Partie 4 - La Terre brûlée
Point de vue de Gally
Je vois la pointe de la lance s'enfoncer dans ma poitrine, bien avant de ressentir la douleur. Mais cela n'est rien à côté de ce que je vois.
Sophia se faisant emporter au loin.
Cela aurait été une moindre consolation, que ce soit son visage que je vois en dernier.
Je sens la maladie me ronger, je la sens couler sous la peau comme un volcan ardent. Mais, surtout, je reprends contrôle de mon corps. Est-ce la haine, qui m'a aveuglé à ce point ? Fait dire des choses, que je n'aurais jamais dites ? Je n'aurais jamais tiré sur Thomas.
Chuck est là, lui aussi. Putain, je l'ai tué. Il ne méritait pas tout ça, je...
Je finis par perdre connaissance. Est-ce à cause du sang que je perds ? Ou alors, cela peut-être dû à la douleur ou la maladie. Ou encore, c'est un mélange de tout ça. Quoi qu'il en soit, le noir m'emporte.
Et, est-ce l'effet de la piqûre de griffeur, comme pour Alby ou Thomas, ou encore Ben, qui leur ont rappelé des souvenirs ? C'est ça, cette lumière que j'aperçois ?
Il me semble que mon passé, si longtemps oublié, gratte à la surface de ma conscience. Oui, je le sens qui arrive...
***
Maintenant, je sais qui je suis. Qui j'étais.
Avant, je ne m'appelais pas Gally. Non. C'est le Wicked qui m'a donné ce nom. Quant à mon ancien nominatif, cette donnée m'échappe. Est-ce parce qu'elle remonte à bien longtemps, quand j'étais jeune ?
En tout cas, dans mon souvenir, je suis bien plus petit et bien plus maigre qu'aujourd'hui.
J'ai perdu mes parents à cause de la braise. Je les ai vu devenir fou, avant que les agents du Wicked ne viennent me chercher. J'étais précieux, pour eux. Car, malgré une morsure infligée par ma mère, qui aurait dû me transformer en fondu, j'ai miraculeusement guéri.
Ils m'ont retrouvé, prostré de peur, en pleine crise de tétanie, recroquevillé au fond d'une armoire. Et je n'avais rien.
Ils m'ont emmené dans leur repaire, me disant que j'allais changer le monde. Moi et les autres enfants qu'ils avaient trouvés. Tous, comme moi, étaient immunisés à la braise.
J'étais terrifié par le monde extérieur. Cependant, j'étais déterminé. J'étais devenu ami avec Minho, qui avait le même plan que moi.
Sortir de ce trou à rats.
Cependant, le jour où nous avions enfin essayé, nous nous sommes fait attraper. Puis, torturer. De l'autre côté d'une vitre, en spectateur, j'ai vu Thomas. J'en suis ressorti défiguré et Minho, pas dans un meilleur état que moi, n'a plus voulu m'adresser la parole.
J'étais devenu une épave.
Un jour, j'en avais marre de me tenir à l'écart des autres. Les voir s'échanger leur messe basse, mais surtout, apercevoir Minho en compagnie de Thomas. Alors que Minho était mon ami. Et Thomas... Thomas n'était autre que l'enflure préférée de ceux qui nous garde ici.
J'étais allé faire un tour. Essayé de faire le vide. Cependant, je m'étais perdu. Et, au détour d'un couloir, j'ai assisté à une scène révoltante.
Une jeune fille était recroquevillée sur elle-même, la tête dans les genoux et ses maigres bras les entourant. De mon côté, depuis mon arrivée ici, j'avais repris du poil de la bête. Mais elle... elle était si fine qu'on pouvait dire qu'elle n'avait que la peau sur les os, en plus d'avoir un teint blafard.
Elle était entourée par cinq gamins pas plus gros qu'elle, mais eux étaient plus nombreux. Elle n'osait pas bouger et le son déchirant de ses pleurs arrivait jusqu'à moi. Ils lui donnaient des coups, crachaient sur elle et lui lançaient des mots insultants. Ils la traitaient de petite sauvage.
— Arrêtez ! je m'exclamais, tout en me dirigeant d'un pas déterminé vers eux.
Je poussais un premier qui s'envola. Forcément, je devais faire trois fois son poids. Mais cela suffisait. Les autres s'exclamèrent, avant de ramasser leur ami et s'enfuir à toute jambe.
Une fois le calme revenu, nous n'étions plus que deux dans le couloir. Moi avec ma gueule défigurée, toujours bandée et la fille maigrelette tétanisée. En voilà une belle brochette. J'allais m'asseoir à côté d'elle et lui dit :
— Ils sont partis. Tu n'as plus rien à craindre.
Ses pleurs s'arrêtèrent net. Elle releva doucement la tête et, la première chose que je remarquais, après son magnifique regard, fit le fil à oxygène partant de son nez. Ce dernier se prolongeait jusqu'à une petite bonbonne d'oxygène portative, que je n'avais pas vu auparavant.
— Gally ?
— Tu me connais ? demandais-je avec étonnement.
Ses joues se teintèrent d'une rougeur qui la rendait adorable. Elle se rasseya, difficilement, et se tenait maintenant à une certaine distance de moi. Elle gardait la tête baissée et n'osait plus me regarder, comme gênée. De mon côté, mon cœur battait la chamade, sans trop que je comprenne pourquoi.
— Oui... Moi et les autres, ceux que tu as chassés, on n'a pas le droit de parler avec vous. On vous idolâtre un peu.
Elle désigna ensuite sa bonbonne avant de continuer.
— Avec ça, le moindre effort me fatigue. Et mon état ne s'améliore pas, au contraire, il ne fait que se dégrader. Je n'aurais jamais pu me défendre face à ses brutes. Alors que vous... surtout toi. Je t'ai vu t'entraîner à combattre tes amis. Tu es si fort ! Je ne pourrais pas faire le millième de ce que tu fais.
— Comment tu t'appelles ? je lui demandais subitement.
— Sophia, me répondit-elle avec étonnement.
Mes fesses glissèrent sur le sol et je me rapprochais d'elle, si proche qu'elle était obligée de lever la tête pour me regarder.
— Ils t'ont appelé la petite sauvage. Pourquoi ?
— Ah, ça... c'est parce que j'ai mordu l'un d'entre eux, pendant qu'ils me harcelaient.
— Et tu dis que tu ne peux pas te défendre ? je répliquais, étonné. N'arrête jamais de te battre, Sophia. Même si tu penses que ton ennemi est plus fort que toi. Toi, tu es forte. Si ton ennemi doit se mettre à cinq pour t'effrayer, c'est qu'ils ont bien plus peur de toi que tu ne le penses.
Son regard bleuté était plongé dans le mien. Elle semblait en pleine réflexion. Et cet idiot de coeur qui ne cessait de s'emballer.
— Merci, dit-elle en se relevant finalement, sa petite bonbonne d'oxygène à la main.
Elle marchait lentement et debout, elle paraissait bien plus grande qu'au premier abord.
— Je dois retourner à mon pavillon. Encore merci.
— Sophia ? dis-je en me relevant subitement, arrivant à sa hauteur. Est-ce que... si tu veux, après mes journées et pendant mes pauses, je pourrais venir te voir.
Ses joues se teintèrent à nouveau de rouge. Elle était à craquer et soudain, je pensais au pansement situé en plein milieu de mon visage. Elle était à craquer et moi ressemblait à un monstre. Elle va refuser, c'est sûr.
Pourtant, un doux sourire illumina son visage émacié.
— D'accord. Je t'attendrais ici. C'est pas comme si on avait beaucoup à faire au pavillon, de toute façon.
Ainsi, arrivèrent de plus beaux moments depuis mon arrivée au Wicked. Il n'y avait pas un jour où je ne voyais pas Sophia, là, dans ce couloir. Et plus mon regard croisait le sien, plus je l'appréciais, plus je l'adorais. Cependant, plus le temps passait et plus elle devenait maigre, faible et blafarde.
Cependant, nous n'avions jamais parlé de son état de santé. Qui se dégradait, inévitablement, chaque jour.
Et, un après-midi, alors que je n'avais pas pu la voir le matin, j'arrivais dans le couloir. J'étais en sueur. Chaque mois, un de nos amis disparaissait et il était impossible de savoir ce qu'il en était advenu.
Cela pouvait être n'importe qui après.
J'arrivais dans le couloir et qu'elle ne fut pas ma surprise, de ne pas voir Sophia, la petite sauvage. Se trouvait un mot, à la place. Une écriture en patte de mouche se trouvait sur le papier.
"Merci pour tout. Grâce à toi, Gally, j'ai connu le bonheur. Tu es l'une des meilleures choses qui me soit arrivée. Tu étais l'une des seules personnes qui me comprenait vraiment. Cependant, je ne pense pas que je pourrais encore me relever. J'étais déjà à bout de force pour apporter ce mot. Ne t'en fais pas pour moi. Au contraire, n'arrête jamais de te battre, Gally. Même si tu penses que ton ennemi est plus fort que toi."
Le chagrin me fit écraser le mot. Je m'élançais à travers les couloirs pour la trouver. Et je l'aperçus finalement, de l'autre côté d'une vitre. Je n'étais plus qu'un simple spectateur désormais. Elle était allongée là, sur un lit, perfusée de partout avec un masque à oxygène sur le nez.
Elle était seule. Et moi, de l'autre côté de l'épaisse vitre, j'y apposais mes mains. Pensant que ça me rapprocherait d'elle. Tout ce que cela confirma, c'était la distance. Et le fait que je ne pourrais plus jamais lui parler.
J'étais effondré.
Ainsi, les jours suivants, je continuais de venir. à mes pauses, pendant mes temps libres. Et j'étais là. Je la regardais. En espérant qu'elle se lève. Mais elle ne le fit pas.
Ce manège continua longtemps, en fait. Jusqu'à... jusqu'à ce qu'un matin, je ne me réveillât pas dans mon lit. Mais dans la boîte, qui m'emportait au centre du Labyrinthe.
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