Chapitre 1.2 : Alamo
Dans l'épisode précédent... Alors qu'elle part en quête d'ingrédients pour la tarte de sa grand-mère, la jeune Kathleen fait une bien étrange rencontre au milieu de son chemin. Après un premier contact sous forme d'agression, le dialogue se noue avec un énergumène de son âge.
— Tu n'es pas avec les Nouveaux-Français ?
— Lee, je t'avais dit qu'elle n'était pas avec eux ! le tança une voix à proximité.
༄
Nous pivotâmes de concert, et dans le bref instant où nos regards se croisèrent, nous pûmes lire dans les yeux de l'autre le parfait reflet de notre propre expression. À chaque fois que ce curieux miroir devrait réapparaître, à chaque fois que nos dæmons décideraient d'agir à notre place, pour le meilleur et pour le pire, ce serait ce premier instant de complicité involontaire qui ressurgirait à mon esprit.
— Boucle-la, Hester !
C'étaient nos dæmons qui revenaient. Mon cœur sauta un battement tandis qu'une bouffée de joie m'inonda les poumons. Je me fis violence pour ne pas me relever et me précipiter vers mon Geronimo bien-aimé. D'abord, un mouvement trop brusque pouvait tout à fait raviver les velléités belliqueuses de mon interlocuteur. Ensuite, si je m'étais plus ou moins remise de mes émotions, il en suffirait sûrement de peu pour que mon corps décide de me lâcher. Lorsque ces deux pensées eurent percé le brouillard de mon esprit, je me résignai à demeurer assise, en position de faiblesse.
Les rayons du soleil nous rendaient en outre la tâche compliquée : face à nous, nous pouvions tout juste discerner deux petites formes flottantes, deux oiseaux dissimulés par l'ombre, si semblables que même Lee, la main en visière, n'osa s'avancer. Quelques instants supplémentaires nous auraient permis de percer l'imposture ; ce fut finalement un rayon de soleil qui révéla leur différence : l'un resta plus terne que l'autre, l'autre refléta la lumière dans son plumage irisé, c'était mon Geronimo. Mon colibri dut voir mon visage s'illuminer et une action naître au fond de mes yeux, puisqu'il accéléra son vol pour filer se poser sur mon épaule. Je regrettai soudain son poids plume, ses pattes pesaient à peine sur mon épaule, sa présence demeurait absente.
À cet instant, rien ne comptait plus que présenter mes excuses à mon dæmon chéri : je voulais qu'il sache que je l'aime, je voulais qu'il le ressente, je voulais qu'il me le dise. Les mots jaillirent hors de moi, avec toute la spontanéité indomptée des émois d'enfant.
— Geronimo, je suis désolée...
— Oh, Kat, ce n'est pas le moment de geindre, m'interrompit-il, avec son petit air supérieur qui lui allait si bien.
Pour me réconforter sans le dire, il reprit sa forme de belette pour se nicher dans mon cou. Rien qu'à sentir son pelage chaud frotter contre ma peau, j'en oubliai toutes mes souffrances. Lee aurait pu ressortir son arme et m'exploser le cerveau que cela n'aurait strictement rien changé. Geronimo allait bien, Geronimo m'avait pardonnée, et c'était tout ce qui comptait. Mes yeux éprouvés par les circonstances en auraient presque versé quelques larmes.
Mon dæmon en profita, dans le même temps, pour s'approcher tout près de mon oreille. C'était l'heure des cachoteries. Son museau humide me chatouilla et je dus faire un effort pour ne pas lui rendre la monnaie de sa pièce et lui gratter le ventre, là où la fourrure s'éclaircirait. Il aurait alors pris sa forme de raton laveur, la plus poilue, et j'aurais pu enfouir mon visage dans son pelage pour ne plus jamais en bouger, et nous aurions pu jouer pendant des heures, simplement lui et moi, moi et lui, nous, les deux reflets d'un même miroir...
— Elle est rigolote, en tout cas.
Je chassai ces images, réprimai un rire et tâchai de rester concentrée sur les indications de mon espion favori.
— Qui ?
— Son dæmon, Hester qu'elle s'appelle. Ça doit être quelqu'un de bien. Fais-lui confiance.
— Faire confiance pour quoi ? soufflai-je, le premier instant de stupeur passé.
J'avais beau avoir conscience de la règle tacite qui voulait que les dæmons parlent entre eux pendant que leurs humains conversaient, je fus estomaquée d'apprendre que Geronimo avait rencontré Lee – par l'intermédiaire d'Hester – avant moi, et plus encore qu'il eût l'outrecuidance de me donner des conseils. J'avais donc souffert le martyr, négocié en dépit de la proximité d'une mort imminente et douloureuse, tandis que lui avait osé sympathiser avec l'ennemi ? Je n'arrivai cependant pas à lui en vouloir ; c'était moi qui l'avais abandonné, j'aurais dû le garder auprès de moi.
Geronimo ne trouva pas pertinent de me donner plus d'indications, aussi sauta-t-il de mon épaule, à nouveau colibri. La conversation était terminée. Vexée, je pinçai les lèvres. Il avait toujours eu son petit caractère, je n'étais pas étonnée, mais une désagréable pointe d'amertume me coinça la gorge. Il avait préféré parler à un autre dæmon plutôt qu'avec moi. Je redressai donc le regard vers mon agresseur, qui avait lui aussi retrouvé son binôme traditionnel.
Tous deux semblaient aussi en plein conciliabule. Le petit oiseau gris, que je pouvais observer plus en détail et reconnus comme un geai moqueur, agitait sa tête, perché sur l'épaule de son humain. Son bec ne cessait de s'ouvrir et de se fermer, dans un pépiement incessant, tandis que ses ailes remuaient frénétiquement. Rien qu'à voir l'air désabusé de Lee, qui acquiesçait de temps à autre, je devinai qu'il encaissait un sacré sermon. Hester et Geronimo devraient garder longtemps leur don particulier pour nous faire la morale ou, au contraire, pour nous pousser à marcher dessus.
J'aurais pu rester là pendant des heures, étonnée de les observer laver leur linge sale devant moi si Lee n'avait fini par tourner la tête dans ma direction. À nouveau, mon expression se répercuta sur son visage : nos yeux s'ouvrirent tout grand sur la fenêtre du regard de l'autre. Je crois que Lee détourna la tête le premier – je le suivis dans la seconde. Si nous avions socialisé de manière plus ou moins cordiale par notre précédent échange, seuls, la présence de nos dæmons à nos côtés rendaient les choses plus complexes. Une gêne soudaine nous avait gagnés. Nous savions tous deux que nos boules de poils favorites avaient réussi à passer outre leur première impression ; dans notre état de flottement actuel, nous en étions incapables.
À nouveau, ce furent nos dæmons qui brisèrent la distance. De loin, j'entendis le geai moqueur rouspéter. Je ne parvins pas à saisir toutes ses paroles, mais attrapai au vent un « idiot » à la fin d'une phrase. Avec un peu d'attention et si je traduisis correctement le petit coup de tête agacé de Lee, je pus l'entendre répliquer « boucle-la, Hester ! ».
Au fond, cent solutions auraient pu me tirer de ce mauvais pas si seulement j'avais cru bon de les considérer. Je ne sais si c'était de la curiosité mal placée, l'instinct d'aventure, la peur d'être abattue une balle dans le dos ou l'étrange attitude de Geronimo qui avait figé mon corps au beau milieu du sentier et mes yeux sur ce curieux duo.
Et puis, Lee se tourna vers moi. Nos regards se rencontrèrent, dans la surprise de ceux qui se savent épiés, mais ni l'un ni l'autre ne rompit ce contact. Au contraire, les remontrances d'Hester et le silence de Geronimo semblaient nous pousser, bon gré mal gré, à briser la glace. Ce fut Lee qui fit le premier pas. D'un saut énergique, il combla les quelques mètres de distance qui nous séparait. Toujours au sol, je ne pus m'empêcher d'esquisser un geste de recul. J'avais beau avoir compris qu'il ne me voulait aucun mal, j'avais beau savoir l'affection soudaine de Geronimo pour le dæmon de cet énergumène, je ne pouvais oublier la souffrance qu'il m'avait infligée et surtout, le revolver toujours dans sa main, danger suprême. Mon regard se crispa sur cette menace. Comment pourrais-je entrer en pourparlers avec qui que ce soit qui pouvait m'arracher la vie alors que je me démenais pour la préserver ?
Face à mon recul, la perplexité traversa l'esprit de Lee – ce fut, du moins, ce que je déduis après coup de l'hésitation qu'il mit dans ses pas. Son dæmon vola à la rescousse. Aussitôt, il abaissa son arme. Je lâchai un immense soupir de soulagement. Je ne devrais pas mourir aujourd'hui.
— Tu vois, je t'avais dit qu'elle était sympa.
— Boucle-la, Geronimo, murmurai-je, plus ou moins consciente de reproduire les mouvements de l'ennemi.
— Désolé de t'avoir fait peur, lâcha Lee, tout penaud. C'est un faux, de toute façon, je n'aurais jamais tiré sur qui que ce soit, regarde.
Je n'eus pas le temps de répondre que je n'avais ni le besoin ni l'envie de regarder que sous mon regard éberlué, il appuya plusieurs fois sur la gâchette. Alors que j'aurais pu m'attendre à une série de déflagration meurtrière, le revolver ne produisit qu'une multitude de bruits mécaniques un peu pathétiques. Sur cette belle démonstration, Lee rangea l'arme dans son holster, d'un geste expert.
— Tu as vu ? Tu peux avoir confiance en moi.
Hester ricana.
Geronimo gloussa.
Lee me tendit son autre main.
Je la regardai avec circonspection.
Il l'agita.
Je finis par la saisir.
J'aurais aimé ne jamais la lâcher.
Elle était étonnamment rugueuse, mais pas beaucoup plus grande que la mienne. Décidée à ne pas passer pour une petite chose fragile – j'avais déjà assez donné dans ce domaine –, je m'appliquai à mettre autant de force que lui pour me hisser debout, tant et si bien que j'esquissai même un petit saut. Ma fierté féroce d'enfant me poussa aussi à vérifier mon allure : ma jupe s'étant relevée dans mon dos, je m'empressai de l'épousseter. En revanche, malgré ma queue-de-cheval tout ébouriffée, je renonçai à réajuster le ruban. Pour la première fois, j'arborais pleinement cette aura d'aventurière éprouvée, mais déterminée, et j'étais résolue à la garder le plus longtemps possible.
— J'ai cru que tu étais avec les Nouveaux-Français, expliqua Lee.
Son ton, tel qu'il revient à ma mémoire, incitait à la conversation. C'était le ton un peu guilleret des enfants qui racontent leurs rêves, à mi-chemin entre la provocation suggérée et la déclaration assumée. À onze ans, on aime bien provoquer, et Lee était doué pour ça.
— Tu as le même foulard qu'eux, nota-t-il.
Mon mutisme suspicieux ne le découragea pas. Peu de choses décourageaient Lee Scoresby, le combattant de la liberté texan, je l'apprendrais bientôt. À mes côtés, je sentais Geronimo battre des ailes encore plus vite, agacé. Plus les secondes passaient, plus il m'en voulait de ne pas lui faire confiance. Et je m'en voulais aussi, de ne pas réussir à le croire, de lui causer de la peine.
— Je t'ai pas fait mal ?
La question appelait une réponse. La mienne fut courte et incisive.
— Non.
En revanche, un détail continuait de me triturer les méninges. Je passai outre mes réticences pour formuler l'interrogation qui me brûlait les lèvres :
— Il y a des Nouveaux-Français dans le coin ?
Je me souvenais certes que mon grand-père avait connu les derniers vétérans de la guerre d'indépendance du Texas lorsqu'il avait immigré, mais la persistance de Nouveaux-Français dans la région ne manqua pas de m'effrayer. Risquais-je d'être égorgée par de terribles soldats en sortant de l'épicerie ? Allait-on sonner le tocsin dans mon village ? Mon monde s'effondrait-il alors même que je croyais encore le découvrir ?
Était-ce la guerre ?
Pas encore, Kathleen, pas encore, voudrais-je crier à la petite fille et son dæmon colibri. Pas encore, tu as encore le temps de vivre, tu as le temps de grandir, tu as le temps d'apprendre et de te préparer. Tu as le temps d'aimer, petite Kathleen, aime avant qu'il ne soit trop tard, apprends tout ce que tu peux apprendre avant que le savoir ne s'écroule dans l'abîme.
Mais la petite fille et son dæmon colibri ne pourraient rien entendre, pas plus que le petit garçon et son dæmon geai moqueur.
Lee hocha la tête avec vigueur, tout fier.
— Oui. Je suis le dernier qu'ils ont pas encore réussi à prendre. Il faut que j'aille sauver mes compagnons. C'est ma mission.
Tant d'enthousiasme, de conviction, de ferveur irradiait de ses paroles qu'elles me soufflèrent. Je dévisageai mon interlocuteur avec de grands yeux et un cœur prêt à exploser. Il débordait d'envie. Ce n'était pas de la jalousie, mais une envie au sens véritable du terme, comme le mot trahit lui-même son sens : l'en vie, ce qui se cache lorsque l'on creuse tout au fond de l'existence. L'ardeur brute. L'ambition exaltée. Le courage. La curiosité. La soif de connaissances, d'aventures, de découvertes.
Le héros, ce n'était tout à coup plus moi.
C'était Lee.
Arriverais-je à me hisser à sa hauteur ?
— Et c'est eux qui t'ont fait ça ? soufflai-je.
Je pointai en même temps sa blessure. Hésitant, il suivit mon geste du regard, sa main tapota sa pommette. Il grimaça, mais parut ne pas comprendre.
— Ah, non. Les hasards du métier. Mais c'est pas important. L'important, c'est qu'il faut que je reparte sauver le Texas.
J'aurais peut-être dû insister, mais la dernière partie de sa phrase retint davantage mon attention.
— Sauver le Texas ?
— Bah oui, à Alamo !
Comme tous les enfants de mon âge épris d'aventures et d'eau fraîche, je connaissais la fameuse épopée de notre poète national, Clyde D. Harrelson, « Notre Terre de l'Étoile solitaire » : mon grand-père, figure de l'immigrant dévoué à sa terre d'accueil, m'en lisait quelques vers pour m'endormir, tous les soirs. Avec opiniâtreté, j'avais entrepris de l'apprendre par cœur.
Comme tous les Texans quel que soit leur âge, je connaissais le tragique récit du siège de Fort Alamo, durant notre révolution : je savais le courage des vaillants défenseurs Nouveaux-Danois révoltés contre l'oppression des Nouveaux-Français, je savais la cruauté de l'armée ennemie qui les avait massacrés jusqu'au dernier, et plus encore je savais l'élan fondateur impulsé à la nation par cette défaite, jusqu'à la victoire finale à San Jacinto quelques semaines plus tard. C'était plus qu'une histoire : c'était une légende, la nôtre. Avec fierté, je la portais chevillée au cœur.
Et je savais que San Antonio se trouvait à plusieurs dizaines de kilomètres d'ici, que Lee ne pouvait se dire sain d'esprit et vouloir se rendre à Alamo comme d'autres décident de tout plaquer pour partir à l'aventure de territoires sauvages, que les Nouveaux-Français n'auraient absolument aucun intérêt à revenir nous chercher des noises.
Mais j'eus presque envie d'y croire.
J'aurais bien aimé, moi aussi, revivre la formidable aventure décrite par Harrelson ; j'aurais bien aimé, à mon tour, en être la narratrice héroïque. Surtout, j'aurais bien aimé montrer que je valais autant que les guerriers d'antan et que je saurais être à la hauteur du poids de cet héritage. Or pesait déjà sur mes épaules le poids de la responsabilité : la confection de la tarte aux pommes de ma grand-mère, le chef-d'œuvre du goûter, le rêve de tout apprenti pâtissier, dépendait de mon expédition. Je n'avais pas le droit à l'erreur, mais n'aspirai plus vraiment à la réussite.
Même s'il m'avait attaquée comme le plus vil des bandits, Lee dégageait une telle énergie que j'aurais presque été tentée d'enterrer la hache de guerre – le revolver, en l'occurrence. La peine qu'il avait infligée à Geronimo et l'odeur de mon futur goûter achevèrent de me détourner de ce chemin. Alors je tentais d'élaborer une parole polie, une subtile méthode pour prendre la fuite avec panache.
— On va venir avec vous.
Ce fut le coup de grâce.
Ce n'était pas moi qui avais parlé.
C'était Geronimo.
Il aurait pu m'enfoncer un pieu dans le ventre que l'effet aurait été le même. Je fixai mon colibri, estomaquée. Les dæmons ne s'adressaient que rarement directement aux autres humains, et a fortiori à ceux qu'ils venaient de rencontrer.
Ici, Geronimo ne faisait pas que parler à quelqu'un d'autre.
Il parlait pour moi à quelqu'un d'autre.
— « On » ? murmurai-je.
— Oui, « on », me sermonna Geronimo – et s'il n'avait pas été moi, j'aurais pu l'étriper pour me faire la leçon en public. « On » s'ennuie à mourir, « on » a voulu partir à l'aventure, alors « on » va aller avec eux.
J'aurais pu lui rétorquer que si l'un de nous n'était pas d'accord, nous ne pouvions pas nous séparer, que j'aurais continué mon chemin, qu'il aurait souffert de l'éloignement, que je n'aurais pas été moins en peine mais que j'aurais été la plus têtue et qu'il aurait dû se ranger à mon avis.
Ça aurait été faux. Geronimo ne faisait que dire tout haut ce que je pensais tout bas. Moi aussi, je trépignais d'impatience d'aller défendre mon pays, d'aller me battre contre l'ennemi et de rapporter gloire et victoire. Alors je chassai la rancœur pour ne laisser place qu'à la reconnaissance : j'esquissai un sourire à l'égard de Geronimo, et son petit bec de colibri s'agita dans les airs, tout fier. Il avait eu raison, une fois de plus.
— Ça tombe bien, avec moi, c'est toujours des aventures, claironna Lee, apparemment ravi d'avoir trouvé une partenaire de crime.
Ce n'était pas pour autant que toute mon animosité s'était envolée. Le regard que je lui adressai en retour en dit sûrement plus long que mon accord consenti du bout des lèvres – du bout des plumes de mon dæmon, en l'occurrence. Face à mon attitude guère plus amicale, il se douta sûrement que je ne lui avais pas encore accordé toute ma confiance. Sur les recommandations de Geronimo, j'y travaillais pourtant. Nous ne nous étions pas encore présentés en bonne et due forme : et si je raconte cet événement avec la nostalgie amusée de quelqu'un qui a passé les trente années suivantes à chercher les frissons de ces premières aventures, pour la petite Kathleen de l'époque, le garçon au dæmon geai moqueur demeurait un illustre inconnu.
— Lee Scoresby, je sais sourire et je sais me battre. Je n'arrête jamais et c'est normal. Je cherche de l'or et j'en trouverai !
— Kathleen Honermann, je sais parler et je sais me battre. Je n'abandonne jamais et c'est normal...
— Et l'or que tu cherches, tu viens de le trouver : c'est nous ! renchérit Geronimo, avec une pirouette.
Déjà le jeu de miroirs qui orienterait nos pas se tissait dans nos premiers échanges. Si j'avais calqué, cette fois-ci en toute connaissance de cause, ma réplique sur la sienne, je ne maîtrisai en revanche pas le reflet des réactions qui suivit. Lee éclata de rire, d'un rire franc et sincère, comme si nous étions déjà les meilleurs amis du monde. Geronimo le suivit dans son enthousiasme. J'aurais, moi aussi, pu les rejoindre dans ces tendres balbutiements de l'amitié, si mon attention n'avait pas été retenue par le petit oiseau gris, toujours perché sur l'épaule de Lee. Hester, elle, leva ses beaux yeux dorés au ciel.
— La fine équipe, lâcha-t-elle, railleuse.
Je m'étonnai de ce commentaire, et je me souviens encore m'être demandée : quelle facette de la personnalité de Lee reflétait-elle ? Si je ne pouvais spéculer à partir de sa forme définitive, qu'elle n'adopterait par définition pas avant plusieurs années, son attitude pouvait malgré tout m'aider à essayer de comprendre. Mon regard croisa la sien et l'intelligence qui brillait au fond de ses prunelles me coupa le souffle. Rien que par ce bref contact, je reçus en plein cœur toute sa témérité, la vivacité de son esprit et le sarcasme de son humour.
Si ces énergies pétillaient en Hester, elles devaient assurément briller en Lee.
Au fond de moi, je sentais que Geronimo partageait cette même connivence avec mon interlocuteur.
L'instant fut bref, flou et intense. Du haut de mes onze ans, avec mon ignorance et mon innocence, je ne pus prendre la pleine mesure de ce qui venait de se passer. La force de certains moments doivent nous échapper, pour le meilleur ou pour le pire, et pour rien au monde je n'aurais voulu sauter dans le futur pour mieux saisir la déferlante d'émotions qui me monta à la gorge et explosa en un feu d'artifice d'énergie.
Hester ne rompit pas tout de suite le contact. Pensive, elle pencha sa petite tête d'oiseau sur le côté comme pour mieux me dévisager, puis pivota si lentement vers son humain que je ne sus si elle s'adressait à lui ou à moi :
— On va casser du Nouveau-Français ?
Ce fut l'instant où les étoiles s'alignèrent. Ce fut l'instant que je décidai de garder graver tout au fond de ma mémoire, et c'est cet instant qui ressurgit dans ma voix. Cet instant est véridique et efface tous les autres.
Cet instant, c'est l'instant où Lee cherche mon approbation. Ses yeux s'accrochent aux miens. Un sourire malicieux flotte sur ses lèvres, le sourire de ceux qui s'apprêtent à aller semer désordre et grabuge sur leur passage. Le soleil triomphe des trouées des lumières et pleut sur nos épaules. Ses rayons éclipsent nos ombres. L'espérance remplace la méfiance.
Je hoche la tête. Je suis prête.
— Allons-y !
Et nous y allâmes.
༄
Hello, j'espère que vous allez bien ☼ Avant tout, j'espère que ce petit début vous plaît ! Je prends énormément de plaisir à l'écrire, je n'ai jamais autant ri en écrivant, Lee et ma KatKat me plient de rire toute seule, c'est tellement jouissif.
En fait, comme le fait remarquer notre cher Lin-Manuel Miranda dans une interview, chaque rencontre de deux personnes est en fait une rencontre de quatre personnes, et j'avoue que je prends un malin plaisir à jouer sur ça et les significations que peuvent avoir les dæmons.
Or ça m'amuse tellement que je ne sais plus m'arrêter, et que je me retrouve avec un premier chapitre de plus de 10 000 mots, qui n'est toujours pas terminé. D'où la coupure un peu étrange et le rappel au début de partie. Normalement, ce premier dialogue était censé constituer la « première séquence » du chapitre, mais il est tellement long que je l'ai charcuté. Pour les prochaines fois, n'hésitez pas à me dire si vous préférez les beaux chapitres très longs, ou des chapitres plus courts, plus souvent, quitte à avoir les transitions étranges et les rappels au début de partie : je peux m'adapter, il n'y a pas de problème !
Sur ce, merci d'être encore là et à la prochaine pour la suite des aventures du quatuor infernal 🤠
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