Chapitre 34 : Le Concours de chant
Une nuit de garde et quelques arrestations : un samedi matin comme les autres pour Joep qui se servait une tasse de café. Plus que quelques heures et il pourrait partir en weekend prolongé, oublier les problèmes de gestion du festival, les touristes trop éméchés et son supérieur qui ne faisait que râler.
Il était presque dix heures lorsqu'il décida d'aller jeter un œil aux caméras qui étaient positionnées dans les cellules de garde à vue. La nuit s'était bien déroulée, sans incident notable, la plupart de ceux enfermés étaient déjà sortis, une amende à la clé. Il ne restait que les trois déserteurs qui dormaient encore et l'adolescent fugueur qui avait passé son temps à contempler le mur et lire le bouquin qu'on lui avait laissé.
Joep posa sa tasse sur la table et réveilla l'écran qui était en veille : sur l'image pixelisée, le garçon était au sol, en proie à des tremblements inquiétants.
En panique, Joep appela du renfort et courut vers les cellules, ne manquant pas de faire tomber plusieurs fois les clés en chemin. L'adolescent était toujours dans la même position et, lorsqu'il lui demanda ce qu'il avait, celui-ci ne répondit pas.
Son supérieur lui avait bien dit que cela pouvait arriver et Joep pria pour ne pas recevoir plus de remontrances que ce qu'il subissait déjà. Les instructions étaient de placer le garçon en salle de pause et d'appeler immédiatement les pompiers. Il chargea un de ses collègues de contacter les secours et traîna l'adolescent jusqu'à un fauteuil à roulettes.
De longues secondes passèrent et le garçon n'eut bientôt plus besoin de Joep pour tenir sans tomber. Son collègue revint, un téléphone à l'oreille :
— Le médecin des urgences me demande ses symptômes.
— Il se sent pas bien, répliqua Joep.
— Oui, mais il me demande à quel endroit il se sent pas bien.
— Je vais mieux, dit l'adolescent en esquissant une ébauche de sourire.
— Peu importe, qu'ils envoient quelqu'un, lança Joep à son collègue.
— Ils peuvent que si c'est une urgence, ils sont déjà sur une autre intervention.
Joep hésita, la perspective d'un weekend tranquille s'éclipsant avec ce nouveau problème qui surgissait.
— T'es sûr que ça va, gamin ?
— Oui, j'avais juste besoin d'un peu d'espace.
— Bon, demande-leur s'ils peuvent pas passer plus tard pour l'ausculter, on sait jamais.
— Ils viennent dès qu'ils ont terminé s'ils ne sont pas à nouveau appelés.
— Parfait, sa mère ne va pas tarder non plus.
Il resta un gros quart d'heure avec l'adolescent, puis, voyant qu'il allait mieux, lui dit :
— Si je te laisse là, tu ne feras pas de bêtises ?
Le garçon mit un instant à répondre et Joep décida qu'il serait plus prudent de le menotter à la table. À moins de dessouder le pied collé au sol, ils ne pourraient pas lui faire faux bond. L'adolescent donna sa main sans lutter et demanda d'une voix faible :
— Je pourrai appeler ma mère pour la rassurer ? J'ai pas pu l'avoir hier.
— Tu connais son numéro ?
— Il est dans mon portable, et je dois aussi prendre mes médicaments qui sont dans mon sac.
Joep réfléchit puis se résolut à aller chercher ses affaires. Mieux valait qu'il ait ses cachets plutôt que de faire une nouvelle crise. L'adolescent avala ses comprimés puis pianota sur son svartphone avant de le mettre à son oreille.
— Tu fais ça vite, hein ? grogna Joep.
L'adolescent acquiesça sagement.
— Allô ? Maman ? C'est Alphonse. J'ai encore fait une crise, mais tout va bien. Si tu vois les pompiers à l'entrée du commissariat, surtout, tu t'inquiètes pas, ils vont envoyer quelqu'un juste pour voir si je vais bien. J'ai passé la nuit à lire le carnet d'Ólafur, il faudra que je te le fasse lire, on pourrait presque avoir envie de le publier. On parlera de tout ça quand t'arriveras, à très vite.
Joep récupéra le téléphone et le remit dans le sac avec les médicaments et le gros bouquin qu'il avait ramené de la cellule.
— Encore tombé sur le répondeur, hein ? T'as pas l'air d'être un mauvais gars, alors, tiens-toi bien, d'accord ? Je ferai des tours dans la salle de temps en temps, mais s'il y a le moindre problème, tu cries, la porte du couloir est ouverte, compris ?
Et il laissa l'adolescent en croisant les doigts pour être tranquille durant ses dernières heures de service.
***
Alphonse regarda la salle dans laquelle Joep l'avait amené. Son plan avait jusque-là parfaitement fonctionné et il priait pour qu'Eva ait son message vocal rapidement. Il avait moins d'une heure pour aider Freja.
Toute la nuit, il s'était préparé à rouler le policier filiforme, mais Joep faisait très bien l'affaire. Sans horloge et avec tout un ouvrage à lire pour faire changer d'avis Eva Tullete, il s'était mis en action trop tard et il espérait qu'il aurait assez de temps. Feindre un malaise avait été facile, tout dépendait de la psychiatre à présent.
L'écran d'ordinateur était resté actif au fond de la pièce et Alphonse reconnut la silhouette de Sven et de ses compères. Ainsi, ils étaient toujours au commissariat. Savaient-ils qu'Alphonse se trouvait ici ? Avaient-ils entendu sa petite comédie ? Difficile à dire.
Alphonse comptait les minutes en observant la tasse de café que lui avait donné Joep. L'esprit embrumé par une nuit d'insomnie, il récitait mentalement les étapes du plan qu'il avait minutieusement conçu pour ne rien oublier. Il allait tenter une manœuvre désespérée lorsque Joep entra, la mine enjouée.
— Le docteur Tullete vient d'arriver. Elle voudrait te parler avant que tu partes. T'es d'accord ?
— Pourquoi pas, dit nonchalamment Alphonse.
Eva pénétra dans la pièce à son tour, des cernes noirs sous les yeux. Joep hésita, puis dit :
— Je profite que vous êtes là... pourriez-vous l'ausculter ? Il a fait une petite crise tout à l'heure... ça éviterait à une équipe de se déplacer.
— Bien sûr, aucun souci, déclara Eva, impassible.
Joep les laissa, trop heureux de voir ses problèmes se régler seuls.
— Je me demandais quel moteur vous ferait venir, dit Alphonse. J'ai hésité entre la culpabilité ou la curiosité, mais je sais par expérience que la colère permet parfois d'accélérer les choses.
— C'était quoi ce message ? Vous vous moquez de moi ?
— Asseyez-vous, intima Alphonse, j'ignore ce que vous avez raconté à la police pour que vous ne soyez pas avec moi en garde à vue, mais je n'ai qu'à leur dire que vous avez foutu le feu à la cabane d'Ólafur, avec deux adolescents à l'intérieur et...
— Je... je suis désolée Alphonse... je ne suis pas en garde à vue, mais croyez bien que je vais payer.
— Asseyez-vous quelques minutes, je veux juste vous parler... s'il vous plaît.
La psychiatre tapota la table de sa main valide et prit place sur la chaise en bois.
— Comme je vous l'ai dit dans mon message, j'ai le carnet d'Ólafur, la dernière copie de ses séances et le fruit de ses recherches.
— Donnez-le moi et j'en terminerai.
— Avant ça, j'ai besoin de savoir, Ólafur vous avait-il laissé une lettre concernant la nature de ses travaux avant de mourir ?
Eva ouvrit des yeux ronds.
— Comment... comment le savez-vous ?
— L'avez-vous lue ?
— Non.
— Dans ce cas, j'accepte de vous rendre le carnet à la condition que vous la lisiez.
— Je crains que cela soit impossible... elle a fini dans les flammes, avec le reste.
— Vous vous trompez, Ólafur en avait fait un brouillon dans son carnet. Vous pouvez toujours lire ce qu'il vous a écrit... je peux vous faire confiance ? Après, vous pourrez faire ce que vous voulez du carnet...
La psychiatre prit quelques secondes pour réfléchir, puis déclara dans un long soupir :
— Entendu.
Alphonse désigna son sac.
— J'ai fait une écornure à la bonne page, c'est vers la fin. Et vous aviez raison, il n'avait pas achevé ses séances, j'ai fait appel à mon imagination pour terminer seul.
— Vous êtes allé au bout de la thérapie ?
L'adolescent hocha la tête.
— Disons qu'Ólafur avait fait le plus gros du travail.
Eva tint le carnet dans ses mains, caressa la reliure, puis l'ouvrit. Elle tournait les pages, frémissant devant les ratures de son mari. Les tremblements s'accentuèrent lorsqu'elle arriva à l'écornure qu'Alphonse avait faite, et celui-ci se concentra par pudeur sur son café. Elle lut, pendant un long moment, et Alphonse l'entendit pleurer.
— Tout ce qu'a écrit Ólafur, les histoires, les séances, c'était pour vous à la base, dit-il. Ólafur savait que vous auriez du mal à accepter son départ... l'idée de les publier sur l'intranet n'est venue qu'après. Il avait beau être un bon psychiatre, il avait du mal à communiquer avec la femme qu'il aimait, et il voulait que vous continuiez à vivre malgré qu'il ne soit plus là.
Un mouchoir en tissu dans la main, Eva avait les yeux gonflés, le carnet d'Ólafur contre son cœur.
— Maintenant, j'ai besoin de votre aide, chuchota l'adolescent.
— Je ne vois pas ce que je peux vous apporter de plus, Alphonse...
— J'ai fait une promesse à Freja et je vais vous demander de faire quelque chose d'illégal.
Eva Tullete essuya une larme et déclara d'un ton solennel :
— Dites-moi, et je le ferai.
— Je dois sortir d'ici pour assister au concours de chant et j'ai besoin que vous fassiez diversion.
— Et vos menottes ?
Alphonse sourit de toutes ses dents.
— Parfois, ça a du bon d'avoir une prothèse. Enfin, je ne vous apprends rien.
Et il la décrocha de son poignet devant le regard amusé de la psychiatre. Joep n'avait vu que du feu lorsqu'il lui avait tendu cette main. Les menottes glissèrent au sol dans un tintement métallique.
— Dépêchons-nous dans ce cas, dit Eva. Au point où j'en suis de ma carrière, je n'ai plus rien à perdre.
— Occupez Joep, j'ai encore une dernière chose à faire.
Il laissa sortir Eva en premier pour s'assurer de ne croiser personne, puis saisit ses affaires et le trousseau de clés qui étaient posés près de l'écran de surveillance.
La bouche pâteuse, il fonça du côté des cellules et inséra la clé dans la porte qui renfermait Sven et ses compères. Était-il en train de faire une bêtise ? En tirant sur le loquet métallique, il commençait à sérieusement à en douter.
Sven, assis sur une couchette en plastique, découvrit Alphonse, les yeux écarquillés.
— Je... je suis désolé de vous avoir frappé, déclara Alphonse, essoufflé, j'ai laissé parler ma colère. Ce n'est pas moi qui vous ai balancé au centre pour migrants, mais c'est en me cherchant qu'ils sont tombés sur vous. Je ne pouvais pas vous abandonner ici, venez.
Les trois garçons se levèrent, indécis sur ce qu'ils devaient faire. Sven s'approcha d'Alphonse, le dévisagea, mais celui-ci ne cilla pas.
— C'est nous qui sommes désolés..., finit-il par dire, on a vraiment été cons.
Il passa une tête à travers la porte et tendit la main à Alphonse :
— Hey fara. Falturil tural tura ?
— Hey fara. Falturil tural tura, confirma Alphonse.
Et ils s'élancèrent dans le couloir sur la pointe des pieds.
Dans le hall d'accueil, Alphonse entendait la voix d'Eva. Elle semblait s'exprimer devant un public et, lorsqu'Alphonse jeta un œil dans l'entrebâillement de la porte, il vit un spectacle irréel.
Eva faisait une démonstration d'hypnose au commissariat avec Joep comme cobaye. Ses collègues pouffaient alors que le bras de Joep montait tout seul malgré ses efforts pour l'en empêcher. La psychiatre avait habilement accaparé toute l'attention des policiers en direction du bureau d'accueil, leur laissant la voie libre.
Les quatre fuyards profitèrent d'un nouvel éclat de rire pour filer dans le hall sans être vus. Alphonse arracha l'affiche jaune qui montrait un plan d'Harstad avec l'emplacement du concert et sortit du commissariat, le ciel bleu pour le féliciter.
— Ne vous faites pas attraper, lança Alphonse à Sven qui détalait déjà vers la périphérie de la ville.
— Ça risque pas ! Encore merci !
Il n'y avait pas une seconde à perdre. Alphonse avait rejoint le coin de la rue, et essayait de se positionner par rapport au plan lorsqu'un taxi attira son attention. Le véhicule s'arrêta juste devant le commissariat et une petite femme en sortit.
Sa mère était arrivée.
Alphonse se cacha aussitôt dans une ruelle et s'aperçut avec surprise qu'à la peur initiale de se faire gronder s'ajoutait une nouvelle envie : celle de se précipiter à sa rencontre pour l'enlacer. Cependant, il repensa à Freja qui avait besoin de lui et fonça en direction du concert.
Allait-il arriver à temps pour le concours ? La police serait-elle déjà là-bas à l'attendre ? Freja répondrait-elle présente au SMS qu'il lui avait envoyé au commissariat ? Tout en courant, il prit conscience de toutes ces inquiétudes et les aligna mentalement sur la Baie des Phoques. Sa respiration, le soleil qui illuminait le fjord, l'excitation de son évasion, tous ces éléments apparurent dans son champ de perception et il se sentit moins angoissé.
Alors qu'il parvenait au port, près de l'endroit indiqué sur l'affiche, il entendit un chant et des applaudissements suivre. Il dépassa des barrières que l'on avait dressées sur la route et arriva enfin, le cœur au bord des lèvres.
On avait aménagé une scène en face du fjord et, sur deux gradins métalliques, le public était installé. Il y avait sur le côté une buvette, et l'on discutait joyeusement un verre à la main en attendant le prochain passage. Une table avait été placée en avant et trois personnes étaient assises, écrivant sur des feuilles dans un sérieux qui contrastait avec l'atmosphère enjouée et la décontraction du public dans les gradins.
Alphonse surveilla qu'aucun policier ne se cachait dans les environs et se dirigea vers le chapiteau qui indiquait « Participants ». Un homme moustachu aux bretelles colorées l'inscrivit sur une liste contre les dernières couronnes norvégiennes qui lui restait au fond de son sac et il eut le droit d'entrer.
Il n'y avait plus que quelques participants dans le chapiteau et Alphonse réalisa avec déception que Freja ne s'y trouvait pas. Les autres l'observèrent sans aucune gêne et Alphonse leur rendit leur regard, se rendant compte que cela ne produisait en lui plus aucun malaise.
— Alphonse ?
Une petite voix fluette, provenant d'un recoin sombre près d'une botte de foin, l'avait appelé. Il sursauta de joie.
— Alphonse ? Alors, t'es vraiment venu ? Comment t'as fait pour sortir ? Ils t'ont relâché ?
— J'ai reçu un coup de main d'une personne bien placée... mais ça n'a aucune importance, dit-il en l'aidant à se relever.
Elle lui sauta dans les bras et se serra contre lui. Surpris, Alphonse demeura d'abord les bras ballants, le cœur en ébullition, puis l'étreignit aussi.
— C'est quand ton tour ? lui demanda-t-il à l'oreille.
— Y a pas vraiment de tour, on passe quand on veut, mais, je peux pas, Alphonse.
— Si je monte sur scène, tu me promets de monter ?
— Ne sois pas ridicule, tu ne sais même pas chanter.
— Je pourrais te surprendre.
Il plongea son regard dans le sien et, sous les acclamations du public qui célébraient le dernier participant, ferma les yeux et l'embrassa. Le goût du sucre, la douceur de la vie, un frisson glacial et délicieux. Les applaudissements se turent et Alphonse relâcha Freja à contrecœur.
On appela le prochain chanteur et, sans quitter Freja des yeux, Alphonse leva la main et grimpa les marches qui menaient à la scène.
Une femme lui donna un numéro, un micro et Alphonse se retrouva sur les planches en bois devant des dizaines de personnes. Enivré par le baiser, il se dirigea vers la croix blanche sur le sol et dévisagea ce public qu'il était censé impressionner. Son physique fit taire les bavards et discuter ceux qui jusque-là s'étaient tus. Il y avait l'expression dubitative des membres du jury, il y avait le fjord, il y avait aussi la Baie des Phoques et un Peiskos qui volait dans le ciel.
Alphonse poussa une profonde expiration, puis chantonna dans le micro une mélodie qu'il connaissait sur le bout des doigts :
"Alphonse, il est brûlé,
C'est sûr, il est pas beau,
Sa peau, elle a crâmé,
On dirait un croco."
Il n'y eut pas un bruit dans l'assistance, le public ne sachant pas comment réagir face à une telle situation. Sans se démonter, Alphonse poursuivit :
"Alphonse est rapiécé,
Sa fac' c'est un fourr'-tout,
Il est mêm' plus entier,
Il a perdu un bout."
Et il ôta la prothèse qui tenait le micro, la mine impassible, entraînant des gloussements timides, ici et là, qui l'encouragèrent. L'air le plus sérieux du monde, il continua à chanter, sa prothèse dans sa main valide.
"Alphonse est en plastique,
Sa peau, elle a fondu,
C'est quand mêm' pas pratique,
D'être aussi moch' qu'un cul."
Cette fois, le retour fut plus général, comme si le mot cul avait crevé la tension qui régnait alors. On rigola franchement et l'un des membres du jury esquissa même un sourire.
"Alphonse, il est trop con,
Un jour, il est parti,
Fuguer de sa maison,
Harstad l'a accueilli."
Il fit une courbette de remerciement, et il y eut des cris de joie lorsqu'il prononça le nom de la ville.
"Alphonse a rencontré,
Un' fill' café-sushi,
Qui l'a hypnotisé,
Faut dir', qu'elle est jolie. "
Un vieillard siffla dans les gradins et le public reparti d'un éclat de rire qui alla presque jusqu'à le contaminer.
"Alphonse, il a changé,
La guerr', la cherch' plus,
La paix, il l'a trouvée,
L'appelez pas Jésus."
Les rires continuèrent, et le regard outré de certaines personnes du public amusa d'autant plus les autres. Un groupe se mit debout pour le féliciter, mais Alphonse leva la prothèse qui tenait le micro au ciel : il lui restait un couplet.
Le public se tut et Alphonse conclut :
"Alphonse, il est brûlé,
Vous l'aviez déjà vu,
Sa peau est comm' elle est,
Le croco vous salue."
Un tonnerre d'applaudissements accompagna ses derniers mots. Alphonse s'inclina plusieurs fois, un sourire sur les lèvres qui lui faisait mal aux joues. Il descendit les marches et se retrouva nez à nez avec sa mère derrière laquelle se tenait Joep et le policier filiforme.
— Alphonse, tu es... magnifique. Viens là, mon tout petit.
Et il tomba entre ses bras, fondant en larmes dans la robe aux motifs à fleurs. Elle aussi pleurait, et lorsqu'il sentit qu'il ne pouvait plus respirer, il essaya de se dégager.
— Tu feras de grandes choses dans ta vie, dit-elle en l'embrassant. De très grandes choses.
Ils accompagnèrent les policiers et quittèrent le chapiteau sous les acclamations du public. L'attention de l'assistance s'était complètement détachée de la scène pour suivre Alphonse et sa mère, mais une voix fluette, pure, délicate, s'éleva dans le fjord.
Freja chantait. Et les paroles mélancoliques qui avaient retenti dans la Trondenes church firent vibrer ce public, hilare quelques secondes auparavant. Les policiers s'arrêtèrent aussi pour écouter et Alphonse regarda avec tendresse son amie se libérer de la prison qui jusque-là l'enfermait.
Elle prenait du plaisir à faire monter les notes, ses doigts se balançant au rythme de la chanson. Le fjord se taisait pour mieux percevoir les variations dans sa voix et, lorsque tout fut terminé, on scruta le silence comme s'il pouvait renvoyer un écho de ce qui venait de se passer.
La maman d'Alphonse fut la première à applaudir et le public s'éleva en une seule clameur. Freja sembla émerger de sa transe et rougit devant ce public enfiévré qui la félicitait. Le jury aussi s'était levé, et aucun n'écrivait sur sa feuille, le résultat se lisait sur leurs visages satisfaits.
Les policiers reprirent leur route et Alphonse les suivit, laissant Freja à la foule qui réclamait une nouvelle chanson malgré les règles du concours. La voiture dans laquelle on l'avait embarqué la veille était garée près des barrières et il monta à la suite de sa mère.
— On doit signer quelques papiers, et après, on rentre, rassura Dominika. J'ai contacté notre avocat, tout va bien se passer.
— Maman, je suis désolé.
— Je sais, Alphonse. Moi aussi, je suis désolé.
Le véhicule démarra et Alphonse essaya de voir une dernière fois Freja, mais une pancarte l'en empêchait. Il y eut alors une vibration, et Alphonse sortit le portable de son sac.
Il le prit, tapa le code : c'était un SMS de Freja.
« Le café-sushi est une marque déposée, tu vas recevoir la visite de mes avocats, ne crois pas que tu vas m'échapper en te cachant au pays des ours. »
Son cœur bondit dans sa poitrine. Il photographia discrètement les deux policiers qui conduisaient et envoya le message :
« Trop tard, je vais déjà en prison. »
Une petite bulle apparut, signe que Freja écrivait.
« Alors, je t'attendrai. »
Alphonse regarda son clavier, cherchant à formuler ce qu'il ressentait. La bulle s'activa, se désactiva, montrant que Freja aussi hésitait. Aucun mot ne pourrait traduire les émotions qui le traversaient si ce n'était la promesse de la revoir un jour. Il finit par écrire :
« Rendez-vous à Tromsø ? »
Une icône indiqua que Freja avait lu son invitation. Anxieux, il attendit de longues secondes. Il reçut finalement un selfie.
Freja souriait, un papier affichant la note maximale au concours de chant et un message l'accompagnait :
« Rendez-vous à Tromsø. »
FIN
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