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Chapitre 6 : La Chanson du corbeau


Ce n'est que lorsque la silhouette blanche et triangulaire de la Cathédrale Arctique de Tromsø s'éclipsa derrière une montagne qu'Alphonse réalisa les ennuis qu'il risquait si son plan ne fonctionnait pas. Et toute la stupidité de sa décision impulsive lui revenait en pleine face. Sa mère se rendrait-elle compte de son escapade ? Après tout, il avait payé avec sa carte bancaire, laissant une trace indélébile sur laquelle elle pourrait facilement tomber. Où coucherait-il cette nuit ? Il trouverait bien un hôtel à Harstad, mais il n'avait pas l'habitude de dormir dans des lieux inconnus. Et s'il y avait un problème avec le bateau retour, comment ferait-il pour prendre son avion ?

Une avalanche de questions, toutes plus angoissantes les unes que les autres, se déversait dans son crâne. Mais il était trop tard pour faire marche arrière. Le navire ne s'arrêterait pas avant Finnsnes et il serait déjà loin. Aucun remboursement n'était possible comme le stipulait le billet qu'il tenait entre les mains. Ne valait-il pas mieux alors qu'il aille au bout de son expérience ?

L'express côtier sur lequel il était monté se nommait le MS Eventyr. Un géant à la coque noire, ceinturé de rouge, et au buste blanc. S'étalant sur plusieurs ponts, la majeure partie des cabines luxueuses avait été aménagée pour stocker de la marchandise. Il en restait cependant une bonne centaine pour les voyageurs qui descendaient plus loin vers le sud. Ceux qui avaient moins de trajet à faire occupaient les salons, admiraient le fjord sur les terrasses et profitaient de la chaleur estivale qu'offrait un soleil magnifique en ce mois de juillet.

Les passagers qui se rendaient à Harstad pour le festival culturel du Nord-Norge dont lui avait parlé le marin étaient aisément identifiables par leur jeunesse, les coloris originaux de leurs habits et les instruments qui accompagnaient beaucoup d'entre eux. Certains s'exprimaient dans des langues étrangères, des migrants pour la plupart, venant majoritairement du sud de l'Europe, un peu d'Afrique et de très rares Asiatiques. Le Roi avait permis l'asile à de nombreux jeunes adultes en facilitant les démarches administratives pour les moins de trente ans. Cette mesure très critiquée avait pour objectif officiel de pallier le manque d'effectifs de certains métiers à cause de la guerre. C'était principalement des tâches ingrates, mais il y avait aussi des postes de hauts cadres qui opéraient sous étroite surveillance, malgré leurs vœux d'allégeance. Ces nouveaux arrivants qui divisaient l'opinion publique entre humanité et survie pouvaient cependant être expulsés au moindre faux pas.

Alors qu'Alphonse arpentait les longs couloirs qui reliaient les cabines les unes aux autres à la recherche d'un endroit tranquille où il pourrait brancher son portable, il entendit le son d'une guitare s'infiltrer par un hublot ouvert. Il se dressa sur la pointe des pieds et découvrit sur la terrasse principale, à l'avant du bateau, un groupe de musique composé de deux femmes et d'un homme aux cheveux épars autour duquel s'était amassée une foule conséquente. Les femmes chantaient en duo de vieux poèmes norvégiens que la majeure partie du public ne devait pas comprendre. Mais leurs voix étaient magnifiques et cela suffisait.

Lorsqu'ils terminèrent leur chanson, la foule applaudit et Alphonse s'aperçut que d'autres personnes se tenaient aux balcons au-dessous et au-dessus de lui. Le concert improvisé attirait toutes les oreilles.

Un homme à l'accent du sud s'écria :

Kråkevisa ! La chanson du Corbeau ! La chanson du Corbeau !

Sa demande fut reprise par d'autres et le guitariste, resté assis jusque-là, fit signe qu'il cédait.

En étirant son cou au maximum, Alphonse constata que c'était le blond à la coiffure militaire qui était intervenu. Alphonse aimait bien ce vieux chant folklorique que certains marins interprétaient sur le port de Longyearbyen lorsqu'il y jouait, enfant. Les femmes reculèrent d'un pas et l'une d'elles sortit un violon de son étui. Elle joua quelques notes, et l'homme qui s'était mis debout, chanta :


« Un homme alla dans la forêt immense,

hei fara, la forêt immense.

Là, il entendit un corbeau chanter des collines.

Hei fara. Falturil tural tura.


Et l'homme songea,

hei fara, il songea :

« Je crois que ce corbeau veut ma mort. »

Hei fara. Falturil tural tura.


Alors, l'homme fit marche arrière avec son cheval,

hei fara, marche arrière avec son cheval,

et retourna dans sa demeure.

Hei fara. Falturil tural tura.


Et l'homme prit l'arc attaché à son genou,

hei fara, l'arc attaché à son genou,

et tira sur le corbeau qui tomba.

Hei fara. Falturil tural tura. »


Même le fjord se taisait pour mieux apprécier les paroles anciennes qu'il avait jadis vues naître. D'un bleu foncé, sa surface était calme et son étroitesse rassurante. Un phare miniature à la toiture orange, sur une petite île qu'ils longeaient, souriait aux voyageurs, tandis que les montagnes défilaient, portant à leurs cimes quelques vestiges de la neige hivernale qui reviendrait dans quelques mois.


« Puis il l'attacha à dix chevaux,

hei fara, dix chevaux,

mais le corbeau était trop lourd pour eux.

Hei fara. Falturil tural tura.


Puis il l'attacha à douze chevaux,

hei fara, douze chevaux,

et il tira le corbeau jusqu'au sol de la grange.

Hei fara. Falturil tural tura.


Puis il écorcha le corbeau et en fit de la colle,

hei fali og falaleia,

elle pesait entre dix-huit et vingt litres.

Des collines son tonnerre, falaleia.


Il sala la viande et la mit dans des tonneaux,

hei fali og falaleia.

Et avec la langue, il prépara un plat de Yule,

Des collines son tonnerre, falaleia. »


La musicienne qui ne jouait pas avait fermé les yeux et se balançait doucement au rythme de la chanson. Le temps formait une bulle autour d'eux et le chanteur la maintenait délicatement du bout de sa voix. Nul souci, nulle inquiétude ne parvenaient jusqu'à Alphonse. Tout le public était là, vraiment là, fasciné par une beauté que l'intellect ne pouvait expliciter.


« Avec les intestins, il tressa douze paires de cordes,

hei fali og falaleia,

et les griffes servirent à møkja-greip.

Des collines son tonnerre, falaleia.


Et le bec fût utilisé comme bateau-église

hei fali og falaleia,

pour que les gens puissent naviguer ici et là.

Des collines son tonnerre, falaleia.


Avec les yeux, il construisit des fenêtres en verre,

hei fali og falaleia.

Et il plaça le cou sur l'église pour la décorer.

Des collines son tonnerre, falaleia.


Et celui qui ne peut utiliser un corbeau comme ceci,

hei fara, utiliser comme ceci,

ne doit pas penser à prendre un corbeau comme celui-là.

Hei fara. Falturil tural tura. »


La bulle resta en suspension quelques secondes tandis que les dernières notes flottaient dans le fjord. Puis, un tonnerre d'applaudissements la fit éclater, certains sifflaient, d'autres criaient des hourras satisfaits. Le chanteur s'inclina et Alphonse se surprit à sourire derrière son hublot.

Les félicitations continuèrent tandis que les musiciens rangeaient leurs instruments, et la foule reprit ses activités. C'est alors que le svartphone d'Alphonse vibra dans sa poche. Un frisson lui parcourut l'échine : sa mère l'appelait.

Paniqué, il scruta le petit écran s'illuminer avec frayeur. Il y avait encore du bruit derrière le hublot. Alphonse s'enfonça dans le couloir, près des cabines où il n'y avait personne, puis il décrocha :

— Alphonse ? Alphonse ? Tout va bien ?

— Oui, oui, il y avait un bug avec mon portable, mentit-il, je viens juste de voir ton appel.

— Mon Dieu, j'étais morte de peur, je t'ai appelé trois fois... j'ai failli appeler l'hôtel pour savoir s'ils t'avaient vu.

Alphonse déglutit.

— Je... je vais très bien, pas de quoi s'inquiéter.

— Tes consultations se sont bien passées ?

— Oui.

— Tu ne t'ennuies pas trop, tout seul ?

— Non, ça va.

— Tant mieux, alors.

— ...

— Et par rapport à ma proposition de la semaine dernière, vous en avez un peu parlé avec le psychiatre ?

— Un peu.

— Et ?

La petite boutique poussiéreuse l'attendait à Longyearbyen. Il se voyait caché sous les fils, noyé par l'ennui et le regard désolé de sa mère. Elle lui apprendrait le métier comme elle le faisait avec Natalia, même à une main, et il coudrait pour le restant de sa vie, maniant l'aiguille dans le tissu jusqu'à ce que ses doigts soient couverts de rides et qu'il n'y ait plus une fibre de joie dans ses veines.

Il ne pouvait accepter de vivre ainsi. Il n'était pas comme Natalia.

Après avoir pris une profonde inspiration, il déclara :

— Ça ne m'intéresse pas, ton idée, c'est de la merde, et si tu veux m'enterrer quelque part, il y a plus rapide.

Un silence suivit sa réponse.

Il s'en voulait d'avoir parlé ainsi, mais la colère qui bouillonnait au fond de lui avait été plus forte. Allait-elle s'énerver ? Exploser ? Éclater en larme ?

À sa grande surprise, elle demeura parfaitement calme. D'un ton posé, elle l'interrogea :

— Parce que tu as d'autres idées, Alphonse ? D'autres projets ? Tu sais combien il est difficile de trouver un emploi en ce moment, encore plus pour quelqu'un de défig...

— De quoi, maman ?

Elle allait dire « défiguré ». Il ne l'était pas. Dévisagé, peut-être. Mais pas défiguré.

Sa mère s'éclaircit la gorge, semblant réfléchir à la meilleure façon de formuler les choses.

— Écoute, Alphonse, la vie nous a joué des tours, il y a eu la mort de ton père, et puis toi...

— Je ne suis pas mort, maman !

— Je sais, Alphonse, je sais. Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, je parle de ce que tu aurais pu devenir... je crois qu'il faut parfois faire dans la vie avec ce que l'on a et pour le moment, nous avons cette boutique...

— Je ne veux plus en parler, coupa Alphonse.

— ... tu dois être fatigué, je comprends... ta sœur viendra te chercher à l'aéroport, demain. Passe une bonne nuit.

— C'est ça.

Et il raccrocha.

Le téléphone encore en main, il marcha le long du couloir, perdu dans ses pensées. Une porte entrouverte attira son attention. C'était un petit salon inoccupé, délaissé au profit du salon panoramique à l'avant du bateau et des terrasses ensoleillées. De vieux tableaux représentant des batailles navales étaient accrochés au mur. Avec étonnement, il trouva un coin avec un fauteuil et une prise à proximité.

Abattu, il se laissa tomber dans le cuir et se connecta au wifi du bateau. Son casque sur les oreilles, il demeura lové dans le fauteuil, faisant défiler les vidéos qui s'enchainaient, montrant des éclairs de vie qu'il ne connaitrait jamais.


***


Le MS Eventyr ralentit aux abords d'Harstad. De loin, on pouvait voir toute la ville : ses immeubles colorés aux toits pointus qui s'étageaient sur les hauteurs de l'île d'Hinnøya ; le port qui s'allongeait à ses pieds, peuplé de petits navires ; et les montagnes qui s'étendaient autour, surveillant sous leurs chapeaux blancs les nouveaux venus. On entendait aussi de la musique, comme des coups de tambours qui ricochaient à la surface du fjord.

Il était déjà dix-neuf heures lorsque le bateau abaissa le pont pour permettre aux passagers de débarquer. Alphonse fixait avec appréhension les minutes sur son svartphone. Une application affichant une carte de la ville lui indiquait qu'il fallait environ un quart d'heure à pied pour atteindre le cabinet du docteur Tullete. Il allait devoir se dépêcher.

À peine était-il descendu qu'il se mit à courir, repérant à la volée quelques hôtels dans lesquels il pourrait louer une chambre pour la nuit. Il y avait du monde au centre-ville, et beaucoup se dirigeaient dans la même direction, sans doute pour assister à un concert. Le festival culturel du Nord-Norge battait son plein et les rues, qui devaient être désertes en hiver, s'animaient à la lumière du jour polaire et aux chants des saltimbanques venus de toute la Norvège. Tout était bon pour décompresser en ces temps de guerre.

La pente qui partait du fjord et montait progressivement, donnant à Harstad cet aspect étagé, épuisa très vite Alphonse. Mais il ignora la douleur dans ses jambes et sa difficulté à respirer. Abandonner si près du but n'était pas envisageable.

Il arriva enfin devant l'immeuble. La peinture de la façade se détachait et un molosse à la carrure menaçante était attaché près de l'entrée.

Était-ce vraiment ici ? Une plaque dorée, aux côtés de quelques autres, indiquait : « Docteur Ólafur Tullete – Psychiatre hypnothérapeute ».

Il était à la bonne adresse et c'était loin de le rassurer.

Malgré l'immobilité du chien — un saint-bernard à la tête imposante qui sommeillait, les paupières à moitié fermées —, Alphonse passa à côté de lui avec la plus grande des précautions. Il sonna et la porte s'ouvrit automatiquement.

Le cabinet était au troisième étage et ce fut au prix d'un ultime effort qu'Alphonse grimpa les marches deux à deux pour pénétrer dans une salle d'attente à l'odeur désagréable qui avait tous les airs d'un salon pour personnes âgées. Deux canapés rembourrés se faisaient face, séparés par une table basse recouverte d'un napperon. Un papier peint à fleurs étouffait les murs, libérant de leurs pétales un parfum de renfermé et de vieillesse.

Il n'y avait personne d'autre à part Alphonse. Se laissant tomber dans un des canapés, il reprit son souffle avec difficulté. Il y avait deux portes à sa droite, et de l'une d'elles, des voix de femmes s'échappaient, visiblement en proie à une dispute. Sans prévenir, la porte s'ouvrit.

Une vieille dame à la haute stature, les cheveux gris tirés en arrière et portant une blouse blanche, le toisa avec défiance. Derrière elle, il y avait une fille au crâne rasé, perdue dans des vêtements trop amples pour sa silhouette menue.

C'est la doctoresse qui parla en premier.

— Vous avez rendez-vous ? questionna-t-elle d'un ton dur.

— Non, je...

— Je ne prends personne sans rendez-vous, ne savez-vous pas lire ?

Elle désigna une affiche sur un mur qui indiquait : « Aucune consultation sans rendez-vous. »

— C'est que j'ai fait un long chemin et je voulais...

— Gamin, il est tard et je n'ai pas que ça à faire, alors...

— Ólafur Tullete ! C'est le docteur Ólafur Tullete que je viens voir, s'il vous plaît, c'est important !

— Que voulez-vous à Ólafur ?

— C'est à propos d'une vidéo qu'il a mise sur internet, j'ai...

— C'est une blague ?

— Non, je vous assure, j'ai vu la Montagne et la prison aussi. Je ne comprends pas ces images, mais je crois qu'il peut m'aider, s'il vous plaît...

— Montrez-moi votre visage, intima la doctoresse.

— Pourquoi... je ne vois pas le rapport...

— Montrez-moi votre visage si vous désirez avoir la moindre information.

Alphonse sentit le regard de la fille au crâne rasé. D'un geste peu assuré, il écarta son écharpe.

— La capuche et les lunettes aussi.

— Mais...

Une expression implacable montra à Alphonse qu'il n'avait pas le choix, la doctoresse ne plaisantait pas.

D'une main tremblante, il abaissa lentement sa capuche, révélant un tableau qu'il s'efforçait de cacher depuis la fin des cours. Décoiffée, sa chevelure noire trempée de sueur recouvrait mal son oreille gauche qui était recroquevillée sur elle-même, comme si la chaleur des flammes l'avait fait rétrécir. Son profil gauche était davantage touché et sa peau donnait l'impression d'avoir été froissée jusque dans son col. À de nombreux endroits, les teintes changeaient, passant du pâle au rosé. Son nez avait gardé son architecture d'antan, mais on le devinait légèrement aplati par rapport à ce qu'il avait été. Et il y avait cette rigidité des muscles au niveau de ses paupières qui faisaient ressortir ses prunelles vertes et timides.

— À présent, nous pouvons parler comme deux êtres humains normaux, déclara la doctoresse. Ólafur est mort, il y a plus d'un an maintenant. Comme ses dernières volontés me l'ordonnent, je vous montrerai la vidéo qui suit, demain à midi. Ne soyez pas en retard.

— La vidéo qui suit ? Non, je voulais simplement des renseignements...

— Demain, midi, articula la vieille dame.

— Mais, je ne peux pas, j'ai un avion et...

— Sachez, mon garçon, que je n'en ai strictement rien à faire. Je suis contrainte de vous montrer cette vidéo par une promesse que j'ai faite à mon défunt mari. Alors si vous ne pouvez être là demain, sachez que ce sera un réel soulagement pour moi.

Elle lui désigna la porte, l'accompagna sans ménagement et la claqua derrière lui.


***


— Pas même une chambre ?

— Je suis désolé, Monsieur, c'est toujours ainsi pendant le festival... les réservations sont faites depuis plusieurs mois.

C'était le cinquième hôtel qui lui donnait la même réponse. Il s'était non seulement fait jeter par cette horrible bonne femme et il désespérait à présent de trouver un toit pour la nuit. Son expédition se transformait en véritable cauchemar et il s'en voulait atrocement d'être monté sur ce bateau.

— Je peux me renseigner auprès de mes collègues, si vous voulez ?

— Merci, ce serait très aimable à vous.

La réceptionniste prit une liste sous son bureau et appela les hôtels les uns après les autres, mais tous étaient complets. Avec une moue désolée, elle lui annonça :

— Cela va être compliqué d'obtenir une chambre pour ce soir... j'ai contacté le camping à la sortie de la ville, ils peuvent vous prêter une tente et du matériel pour dormir, il faudra juste payer l'emplacement...

— Je n'ai pas vraiment le choix, n'est-ce pas ? interrogea Alphonse.

— Il y a bien le camp de migrant, cependant il n'est pas très bien fréquenté...

Alphonse jura intérieurement. Il songea un instant à appeler sa mère pour lui demander de l'aide, mais il savait qu'il passerait un sale quart d'heure...

— Et comment se rend-on au camping ?

— Rien de plus facile, il vous suffit de prendre la navette qui part du centre, en une vingtaine de minutes vous y serez.

C'était peut-être la meilleure chose à faire. Même s'il n'en avait pas l'habitude, dormir dans cette tente ne serait pas difficile car il était épuisé. Aux premières lueurs du jour, il reviendrait au port et prendrait le bateau retour pour oublier toute cette histoire stupide. Il remercia la réceptionniste et sortit dans la rue.

Le soleil rougissant resplendissait dans le ciel malgré l'heure avancée. Des chapiteaux étaient dressés ici et là dans le centre et une foule défilait le long de stands de produits artisanaux et d'œuvres artistiques en tout genre. Le festival qui célébrait par le passé la culture purement norvégienne s'agrémentait désormais d'échoppes éphémères dévoilant des spécialités étrangères que les vagues migratoires avaient apportées. Au loin, on entendait un groupe de jazz que les conversations des passants étouffaient.

Dans une rue peu fréquentée, Alphonse trouva enfin la borne qui indiquait l'emplacement de l'arrêt de la navette près des poubelles. Il avait une bonne demi-heure d'attente et il tenait à peine sur ses pieds. S'asseyant sur le béton, il ferma sa veste noire jusqu'en haut, et allait enfiler son casque lorsqu'il vit trois personnes louvoyer dans sa direction.

Derrière ses lunettes de soleil, Alphonse plissa les yeux : il reconnut le garçon à la coupe militaire. Il était accompagné de deux amis et ils chaviraient un pas après l'autre, une bouteille à la main.

— Hey ! Tu... tu rentres déjà au camping ? vociféra-t-il avec son accent du Sud.

Alphonse se demanda à qui s'adressait le blond, mais il n'y avait personne d'autre dans la rue.

— Emund ! Vieux croulant, ne crois pas que je ne t'ai pas reconnu sous ton déguisement ! Viens boire avec nous !

Avec horreur, Alphonse se rendit compte que les trois fêtards complètement éméchés le confondaient avec quelqu'un d'autre.

— Je ne suis pas Emund, répondit Alphonse qui s'était relevé, désolé, vous vous trompez.

— Emund ! s'exclama le blond, on ne me la fait pas à moi.

— Mais non, Sven, il est plus petit qu'Emund, objecta celui qui se tenait à sa droite.

— C'est pas sa voix, fit remarquer celui à sa gauche.

— Puisque je vous dis que c'est Emund ! C'est Emund, bordel !

Les deux camarades du dénommé Sven l'entouraient à présent. Par réflexe, Alphonse se raccrocha à son sac à dos, comme s'il pouvait l'aider.

— Si tu n'es pas Emund, prouve-le ! lança Sven.

Cette idée amusa beaucoup ses camarades qui se mirent à répéter :

— Oui, prouve-lui que t'es pas Emund, mec.

— Laissez-moi, grinça Alphonse qui sentait leurs haleines empestant l'alcool.

Et il repoussa le blond qui s'approchait bien trop près de lui.

— Oh ! Sacré Emund ! T'es un blagueur ! D'ailleurs, j'ai pensé à toi en venant ici, tu te rappelles ta chanson, Kråkevisa, on l'a chantée sur le bateau qui nous a amenés, tu aurais été là, c'était magique ! Vas-y chante avec nous, Emund ! Je suis sûr qu'une vieille raclure comme toi ne peut pas y résister. Hei fara ! Falturil tural tura ! Allez, chantons Emund !

Sven essaya d'attraper son écharpe tandis que celui de droite se mettait à fredonner. Alphonse recula, alors que l'autre tirait sur sa capuche. Pour se défendre, Alphonse lui asséna un coup de coude violent, mais son crâne était à présent découvert. Son écharpe avait glissé et à la vue de ses cicatrices, Sven fit un bond.

— Mince alors ! C'est pas Emund ! Qu'est-ce que t'es ? C'est quoi ce masque ? On est pas Halloween, mec.

Le garçon qui avait reçu le coup était tombé à terre, appuyant sur son nez pour voir s'il se mettait à saigner.

— Pourquoi t'as fait ça à mon pote ? grommela le blond.

— Il est vraiment laid, railla le garçon de droite qui avait cessé de rigoler.

Alphonse les fusilla du regard et considéra les options qu'il avait. Fuir était la solution la plus prometteuse, mais ils l'encerclaient et il était terrifié.

Après l'avoir bien observé, Sven susurra dans un hoquet :

— « Je crois que ce corbeau veut ma mort ».

Les autres éclatèrent de rire lorsqu'ils comprirent la référence. Le garçon de gauche se releva et le pointa du doigt, mimant un arc avec lequel il lui tirait dessus.

— Tu crois que si on l'écorchait on obtiendrait de la colle ? Cela lui apprendrait au moins à ne pas frapper les personnes qu'il ne connait pas.

— Et si vous vous barriez, toi et tes copains, au lieu d'emmerder les personnes que vous ne connaissez pas, cracha Alphonse.

Il s'étonna lui-même de sa réplique, mais il savait que leur montrer le moindre signe de faiblesse à ce stade marquerait la fin. Il était en sous-nombre et il ne ferait pas le poids face à eux.

— Barrez-vous, grogna-t-il.

— Je ne crois pas que cela soit une bonne idée de l'écorcher, intervint le garçon de droite, on en obtiendrait rien, par contre avec sa peau de lézard on pourrait faire un sac à main.

Une rage s'empara d'Alphonse. Il se jeta sur le garçon de droite, mais Sven lui colla une gifle qui l'envoya valdinguer dans les poubelles. Ses lunettes de soleil et son casque furent projetés quelque part et il atterrit dans une substance visqueuse et nauséabonde.

— Je vais t'apprendre à nous frapper, connard !

Ils allaient lui tomber dessus, lorsque le blond poussa un cri de douleur.

Un énorme molosse lui agrippait la jambe dans sa gueule immense. Alphonse reconnut le saint-bernard aux poils longs, drapé de fauve et de blanc.

Les autres, d'abord pris par surprise, voulurent aider leur camarade, mais une fille, sortie de nulle part, au petit gabarit et au crâne rasé, fonça sur eux et les menaça d'une sorte de matraque télescopique. Elle fit des moulinets dans les airs qui effrayèrent les agresseurs, tandis que le blond hurlait à la mort, le saint-bernard ne le lâchant toujours pas.

Devant ce spectacle surréaliste, Alphonse resta immobile dans les ordures. La fille se tourna vers lui et cria d'une voix fluette :

— Qu'est-ce que tu fous ? Viens !

Il sortit de sa rêverie et se releva du mieux qu'il put. Tenant à distance les fêtards, la fille lui fit signe de la suivre.

— Magnus, lâche, bon chien ! ordonna-t-elle.

Et ils s'enfuirent à toute jambe, surveillant leurs arrières alors qu'ils s'enfonçaient dans les rues animées du centre-ville. 

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