Acte III, scène 1
Le salon
Térésa est atteinte d'épilepsie. Les images n'ont aucune stabilité et c'est tout l'appartement qui vit cet effet « décoration de noël clignotante ».
Les trois jeunes hommes restent figés, debout et silencieux. Que faut-il dire et penser quand on a l'impression que la fin du monde s'abat sur nous ?
Dehors l'orage gronde, ou simplement le toit du monde s'effondre. Térésa finit par reprendre son souffle tandis que la même scène de la Moria de la communauté de l'anneau se répète, se superpose dans un bug magistral.
Hoseok se précipite sur la télécommande pour revenir à l'écran principal. Térésa rechigne, met un moment à obtempérer mais les chaînes nationales qui grésillent apparaissent enfin.
Les informations font défiler un bandeau bleu en bas de l'écran.
— Qu'est-ce que ça dit ? lance Jungkook en venant vers eux.
Dans le carton ouvert qu'il a sous le bras, une collection de coquetiers en métal font le bruit de minuscule clochette.
— Ils disent qu'on est au cœur de la tempête mais que ça devrait mieux aller dans les prochaines heures, lit Hoseok.
Le bandeau défile et défile encore tandis que des images du typhon apparaissent partout au quatre coins de la capitale. Le ruban bleu défile et se répète et les trois continuent de regarder, absorbés. À la fois par la catastrophe naturelle, qui leur rappelle qu'à tout instant le cauchemar peut se transformer en apocalypse. Mais aussi qu'il y a une tempête ici à l'intérieur des murs qui tend à exploser.
Bientôt ils écoutent sans écouter, happés par les images comme seul contact avec l'extérieur.
Thérèsa grésille de temps en temps mais la voix féminine continue son plaidoyer imperturbable : « ... à Busan, des milliers de stations essence prises d'assaut par les automobilistes... Grève reconduite dans les raffineries... le harcèlement scolaire se serait majoré de 41% selon les chiffres de l'institut de statistiques du pays. L'Europe se prépare à couper son électricité... Monde : L'invasion Russe en Ukraine avance d'un pas, images choc d'un pont détruit ... »
Hoseok se sent soudain vide et déprimé.
La tempête n'est rien, finalement, à côté de ce qu'il écoute. Le monde de dehors, après la pluie, le vent, les rafales, est bien plus effrayant.
« Les ultra-riches ne peuvent vivre sans domestiques... la caserne militaire de Daejeon se prépare à des exercices les plus difficiles du pays... procès pour le meurtre de la jeune lycéenne de Gwangju, 4 hommes attendus à la barre... invasion de moustiques tigres dans le sud de Jeju... Politique : le chef du parti politique conservateur a évoqué dans son discours... »
— C'est de la rediff, lance soudain Jin, on devrait reprendre le film.
Jungkook et Hoseok sortent de leur transe, la luminosité de l'écran leur brûle la rétine et ils sont incapables de dire depuis combien de temps ils regardent et avalent les informations sans les comprendre.
Ils se noient et mangent cette liste d'images et d'évènements menant à la souffrance, à la dépression, et à l'injustice, avec le sentiment que l'humanité s'est condamnée toute seule.
Jin s'est élancé pour attraper la télécommande.
Hoseok aussi.
Même si la situation ne s'y prête pas, il y a le fameux ralenti des doigts qui se frôlent, des regards qui se crispent et Hoseok, gêné, se racle la gorge.
Je vous ai dit, on aime les clichés ici.
Néanmoins, au moment de basculer l'écran sur le canal du film, Hoseok, main en avant sur la télécommande, fronce les sourcils.
« Kim Chung-hee, représentant du parti conservateur a prononcé un discours devant l'ouverture de la nouvelle prison de redressement du quartier nord de Seoul le... »
— C'est bizarre... on dirait toi à la télé...
Jungkook qui était en train de se réinstaller dans le canapé, relève la tête et Jin tente de lui arracher la télécommande des mains. Hoseok se dérobe et continue de fixer les images de quelques secondes.
Un homme tient un discours devant un pupitre de tribune, vociférant dans le micro. Derrière lui, se tenant droit dans le fond de l'image, un jeune homme ressemblant à Jin écoute les paroles proférées. Les deux hommes sont si ressemblants que c'en est troublant.
Un flash, un instant, une image subliminale.
Maintenant Hoseok sait à qui ressemble Jin quand il s'énerve.
— Tu es le fils de Kim Chung-hee.
La mine de Jin retombe, s'avouant vaincu, et Jungkook se lève :
— Quoi ?
— Ecoutez, avant que vous ne vous énerviez...
Il s'adresse à Jungkook mais c'est Hoseok qui démarre au quart de tour.
— Tu es le fils de cet enfoiré ?
Jin se tait, il ne dit rien. l'insulte glisse sur lui sans même qu'il ne cille. Peut-être parce qu'il le pense aussi. Peut-être. Ou qu'il a l'habitude qu'on lui dise, aussi.
Jungkook fixe son aîné, les sourcils relevés, presque choqué de l'entendre jurer.
— Tu sais ce que ton père dit sur les homosexuels dans ses discours ? s'enflamme Hoseok.
— Je sais...
Mais Hoseok n'entend pas :
— Il nous traite de malades mentaux, il valorise les thérapies de conversion et pousse les familles à dénoncer leurs enfant pour les faire « soigner », pour la « sécurité du pays » ! Ses discours homophobes sont sans cesse à la télévisions, à la radio !
— Je sais...
Jin a l'air éreinté, éloigné de l'image du type qui hurlait tout à l'heure, ses épaules sont affaissées.
— Tu... bafouille Hoseok complètement décontenancé, tu fais partie de son parti politique ?
— J'y travaille depuis la fin de mes études.
— Nom d'un string en léopard, lance Jungkook, t'es conscient que tu ne sortiras jamais du placard, toi ?
Hoseok se tourne, furibond, vers son colocataire :
— C'est tout ce que tu dis ? Ça ne te fait rien de savoir que c'est le fils de Kim Chung-hee qui a tous envie de nous tuer, nous interner et qui nous fait porter le chapeau parce que le taux de natalité baisse ? On « manipule » la jeunesse selon ses dires !
— Je m'en branle de la politique, tu ne devrais pas écouter ces conneries, élude le plus jeune.
— C'est son fils et nous sommes gays, putain !
— Et alors, il n'est pas son père.
Hoseok se rembrunit mais ne répond pas, devant lui Jin a perdu de sa superbe. Il ne le trouve même plus beau, ni attractif (attirant), une copie de son paternel avec trente ans de moins.
— Je sais qui est mon père et tu as tout à fait le droit de le détester.
— Tu fréquentes des bars et de boites gays ! s'écrie Hoseok. Et le lendemain tu vas au bureau faire une stratégie de com pour savoir comment nous brûler sur un bûcher ?
— Tu n'es pas obligé de comprendre...
— Je ne comprends pas !
— C'est quand même mon père.
— C'est lui qu'on devrait brûler sur un bûcher !
Hoseok se mord la langue mais le mal est fait, les mots sont sortis tout seul. Braqué, il ne s'excuse pas. Il en a assez de s'excuser pour des gens qui ne le méritent pas.
— J'aurais préféré que vous ne l'appreniez pas...
— On a tous des secrets à cacher, tu ne crois pas ? fait remarquer Jungkook avec une voix pleine de sous-entendus.
Ces deux-là s'échangent un regard que Hoseok n'aime pas.
Il n'aime pas que Jungkook ne soit pas de son côté, il n'aime pas cette connivence alors qu'il se sent dans le vrai, dans le juste. Puis il se rend compte que Jungkook ne prend aucun parti comme lui tout à l'heure.
Dur retour à l'envoyeur.
— Je ne te pensais pas si intéressé par la politique, marmonne Jin.
— Qu'est-ce que tu crois ? Je suis un mec qui frôle la trentaine, je n'ai pas de femme, pas d'enfant, aux yeux de mes collègues je suis un célibataire endurci, d'autres ont déjà surement compris. J'essaye de vivre dans un pays qui nous déteste, qui nous diabolise et nous traite comme des monstres. Et quand on a de l'espoir que ça change, il y a un connard d'enfoiré d'homophobe politique, comme ton père, qui gratte du pouvoir pour reprendre la tête de la présidence. C'est pire à chaque fois.
Jin écoute sans répondre, encore une fois cela glisse sur lui. Il ne défend pas son patriarche mais il ne le descend pas non plus.
— Ton père sait ?
— Je crois qu'il me tuerait...
Hoseok hoquète, non pas pour la violence mais pour la certitude avec laquelle Jin a marmonné cette phrase.
— Alors quoi ? Tu fais un choix de survie ou un choix de lâcheté ?
La colère est un étrange truc quand on y réfléchit quelques instants.
Quand on pense qu'elle dort, elle se réveille, quand on pense qu'elle est calmée elle se remet à flamber, quand on pense qu'elle finira par disparaître, elle nous remplie de l'intérieur.
La colère, c'est viscéral, ça vit dans le corps, dans le ventre, ça saisit et ça asticote. Ça n'en a rien à faire de la tête, de l'esprit, du pragmatisme, de la rationalité ou même de l'empathie.
La colère, ça défonce tout, en haut du panier de la chaîne des émotions. Jamais vaincue, jamais affaiblie.
Hoseok n'est pas colérique.
Mais là, il a l'impression que c'est une nouveauté.
Peut-être que c'est la tempête, les informations sur le monde, son pays, le climat qui l'ont mis dans un état extrême.
Mais il a envie de tout casser, de tout détruire, de faire exploser la planète.
Et son impuissance le détruit.
Puis soudain, dans un fracas monstrueux, la fermeture de la porte du balcon se rompt. La porte-fenêtre frappe le mur en s'ouvrant avec violence. Le tempête s'engouffre dans le salon.
La pluie les gifle et l'eau s'infiltre tel un raz-de-marée. Tout s'envole, se brise et s'effondre.
Ils se retrouvent eux aussi balayés, comme frappés par la main d'un dieu.
Leurs yeux se ferment, leurs oreilles sont bouchées, ils n'entendent plus que le cri du monde et de la nature, sa souffrance à son paroxysme.
Noir.
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Note de l'autrice : 😈
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