XLVIII
Lee Junho revint sur ses pas, le manteau et l'écharpe sous le bras et redéposa le tout sur le dossier d'une chaise. Ça n'allait pas être simple, il le pressentait, mais il avait pris sa décision. Il resterait, pour le meilleur et pour le pire mais il ne l'abandonnerait pas.
N'était-il pas celui qui lui avait assuré qu'il ne le quitterait pas ?
Maintenant qu'il en prenait conscience, il se rendit compte à quel point il avait failli manquer à sa promesse par crainte. Par crainte de ne pas être en mesure de supporter une nouvelle crise.
Par crainte de souffrir lui-même.
Kim Taehyung se tenait toujours debout, figé, ses prunelles animées, farouches et désespérées. Ça avait duré le temps d'un clignement de paupière, il avait refermé son armure, couvert ce que Lee n'était pas censé voir.
Le plus âgé tenta de parler le plus doucement possible montrant d'un signe le téléphone que le plus jeune tenait :
-Ils vont te répondre mais tu sais, à cette heure-là, ils doivent tous être au travail. Jimin a parlé d'un cours, d'une scène de télévision, d'un studio fermé et lui et Seokjin n'ont pas accès à leurs téléphones au sein du magasin...
C'était la réponse à avoir, mais pas celle que Kim voulait entendre. Tout se passa comme s'il y avait eu un arrêt sur image, et à présent les émotions se remirent en activité. Le téléphone fut balancé, ce fut soudain, violent et effrayant. Il passa à quelques centimètres du visage de Lee, s'éclatant contre le coin d'un meuble de cuisine dans un bruit de plastique brisé.
Les hostilités commençaient.
-TAIS-TOI !
Taehyung se prenait à présent la tête entre les mains et ce fut son visage empli de souffrance qui provoqua chez Lee une violente émotion. Il se sentait saisi par cette détresse et pourtant il ne se laissa pas gagner par elle. Les deux pieds ancrés dans le sol, il resta droit, implacable car c'était finalement, à ses yeux, la seule chose qu'il savait bien faire.
-On aimerait tous pouvoir tout contrôler, et les autres aussi mais ni toi ni personne n'en a le pouvoir. Il y a le décalage horaire pour l'un, les obligations professionnelles pour les autres mais...
-Tu ne comprends rien ! Tu ne...
-Ils vont te rappeler dès qu'ils verront ton appel, tenta encore une fois le manageur d'un air stoïque. Ils sont là mais ils ne peuvent pas être toujours là.
Maintenant que Taehyung avait fait exploser son téléphone, il semblait chercher des yeux quelque chose sur quoi passer ses nerfs, ou pire encore. Ses yeux balayaient avec rapidité l'espace comme mesurant la valeur de chaque chose et sa propension à se défouler.
Lee se tut. Une phrase lui brûlait la langue mais c'était typiquement le genre de remarque qui demandait à y réfléchir plusieurs fois avant de la prononcer. Il maintenait sa droiture, les sourcils froncés, conscient que si Kim ne trouvait rien sur lequel se jeter, ça reviendrait sur lui.
Alors il lança, d'un ton qu'il n'utilisait jamais, quelque chose de solennel, sans émotion mais avec bienveillance : une vérité.
-Kim, ils ne sont pas morts.
Un hoquet sembla rester bloqué dans la gorge du plus jeune, il se figea brusquement, les yeux écarquillés et lorsqu'il releva la tête, Lee s'attendit à ce qu'il se jette sur lui, et lui massacre le visage mais il n'en fut rien.
-Tu... tu ne sais pas de quoi tu parles...
Taehyung paraissait complétement décontenancé, cette fois, la rage n'animait plus ses prunelles, il ne s'en arrachait plus les cheveux, il semblait paralysé par quelque chose.
-Je devine, marmonna doucement le manageur. Je pense que j'ai deviné ce qui t'inquiétait.
-Tu ne devines rien, tu n'es rien !
-Oui je ne suis rien, mais ça ne m'empêche pas de comprendre certaines choses.
Peut-être que dans le fond, ce que Junho comprenait, c'était Seokjin lui-même et le comportement protecteur de ce dernier. Au regard de ce qu'il voyait, de ce qu'il ressentait, de la détresse qui embaumait l'atmosphère, quelqu'un comme Kim Seokjin ne pouvait pas avoir eu beaucoup d'alternatives envers ce jeune homme, qui ressemblait à s'y méprendre à un enfant abandonné. Mais Lee n'était pas Jin et ne voulait pas l'être. Il y avait des vérités qui devaient être entendues et ce malgré la violence que les mots pouvaient avoir parfois. La désorientation de Taehyung ne dura encore que quelques secondes et la hargne revint, la défiance aussi, comme si soudain sa personnalité et ses vices se restauraient pour tenter de le protéger.
-Qu'est-ce que tu as à comprendre, hein ? Tu ne peux pas savoir, tu ne peux rien deviner ! Tu es juste là... juste là pour rien !
Il avait craché ces derniers mots mais ce n'était pas la première fois que Junho les entendait. Qu'est-ce que tu fais là ? Pourquoi t'es là ? Tu n'as qu'à rester juste là.
Il y avait une histoire de place ou de placement, difficile de dissocier les deux. Kim Taehyung le lui reprochait depuis le premier jour où ils avaient travaillé ensemble. Il lui reprochait « d'être là » et ça voulait peut-être dire « d'être près de moi ».
Alors pourquoi, pourquoi avait-il eu l'air de s'effondrer avant qu'il ne tente de partir de l'appartement s'il refusait que Lee soit près de lui ?
-Tu veux que je te le dise ? Ce que j'ai pu deviner en vous observant, en t'écoutant leur parler au téléphone ? Ça fait plus de quatre mois qu'on travaille ensemble, qu'on passe notre temps ensemble à l'étranger. Tu ne parles presque jamais de toi, tu les appelles tout le temps. Bien sûr que j'ai compris des choses.
Ils allaient s'égratigner, Lee le savait comme il avait toujours su les risques qu'il encourait à bosser avec le Petit Être Mesquin et son instabilité. Il se cherchait lui à travers l'autre et à présent il devait puiser dans les ressources qu'il ne pensait pas avoir.
Voulait-il encore le sauver ?
-Vas-y dis pour voir !
Taehyung avait un sourire moqueur qui flottait sur le visage. Il releva le menton, avec défiance, ses yeux brillaient, narquois et plein d'aigreur. Il avait encore le visage défait de la fièvre, peut-être était-il même encore fiévreux mais il demeurait étonnamment taillé dans du marbre. Ses traits n'avaient pas pâti de la maladie. Ainsi avec ses cheveux humides qui bouclaient doucement, il pouvait encore être beau et saisir son spectateur dans l'éclat de ses yeux.
Est-ce qu'il était encore sur une scène ? Jouait-il encore son éternel personnage ?
-Tu les aimes désespérément, murmura Lee. Tu as sans cesse besoin de les contacter à différents moments mais tu ne les aimes pas de la même manière.
Le mannequin ricana, violemment, durement, ses mains tenaient le dossier de la chaise devant lui, ça élargissait ses épaules d'être ainsi, lui donnait une carrure plus impressionnante. Pourtant ses phalanges étaient blanchies par la force qu'il mettait à se tenir ainsi comme si toute la tension résidait dans ses avant-bras et ses mains.
-Tu racontes de la merde comme toujours.
-Alors quoi ? Soupira le manageur. C'est toujours le problème avec le mot « amour », c'est ça ?
-Je n'ai pas de problème ! C'est vous qui n'utilisez pas le bon terme ! Haime, voilà le bon terme. Parce que l'amour va avec la haine !
-Non.
-Évidemment que si ! Mais toi et les autres vous ne voulez pas le voir en face, vous ne regardez que le bon côté, que l'amour dégoulinant, dégueulasse, parfait, qui n'existe pas !
Lee secoua la tête. Voilà qu'il inventait des mots pour les détourner comme il détournait toujours tout. Kim Taehyung passait son temps à contourner les choses sans réellement les affronter.
-D'abord il y a Hoseok.
Le plus jeune le fixa, bougeant la tête, ses yeux étaient perçants, il attendait, comme s'il n'avait qu'une hâte : se jeter sur sa proie et l'ensevelir de reproches, de moqueries et de méchancetés.
Comme si quelque chose devait sortir de lui pour l'apaiser.
-Tu veux toujours sa bénédiction. Tu cherches ça en permanence, c'est pour ça que tu lui écris souvent, pour qu'il valide à chaque fois quelque chose venant de toi. Tu l'admires. Je me demande s'il n'a pas été ton modèle avant mais tu le rejettes aussi, parce qu'il ne te donne pas plus d'attention qu'aux autres. Il est certainement plus proche de quelqu'un d'autre dans votre groupe. Jimin, peut-être, ou le plus jeune. Quelqu'un avec un caractère plus facile que le tien et je crois que ça t'insupporte qu'il pense ça.
Il y eut un éclat d'indécision, quelque chose d'étrange, ses pupilles ne tremblèrent pas, son expression non plus mais quelque chose était passé dans son regard.
-Tu lui en veux de ne pas t'aimer davantage, d'être distant, tu le provoques exprès. Vous vous disputez régulièrement au téléphone. Peut-être aurais-tu voulu qu'il soit un grand frère uniquement pour toi.
C'était revenu, cette ombre fugace dans les yeux et ça avait fait flancher son sourire satisfait et irascible.
-Il y a Yoongi ensuite, le producteur. Avec lui, y a quelque chose d'ambigu. Comme si tu souhaitais qu'il te désire.
Cette fois le sourire avait littéralement disparu, ses sourcils s'étaient même froncés et cela poussa Lee à continuer :
-Tu es racoleur avec lui, tu lui fais des avances non cachées aussi. Tu lui parles de tes ébats ou je ne sais quoi... Tu joues avec ça et tu es contrarié quand il ne te répond pas alors tu le rejettes violemment et avec lui aussi tu te disputes. Tu n'aimes pas son côté moralisateur de celui qui sait tout. Parfois je me demande s'il n'y a pas eu quelque chose entre vous par le passé...Je préfère pas le savoir, ça ne me regarde pas.
Junho souffla, se sentant soudain enhardi par ce qu'il disait. Les mots glissaient plus facilement sur sa langue qu'il ne l'aurait cru. Il avait toujours pensé à ça mais il ne l'avait jamais verbalisé jusqu'alors.
-Il y a le maknae, aussi. Tu veux qu'il t'admire, qu'il soit en permanence dépendant de toi. Tu le disputes quand il ne te répond pas, et tu le rejettes quand il parle de la jeune femme avec qui il est proche. Tu veux être son confident mais tu ne supportes pas de l'être en même temps. Pourtant tu crains qu'il t'ignore pour de bon. Tu as toujours un sourire satisfait quand il t'appelle. Dans le fond tu fais tout pour être tout le temps dans leurs vies, à tous, en permanence, soit en bien, soit en mal mais tu dois être le centre de leur attention, non ?
Les mains furent retirées du dossier et se mirent à pendre le long de son corps, il ne reculait pas encore.
-Il y a Jimin ensuite. Tu voudrais qu'il soit ton reflet, non ? Tu pourrais lui donner la terre entière mais tu le hais violemment dès qu'il ne fait pas exactement comme toi tu voudrais qu'il fasse. Au téléphone tu insistes en permanence pour qu'il ne se tourne pas vers les femmes. Tu as besoin qu'il te ressemble, qu'il te comprenne tout le temps mais ça n'arrive pas et ça c'est difficilement supportable...
Il ne disait toujours rien mais cette fois Lee ne pouvait plus s'arrêter, plus il parlait, plus il comprenait lui-même un certain nombre de choses pour lesquelles il n'avait pas fait de lien jusqu'à maintenant.
-Puis viennent les deux derniers et là c'est plus compliqué. Je ne connais pas Namjoon, alors c'est plus difficile et tu l'appelles rarement. Tu es distant avec lui, j'ignore complètement ce que tu attends de lui ou ce que tu voudrais qu'il soit. Parce que ça marche toujours comme ça, non ? Tu les aimes pour quelque chose et tu les rejettes parce qu'ils sont différents de toi. L'amour et la haine. Une fois je me suis demandé si tu ne le rejetais pas plus que les autres parce que c'était le compagnon de Seokjin.
-Tu dis n'importe quoi...
Il avait semblé bafouiller l'espace d'un instant.
-S'il y a bien quelqu'un que tu as aimé sans le haïr avant, c'était lui, non ? C'était Seokjin. Ça m'a toujours frappé sur ce point mais tu n'as jamais voulu l'admettre. Pourtant il était la représentation de tout ce que tu voulais, et de ce que tu attendais, non ?
Cette fois ses yeux tremblèrent et l'armure commençait doucement à s'ouvrir à nouveau.
-Tais-toi...
-Seokjin était celui que tu aimais le plus, que tu gardais jalousement auprès de toi jusqu'à ce qu'il change de place. Jusqu'à ce qu'il prenne un rôle de hyung et uniquement de cela. Il a arrêté d'être ce que les autres attendaient de lui pour devenir lui-même et ça t'a été insupportable. Et ça te met en colère d'être loin de lui mais qu'il ne cherche pourtant pas à te récupérer.
-Tais-toi !
Ça y est, il reculait comme pour tout mettre à distance.
-Qu'est-ce qui s'est passé à l'époque quand tu as découvert que Namjoon et Seokjin étaient ensemble ? Que tu devais le partager ? Je me demande comment tu as réagi... L'interrogea Lee cette fois enflammé par toutes les idées qui émergeaient dans son esprit.
Taehyung gardait les mâchoires serrées, les poings fermés, ses yeux jetaient des flammes de colère contenue mais il demeurait sur la défensive. Dans l'entre-deux.
-Tu les aimes comme tu les détestes parce qu'ils ne font pas exactement ce que tu veux qu'ils fassent. Une fois tu m'as dit que c'étaient des « morceaux de ton âme ». J'ai du mal à comprendre ce concept mais ce que je comprends, par contre, c'est que tu t'es construit grâce à eux et que tu es effrayé à l'idée qu'ils te rejettent toi. Tu es effrayé à l'idée qu'ils meurent.
Qu'ils meurent comme ton père, aurait voulu ajouter Lee mais il savait que ce serait trop violent. Il savait qu'il franchirait une limite et un point de non-retour. Alors il se retint.
À quel point les enfants abandonnés étaient-ils terrifiés à l'idée que la même chose se reproduise à nouveau ?
-La ferme ! Arrête d'essayer de rentrer dans ma tête...
Il paniquait un peu, cherchait comme une fuite, observait son environnement exactement comme quelques minutes plus tôt mais avec crainte cette fois.
-Je ne le fais pas, marmonna le plus âgé avec douceur. Je suis comme ça, j'essaye toujours de comprendre. J'écoute sans espionner. C'est ma personnalité mais puisqu'elle n'est pas exactement ce que tu souhaites qu'elle soit, tu me rejettes.
-Tu as triché !
-Ce n'est pas un jeu, Kim, souffla Lee légèrement décontenancé par sa réponse. Je n'aurais jamais écouté tes conversations si tu ne les avais pas eues devant moi.
-Ça t'amuse de faire ça, hein ! De penser à ma place !
-Ça ne m'amuse pas du tout. Ça n'a rien d'une nouveauté de découvrir que tu aimes être admiré, désiré, écouté, compris et materné...
-N'importe quoi, argua le mannequin férocement.
-Ah oui ? N'est-ce pas pourtant exactement ce que tu as joué avec moi et ce que tu continues de me renvoyer encore maintenant ?
Cette fois Lee avait haussé la voix, c'était sorti de lui comme s'il criait de manière désespérée.
Oui, et moi dans tout ça, aurait-il voulu dire, ne suis-je pas la répétition de ce que tu leur fais vivre à eux ?
-N'importe qu...
Taehyung se tut brusquement, avant même de finir sa phrase et il cligna des yeux soudain sous le choc d'une découverte inconsciente. Ils se fixèrent ainsi comme si les liens se faisaient vraiment, comme si tout d'un coup à la lumière d'une vérité, quelque chose prenait un sens.
-Je me suis fait prendre au piège, avoua Lee délicatement. Ou au jeu, si tu veux. Je crois que je le savais sans le savoir. Pourtant je m'y suis plu aussi, à répondre à tes attentes pour que tu répondes aux miennes. Les choses ne viennent pas que de toi. Comme je l'ai dit la dernière fois, à travers toi je voulais aussi me découvrir moi, être moins lisse et parfait.
Il avait grimacé sous ce dernier mot. Taehyung parut reprendre ses esprits et persifla d'un ton accusateur :
-C'est ça qui m'insupporte chez toi ! Tu triches tout le temps !
-C'est pas ma faute si je suis curieux et que tu adores me mettre au défi de ça ! Répliqua le plus âgé sans pouvoir s'en empêcher. Tu faisais exprès de téléphoner devant moi, tu voulais que j'en sache plus et maintenant tu me rejettes de l'avoir fait !
-N'importe quoi !
L'ambivalence même aurait dû s'appeler Kim Taehyung.
-Mais jusqu'au bout, ni moi, ni eux ne répondrons entièrement à tes demandes. Tu ne peux pas attendre qu'on soit toi ! Mais je suis prêt à ça, je le savais même en te proposant de travailler avec moi. Je me tiens là où tu n'as pas envie que je sois mais où je vais être quand même !
Oui, tout n'était pas encore clair mais ça, ça il en était certain.
-Comme l'être lisse et ennuyant que tu es... maugréa Kim comme une tentative désespérée de reprendre le contrôle de ses pensées déboussolées.
-Exactement ! Argua Lee. Parce que dans le fond tu me détestes mais tu es soulagé que quelqu'un se tienne à côté de toi et tu le sais, tu ne veux juste pas l'admettre !
La réponse ne plut pas au plus jeune mais il demeura figé, presque étourdi par l'échange. Si fièvre il y avait eue, elle semblait revenir de plus belle à présent, ses mèches collaient à ses tempes trempées.
-Alors on arrête tout.
Cette fois ce fut Junho qui demeura décontenancé, cela lui donna presque envie de s'agacer mais il parvint à garder le contrôle en se pinçant l'arête du nez.
-Tu dis ça parce que tu es contrarié...
-Je me fiche que tu te tiennes là, je ne veux plus te voir.
Lee soupira bruyamment :
-Tu as conscience que comme tout à l'heure je vais partir et te laisser là.
-Absolument.
-Est-ce que c'est vraiment ce que tu veux ?
Par défi il allait répondre oui alors que ses yeux hurleraient l'inverse.
-Complètement.
Un léger sourire s'arracha du visage pourtant si implacable du manageur. C'était prévisible.
-On a des contrats en cours, le travail ça ne s'arrête pas comme ça. Par contre partir et te laisser te reposer pour aujourd'hui, ça je sais faire.
Il avisa de nouveau son manteau et son écharpe à ses côtés et marmonna :
-Tu ne t'étonneras pas si tu reçois un document par courrier. Je comptais t'en parler mais là ce n'est pas le bon moment. Une idée que j'ai eue...
-Quelle idée ?
-Laisse, ça attendra demain que tu sois en meilleur état et...
-Dis-moi.
-Kim.
-Dis-moi, insista-t-il bruyamment.
-Ok très bien. Quitte à ce que tu te mettes en rage pour de bon et que tu ne me loupes pas avec le prochain truc que tu m'enverras à la figure, j'ai fait envoyer un formulaire à ton adresse. Je me suis dit que ça t'intéresserait peut-être de donner un nom à notre partenariat.
-Comment ça ?
-Ce n'est pas une agence, ça n'empêche que j'ai des cartes à présenter aux potentiels professionnels. Même si nous ne sommes que deux, il faut se présenter pour signer des contrats. C'est ton nom qui sert de titre mais je me suis dit que tu voudrais, peut-être, lui donner un autre nom.
La curiosité sur le visage de Kim Taehyung le rendait un peu plus juvénile. Il était contrarié, très certainement atteint au plus profond de lui-même, confus face à l'échange qu'ils venaient d'avoir mais il ne pouvait pas s'empêcher de toujours vouloir savoir. Encore une fois, Lee se demanda s'il n'irait pas trop loin en prononçant ce qu'il avait sur le bout de la langue et pourtant il chuchota :
-J'y ai pensé au cimetière, tout à l'heure...
Soudain le visage du mannequin changea, ses yeux s'ouvrirent et son expression tomba. Il demeura sous le choc quelques instants puis confus.
-Tu veux dire qu'on peut lui donner le nom de mon père ?
-Pourquoi pas, ça te dirait ?
-Kim Ji Yoon, lâcha-t-il brutalement, rapidement comme si les mots lui échappaient.
-On pourra utiliser les initiales KJY, affirma doucement le plus âgé.
Dans l'environnement tendu qu'avait été leur conversation, une soudaine fraicheur venait de s'immiscer comme si l'orage avait arrêté de tonner au-dessus d'eux. Lee se sentit soudain apaisé, heureux aussi d'avoir trouvé les bons mots, la bonne chose à dire. Leur échange semblait avoir atteint une certaine profondeur au point où il se sentait connecté à son interlocuteur. Il se passa alors ce que Lee n'aurait jamais cru possible, Kim Taehyung bougea. Il essuya la sueur sur son front d'un revers de manche comme soudain conscient de transpirer plus que la normale, mais son visage demeurait apaisé, détendu. Il tendit le bras.
-Ça a dû refroidir mais mangeons.
Cette fois ce fut Lee qui fut désarmé et manifesta un temps de latence alors que Kim s'asseyait, tirait sa chaise et sortait la soupe tiède de son bol de carton.
L'air venait de changer, comme si tout avait éclaté et qu'à présent qu'ils s'étaient livrés à l'un et à l'autre, ils avaient pu trouver un terrain d'entente. Kim Taehyung demeurait presque absent, mais moins hostile et ils déjeunèrent ainsi. Le téléphone cassé demeura au sol sans que le propriétaire ne s'en préoccupe. Presque aucuns mots ne furent échangés, chacun d'eux semblait perdu dans ses pensées mais une fois le repas terminé, soudain épuisé Kim se leva.
-Je vais me recoucher.
-Très bien, admit Lee. Je débarrasse et je jetterai tout ça en sortant. Si la fièvre continue de revenir tu devrais prendre rendez-vous avec un médecin.
-Oui...
Ils se quittèrent ainsi et l'aîné ramassa la commande, empila les sacs de papier kraft, jeta ce qui restait de nourriture dans la poubelle adaptée avec des mouvements automatiques. Mais au moment où il finissait de se laver les mains, un bruit l'alerta et il se retourna.
Kim était de retour et cette fois ses pupilles prouvaient qu'il souffrait un peu plus de la fièvre que quelques minutes plus tôt. C'était comme s'il avait mis toute son énergie dans cette dispute et ça avait bloqué ses symptômes quelques instants. Maintenant tout semblait lui faire un retour en boomerang. Pourtant plutôt que de se laisser attraper par Morphée et de sombrer, il semblait avoir eu désespérément le besoin de venir lui dire quelque chose. Il était à moitié déshabillé comme s'il s'était arrêté pendant un acte et avait gardé une blouse à manches longues et son pantalon de velours à moitié défait.
-Qu'est-ce qu'il y a ? Le questionna le plus âgé.
-Tu vas donner le nom de mon père à l'agence ...
Alors c'était ça ? Finalement l'information semblait avoir du mal à être entendue.
-Pas moi, je ne suis pas décisionnaire de ça. C'est selon ce que toi tu veux, Kim.
-C'est comme un hommage...
Il semblait perturbé à présent et le plus âgé tâcha de paraître le plus rassurant possible :
-Oui, on peut le voir comme ça.
Pourtant le plus jeune ne bougeait pas, ses paupières essayaient malgré tout de se fermer mais il luttait. Après un temps qui parut infiniment long, il chuchota, comme s'il murmurait un secret :
-J'ai haï Namjoon.
Junho se figea.
-J'ai voulu lui faire du mal, il ne méritait pas hyung. Mais il a toujours été si gentil avec moi, il a toujours essayé de m'aider, c'est le seul avec qui je ne me disputais pas...
Puis il bougea comme agité d'un spasme :
-Il te ressemble quelque part. Ils te ressemblent tous... et je ne le savais même pas...
-On en reparlera une autre fois, si tu veux, affirma Lee en craignant soudain qu'il s'évanouisse.
Il n'était plus vraiment là, ses yeux étaient perdus dans un coin gauche de la pièce, dans le flou et ses pupilles se remplirent alors de larmes.
-Hyung était tout ce dont j'avais besoin, Jimin me comprenait mais il était inconstant, il était tout le temps en colère, personne ne répondait plus à ce que je désirais que hyung... Même pas Jungkook, de toute façon j'avais peur pour Jungkook alors je...
Il secoua la tête comme s'il chassait une mouche et Lee prit conscience qu'il commençait à délirer. Il passa une main sur le front du plus jeune en soulevant les mèches trempées qui tombaient devant ses yeux.
-Ta fièvre vient d'empirer, j'appelle un médecin.
Mais le plus jeune avait arrêté sa main, l'avait posée sur son cœur, ses longs doigts fins avaient glissé sur l'avant-bras de Lee et il s'était approché, calant sa tête dans le cou de son aîné.
-Redis-le.
C'était d'une toute petite voix qu'il avait formulé cette demande. Une voix écrasée par des sanglots qui semblaient venir secouer son corps. Démuni et confus, Lee prit quelques instants à se demander ce que le mannequin souhaitait puis il chuchota :
-Ils ne vont pas mourir.
Les larmes arrivèrent, les bras du plus âgé se refermèrent autour de ce corps mince qui s'accrochait désespérément à lui. Il lui caressa le dos un moment et avant de sentir les jambes du plus jeune flancher, il le rattrapa et le porta jusqu'au lit du mieux qu'il put.
-Repose-toi, marmonna-t-il en le déposant sur le matelas, je vais appeler un me...
Mais effrayé, Taehyung s'accrocha à lui, le faisant tomber sur le matelas. Lee grimaça en se relevant.
Un jour ce Petit Être Mesquin aurait sa peau. Pourtant sous lui, Kim s'agrippait à son visage, ses mains glissaient partout sur son corps, prenant des autorisations qu'il n'avait pas, il haletait. Ses lèvres arrivèrent, se déposant dans un coin de son cou et Lee chercha à sortir du lit.
-Kim, l'avertit-il.
Si le plus jeune jouait souvent avec lui, essayait de le tenter, le titiller, le narguer, le charmer, c'était même son jeu favori quand il s'ennuyait, il n'allait jamais vraiment au-delà. Car le but du jeu était visiblement que Lee le renvoie toujours sur les roses en marquant son indifférence. Cette fois, en franchissant la limite, ça sonnait comme un appel désespéré.
Le manageur tenta de se relever mais l'idée qu'il s'éloigne semblait mettre Taehyung dans tous ses états, comme si le fait même de se retrouver seul semblait trop terrible pour être réalisé.
-Kim, je ne vais pas partir, tu n'es pas obligé de faire ça. Je vais rester là.
Le dénommé l'enferma dans une étreinte serrée et dans sa lutte pour tenter de sortir de cette position délicate et ô combien tentatrice, Lee était parvenu à s'assoir sur un bord du lit, les pieds au sol, tandis que Taehyung s'était enfermé contre lui, ses jambes de part et d'autre. Ils restèrent ainsi longtemps. Contre sa gorge, la tempe du plus jeune était brûlante mais Junho décida de prendre son mal en patience.
Même aussi fort et déterminé qu'il l'était, d'ici quelques minutes, Kim allait s'endormir et il convoquerait alors un médecin pour venir l'ausculter.
-Merci.
Lee sursauta. Il ne voyait pas le visage de son interlocuteur coincé dans son cou mais il sentait son souffle, ses larmes, la chaleur de sa peau due à la fièvre, ses frissons et il entendait même son cœur battre.
Il se sentit bien, l'espace d'un instant, il se sentit vraiment flotter sur un nuage. Peut-être était-ce ainsi qu'avaient été ses attentes, du moins son attente. Il ne demandait rien mais se sentait encore vraiment heureux d'être remercié, de pouvoir être quelqu'un pour quelqu'un d'autre. D'être utile.
D'être à sa place.
Taehyung se redressa, ses cheveux lui collaient à la peau et il respirait difficilement.
-Reste avec moi, reste tout le temps avec moi.
-Je ne vais nulle part.
Sa tête dodelina mais il se reprit avant de froncer les sourcils de plus en plus durement. Lee le fixait, observait toutes ses réactions et si Kim le voyait vraiment, avec toute sa tête, il apercevrait enfin dans ce regard une véritable douceur qui faisait quitter les affres moroses auxquelles son visage était habitué.
-Pourquoi...
Mais Kim était confus, il se tenait à son interlocuteur, faisant froisser le pull de Lee au niveau de la poitrine. Lentement il porta son autre main sur son propre cœur.
-Pourquoi ton cœur ne bat-il pas aussi vite que le mien ?
Lee demeura déconcerté par la question, soudain dans l'incompréhension de l'inquiétude du plus jeune, comme si ce qu'il venait de prononcer avait une importance capitale.
Ça effraya le mannequin, parce qu'il se libéra soudain de l'étreinte, posa un pied maladroit au sol, tâtonnant sa poitrine comme face à une découverte dont il ne comprenait pas le sens.
Il recula, ses yeux tournèrent et Lee se releva, l'attrapant in extremis avant qu'il ne sombre dans l'inconscience.
Une main sur un cœur battant à tout rompre.
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Chapitre corrigé par Cla_ra25
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Ce chapitre et le précédent étaient en réalité un seul et même chapitre que j'ai scindé en deux ( sûrement pour épargner vos cœurs et le mien par la même occasion ;) ). C'est l'un des rares chapitres pour lequel j'ai été satisfaite de moi. C'est un événement suffisamment inhabituel pour que je le partage avec vous ~
J'espère que ce chapitre vous aura plût autant qu'à moi. Est-ce que vous êtes prêts à retrouver Jin et Namjoon pour les deux ( et longs) chapitres suivants ?😇
A très vite~
Artémis
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