VII
Une semaine et deux jours, voilà le temps depuis lequel Namjoon était parti.
Une semaine et deux jours, trois messages et un appel manqué, voilà tout ce qu'il lui avait envoyé. Il fallait multiplier cette somme par trois pour obtenir, à l'inverse, le nombre de messages et d'appels que Jin avait essayé de passer.
Rentrer chaque soir dans cet appartement vide était un peu plus dur chaque jour et un peu plus déprimant, et pourtant il tentait de garder la face.
Ce n'était pas comme si ses dongsaeng le laissaient seul mais chacun avait sa vie et il ne pouvait pas se résigner à pleurer comme un gamin dans leurs bras pour qu'on s'occupe de lui.
Bien sûr que non.
Il était leur aîné et c'était son rôle et sa mission d'être les épaules qui supportaient leurs secrets. Des années auparavant, il avait choisi de prendre la responsabilité de s'occuper de ces six-là et il gardait toujours en tête qu'il devait être fort, pour eux.
L'autre chose qui lui donnait un peu de baume au cœur était les cours de cuisine en compagnie de Naeyon. Le deuxième cours avait eu lieu hier soir et Jin en était ressorti avec ce même sentiment d'apaisement.
Mais en cet instant, les effets n'étaient plus présents et il n'y pensait pas vraiment, il était bien trop concentré à travailler le plus efficacement possible.
Une petite tête se suréleva au-dessus de la paroi du box d'en face et Jihoon fit une moue adorablement mignonne avant de dire :
-Hyung, tu veux un café ?
-Non merci.
Décidément, le regarder dans les yeux après cette scène de la semaine dernière, lui faisait un étrange effet. C'était comme si tout d'un coup, l'adorable maknae s'était transformé en autre chose. Parfois Jin s'inquiétait, se demandant si le gamin était bel et bien consentant et parfois il se questionnait sur ce qui poussait un jeune homme d'une vingtaine d'années à coucher avec un vieux machin comme leur manageur en chef...
Non décidément il n'y comprenait rien.
Il se montrait ainsi plus froid avec le plus jeune et tentait d'arrondir les angles pour que ce dernier ne le prenne pas mal.
En réalité il ne savait pas trop comment se comporter.
L'open-space était dans un chaos habituel à l'approche de la soirée, chacun se dépêchait de remplir son quota avant la fin de la sainte journée et Jin sentait ses épaules et sa nuque lui faire un mal de chien.
Mais comme si quelqu'un, là-haut, avait entendu ses prières, la totalité des écrans s'éteignirent d'un coup. Les lumières aussi, plongeant le grand endroit dans la pénombre. Il y eut des cris de surprise, des injures et même des soupirs de soulagement.
On commença à se questionner, s'agacer, paniquer en attendant que l'électricité revienne. Plusieurs minutes défilèrent ainsi, inhabituelles, car après une coupure le poste électrique d'urgence prenait le relais.
Cette fois on commença à s'impatienter et chacun, portable allumé avec flash ou non, cherchait à savoir ce qui n'allait pas, si c'était tout le quartier ou seulement l'étage.
Les manageurs demandèrent que tout le monde reste calme et le manageur en chef sortit de son bureau pour téléphoner à l'équipe technique.
Jin en profita, dans la pénombre ambiante, pour fermer les yeux et se laisser aller contre le dossier de son fauteuil. Rares minutes de calme et de repos dans cette longue et affreuse journée.
Vingt minutes plus tard, on les informa que c'était une panne de secteur dû à des travaux réalisés sur la route et qu'il faudrait attendre demain matin pour que tout soit réactivé. On grogna, les manageurs se plaignirent de ne pas avoir été informés et paniquèrent à l'idée que les données stockées sur le serveur aujourd'hui puissent avoir plantées.
Dans le fond Jin se sentait contrarié car si tel était le cas, cette journée n'aura donc servi à rien et demain il faudra tout recommencer.
C'était comme se tuer à la tâche, pour rien.
Mais sur le moment il n'y pensa pas, bien plus soulagé, comme tous, à l'idée d'avoir une excellente excuse pour quitter son poste plus tôt. On autorisa chacun à partir, demandant de revenir plus tôt le lendemain et le jeune homme se leva précipitamment pour prendre son manteau. Ce fut à ce moment-là que sa voisine, Hyoyeon lui lança :
-Ça vous dit qu'on en profite pour dîner ensemble, ? Ça fait un bail, non ? Toi, Jisoo, Ken et moi ?
-Adjugé, s'écria Ken.
Jin hésita puis finalement acquiesça. Ils quittèrent l'open-space en même temps, Jisoo se réjouissant, sans se cacher, que c'était vraiment le meilleur moment de sa semaine.
Tous les quatre quittèrent le bâtiment et se dirigèrent vers un restaurant non loin où ils avaient l'habitude de manger, avant, à l'époque où leur quota était plus réduit et où ils étaient moins considérés comme des machines. Jin se murmura que c'était le « bon vieux temps » et que l'avenir n'allait pas aller en s'arrangeant.
Ils dînèrent, commandant chacun une bière. Jisoo et Ken se disputèrent, leur personnalité ne concordaient jamais et le plus âgé ne cessait de déblatérer des inepties qui faisaient rire les deux autres sauf la belle brune. Jin sentit sa tension interne se relâcher alors qu'ils dévoraient leur repas avec entrain. Ken parti directement à la fin du repas payant sa part et assurant qu'il devait aller s'occuper de « ses six chats et de ses quinze bébés tortues ».
-C'est vraiment une excuse minable pour ne pas rester avec nous, cingla Jisoo.
Sauf que ce n'était pas une excuse, Ken était vraiment le genre de type à posséder une quantité de bestioles chez lui.
Le trio continua de boire, en fin de repas, le soju avait remplacé la bière. Les deux jeunes femmes avaient une sacrée descente et Jin préférait encore ne pas trop boire de peur de perdre totalement le contrôle.
Après tout, on était jeudi et ce n'était pas comme si demain il ne devait pas retourner travailler et il préférait ne pas avoir à subir une gueule de bois.
Les jeunes femmes critiquèrent allégrement leurs collègues de bureau, de la jeunette à l'accueil bête comme ses pieds, au hyung le plus âgé de l'open-space dont l'hygiène laissait parfois à désirer, jusqu'aux crises du manageur Lee, pourtant beau mais tellement imbuvable, et enfin, aux rares apparitions de leur manageur chef.
Jin commentait un peu mais ne rentrait pas dans le détail, il n'arrivait pas à s'empêcher de penser à Jihoon. Hyoyeon remarqua son silence et lui demanda :
-Quelque chose te tracasse ?
-Non, rien de particulier, mentit-il en offrant un sourire.
-Ton projet, non ?
-Un peu...
-Il te reste combien de temps ? Demanda Jisoo.
-Un mois.
-Tu as le temps...
-Je ne pense pas...
-Ils ont raccourci les délais, l'informa Hyoyeon, ça fait vraiment trop court...
-De toute manière, cingla la brune, ils s'en fichent complètement c'est que du flan leur projet.
-Ça peut carrément te faire grimper dans le classement...
-Tu parles, on nous vend le truc comme quoi on va pouvoir sortir de notre box, être pilote de projet entre autres, mais même s'il le valide ce seront les étages supérieurs qui géreront et toi t'auras juste le droit de grimper dans le classement, d'avoir un peu plus d'argent sur ton salaire et c'est tout.
-C'est déjà pas mal.
-Oui sauf que si tu dégringoles du classement la semaine d'après, tu perds tous tes avantages...
Jisoo avait l'affreuse capacité d'être très, trop souvent, négative. Elle était froide et sarcastique mais cette fois Jin ne pouvait lui en vouloir. Elle disait la vérité.
-Mon classement est trop mauvais, avoua-t-il.
-Oui, ça fait pleurer tes fans, ricana-t-elle.
-Je n'ai pas de fans, répliqua-t-il.
-Si, les deux gamines au bureau d'accueil, expliqua Jisoo en se servant un nouveau verre, elles sont jolies mais un peu connes.
Hyoyeon rigola à cette remarque et Jin secoua la tête. L'aînée lui tapota gentiment l'épaule :
-Déstresse, tu vas y arriver, ne t'inquiète pas.
-Je m'inquiète, justement...
-Et dans votre équipe ? Qui propose un projet ? Demanda la blonde.
-La salope qui vient d'arriver, je la déteste, siffla Jisoo, et Dongahe qui est assis en face de moi.
-Pourquoi la « salope » ? S'étonna Jin en grimaçant devant ce mot.
-Parce que je suis sûre qu'elle suce le patron pour avoir un si bon salaire...
Jin, qui buvait, s'étrangla à moitié avec son verre et sa voisine lui tapota le dos. Jisoo lui lança un regard amusé.
-Tu as des preuves ? Demanda son interlocutrice.
-Non, mais c'est une vraie abrutie, elle n'est pas capable de remplir son quota mais elle est bien classée. Moi je te dis, ça sent les affaires sous le bureau ça...
Jin s'essuya la bouche et tâcha de reprendre contenance, il bafouilla :
-Mais... enfin ... vous savez si... mais...
-Respire, mon vieux, t'es tout rouge.
-Il fait sa vierge effarouchée, laisse, se moqua Jisoo, mais après une bouteille de soju en général, ça va mieux.
-Arrête, rétorqua Jin en faisant une grimace qui la fit glousser. Ça me surprend juste que tu insinues qu'ils couchent ensemble. Tu crois vraiment que des salariés iraient jusqu'à...
-Bien sûr !
-Bien sûr, répéta Hyoyeon platement.
L'expression de Jin les fit rire toutes les deux et la plus âgée resservit le soju.
-Y a des sales rumeurs qui courent sur plusieurs d'entre nous et franchement pour certains ça ne me surprendrait pas, expliqua-t-elle.
-Comme qui ?
-La salope de mon équipe, répondit Jisoo abruptement, et la fille de la compta qui vient apporter les papiers de temps en temps, tu la vois ?
-Le rousse avec les cheveux au carré ?
-Elle est blonde maintenant, mais oui, elle.
-Ah.
-Jihoon, aussi.
Jin sursauta et se tourna vers Hyoyeon, elle lui jeta un coup d'œil amusé :
-Quoi tu n'étais pas au courant des bruits de couloir ?
-Non...
-Jaehyo en a parlé à la machine à café l'autre jour, comme quoi il aurait vu le maknae sortir du bureau du manageur chef un soir en boitant un peu.
-Ça ne veut pas dire qu'il couche avec.
-Je te l'ai dit, ce gamin n'est pas un ange, je mettrais ma main à couper qu'il trafique un truc dans son coin, déclara la blonde alors que Jisoo confirmait ses propos en hochant la tête.
-Pourquoi ferait-il ça ? Souffla Jin.
-Augmenter son classement, son salaire et pour que son projet à lui passe en priorité, pardi.
Ses épaules lui en tombèrent et il répéta :
-Pour que son projet à lui passe en priorité ?
-Bien sûr, le salaire, le projet, les horaires de boulot. Tu ne t'es jamais demandé comment ça se faisait qu'il arrivait si souvent en retard et que Lee avait beau lui faire des reproches, le manageur chef n'est jamais vraiment intervenu ? Y en a qui ont eu des avertissements pour moins que ça.
Jin ouvrit la bouche et après un temps de latence, faisant rire les deux autres, il se passa une main sur le front.
-Je n'y crois pas...
Et pourtant, à présent ça lui paraissait limpide comme de l'eau de roche.
-Ça veut dire que son projet passera devant le mien...
-Non, pas forcément, assura Hyoyeon, ce ne sont que des bruits de couloir et le manageur chef n'est pas seul à décider. Et puis si ton projet plait à Lee, il le défendra.
-Ça n'empêche que si c'est vrai, ce gamin a plus de chances de passer... fit remarquer Jisoo.
-Je ne pense pas, il y a trop d'autres intervenants pour ça.
-Oui tu as raison, faudrait qu'il suce les patrons de plus haut pour arriver à ses fins...
Elles rirent et Jin s'écria :
-Arrêtez de parler comme ça !
Elles rirent plus fort et continuèrent leurs conversations, Jisoo avouant qu'elle avait une fois couché avec son prof de fac pour une bonne note. De son côté Jin était estomaqué de ces nouvelles.
S'il n'avait pas vu de ses propres yeux le jeune homme sortir de cette salle dans laquelle il avait entendu des bruits suspects, il n'y aurait jamais cru. Mais à présent, il semblait voir clair dans son jeu et l'image qu'il gardait du si gentil et adorable Park Jihoon s'effrita à toute vitesse.
Une certaine colère arriva subitement mais elle retomba aussi sec. C'était tellement injuste qu'il espérait vivement que les projets seraient décidés de manière neutre et raisonnable.
Il raccrocha à la réalité quand Hyoyeon fit remarquer à sa voisine d'en face qu'elle ne portait plus sa bague de fiançailles.
-Je l'ai largué.
-Encore ?
-Ouais, encore, avoua la brune dans un mouvement gracile de la main comme si ça n'avait pas d'importance.
-Le mariage était prévu non ? Interrogea le jeune homme pour prendre part à leur conversation.
-Ouais... mais ça ne fait rien.
-Je pensais qu'il était « parfait », mima Hyoyeon avec ses doigts.
-Il était chiant surtout, finalement ça ne me convenait pas. De toute façon, j'ai découvert qu'une fois que tu vis avec un mec c'est le début de la fin.
-Pourquoi tu dis ça ? Demanda soudainement Jin.
-Je te l'ai toujours dit moi, déclara la blonde en soupirant.
-Déjà parce que tu dois supporter l'autre, énuméra Jisoo dont les yeux commençaient vraiment à indiquer son degré d'alcoolémie, deuxièmement parce que les mecs sont tous des machos et quand qu'ils ont une femme à la maison, ils pensent qu'elle va être comme leur mère. Qu'elle va faire la boniche et s'occuper de tout ! Sauf que moi ce n'est pas mon genre. Je bosse, je suis fatiguée le soir et j'ai pas envie de cuisiner. Le week-end je veux sortir, profiter et pas rester à la maison à m'occuper de monsieur, tu vois ?
Hyoyeon ricana et Jisoo reprit, véhémente :
-Non mais tu te rends compte qu'il ne savait même pas utiliser la machine à laver et qu'il ne savait jamais où ses affaires étaient rangées... ça m'insupportait. On devenait plan-plan, on ne sortait plus. Et puis, tu crois qu'en habitant ensemble tu baises tout le temps, dans toutes les pièces et bah non...
-Donc tu l'as jeté parce que vous ne couchiez pas assez souvent ensemble ?
-Je l'ai jeté parce que je me faisais chier ! Grogna-t-elle.
-Mais avec le mariage qui arrivait pourquoi ne pas avoir essayé d'arranger la situation ? S'inquiéta Jin.
-Il me faut plus que ça pour me retenir. Si ça ne marche pas pourquoi on devrait se forcer à faire en sorte que ça colle, hein ?
-Par amour ? Risqua le jeune homme.
Elle ricana :
-Ouais tu parles, l'amour ça n'excuse pas tout.
-Elle ne t'a pas précisé qu'elle ne l'aimait pas vraiment, indiqua la blonde à son voisin avec un léger sourire ironique.
-Je l'aimais bien ! se défendit la brune.
-Mais pas assez, tu préférais son portefeuille.
-Pas faux...
Mais Jisoo reprit après avoir bu une gorgée de son verre :
-Ça n'empêche que je l'aimais bien, j'avais bien envie de l'épouser tu vois, on se convenait tous les deux et tout a merdé dès qu'on a pris l'appartement.
-C'est pour ça que j'ai que des plans culs, expliqua Hyoyeon, je satisfais mes besoins primaires et pas de prise de tête, pas de trucs niais et surtout pas de vie de couple, dieu merci.
-Ouais mais moi je veux me marier et impossible de le faire sans passer par la case cohabitation.
-Ça a du bon de vivre ensemble, expliqua Jin peu d'accord avec l'avis tranché de la brune. Ça permet de voir sa moitié plus souvent que si on habitait séparément.
-Pas faux, fit remarquer Hyoyeon.
-Tu parles, rétorqua Jisoo, quand on ne se voyait pas au moins on se manquait, mais quand y a pas de manque bah l'envie n'y est plus.
-Et donc moins de baise ? Supposa la blonde.
-Voilà.
-C'est un rythme différent, tenta Jin, il faut savoir s'adapter et accepter les défauts de l'autre. Il y a vraiment du bon à partager son logement avec la personne qu'on aime.
-Laisse tomber, tu prêches une convaincue, lui fit remarquer sa voisine.
-Le pire, continua Jisoo qui semblait vouloir lâcher toute sa hargne, c'est que quand j'ai parlé de rupture la première fois, ça lui a remis les pendules à l'heure. Genre tout d'un coup tout est revenu à la normale, il m'a presque eu, ce con ! Mais en fait, dès que tout s'est recalmé, hop on est revenu au modèle habituel. C'est là que j'ai pigé. En fait, si ça merdait, si monsieur ne se bougeait pas pour m'aider et qu'on s'ennuyait comme des rats morts, c'est à cause d'un manque d'effort. Tout simplement. Pourquoi ferait-il un effort ? Il avait tout ce qu'il voulait : l'argent, une belle fille comme moi qu'il pouvait sauter quand il le voulait, voire même la tromper s'il le souhaitait et qui lui servait de boniche. En gros, tout confort. Donc j'ai pris la porte et je l'ai envoyé gentiment se faire foutre...
-Peut-être qu'avec le temps et un peu d'effort, les choses auraient pu s'arranger et...Tenta Jin d'une petite voix.
-Pas question ! Cracha la brune, pourquoi je devrais me « forcer » hein ? Les efforts ne peuvent pas venir que d'un seul côté. Un couple c'est cinquante-cinquante, on doit partager. L'un n'a pas à se sacrifier pour l'autre, ce n'est pas juste. Et si on voit que ça ne marche pas, ça ne sert à rien de se tuer à faire quelque chose. Les gens peuvent changer mais il y a une limite. Il faut juste lâcher prise et passer à autre chose !
Jin ne trouva rien à répondre à cela. Pire il se sentait comme étrangement concerné par ce qu'elle disait. Il se racla la gorge et avisa son verre sur la table pour faire passer le malaise qu'il ressentait.
Dans le fond, il avait le sentiment détestable que sa collègue disait la vérité, même si c'était terrible de le dire ainsi.
Malheureusement boire une gorgée de soju ne suffit pas pour faire passer la douleur qu'il commençait à ressentir dans sa poitrine.
Soudain Jisoo eut l'air de penser à quelque chose parce qu'elle s'exclama :
-Oh, tu te souviens de Minha, la fille aux cheveux courts qui riait super fort dans l'open-space ? Elle a travaillé avec nous il y a trois ans...
-Je me souviens d'elle, prononça Jin en repoussant le verre que sa voisine lui servait.
-Peut-être bien, soupira Hyoyeon, pourquoi ?
-Bah elle va se marier ce weekend, je suis invitée.
-Sérieusement ? Avec qui ?
-Un abruti congénital.
La blonde éclata de rire et Jin pouffa un peu, davantage embrumé par l'alcool qu'il avait ingurgité que par l'humour de sa collègue de travail. Il fallait qu'il arrête les frais et se contente de son verre d'eau pour faire passer cette sensation plaisante mais dangereuse.
-Je n'ai pas envie d'y aller, cracha Jisoo, elle me fait pitié. J'ai gardé contact avec elle mais je te jure je ne la comprends pas.
-Pourquoi ? s'étonna Hyoyeon.
-Ils se marient mais ils ne s'aiment plus.
-Hein ? S'étonna Jin.
Jisoo acquiesça, se rapprochant comme pour leur faire part d'une histoire secrète :
-Ils habitent ensemble depuis quatre ans, ils allaient trop bien ensemble, quand je reviens en arrière je me souvenais que je les enviais ! Ils étaient parfaits c'était le mot. Tu vois, le genre d'histoire d'amour que tu veux vivre aussi. Ils avaient une vie de couple sensationnelle parfois, quand on picolait, elle me racontait leurs parties de jambes en l'air et c'était vraiment un truc de fou.
-Je me souviens d'elle avec un type gigantesque, fit remarquer Hyoyeon les yeux dans le vague, c'est le même ?
-Oui c'est lui. Sauf qu'en fait, il y a un an on s'est revues et elle était un peu déprimée. Elle disait que son couple battait de l'aile, que ça ne marchait plus sauf qu'elle ne voulait pas le quitter. Tu te rends compte, elle supposait même qu'il la trompait mais elle ne voulait pas partir. Tout le monde et moi la première, on lui disait de mettre fin à cette relation. Mais rien n'y faisait.
-Pourquoi elle restait ? s'étonna la blonde.
-Elle avait la trouille je pense, elle disait que ça s'arrangerait, elle avait de l'espoir, elle l'aimait encore. Elle se trouvait des tas d'excuses pour justifier ce qui n'allait pas dans leur couple.
Jin fixait la brune, serrant les doigts autour de son verre. Ce malaise dans la poitrine venait d'empirer sans qu'il ne comprenne pourquoi. Ce n'était pas contre elle, non, pas vraiment. Mais les histoires de la brune généraient un grand sentiment d'agacement et de douleur au fond de lui.
-Je l'ai revue il y a six mois et elle m'a sorti le même topo, qu'elle avait essayé de sauver son couple, en vain, mais qu'elle ne voulait toujours pas le quitter et lui non plus. Je lui ai dit qu'ils se faisaient du mal à rester ensemble s'ils ne s'aimaient plus. Elle m'a répondu que ça leur « convenait » ou je ne sais plus quoi. Enfin, il y a deux mois, elle m'a invité à son mariage.
-Donc ça va mieux ? Demanda-t-il.
-Bah non figure-toi, soupira Jisoo, c'est toujours pareil. Quand on en a parlé, elle a dit que ses parents et ses amis adoraient son mec, que tout le monde leur demandait quand ils allaient se marier et qu'ils avaient fini par craquer...
-Donc ils se marient pour les autres, en fait ? S'étonna Hyoyeon.
-C'est ça et ça la rendait presque heureuse. Elle s'occupait des préparatifs en me disant que c'était génial. Je lui ai demandé si ce n'était pas une connerie de se marier dans ces conditions, figure-toi qu'elle l'a mal pris.
La blonde ricana, désabusée.
-En même temps tu as tapé là où ça faisait mal.
-Elle m'a dit que non, que ça allait relancer son couple, et que ce n'était pas grave de ne plus être aussi amoureux qu'avant...Alors tu me connais, j'ai demandé quand était-ce la dernière fois qu'ils avaient couché ensemble et là... tu ne sais pas ce qu'elle m'a répondu ?
-Vas-y dis.
-Un an.
Jin se crispa d'un coup, ses articulations blanchirent sur le verre qu'il tenait. Une colère sourde gronda à l'intérieur de lui mais il se força à la réfréner. Heureusement, aucune de ses collègues ne se rendit compte de son soudain changement d'humeur.
La blonde ouvrit grand les yeux et Jisoo secoua la tête :
-Je lui ai dit : « Sérieusement tu comptes épouser un type que tu ne désires même plus et qui ne te désire plus ? C'est ça ta vision de l'amour et du mariage ? ». Et là elle m'a répondu que c'était mieux que d'être seule.
-Bah je préfère mille fois être seule que de finir comme ça, admit Hyoyeon en levant son verre. Il y a tellement de couples comme ça, ça me fait peur, c'est pour ça que je n'aime pas être en couple. C'est tellement plus confortable d'être indépendante.
-C'est tout l'inverse de moi, fit remarquer Jisoo, moi je n'ai pas peur du changement, de faire autre chose, mais elle elle est incapable de passer à autre chose tout ça parce qu'elle ne veut pas être seule.
-Ce n'est pas parce qu'ils ne couchent plus ensemble qu'ils n'ont plus d'affection l'un pour l'autre, fit remarquer Jin d'une voix qui lui parut un peu sèche.
-Vrai, assura sa voisine, mais l'affection est-ce que ça durera toute une vie ? Est-ce que c'est suffisant ?
-C'est normal d'avoir peur de la séparation dans sa situation. Sa famille, ses amis, ont l'habitude de les voir ensemble, imaginez leurs réactions s'ils apprenaient qu'ils se séparent ? Poursuivit le jeune homme en essayant de contrôler sa voix.
-On ne se met pas en couple pour les autres. Ce sont des habitudes, ça se change, les autres s'en remettront.
-A quoi ça sert de se voiler la face ? S'ils se font souffrir pourquoi ils ne se séparent pas ? Demanda Hyoyeon.
-Ils sont peut-être attachés à ce qu'ils étaient, ensembles, avant, souffla Jin agacé qu'aucune des deux ne semble convaincue parce qu'il disait.
-Je pense que c'est de la lâcheté ! Trancha Jisoo. C'est juste de la poudre aux yeux, ça cache la vérité aux yeux des autres, mais ça n'enlève rien au fait que ce sont deux personnes qui ne s'aiment plus.
-Je suis plutôt d'accord, avoua Hyoyeon, elle se fait davantage souffrir en restant avec lui, bon gré mal gré plutôt que de voler de ses propres ailes. Elle entretient son propre malheur en fait, c'est un peu maso. Et s'il la trompait vraiment ? Elle l'accepterait aussi ? La question c'est de savoir si ça en vaut vraiment la peine. Et peut-être, qu'un jour elle arrivera à 40 ans, pétera un câble, se demandera ce qu'elle a fait de sa vie et là il sera un peu tard, les enfants seront là, parce que si la famille a insisté pour le mariage, ils insisteront aussi pour la progéniture. Elle restera dans son propre malheur. C'est triste comme vie.
Jin sentit une montée d'angoisse l'envahir et une terrible envie de pleurer. Il ressentait une foule d'émotions contradictoires entre la colère, la revendication, la tristesse...Il décida, alors, de prendre congé et de laisser ses deux collègues s'alcooliser jusqu'au petit matin.
Minuit était passé, il se sentait un peu embrouillé et à fleur de peau en quittant le bar. Il réussit in extremis à avoir le dernier bus et contre toute attente ne somnola pas sur le trajet jusqu'à chez lui. Non, son cerveau était bien trop saturé d'informations, de craintes, de questions pour ça.
Ça ne lui avait pas plu, pas du tout même d'écouter ce que ses collègues disaient de cette fille. Comment pouvaient-elles être aussi critiques alors qu'elles n'y connaissaient rien en amour, en vie de couple et en relation longue ?
Pire, elles n'avaient même pas essayé d'écouter ce qu'il avait à dire, comme persuadées qu'elles avaient raison. Jin se sentait frustré et concerné par cette histoire. Mais il n'avait jamais parlé de sa propre vie amoureuse alors il avait dû réfréner sa colère et sa certitude que même si un couple battait de l'aile ça ne marquait pas forcément une fin en soi.
Après tout, la réalité était très éloignée des films, des dramas, des séries qui dépeignaient une vie de couple, clichée, parfaite et idyllique.
Non. Il le savait, il en était persuadé, un couple passait par différentes phases mais ça ne voulait pas dire qu'il fallait abandonner dès la première difficulté.
Mais plus le trajet passait, plus le doute s'installait, le faisant revenir sur ses convictions.
Et s'il était en train de vivre la même histoire que cette fille ?
Alors que Jisoo racontait son histoire, il était passé par toutes sortes de sentiments : la peur, la colère, l'angoisse, la culpabilité.
Il se sentait concerné, blessé presque comme si ça faisait écho à sa propre relation.
Combien de temps cela faisait-il, que ce sentiment de vide apparaissait au fond de lui ? Combien de temps cela faisait-il, que les choses avaient commencé à se compliquer dans leur relation ? Ses tentatives ratées de voir Namjoon, de passer du temps ensemble et même de faire l'amour ?
D'ailleurs, combien de temps cela faisait-il ?
Six mois, peut-être plus...Ça n'avait jamais été aussi long, auparavant.
Et si leurs sentiments avaient changé ? Jin se sentait toujours amoureux, toujours désireux de l'autre mais à présent il prenait conscience qu'il ne s'était jamais posé de questions. Il avait toujours pris pour acquis le fait d'être en couple avec Namjoon mais s'il regardait la réalité en face, s'il la regardait vraiment, que voyait-il ?
Que tout avait changé.
Ils ne se voyaient plus, ils ne se parlaient plus, ils ne se touchaient plus. C'était comme s'ils étaient colocataires.
Mais pour Namjoon qu'en était-il ?
Jin savait que son amant avait toujours été très timide dans ses déclarations et dans ses gestes affectifs surtout quand des gens pouvaient les voir. Mais à présent ?
Une petite voix, amère, vint lui faire remarquer que Namjoon répondait rarement à ses appels, à ses messages.
Jin sentit de nouveau cette envie de pleurer et il tenta de se ressaisir quelque peu.
Cela faisait si longtemps qu'ils sortaient ensemble, avaient-ils perdu la flamme, l'étincelle ?
Que fallait-il faire, à présent ?
En rentrant, le salon l'accueillit avec une froideur plus incisive qu'habituellement. Cette fois-ci il ne réussit pas à contenir ses larmes. Incapable de se contrôler il se laissa glisser le long de la porte et laissa ses yeux déborder de chagrin.
C'était comme si tout d'un coup la vérité lui était apparue, lui crachant en plein visage tout ce qu'il avait essayé de se cacher.
Namjoon lui manquait terriblement à présent, c'en était douloureux.
Comment tout avait-il pu devenir si compliqué entre eux alors que ça avait toujours été limpide jusqu'alors ?
Il revoyait les scènes, d'un nouvel œil. Namjoon oubliait son baiser d'au revoir, Namjoon s'endormait pendant que Jin voulait commencer les préliminaires, Namjoon ne l'appelait pas, Namjoon ne le touchait pas, Namjoon parlait sans cesse de lui mais ne posait jamais de question sur Jin...
Namjoon, ne l'aimait sûrement plus.
Peut-être même que lui le savait, mais qu'il ne le quittait pas, de peur de lui faire du mal ?
Les sanglots redoublèrent. Il avait l'impression de lâcher plus qu'une simple angoisse concernant son couple mais tout le fardeau qu'il portait depuis plusieurs mois. L'absence, le stress au travail, son manque de confiance en lui, la crainte de perdre son emploi, son sentiment d'abandon....
Mais dans le fond ce qui était pire, c'était qu'il se sentait affreusement seul.
Seul et minable.
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Chapitre corrigé par @Cla_ra25
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