans mon dos, priant fort pour que le cadeau que nous avions trouvé plairait à Malo. Je stressais rien qu'en pensant à la déception qui se lirait sur son visage s'il venait à ne guère l'apprécier. Nous avions eu du mal à le trouver, mes amis et moi, nous avions cherché et cherché à travers le Web pour obtenir ce que nous souhaitions. C'était Alizé qui avait eu l'idée, et comme d'habitude, c'était un truc inattendu.
Mais pas forcément stupide.
— De base, on voulait t'acheter deux Kamina, puis on s'est dit qu'apprendre la théorie c'était bien mais que la pratique c'était mieux, expliqua Léo en s'avançant.
Je remarquai que Van Gogh l'avait suivi et se nettoyait les coussinets sur le pas de la porte. Quand je disais qu'aujourd'hui était un jour spécial, je ne mentais pas.
— Vous m'avez acheté un Docteur Maboul ? C'est ça ?
— Hum... Pas exactement, corrigea Jasmine en se pinçant les lèvres, trépignant elle aussi d'impatience.
Cette dernière remarque eut le mérite d'attiser davantage la curiosité de Malo. Mon meilleur ami tendit le cou en avant, l'air intéressé et sortit même de son lit pour l'occasion. Cependant, il eut à peine le temps de dépasser Esther qu'Anh débarqua dans la pièce.
— Malo, je te présente Émeric. Ton nouveau coloc' !
— Non...
— Si !
— C'est un faux ?
— Non, non. On a déterré le cadavre d'un grand-père du cimetière du coin, railla Léopold en levant ses orbes gris au ciel. Bien sûr que c'est un faux, mec ! Même si un petit raid entre les tombes ça peut être sympa des fois.
Esther le réprimanda du regard mais Malo était trop enjoué par sa nouvelle possession pour y prêter attention.
Le nouveau jouet de Malo était en réalité un squelette en plastique grandeur nature. Haut d'un mètre quatre-vingt, notre dénommé Émeric pendait au bout d'un portant, n'attendant plus qu'à être utilisé. Il était vraiment bien fait, les dents semblaient plus vraies que nature et les cartilages étaient d'une couleur différente pour qu'on puisse bien les différencier. Heureusement pour nous, Émeric n'avait pas d'yeux, juste des orbites creuses — ce qui enlevait bien l'aspect effrayant d'un squelette grandeur nature.
— Ça te plaît ? demandai-je, un sourire aux lèvres.
J'observais avec attention Malo, comme une mère couvant son fils du regard à Noël, lors du déballage des cadeaux. Malo rayonnait, il touchait à tout, analysant les moindres articulations, laissant échapper un "oh" en remarquant le cerveau en plastique caché dans la boîte crânienne. Il était aux anges, tout simplement.
— Si ça me plaît ? C'est le plus cadeau d'anniversaire que j'ai eu ! Merci les gars ! Vous êtes les meilleurs !
Malo s'empressa de nous serrer tour à tour dans ses bras, même les garçons qui se trouvèrent être — contre toutes attentes — les plus expressifs. Alizé eut droit à deux bises sur les joues lorsqu'Anh précisa qu'il s'agissait de son idée. Et Malo m'accorda une longue étreinte, le sourire au bord des lèvres.
L'espace d'un instant, j'en venais presque à oublier le concours, à occulter de mon esprit toutes les pensées négatives que pouvait générer la PACES. Nous étions bien tous les sept, un fidèle noyau qui ne craignait pas la différence d'âge — bien qu'infime — et encore moins celle des études. J'aurais pu rester ainsi pendant des lustres, dans cette chambre aux stores fermés et bien trop petites pour nous sept — huit si l'on comptait Van Gogh.
Hélas, les besoins fondamentaux de l'être humain nous rattrapèrent lorsque le ventre de mon meilleur ami gargouilla, et nous décalâmes en direction du salon. Laissant Émeric, le squelette en plastique derrière nous.
— Vu que c'est ton anniversaire, t'as le droit à la plus grosse part ! annonça Esther lorsqu'elle eut retiré toutes les bougies.
— Eh ! Mais c'est pas juste ça ! se révolta Léo depuis le sofa.
Ce à quoi Anh répondit :
— À ta place, je me tairais. Je te rappelle quand même qu'elle est armée.
C'était donc ce que Léo avait fait, il s'était tu, croisant d'un air boudeur les bras contre son pull en maille. Toutefois, Esther n'avait pu résister bien longtemps face à la moue contrit de son ami et après avoir servi Malo, elle s'était appliquée à découper une part pour lui. J'avais reçu la suivante, de même que Jasmine, Anh, Alizé et enfin Esther. Puis, nous nous étions tous installés autour de la table basse et avions dégusté le fondant au chocolat.
— Je n'ai qu'une chose à dire : une année ça passe vachement vite.
— T'as raison, Léo, approuva mon meilleur ami en avalant sa bouchée. Je me rappelle encore du jour de la rentrée, tu sais, quand on a fait un concours de stylos.
Léopold acquiesça en riant : un morceau de chocolat était resté collé à son incisive.
— Moi je me rappelle de la première fois où on a tous mangé ensemble, déclara Anh en posant une main sur ma cuisse.
Je le laissai faire, tournant la tête vers lui et les yeux pétillants, je rétorquai :
— Si tu dis un truc cliché, du genre que t'es tombé amoureux de moi au premier regard, je te tords le doigt.
Les yeux d'Anh s'écarquillèrent l'espace d'un instant. Les autres s'étaient tus, observant silencieusement notre échange de regard. Finalement, ce fut Alizé qui brisa le silence en déclarant :
— Je te conseille le petit doigt.
Léopold pouffa nerveusement, suivi de Malo et notre conversation reprit comme si de rien n'était. J'attrapai mon dernier morceau de gâteau et le portai à mes lèvres, savourant les talents culinaires d'Esther. Heureusement que je n'avais pas été en charge du gâteau de Malo : le pauvre ce serait sans doute retrouvé avec une brique à la place d'un fondant.
Anh avait toujours sa main posée sur ma cuisse lorsque nous achevâmes notre goûter — déjeuner pour Malo. Le brun avait lancé Shreck sur la télévision du salon, jugeant qu'il n'y avait rien de mieux pour terminer ce dimanche en beauté. J'avais mal à la mâchoire d'avoir ri suite à l'interprétation plus que douteuse de Jasmine de "All Star" de Smash Mouth. Et Anh en avait profité pour déposer un millier de baisers légers sur mes joues. Après cela, Alizé nous avait intimés de nous taire, mon chat sur les genoux et nous avions reporté notre attention sur ce vaillant ogre.
Soudain, alors que Shrek et l'Âne partait en expédition à la recherche de la princesse Fiona, mon téléphone vibra dans ma poche. Je fronçai les sourcils : je n'attendais de mots de personne. Néanmoins, piquée par la curiosité, je m'emparai du smartphone et l'allumai. Il y avait un message.
Hey toi, ça fait longtemps !
Ça te dirait qu'on aille prendre un café à la fac un de ces quatre ? Tu sais, entre parrain et filleule x)
— Y a un problème ? murmura Anh en remarquant le téléphone dans ma main.
Je verrouillai l'écran avant de caler ma tête contre son épaule.
— Non, t'inquiète.
Purée.
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