XXIV
Bien évidemment, Namjoon ne répondit pas.
C'en fut tellement décevant que Jin s'arracha un rictus désabusé en entendant la tonalité sonner encore et encore.
Ce n'était même pas surprenant.
Il éteignit l'appel et verrouilla l'écran avant de se relever et d'enfiler un pyjama.
Mais ce fut environ dix minutes plus tard, alors qu'il s'était glissé dans son lit, l'humeur morose et qu'il avait éteint la lampe de chevet, que son téléphone sonna.
Le jeune vendeur se releva, ralluma la lumière et demeura stupéfait devant son écran de téléphone qui indiquait un appel entrant de la part de son ancien compagnon. Son cœur s'emballa, lui faisant vraiment mal, sa tension sembla monter d'un coup et il fut pris d'une bouffée de chaleur qui se diffusa sur tout son visage en partant de ses oreilles. Son corps fut pris de sueurs soudaines et sa gorge devint sèche.
Sa main trembla avant d'hésiter puis d'un coup sec, rapide et complétement pulsionnel, il décrocha.
« Hyung ? »
-Bonsoir Namjoon.
« Bonsoir. »
Cette voix, ce timbre, cette douceur, ce ton, l'aîné des deux bougea dans son lit, mal à l'aise. Il avait comme un sentiment inexplicable dans la poitrine.
« J'ai vu que tu avais essayé de m'appeler, il est tôt ici mais il doit être plus de minuit à Séoul, non ? »
-Ah oui, le décalage horaire. Excuse-moi... tu dois être au travail, je peux rappeler plus tard si tu veux, balbutia Jin, mal à l'aise.
Son cœur battait à vive allure et la chaleur diffuse sur son visage ne disparaissait pas.
« Non, ça ira. J'ai un peu de temps devant moi, le rythme de travail ici est vraiment différent qu'en Corée et puis j'ai une petite idée sur la raison pour laquelle tu m'appelles... ».
Jin se figea et soudain la colère fit son grand retour, faisant pulser le sang dans ses veines, désordonnant les battements dans sa poitrine. Il argua alors :
-C'est quoi cette histoire avec Jungkook ? Qu'est-ce qui t'a pris de lui autoriser à venir te rejoindre ? Pourquoi tu lui as proposé un truc pareil ? Il fallait l'arrêter, pas l'encourager !
Le silence lui répondit puis finalement la voix de Namjoon reprit, d'un air un peu plus tendu :
« J'ai, pour ma défense, minimisé la chose. Quand Jungkook m'a appelé, il semblait prêt à vider son compte bancaire de ses maigres économies pour prendre un billet d'avion et filer à Los Angeles tout seul... »
-Comment ça ? Pourquoi Los Angeles ? Qu'est-ce que...
Jin s'immobilisa avant de se redresser dans son lit :
-Il y a un truc qu'il ne m'a pas dit !
« Certainement, parce qu'il m'a dit quelque chose que j'ignorais jusque-là. Tu savais qu'il était amoureux de sa professeure de cours de design ? »
-Oui, Lee Ji Eun, ça fait longtemps, depuis qu'il est arrivé dans cette école, répondit calmement Jin. Pourquoi ? Quel rapport avec elle ?
Il entendit Namjoon souffler :
« Cette jeune femme va visiblement se marier. Ça l'a mis dans tous ses états, il m'a appelé après ça, il était en colère contre le monde entier. »
-Tu peux le dire, râla Jin, il était en colère surtout contre moi et ce, depuis que tu es parti !
« Oui », avoua Namjoon d'une petite voix, « mais je ne l'aurais jamais laissé parler de toi de cette manière-là, et tu le sais ».
Jin sentit un nouveau tressautement de cœur et la chaleur continuer de s'amplifier depuis ses oreilles devenues écarlates.
« Il n'a pas apprécié que je me fâche contre lui et il a raccroché mais il m'a rappelé quelques jours après et il était plein d'enthousiasme, plein de nouvelles idées. C'est là qu'il m'a parlé de voyage, de suivre de gens de sa promo qui partaient à L.A en mode vagabond, sans économies, avec seulement un sac sur le dos. J'ai compris qu'il voulait tout arrêter, qu'il était perdu dans ses études... tu le connais, il ne voulait pas en démordre alors je n'ai pas eu d'autre choix que de lui proposer une autre alternative. »
Jungkook ne supportait pas les séparations, les départs, les absences, cumulés à leur rupture et à la femme qu'il aimait à sens unique depuis cinq ans sans jamais oser lui parler, ça faisait beaucoup pour lui
Si les années précédentes il se serait renfermé, visiblement, il était en train de changer. C'est lui qui voulait partir à présent.
« Je sais ce que ça représente pour toi », reprit Namjoon après un silence, « et je comprends ton inquiétude, mais peut-être que ça pourrait faire du bien à Jungkook de quitter la Corée, temporairement, de sortir un peu de ses habitudes, de voir autre chose. L'école jumelée avec Washington a plutôt bonne réputation, il aura toutes les chances de s'épanouir ici. »
-Tu entends ce que tu dis ? Persifla Jin. Tu veux que Jungkook s'en aille de Corée, là où nous sommes tous ! Il n'est pas prêt pour ça, il n'a jamais été habitué à ça ! Qu'est-ce que tu comptes faire, récupérer Jungkook pour toi ?
« Qu'est-ce que toi tu racontes ? » répondit immédiatement Namjoon d'un ton déboussolé. «Hyung, ce n'est pas une compétition, sur qui récupère qui. Ai-je un jour voulu quelque chose comme ça ? Je sais à quel point c'est important pour toi de les avoir auprès de toi et Jungkook le sait aussi, il était terrorisé à l'idée de t'en parler. »
-Terrorisé ? A t'entendre on dirait que je les maltraite !
« Je n'ai pas dit ça. »
La voix de Namjoon continua de souffler dans l'appareil :
« Il sera ici avec moi, il continuera ses études, passera son diplôme, n'est-ce pas une bonne chose ? N'est-ce pas ce que tu souhaitais pour lui ? J'aurai un œil sur lui, il ne sera pas perdu dans la nature... »
- Comment pourras-tu garder un œil sur lui ? Se surprit à répondre Jin de manière agressive, tu n'es jamais à la maison !
Le silence qui lui répondit fit comprendre à l'aîné qu'il avait été vexant, néanmoins Namjoon reprit, calmement :
« Je te l'ai dit tout à l'heure, le rythme ici est plus souple qu'en Corée, les américains font des journées beaucoup moins longues que nous, leur notion du travail est différente, j'ai... plus de temps à passer à la maison. »
La petite voix, mesquine et méchante revint le faire parler :
-Je vois, dommage que tu n'aies pas eu le temps de faire ça ici.
« Je sais. » Fut tout ce que Namjoon répondit.
Jin se sentit soudainement mal :
-Pardon. Oublie ce que je viens de dire, je... je suis fatigué et contrarié alors mes mots dépassent ma pensée...
« Non tu as raison et je te comprends, j'ai mérité ces remarques. Tu sais... »
Il l'entendit bouger avant de reprendre :
« ... je ne me suis pas rendu compte de notre rythme de travail avant de venir ici. Ici les américains finissent leur journée à dix-sept heures voir dix-huit heures au plus tard, il fait encore jour, ils rentrent chez eux s'occuper de leur famille. Et je regrette... que tu ne sois pas là avec moi... »
-Ne commence pas, le menaça Jin en se frottant les yeux, n'est-ce pas trop facile de dire ça maintenant ? Du temps pour nous, on aurait dû en avoir avant. Avant que tu ne t'en rendes compte à Washington !
« Oui... »
-Je ne veux pas qu'on reparle de ça, coupa Jin en sentant qu'il avait du mal à chasser ses larmes. On a rompu, Namjoon. On a fait des erreurs tous les deux, c'est trop tard maintenant...
Mais il reprit tout de même d'une petite voix
« Tu me manques. »
Cette fois les larmes coulèrent vraiment et Jin renifla en tentant de rester le plus silencieux possible, en vain
« Est-ce que tu vas bien ? Est-ce que tout se passe bien pour toi ? »
-Je vais bien, répondit-il d'un air tendu. Et toi ?
« Je suis devenu très bronzé, quasiment marron, je sens que Hobi va se foutre de ma tronche quand il va me revoir. »
Cette remarque fit rire Jin entre ses larmes.
« Je ne voulais pas te quitter. »
-Namjoon, s'il te plaît arrête...
« Jungkook ne te quittera pas non plus mais... ici j'ai compris mes erreurs, j'ai compris certaines choses que je n'avais pas su voir en Corée. Peut-être que Jungkook aussi a besoin de ça, de prendre de la distance. J'ignorais qu'il aimait autant cette femme mais cet amour impossible lui fait du mal. Il a besoin de prendre l'air. »
Puis il ajouta :
« Il a grandi. »
Cette fois Jin fondit en larmes pour de bon et Namjoon demeura silencieux.
-C'est notre bébé, il ne peut pas avoir grandi, il ne peut pas partir... et si tout le monde s'en allait ? Si ça donnait des idées aux autres si...
« Hyung, arrête, ne pense pas comme ça. »
L'aîné n'arrivait pas à se reprendre, l'oreille plaquée contre le téléphone, il continuait de pleurer, la poitrine trop douloureuse pour être calmée.
« Hyung, je pense que si tu interdis à Jungkook de partir il sera malheureux, il va t'en vouloir... il va se mettre en colère parce qu'il ne sait pas gérer ses émotions, vous allez vous faire du mal et il risque de réagir au quart de tour. »
-Pourquoi tu me dis ça ? C'est encore plus douloureux de...
« Je dis ça pour toi, je dis ça pour que Jungkook ne te fasse pas de mal ».
Jin renifla, s'essuyant les yeux une nouvelle fois :
-Tu dis ça comme s'il ne voulait pas me quitter pour ne pas me voir souf...
Il se figea ses yeux s'écarquillant.
Et si ?
Et si les autres avaient eu des envies de voyage, de départ, d'habiter dans d'autres villes ? S'ils avaient eu envie de changer d'espace géographique et que Jin les avait empêchés de le faire ?
C'était donc à ça qu'il était réduit, à être une marâtre sévère, à les forcer à rester avec lui ?
Lee avait dit : « Prendre soin de quelqu'un ne veut pas dire le contrôler à ce que je sache. »
Est-ce qu'il contrôlait leur vie sans s'en rendre compte ?
« Hyung ? » fit la voix inquiète de Namjoon.
-Je suis une personne horrible.
« Qu'est-ce que tu racontes, bien sûr que non tu n'es pas une personne horrible ».
-Tu as dit que Jungkook était terrorisé à l'idée de m'en parler alors... je lui fais peur. Je leur fais tous peur, c'est ça ? Ils ont peur de partir loin de moi, peur de ce que ça me ferait...
« Je... non, ne pense pas comme ça. Personne n'a jamais dit ça, personne n'a jamais voulu partir et s'en aller. »
-J'ai... j'ai contrôlé toute votre vie depuis le début...
« Bien sûr que non, tu n'es pas quelqu'un comme ça, hyung. »
-Je...
« Écoute-moi » insista la voix de Namjoon plus fermement. « Tu es quelqu'un d'incroyable, tu es bienveillant, aimant, doux, attentionné, tu es précieux. Et je suis bien placé pour savoir ce qu'on perd en étant loin de toi ».
-Mais Namjoon, c'est différent, toi et mo...
Les larmes revenaient, inarrêtables.
« Personne n'a peur de toi, ou peur de te parler de quelque chose. Tu as toujours été le gardien de tous nos secrets, de leurs secrets, c'est quand même un acte de confiance et d'amour qui prouve bien que tu n'es pas un dictateur ou quoi que ce soit. »
-Mais j'ai un poids... ma parole fait poids dans leurs décisions...
Cette fois Namjoon ne répondit pas et Jin souffla, reniflant et s'essuyant les yeux encore une fois.
Cela faisait trop d'émotions à gérer en si peu de temps.
-Je vais te laisser, je vais dormir, je... désolé pour tout ça pour...
« Je voudrais traverser la terre entière pour te serrer dans mes bras ».
Le cœur de Jin s'emballa et ses joues se réchauffèrent à nouveau.
-Qu'est-ce que tu racontes ? Pourquoi tu parles comme ça tout d'un coup ? Tu détestais dire ce genre de chose à voix haute avant et maintenant tu...
« Je te l'ai dit, j'ai compris certaines choses sur moi, sur notre relation... je... »
-Ne fais pas ça... souffla l'aîné d'une voix éteinte. Je n'en ai pas la force, Namjoon. C'est trop tard... j'ai besoin de faire le tri... nos sentiments et tout ça, je ne veux plus y repenser pour le moment. Tout est différent maintenant, tout a changé. Tu ne peux pas le nier.
« Non je ne peux pas... » Avoua-t-il difficilement.
-Je vais réfléchir à tout ça, concernant Jungkook, à tête reposée et je te tiendrai au courant.
« D'accord ».
Mais la déception était perceptible à travers le combiné.
-Bonne journée à toi Namjoon.
« Bonne nuit hyung. »
Mais aucun d'eux ne raccrocha et Jin serra son poing gauche sur sa cuisse. Ils restèrent ici plusieurs secondes, chacun ne voulant pas couper le contact en premier. Pourtant l'aîné finit par lâcher prise et éloigner l'appareil de son oreille avant d'appuyer sur le bouton rouge.
Le téléphone retomba sur la couette et il se prit la tête entre les mains :
-Toi aussi tu me manques terriblement.
********
Jin ne pensait plus qu'à ça.
À lui, à ses décisions, ses choix, la manière dont il avait pu influencer ses dongsaeng.
Il n'était peut-être pas la personne qu'il pensait être.
Peut-être qu'à force de craindre que les plus jeunes s'en aillent, il avait implicitement tout fait pour les garder près de lui ?
Mais comment l'accepter ? Comment lâcher prise ?
Imaginer Jungkook à l'aéroport, lui dire au revoir, lui était inconcevable.
Et pourquoi diable, imaginait-il Jungkook avec sa peluche de lapin rose à l'aéroport ? Le maknae n'était plus un petit garçon, il allait avoir vingt-trois ans alors pourquoi Jin n'y arrivait tout simplement pas ?
-Kim ?
Une main passa devant son visage et l'interpellé cligna des yeux avant de porter un regard sur Lee, debout face à lui, la main sur la poignée de la porte qu'il allait ouvrir.
-Je t'ai appelé trois fois.
-Pardon...
-Tu es figé depuis deux bonnes minutes au beau milieu de la rue.
Le jeune vendeur regarda autour de lui, ne se rappelant pas quand est-ce qu'il avait quitté le travail ni même s'il avait récupéré ses affaires. En tout cas, il se trouvait devant la devanture de la salle de sport, debout, les bras ballants et son ancien supérieur le fixait, les sourcils froncés.
-Tout va bien ?
-Je n'ai pas mes affaires de sport...
La journée était passée en pilotage automatique alors Jin ne se souvenait même pas d'avoir marché jusqu'ici.
-Si tu ne vas pas bien, tu devrais rentrer chez toi.
-Oui...
Mais Jin resta figé et l'ancien manageur finit par avancer pour se trouver à sa hauteur, le plus jeune des deux se rendit compte qu'ils faisaient alors exactement la même taille.
-Tu as l'air un peu pâle, tu es malade ?
-Sunbaenim ?
Lee grimaça :
-Je ne suis pas ton sunbae, tu le sais bien.
-Comment dois-je vous appeler ?
-Faudrait déjà que tu arrives à me tutoyer, tu sais.
-J'essaye...
-Pas assez Kim.
Le plus jeune soupira apercevant le rictus quelque peu amusé de son ancien manageur :
-Je tenais à m'excuser pour mon comportement d'hier soir, j'ai été impoli.
-Pas du tout.
Jin demeura stupéfait par le ton détaché et Lee reprit :
-Tu as été agacé, c'est différent.
-Je n'aurais pas dû...
-Libre à toi d'être agacé si ça te chante, répondit platement son interlocuteur.
-Je n'aurais pas dû vous... te parler comme ça.
-Tu peux me parler comme tu veux, Kim. Je ne suis plus ton supérieur et puis... j'ai un peu mis mon nez dans tes affaires, c'est donc évident que tu te sois mis sur la défensive.
-Vous... Tu avais raison, je n'ai écouté que mon avis et non le tien.
-Tu avais raison de me rappeler que je n'avais pas à porter de jugement sur ce que je ne connaissais pas. Néanmoins je tenais à dire un truc.
-Un truc ?
-Dans tout ce que tu m'as raconté hier soir, ce qui m'a surpris c'est que tu t'es toujours occupé des six autres, évoqua Lee.
-Oui et ?
Jin fronça les sourcils ne voyant pas où il voulait en venir. La température était assez chaude et moite en ce début de soirée, l'air commençait à devenir étouffant préparant la mousson qui devait arriver dès la semaine prochaine. Pourtant aucun des deux ne souhaitait bouger pour se mettre à l'abri.
-Quand est-ce que tu t'es occupé de toi, seulement de toi ?
-Je ne me suis jamais posé cette question, avoua le plus jeune
-Parce que finalement, tu étais contrarié hier mais quand tu devais parler de ce qui te contrariait toi, tu as parlé des autres.
Les épaules de Jin retombèrent
-C'est vrai...
Mais Lee eut à nouveau l'ombre d'un petit rictus :
-Là encore je suis mal placé pour te faire la morale, je suis clairement dans une situation où je dois prendre en compte quelque chose sur moi-même mais je fais tout pour l'éviter.
-Je n'aurais pas dû dire que vous ne valiez rien, sunbaenim, je suis désolé.
-Je n'accepte pas.
Lee leva un sourcil alors que le visage de Jin se barrait d'incompréhension :
-Pas de tutoiement, pas le bon indicatif de politesse, raté. Essaye encore.
Le plus jeune plissa des yeux :
-Sérieusement ? Vous chipotez pour ce genre de...
Mince.
Le jeune vendeur râla avant de se reprendre :
-Tu chipotes sur ce genre de détails.
-Aussi longtemps que tu continueras de me vouvoyer comme si j'avais l'âge de mon père, oui.
-Je vous tr...
Mince à nouveau.
-Sauf ton respect je te trouve étrangement détendu aujourd'hui, reprit Jin alors que ses oreilles chauffaient.
-Je te l'ai dit hier, étonnamment ça m'a fait du bien de parler de ça à quelqu'un, de ma situation actuelle, avoua Lee de façon simple.
-Tu ne crains pas ce que je pourrais dire aux autres ?
-Je ne pense pas que ce soit ton genre, tu as l'air d'être quelqu'un digne de confiance, Kim. Et puis d'une certaine manière, en toute honnêteté, m'entendre avec toi me laisse le sentiment de mettre un point final à ce précédent emploi. À cette erreur que j'ai faite et à tout ce stress accumulé.
-Je vois...
-Si je peux t'être utile, n'hésite pas. Je vais aller faire ma séance, à plus tard, Kim, le salua Lee.
-Bonne soirée.
Mais, sur le trajet en bus, en rentrant, Jin se sentit encore plus confus.
Oui il s'était toujours occupé des autres mais ce n'était pas une mauvaise chose en soi.
Il n'avait pas eu besoin de penser à lui pendant toutes ces années. Il n'en avait pas eu le temps. Et tant que les autres resteraient près de lui, il n'aurait pas besoin de se questionner sur sa personne.
Soudain, il lui sembla qu'on venait d'allumer la lumière dans son esprit.
C'était donc ça.
Cette peur était donc cachée là.
S'occuper des autres il en avait fait son rôle, son existence.
Sans les six autres, il se sentirait vide, seul.
Abandonné.
Orphelin.
S'occuper des autres était sa vocation, car c'était aussi plus facile que de s'occuper de soi-même.
L'idée continua de tourner dans son esprit, à la fois sidéré et confus par sa propre découverte. Il y pensait toujours en arrivant devant son immeuble, après avoir fait les courses au supermarché le plus proche. Néanmoins il fut surpris de trouver, devant la porte du bâtiment, la silhouette encapuchonnée de Jungkook adossé nonchalamment contre les boîtes aux lettres.
Le plus jeune se releva, l'air attentif avec ses grands yeux de biche.
-Hyung ?
Les épaules de l'aîné retombèrent doucement alors qu'il fermait les yeux. Laisser Jungkook partir c'était admettre que ce dernier n'avait plus besoin de lui.
C'était accepter de perdre de l'utilité, de l'importance.
De perdre une de ses six raisons d'existence.
-Je veux qu'on parle, asséna le maknae un air faussement dur sur le visage.
Jin souleva le sachet pour le mettre à sa hauteur :
-On cuisine d'abord ? Tu as faim ?
Jungkook se radoucit, reprenant sa bouille d'enfant adorable avant de dire d'une petite voix :
-Y a de la viande ?
-Oui...
-Bon bah d'accord, on cuisine d'abord.
Une heure trente-cinq plus tard, l'estomac rempli, la mine réjouie et les plats terminés, Jungkook avait décidé de faire la vaisselle, chose qu'il ne faisait jamais. Il avait demandé à son aîné de s'étaler dans son canapé en l'attendant.
Jin avait donc allumé la télévision, sans la regarder, l'esprit embrouillé et le stress palpable à travers son corps. Lorsque le plus jeune revint, descendant ses manches de hoodie qu'il avait relevées pour nettoyer les plats, Jin prit les devants.
-Je ne sais toujours pas quoi penser de cette situation, de ce que tu m'as demandé, je reconnais avoir seulement sur-réagi.
-Je sais, alors je t'ai amené le programme du semestre à l'étranger pour que tu vois en quoi ça consiste, répondit Jungkook en allant chercher son sac à dos pour ensuite se rassoir en tailleur sur le tapis près de la table basse.
Une plaquette colorée atterrit dans les mains de l'aîné et d'un air peu réceptif, Jin commença à la lire. Les propos de l'école étaient bien écrits, bien tournés, plein d'espoirs, un peu trop simplistes pour que ce soit aussi parfait en réalité mais rassurants d'une certaine manière.
-Ils disent que le logement n'est pas prévu mais j'ai regardé et l'appartement de Namjoon hyung est à une demi-heure en métro, vu qu'il habite près du campus de sciences.
-Jungkook...
-Au niveau des repas, je pense que si je continue de travailler au combini comme chaque week-end, sans rien dépenser, j'aurais assez d'argent pour payer mes frais alimentaires et les sorties et...
-Et le billet d'avion ?
-J'ai mes économies, si je fais un vol avec escale, ça me coûtera moins cher.
Il avait réponse à tout, visiblement il avait tout prévu.
-Quand et combien de temps ? marmonna Jin en tournant les pages de la plaquette de l'école.
-De septembre à janvier, je devrai être revenu pour les examens ici, en février.
Jin se figea.
-C'est bien plus qu'un trimestre ça !
-C'est le problème des différences d'emploi du temps entre la Corée du Sud et l'Amérique, leur année ne commence pas en mars comme chez nous mais en septembre. Il y a tout un décalage, expliqua le plus jeune sans se démonter.
-Cinq mois c'est long...
-Je peux le faire et je ne serai pas seul, Namjoon hyung sera avec moi et s'il faut que je t'appelle toutes les semaines, je t'appellerai toutes les semaines, insista le maknae.
-Ce n'est pas ça le problème...
Jin reposa le document sur la table basse avant de regarder à travers sa grande baie vitrée. La soirée était complètement tombée maintenant et l'horizon était sombre.
-Ce sont les raisons pour lesquelles tu pars.
-J'ai dit à ton travail que... commença Jungkook.
-J'ai appelé Namjoon et il m'a parlé de Lee Ji Eun.
Le plus jeune se figea et blanchit avant de déglutir, son visage passa par diverses émotions jusqu'à la douleur avant de détourner le regard.
-Je ne pars pas à cause d'elle.
-Tu es sûr ? Il m'a dit qu'elle allait se marier...
-Elle s'est fiancée, elle l'a dit en classe l'autre jour, en montrant sa bague, maugréa-t-il.
-Je suis désolé Jungkook.
-Je m'en fous d'elle, mentit-il. Mais oui... j'ai envie d'avoir des cours où elle n'est pas là plusieurs fois par semaine. Est-ce que c'est mal ? Partir à l'étranger me fait vraiment envie, j'en ai besoin et le professeur Ji Eun n'est pas ma principale raison...
-Tu veux faire tes preuves ?
-Je veux tellement de choses hyung, avoua-t-il sur un ton plus grave.
Jin sentit l'émotion revenir mais il se contrôla du mieux qu'il pût.
-Le monde est grand et...j'ai besoin d'aller voir, ailleurs.
-De nous quitter, de me quitter.
-Je ne te quitte pas, marmonna-t-il en baissant la tête, tu m'as dit toi-même que ce n'était pas un abandon. Mais vous tous, les hyung, vous avez tous réussi et moi je suis à la traîne...
-Tu n'es pas à la traîne, insista Jin.
-Mais je le ressens comme ça. Tout le monde fait des choses qui lui plaisent, chacun a trouvé sa voie, il n'y a que moi qui ne sais rien. Je veux faire quelque chose. Quelque chose d'autre, de nouveau.
-Tu as encore ce projet de tatouage, hein ? Soupira Jin.
Jungkook referma brusquement la bouche, pris en faute puis poussa sa joue avec sa langue :
-C'est mon corps hyung, si je veux me faire tatouer là-bas, je peux.
Jin voulut répondre par la négative, lui rappeler que non il ne pouvait pas prendre une décision de se faire tatouer la peau pour toujours aussi légèrement mais sa ravisa brusquement.
Ils ne seraient jamais d'accord tous les deux sur cette notion. Jin aimait l'art sur la peau mais il ne l'envisageait pas aussi simplement que Jungkook. À ses yeux il fallait des années avant de trouver le bon dessin, le bon symbole, la chose qui représentait un millier de choses à faire sur son épiderme pour le garder pour toujours. Jungkook n'était pas d'accord avec ça.
L'aîné bougea, se sentant étrangement mal. Encore une fois, sa réaction aurait été de lui mettre des limites, de lui interdire quelque chose.
Est-ce qu'il faisait toujours ça ?
-Je n'ai pas envie que tu partes, avoua-t-il après un temps.
Jungkook détourna le regard mais l'aîné reprit :
-Mais tu vas avoir vingt-trois ans et... tu as le droit de...
Il n'arrivait pas à le dire, pas à finir cette fichue phrase. La mine de Jungkook sembla redevenir juvénile, les yeux grands ouverts, attendant, buvant ses paroles.
-Tu as le droit de vouloir partir... lâcha Jin.
Il l'avait dit et étrangement cela lui fit un effet de soulagement dans la poitrine.
-Rien n'est immuable, balbutia le plus âgé des deux. Les choses changent et peut-être qu'est venu le moment du changement.
-Je ne comprends pas, avoua le plus jeune.
-Qu'est-ce que tu ne comprends pas ? répondit Jin soudainement, décontenancé par sa réponse.
-Pourquoi tu parles d'immuable ? Pourquoi les choses changeraient, pourquoi ça ne peut pas continuer comme avant ?
-Parce que tu veux t'en aller, ça va changer les choses.
-Je serai seulement dans un autre pays, ça ne changera rien.
Jin soupira, la gorge nouée :
-Si, c'est un changement, tu... tu n'auras plus besoin de nous, de moi.
Jin tenta de cacher son désarroi derrière un sourire mais Jungkook fronça davantage les sourcils, d'un air rebelle, presque agacé :
-N'importe quoi !
Il se releva avec ses genoux sans vraiment d'effort, preuve de sa capacité physique et sportive et s'approcha du canapé :
-J'aurai toujours besoin de toi... de tous les hyung, je ... ça va être difficile de partir même si j'ai hâte. Si tu savais hyung, comme j'ai tellement hâte. J'ai regardé tout ce qu'il y a à faire à Washington lorsque je n'aurai pas cours et ça a l'air génial, ça a l'air différent. J'ai envie d'aventure, j'ai envie de m'épater, de me découvrir, c'est peut-être égoïste de faire ça alors que vous avez fait autant pour moi mais... je ne connais rien à la vie et tu le sais.
Il bougea mal à l'aise et Jin n'osa pas l'interrompre.
C'était tellement rare que Jungkook se confie de la sorte.
-Ça fait quatre ans que je suis arrivé à l'école et j'aime le professeur Lee Ji Eun même si je n'ai rien tenté, comme un con, maugréa-t-il. Je ne sors quasiment qu'avec les hyung, j'ai du mal à me lier aux autres personnes de ma promotion et plus encore avec des filles. Les trois quarts me foutent les jetons. J'ai mes études, j'ai le travail à l'usine tous les week-ends, ma vie tourne en boucle et je sais qu'on n'a pas le choix, qu'on doit faire tout ça parce que... qu'on a été...
Il hésita, semblant lutter avec lui-même :
-... abandonnés. Mais si je ne pars pas maintenant, je ne partirai jamais.
Cette fois il pleura et Jin l'agrippa par les épaules pour le serrer contre lui. Ils restèrent ainsi, un moment, à sangloter.
-Namjoon hyung me manque aussi, balbutia le plus jeune en reniflant, il doit se sentir tellement seul là-bas...
Jin détourna le regard et se releva :
-Je vais te sortir un pyjama propre pour dormir... À moins que tu ne veuilles rentrer ?
-Non, je veux rester là.
-Va te laver alors, je prépare ça.
Les mains dans la commode, Jin écouta l'eau couler depuis la salle de bain sous la mezzanine et il se remit brusquement à pleurer.
Il n'arrivait à rien gérer depuis une semaine et surtout pas ses émotions.
Il ne parvint à se calmer que lorsque Jungkook revint pour enfiler des vêtements.
-Les hyung vont m'en vouloir, tout le monde va m'en vouloir de partir, marmonna le plus jeune.
-Ils vont accuser le coup, avoua Jin, mais ils ne t'en voudront pas. Personne ne t'en voudra jamais, tu le sais.
-Moi je m'en veux de ne pas être satisfait de cette vie, d'être juste avec vous. Je me dis parfois que je suis vraiment égoïste...
-Tu ne l'es pas.
Jin le laissa se coucher et partit se laver lui-même. Plus tard, en se glissant sous la couette, Jungkook chuchota dans la pénombre, s'endormant à moitié :
-Taehyung hyung va se réjouir que je m'en aille...
Jin se figea avant de chuchoter :
-J'en doute.
-Il me déteste de toute façon...
-Il ne te déteste pas, il ne sautera pas de joie à l'idée que tu t'en ailles.
Ils se calèrent l'un près de l'autre.
-Ça fait une éternité qu'on n'a pas dormi ensemble, marmonna Jin en souriant.
-Hyung ?
-Oui ?
-Merci...
Jungkook avait le dos tourné et clairement ne semblait pas vouloir montrer son visage.
-Ne me remercie pas, si je m'écoutais, je te cloîtrerais dans mon appartement pour le reste de tes jours...
Le plus jeune se mit un peu à rire avant de tenter de se retourner.
-Je prendrai soin de Namjoon hyung là-bas.
-Tu n'as pas à faire ça...
-Vous vous êtes appelés hein ?
Jin plissa des yeux la main à quelques centimètres de l'interrupteur de sa lampe :
-Si c'était ton plan depuis le départ, je...
-Non non ce n'était pas mon plan, mais je suis content.
Et il l'était vraiment, il souriait à présent, faisant ressortir ses adorables dents de devant. Jin se calma en l'observant ainsi avant d'annoncer qu'il éteignait la lumière.
Plongée dans le noir, la pièce fut habitée par des bruissements de couverture le temps que chacun trouve la position la plus confortable.
-Hyung ?
-Oui ?
Mais Jungkook hésita avant de bafouiller :
-Jamais je ne te quitterai...
-Tu vas partir... lui rappela Jin
-Oui mais je ne te quitte pas, parce que ce n'est pas un abandon, ce n'est pas une rupture.
L'aîné ouvrit légèrement la bouche avant de la refermer :
-Tu as raison.
Et ce fut peut-être cette phrase-là, plus qu'une autre, qui le soulagea, le rassura doucement alors qu'il entendait la respiration du plus jeune devenir régulière.
Son dongsaeng ne le quittait pas, il s'en allait juste quelques temps, un peu plus loin.
Jin lui caressa le front avant de s'assoupir à son tour.
Sa dernière pensée fut pour Namjoon. La phrase du plus jeune ne cessait de tourner dans son esprit : « Il doit se sentir tellement seul là-bas... »
Jin bougea, les yeux fermés, mal à l'aise. Son cœur avait eu un pincement désagréable.
Un pincement qui ne disparaîtrait probablement jamais.
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Chapitre corrigé par @Cla_ra25
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