Jin déballa avec délicatesse mais empressement un service de table aux tons bleu marine qu'il disposa aléatoirement sur la surface de bois. Muni de sa tablette, il poursuivit son inventaire, les lunettes sur son nez, les manches retroussées.

Voilà deux jours qu'il avait signé son contrat et même si la boutique et le restaurant n'étaient pas officiellement ouverts, il devait travailler pour que tout soit en place pour le premier jour.

Les travaux de rénovation de l'immeuble avaient pris du retard, tout autant que les vérifications électriques, et c'est dans une ambiance un peu bordélique qu'il avait commencé à prendre ses fonctions. Dès le premier jour il avait rencontré tous ses nouveaux collègues. Il y avait d'abord l'équipe de Kihyun pour le restaurant et celle du magasin géré par son épouse, Jihyo. Tous semblaient plus ou moins se connaître, donnant encore cette impression d'entreprise familiale et amicale. Puis Jin s'était présenté à la vendeuse qui allait tenir la caisse et les aider en magasin. C'était la seule à vaquer d'une équipe à l'autre, polyvalente, elle semblait assez caractérielle. La jeune femme plutôt grande à la peau bronzée portait une sacrée collection de piercings aux oreilles et des tatouages, visibles ce jour-là. Elle s'appelait Ho Hyunju et Jin s'était  senti un peu intimidé par elle.

Enfin, et pas des moindres, venait Lee Junho, l'ancien manageur Lee, son collègue qui gérait la partie gros ameublement du magasin et c'était sur lui que reposaient toutes les difficultés.

Jin avait eu du mal à se remettre de l'affreuse surprise qui avait eu lieu, deux jours auparavant. Son ancien manageur allait de nouveau travailler avec lui, non plus comme son supérieur mais bien comme son collègue. Depuis cette découverte, les deux hommes s'étaient à peine croisés, Jin ne pouvant pas s'empêcher de détourner les yeux dès que leurs regards se rencontraient.

Le manageur Lee n'avait pas changé, du moins pas physiquement. Il portait toujours son aura fermée et sévère ainsi que sa mauvaise humeur apparente, qui le rendait froid et rigide. Mais parce qu'il ne portait plus un costume strict comme il le portait auparavant dans la compagnie de démarchage téléphonique, Jin le trouvait un peu plus jeune que ce qu'il avait cru.

L'un à côté de l'autre, Junho et Kihyun étaient le jour et la nuit et pourtant, Jin distinguait une certaine ressemblance physique. Il se demandait comment il n'avait pas pu s'en rendre compte auparavant tant il y avait de similarités entre eux.

Le problème était qu'il allait forcément devoir se confronter au manageur Lee car ils étaient tous les deux co-responsables de la partie magasin, de son organisation et de son inventaire. Les derniers travaux électriques devaient être terminés pour le lendemain et Jin ne pouvait plus fuir son ancien supérieur bien longtemps.

Par ailleurs, il avait annoncé à tous ses amis avoir trouvé un travail et la nouvelle avait rendu tout le monde euphorique. Ses dongsaeng n'avaient alors pas perdu de temps pour proposer une soirée, histoire de trinquer à cette nouvelle. Jin, requinqué par cette embauche, ne pouvait cacher sa bonne humeur et son sourire.

Le vent avait tourné et l'image symbolique qu'il s'était imaginée dans sa tête, lui dans une barque brinquebalée par une mer déchaînée , voguait enfin sur des vagues plus calmes et un ciel plus bleu. Il avait l'impression, littéralement, de revivre et, même si la présence du manageur Lee faisait encore tache dans le décor, il se motivait pour commencer ce nouvel emploi d'un bon pied. Son esprit était rempli d'idées pour le magasin et le concept même de pouvoir tout aménager, de créer des univers, de donner à chaque objet sa place le rendait impatient.

Malheureusement, ce n'était que la partie finale, encore fallait-il tout déballer, étiqueter chaque objet, l'enregistrer dans la base de données, configurer la caisse, les stocks et tout un tas de tâches un peu pénibles.

Alors qu'il enregistrait sur la tablette ses données et que la vendeuse Hyunju en haut de l'escalier, les mains chargées de cartons, l'appelait pour lui demander de l'aider, Jin redressa la tête avant de sursauter de frayeur en voyant le manageur Lee à un mètre devant lui.

Ce dernier, la mine renfrognée, continua de s'avancer dans sa direction avant de lâcher :

-Ce soir, tu serais disponible ?

-Euh... oui, enfin non, balbutia le jeune homme aux cheveux encore roses. J'ai des visites pour des appartements à 19 h et...

-Après, peu importe si c'est tard.

Le ton était sans appel et Jin se revoyait, malgré lui, encore devant son fichu box et son écran à ne rien faire d'autre qu'appliquer les ordres.

-D'accord.

-On doit parler, j'attendrai vers 20h devant la boutique.

Et sur cette dernière phrase son ancien supérieur fit volte-face, retournant à ses occupations. Jin cligna des yeux, se raclant la gorge, gêné et un peu perturbé par cette approche directive, puis s'empressa d'aller aider la jeune femme qui était en train de jurer comme un charretier.

En fin de journée, il s'excusa rapidement auprès de Kihyun et de son épouse de devoir partir pile à l'heure car il avait planifié des rendez-vous pour visiter des locations d'appartement. Le couple parut surpris mais se mit à sourire avec douceur. Jihyo chuchota :

-Mais Jin, tu as fini ta journée, tu peux tout à fait partir.

Le rosé fut très gêné par cette remarque. Il s'inclina encore et le reste de ses collègues le salua avec bonhomie et facilité alors qu'il s'éclipsait par la porte de service.

Si certains utilisaient son nom de famille, d'autres, notamment les femmes, l'appelaient Jin. Le jeune homme en était un peu embarrassé car il n'était pas du genre à être très familier dès la première approche.

C'était bien une des choses qu'il partageait le plus avec Namjoon.

Repenser à son ancien compagnon lui fit mal et le déconcentra au moment de donner l'adresse au taxi qu'il avait hélé.

Dans la voiture, il consulta son téléphone et répondit à ses différents messages. Sur le groupe de discussion, Yoongi et Taehyung débattaient sur le restaurant où il fallait se rendre pour fêter le nouvel emploi de leur aîné, prévu pour dimanche. Jimin postait encore trop de selfies agrémentés de smileys mais Jin ne pouvait pas s'empêcher de le trouver mignon sur chaque photo, alors il les enregistrait dans son téléphone. Il remonta le fil de la conversation pour tomber sur la photo que Namjoon avait postée deux jours plus tôt. Cela ne représentait que le paysage urbain qu'il devait sûrement voir de la fenêtre de son appartement.

Il n'avait annoté qu'une seule phrase « Tout se passe bien, ne vous inquiétez pas. Vous me manquez et non je n'ai pas perdu mon passeport, pas cette fois. »

Ce à quoi ses amis avaient commenté et raconté toutes les fois où, en effet, Namjoon avait perdu ses précieux documents.

« Vous me manquez. »

Jin bascula sur l'écran principal et s'accouda au bord de la fenêtre, laissant ses yeux se perdre à travers le décor sans réellement le voir.

Namjoon lui manquait terriblement.

Il arriva à l'heure et s'inclina devant l'agent immobilier. Même si l'homme en costume était poli et très serviable, Jin ne fut pas du tout convaincu par les appartements qu'il lui présenta.

-Malheureusement des logements au prix que vous cherchez, nous en proposons peu, surtout dans ce genre de quartier, avait prévenu l'homme au préalable au téléphone.

Mais face à la réalité, Jin ne pouvait à présent qu'acquiescer. Les logements qu'on lui proposait étaient minuscules et se trouvaient dans d'anciens immeubles bas de gamme. Mais Jin, dont les cheveux roses semblaient perturber l'agent immobilier, se rendit compte alors qu'il inspectait la pièce, qu'une part de lui était encore attachée à son ancien logement. Il se revoyait encore, des années en arrière, vérifiant toutes les heures les nouvelles annonces et sautant sur l'occasion pour appeler les agences dès qu'une des locations l'intéressait. A l'époque, avec son salaire en plus du financement de la thèse de Namjoon, ils avaient réussi à trouver sans mal. Aujourd'hui il se rendait compte à quel point son ancien logement était une perle rare.

Et cela ne faisait que serrer son cœur plus intensément encore.

Il s'inclina en partant, mentant délibérément par politesse en affirmant qu'il allait prendre le temps de réfléchir. De nouveau dans le taxi, il se mit à angoisser en voyant qu'il était en retard. Rien que l'idée qu'il allait devoir se confronter au manageur Lee lui rajouta une dose de stress supplémentaire.

Taehyung envoya un message demandant à quelle heure il arrivait et l'aîné lui demanda de ne pas l'attendre.

« Pourquoi ? Tu fais quoi ? Tu es où ? Tout va bien ? »

Jin soupira, s'arrachant tout de même un sourire amusé en répondant : « J'organise un braquage là, tu vois tout va bien. »

« Tu n'es pas drôle, hyung. Mais pourquoi tu rentres si tard, tu devrais être parti du travail maintenant... Ils t'ont kidnappé ? »

Jin ne répondit pas tout de suite et se mordit quelque peu la lèvre. Même si sa colocation avec Taehyung se passait pour le mieux, ce dernier semblait avoir pris beaucoup trop d'habitudes à présent. L'aîné aux cheveux roses ne cessait de repenser à ce que Yoongi avait dit sur le « maternage » et il ne voulait clairement pas aller dans ce sens à nouveau. Il désirait un chez soi, quelque chose même de petit mais au moins de correct. Il avait besoin de se retrouver dans une intimité qui lui était propre tout en craignant pourtant cette solitude qui allait lui tomber dessus.

Le taxi le déposa dans la rue, pile en face de la boutique où la silhouette de l'ancien manageur Lee l'attendait, tendue.

-Je suis désolé, s'empressa d'annoncer Jin en quittant la voiture, ça m'a pris plus de temps que prévu.

Le véhicule redémarra, continuant sa route et ne resta que le silence, la gêne et eux au milieu de la ruelle éclairée par les réverbères.

-Vous... Vous vouliez parler ? marmonna Jin sans se démonter.

-Allons ailleurs, on ne va pas rester debout comme des idiots au milieu de la rue.

Et de nouveau, parce que c'était un réflexe, Jin ne put rien faire d'autre qu'acquiescer. Il suivit son ancien supérieur qui marchait à grandes enjambées, semblant savoir où il allait. Le trajet se fit dans un silence angoissant, chargé de non-dits et de méfiance.

Sur le trajet le jeune homme aux cheveux roses consulta son téléphone, où Taehyung s'était empressé de prévenir le groupe que Jin venait d'être enlevé par des extraterrestres.

Hoseok avait répondu avec un gif mort de rire et Yoongi avait cinglé directement « c'est toi l'extraterrestre ». Jungkook était en ligne mais n'écrivait pas, Namjoon, lui, était hors ligne ce qui ne l'étonnait pas vu le décalage horaire, seul Jimin semblait écrire quelque chose.

Peu à peu la conversation partit en débat puis s'enlisa, comme toujours, à coup de blagues vaseuses et de remarques taquines et sarcastiques. Jin écrivit rapidement qu'il devait parler avec son collègue et qu'il rentrerait peut-être tard.

Ce fut Yoongi qui réagit au quart de tour : « Ton collègue ? Le type de ton ancien boulot ? »

Jin répondit rapidement à l'affirmative alors que Lee s'arrêtait au passage piéton car le signal lumineux était rouge.

La discussion en ligne s'embrasa d'autant plus, chacun y allant de sa remarque alors que Hoseok soulignait qu'il s'agissait peut-être « d'un enfoiré mais pas d'un psychopathe » et donc qu'il n'y avait pas non plus à prévenir la police pour venir en aide à leur aîné.

À quelques mètres, l'ancien manageur s'arrêta devant un petit bar étroit et, sans demander l'avis à son interlocuteur, entra. L'inquiétude de Jin empira mais il le suivit. En s'asseyant, Lee ne prit pas le temps de le laisser défaire sa veste qu'il commanda une bière et Jin, pris de court, affirma au serveur qu'il prendrait pareil. Les boissons servies, les deux se firent face et Jin, nerveux avait encore du mal à garder son regard ancré dans les iris noirs de son ancien supérieur.

Le malaise s'intensifia alors qu'aucun des deux ne prenait la parole, jusqu'à ce que Lee soupire, porte son verre à ses lèvres et avale presque d'une traite plus des trois quarts du liquide. Puis, sous les yeux écarquillés du rosé, il se racla la gorge avant de dire :

-Je voudrais m'excuser.

Jin cligna des yeux ne réussissant pas à cacher sa surprise totale et Lee vida à nouveau son verre avant de lever la main pour commander une autre bière.

-Pour tout ce qui s'est passé dans notre compagnie précédente, je voudrais m'excuser.

Le nouveau vendeur battit des paupières une nouvelle fois puis se concentra, attrapant son verre à peine entamé avant de marmonner :

-D'accord...

La seconde bière arriva et les lèvres pincées du rosé marmonnèrent :

-Vous avez été viré à cause de moi ?

Lee parut surpris mais son visage ne garda pas son expression. Toujours avec cet air renfrogné qui lui était propre, il répondit pourtant spontanément :

-Non, pas du tout, c'est moi qui suis parti.

-Vous êtes parti ? Répéta Jin.

-Quelques jours tout au plus après... Après l'annonce des résultats du projet.

Il prit une grande inspiration, reprit son verre qu'il avala encore  jusqu'à la moitié et Jin se demanda s'il avait l'habitude de boire ainsi ou s'il cachait une nervosité, le poussant à boire et s'alcooliser le plus rapidement possible.

Néanmoins l'ancien manageur reposa sa boisson et sembla faire une pause.

-Vous avez porté plainte contre le manageur en chef ?

Jin releva la tête avant de se mordre la lèvre :

-Non, je... Je sais ce que j'ai dit, mais diverses choses sont arrivées ensuite et je ne l'ai pas fait. Ce jour-là mes mots ont dépassé ma pensée et enfin je...

Il hésita mais finalement s'agrippa à son courage :

-J'étais au bout du rouleau.

Cette fois-ci, il ne détourna pas le regard lorsque les yeux sombres de son ancien supérieur se posèrent sur lui. Lee acquiesça, faisant tournoyer le liquide dans son verre sans le boire.

-L'agence pousse les salariés à l'épuisement, tu n'étais ni le premier ni le dernier à vivre ce burn-out. Néanmoins, même si tu n'as pas porté plainte, d'autres l'ont fait et c'est remonté jusqu'à la direction. De ce que je sais maintenant, le manageur en chef a été mis en examen.

-Mais il n'a pas été viré ? S'exclama Jin

-Non... pas tant que l'enquête n'est pas terminée.

Il termina sa bière et leva encore une fois la main alors que Jin n'avait bu qu'un quart de la sienne.

-J'ignorais que... Park Jihoon et le manageur en chef avaient ce type de relation et je regrette...

Il sembla s'armer de courage à son tour :

-... Que tu m'aies vu dans une situation pareille.

Cette fois Jin tourna les yeux, mal à l'aise en se rappelant de l'image.

-Je n'ai pas d'excuses, je peux essayer de me justifier mais ça n'empêche que j'ai participé à tout ça et que j'en suis responsable.

Le rosé ne répondit pas, se contentant de fixer la bière de son interlocuteur avant de se décider à parler. Étonnamment, même si la gêne était présente et le sujet clairement difficile à aborder, Lee semblait vouloir l'écouter, lui laissant ce genre de moments pour prendre la parole.

Ça ressemblait au manageur qu'il avait connu, droit, carré et rigoureux mais qui savait prendre ses responsabilités et qui pouvait écouter ce que les autres avaient à dire.

-Park Jihoon qu'est-il devenu ?

-Il travaille toujours là-bas,

Jin se figea dans son geste

-Vous plaisantez ?

-Non pas vraiment, répondit directement Lee.

Les choses n'allaient réellement pas toujours dans le sens qu'on aimerait croire.

Ils restèrent ainsi, silencieux jusqu'à ce que le plus âgé des deux, à savoir le brun au visage glacial, ne reprenne :

-Je n'aurais jamais pensé que les choses se feraient ainsi, que tu puisses de nouveau travailler avec moi.

-Moi non plus.

-Je voudrais qu'on règle ce problème avant l'ouverture du magasin. À partir de maintenant, on va devoir travailler ensemble, Kim.

-Je dois vous avouer que je ne suis pas très à l'aise avec cette idée, marmonna Jin en grattant du bout des ongles le logo sur son verre de bière.

-Moi non plus, mais c'est moi qui suis le plus fautif et je tenais d'abord à m'excuser. Les choses n'auraient jamais dû se passer ainsi.

-Vous avez pris le parti de Jihoon, au moment des résultats, n'est-ce pas ?

Lee se figea avant de froncer les sourcils, rendant son visage plus sévère encore.

-Pas du tout. Je devais être impartial, Park Jihoon n'était que...

Jin attendit, attentif et Lee soupira bruyamment avant de dire :

-Un moyen de passer ma frustration et mes problèmes personnels sur quelqu'un. Ce n'est arrivé qu'une seule fois.

-Je ne vous demande pas de vous justifier sur votre relation avec lui, s'empressa de dire Jin.

-Mais je compte être honnête, répondit Lee du tac au tac. Quitte à crever l'abcès autant parler franchement.

Il but à nouveau à une vitesse hallucinante avant de lâcher sombrement :

-Je suis en phase de divorce difficile et compliquée et ce boulot me surchargeait d'un stress que je ne pouvais pas et que je ne savais pas gérer. Je me suis laissé conquérir par un gamin à la belle gueule en pensant naïvement qu'il m'appréciait suffisamment pour ce que j'étais et non pas pour mon rôle et mon pouvoir décisionnel dans le cadre professionnel.

Jin se figea, ses yeux s'écarquillant, clairement. La gêne de leur entretien venait à présent de passer un cap supérieur, néanmoins il n'eut pas envie de couper son interlocuteur.

-J'ai fait une erreur, que je regrette amèrement, et j'en ai payé le prix.

Le jeune homme aux cheveux rosés acquiesça, cachant son malaise en buvant une gorgée. Le silence s'éternisa rendant encore leur échange difficile à supporter. Mais les pensées de Jin, elles, étaient rapides et réactives.

Il avait du mal à revoir les images de son ancien travail sans sentir les effets de l'angoisse, du chagrin, sans éprouver un stress terrible. Il avait l'impression d'être traumatisé et que son cerveau allait imploser pour fuir ses réminiscences. Néanmoins, en observant l'ancien manageur Lee par-dessus son verre, il fut relativement satisfait d'entendre des excuses. De constater que tout n'avait pas été aussi pourri et malveillant jusqu'au bout et qu'il subsistait encore un peu de bonté et d'humanité dans ce milieu.

Il se pinça les lèvres avant de marmonner :

-Et donc vous... Vous avez ensuite choisi de travailler avec votre frère aîné ?

La question était à présent de savoir comment ils allaient pouvoir de nouveau travailler ensemble sans que leur ancien travail ne vienne parasiter une potentielle entente professionnelle. Jin avait du mal à savoir comment cela pouvait être possible tant les images et les sensations étaient fraîches et saisissantes dans son esprit.

Pourtant il n'en voulait pas spécialement au manageur Lee. Il ne portait pas de réelle rancœur à son égard, seulement une déception, comme si le supérieur qu'il avait érigé en être froid, directif mais professionnel, était devenu faillible depuis ce jour-là. Lee n'était pas responsable mais il avait tout de même contribué à une charge mentale phénoménale en étant toujours derrière son dos.

Mais à présent, il prenait conscience que Lee devait aussi être sous pression par sa hiérarchie.

Le serpent se mordait la queue.

-Pas vraiment, avoua l'aîné, trouver un travail aujourd'hui n'est pas toujours une tâche aisée...

Jin écarquilla les yeux, surpris.

-Oui, mais vous... Vous avez été à l'université, vous avez un diplôme dans le management. Comment se fait-il que vous ayez rencontré des difficultés ?

Lee fronça les sourcils :

-Je ne me rappelle pas avoir donné des infos sur mes études...

Le rosé se mordit la lèvre avant de balbutier :

-Les rumeurs circulaient dans l'agence, vous savez...

Le brun soupira avant de finir sa énième bière.

-J'ai beau avoir été diplômé, je n'aspirais plus du tout à encadrer des équipes de la sorte. Je ne pense pas avoir été un bon manageur.

-Vous avez été un bon manageur.

Leurs regards se croisèrent mais Jin prit une grande inspiration avant de souffler :

-Mais vous n'étiez pas très aimable tout de même.

Quelque chose tomba, comme un poids dans sa poitrine mais aussi un soulagement. Il y eut un moment de latence jusqu'à ce que le brun acquiesce :

-Je m'en doute.

Puis il enchaîna :

-Vous n'étiez pas très bon comme salarié pour une telle compagnie, trop empathique et bienveillant, pas assez compétiteur.

-Je le sais.

Ils se fixèrent et Lee enchaîna :

-Heureusement pour nous, dans ce nouveau travail je n'aurai pas d'équipe à encadrer et vous n'aurez pas de compétition à mener.

Jin s'autorisa à sourire pour la première fois de la soirée :

-En effet.

Puis il reprit, sentant un nouveau courage infiltrer ses veines au point de faire taire sa timidité :

-Je tiens beaucoup à ce travail, j'en ai véritablement besoin. Je n'ai pas été à la fac, alors une proposition comme celle qui m'a été faite par le chef Kihyun n'était pas réfutable.

Lee sembla amusé de l'appellation de son frère mais acquiesça :

-De même.

Une sorte d'accord silencieux prit place entre eux sans avoir besoin de davantage de mots.

-Hyung est quelqu'un dont tu peux avoir confiance.

Lee détourna le regard avant d'ajouter :

-Il avait l'air particulièrement heureux que tu rejoignes le magasin.

Jin se sentit étrangement galvanisé par ses mots et il marmonna :

-Je suis sûr qu'il doit être heureux de travailler avec vous, tout me paraît si familial dans ce qu'il tente de construire.

-On ne se supportera pas longtemps, avoua Lee en soupirant, d'une certaine manière c'est temporaire. Il me donne un nouveau départ jusqu'à ce que je trouve quelque chose qui me convienne.

-Je vois.

La bière de Jin se terminait et il mourrait à présent de faim, mais cette fois-ci il était hors de question de faire éterniser leurs échanges ou même de penser à dîner ensemble. C'était là trop de familiarité entre eux.

-Tu as dit que tu avais des visites à faire à 19h, reprit Lee, les sourcils froncés.

-Oui...

Jin hésita avant de finalement dire :

-Je cherche un nouvel appartement.

-Bon courage.

Ils se fixèrent et le rosé haussa les sourcils surpris par ce ton légèrement ironique. Ils n'en étaient pas encore là et c'était visiblement assez mal venu de prendre un ton aussi familier après une discussion pareille. L'ancien manageur s'en rendit compte car il se racla la gorge :

-Je sais bien que c'est la croix et la bannière dans cette ville pour trouver quelque chose de potable.

-Je commence à m'en rendre compte, admit le plus jeune.

Puis soudain le brun chercha son téléphone dans sa poche avant de déclarer :

-Je connais un type dans l'immobilier, il peut t'aider.

Jin eut un mouvement de recul :

-Je vous assure que ce ne sera pas nécessaire, j'ai encore d'autres visites.

-Je le conçois, mais prends quand même les coordonnées si jamais tu ne trouves rien, appelle-le et dis-lui que c'est moi qui t'ai donné le numéro.

Lee le fixa, sa mine renfrognée avait perdu de la morosité :

-C'est... pour m'excuser.

-Vous vous êtes déjà excusé.

-Disons que c'est en gage d'un nouveau rapport professionnel entre nous. Comme effacer l'ardoise.

Le rosé le toisa, l'ongle de son pouce grattant encore le logo sur le verre de manière nerveuse.

Il hésita, méfiant avant de sortir son propre téléphone qui clignotait, indiquant, très sûrement, que ses dongsaeng avaient dû lui envoyer de nombreux messages.

-Prends-le, insista Lee, pour avoir des appartements corrects, il faut parfois avoir les bons contacts et les bons numéros dans cette ville.

Jin acquiesça, récupérant finalement le numéro avant de se racler la gorge.

-Je vais m'en aller.

Lee acquiesça à son tour, commandant une autre bière. Jin avait perdu le fil du nombre exact de ses consommations.

-Bonne soirée Kim.

-A vous aussi.

Il y eut un dernier regard, comme l'accord silencieux qu'à présent les choses seraient peut-être mieux, du moins, moins chargées de non-dits qu'elles ne l'avaient été.

En quittant le petit bar, Jin marcha quelques mètres, ne se pressant pas vraiment pour lire les messages non lus sur son téléphone.

Il restait en lui un sentiment mitigé mais pas désagréable.

Étonnamment, en ressortait davantage le soulagement. Avec le retour du manageur Lee dans sa vie, il avait imaginé une vague destructrice l'engloutir à nouveau et le tirer vers le fond mais les choses s'étaient passées différemment.

Tout n'était pas encore clair mais c'était mieux que ça n'avait été.

L'espoir, lui, restait.

L'espoir que tout aille mieux.

Que tout aille bien.

Qu'il y ait enfin une place pour lui quelque part.

Et Jin s'accrochait à cet espoir, de toutes ses maigres forces.

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Chapitre corrigé par @Cla_ra25

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