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Chapitre 12

Sans doute autrefois lié aux célébrations du calendrier agricole, les paroissiens de Binmin-li organisaient tout l'été des rassemblements dans un champs communal. L'association catholique était la seule encore bien active et dirigeait les festivités avec une raideur militaire. Elle regroupait toutes les grandes familles d'agriculteurs et les généreux donateurs renflouaient les caisses en cas de besoin. Le passé industriel de la zone avait profondément marqué le territoire. Les familles les plus pauvres avaient laissé leurs terres en masse pour vendre la force de leur bras dans les carrières de schiste ardoisier. Lorsque l'exploitation de l'ardoise avait cessé d'être rentable, le chômage avait explosé, forçant les gens à quitter leur campagne pour les villes, à la recherche d'emplois. Binmin-li s'était peu à peu vider de sa vie. Des petits vieux occupaient désormais les anciennes résidences ouvrières qui tombaient peu à peu dans l'insalubrité. Les rescapés de l'exode vivaient de l'exploitation forestière, dans la petite scierie qu'un industriel de Daebak avait lancée. En revanche, la situation avait profité à ceux qui avaient su maintenir leur exploitation agricole. Ils s'étaient enrichis en se redistribuant les terres arables, délaissées pour une bouchée de pain. De grands champs céréaliers s'étendaient à l'infini autour de la route nord, qui courraient à la ville voisine. La petite paysannerie d'autrefois avaient laissé place à quelques grandes familles de cultivateurs.

Il y avait un mépris réciproque entre les familles qui vivaient ici depuis plusieurs générations. Les paysans étaient accusés d'être profiteurs et voleurs. Certains prétendaient qu'on leur devait de l'argent, pour une parcelle achetée à un prix déloyale. Les procès se traînaient sur des dizaines d'années pour des erreurs cadastrales de quelques mètres carrés et passionnaient les conversations. On parlait souvent là d'accords de vente passés par les anciens mais chez les ouvriers, la frustration était l'héritage le plus fourni. La rancune se transmettait d'une génération à une autre. Quand l'alcool les enrageait, c'était eux souvent qui, aigris par la vie, portaient les premiers coups. Les paysans, eux, niaient en bloc. Ils juraient de leur mauvaise foi, sous-entendaient qu'ils étaient sales, pervers, incultes, qu'ils sentaient mauvais.

Haechan et Yunhee étaient l'exemple parfait des vestiges de cette petite société polarisée. Lui, fils de céréalier productiviste, n'avait manqué de rien, sauf d'idéaux. Première génération à poursuivre ses études, il était revenu à la campagne avec l'idée qu'il comprenait le monde et qu'il détestait ceux qui avaient réussi financièrement. Yunhee, fille d'ouvriers conquis par le vent socialiste qui soufflait sur le pays, représentait tout ce que son milieu détesté. Et donc tout ce qu'il se devait d'incarner. Elle était son émancipation, sa renaissance, sa rédemption. Elle et son corps libre, ses robes bohèmes et ses cheveux au vent, n'avait jamais été aussi séduisante que la colère que cet amour allait susciter pour Haechan.

Il s'était disputé à mort avec ses parents pour son union. C'était politique bien-sûr. Lui avait de grandes idées anarchistes que des paysans qui, s'étant tués à la tâche toute leur vie pour accumuler un beau capital pour leur descendance, étaient incapables de comprendre. C'était comme nier leur existence. Et puis ses études l'avait aussi poussé à détester Dieu. Il l'accusait d'être l'antithèse de la modernité, un obstacle au projet de civilisation auquel il adhérait.

Eux, ils détestaient Yunhee. Cette sale fille de basse famille, dont les beaux yeux avaient suffi à leur spolier un fils aîné. Ils avaient été persuadés un temps que ce n'était que passager. Haechan était un homme révolté, colérique et caractériel et elle semblait si fragile, éteinte et constamment mélancolique... Ils formaient un drôle de couple. Mais le jour où il était venu leur annoncer l'arrivée d'un enfant, tous leurs espoirs s'étaient envolés de lui léguer un jour leur héritage qu'ils chérissaient tant. Leur fils aîné avait rejeté en bloc tout ce qu'ils représentaient et avaient construit : le drame de leur vie. Il travaillait à présent comme un animal, simple ouvrier de scierie, pour un salaire de misère. Il se disait qu'il avait plus de dignité qu'eux ainsi. Et elle, constamment malade et apeurée de la vie, restait terrée à la maison. Il avait fallu les marier. La mère n'aurait pas accepté une enfant illégitime dans la famille Park. La crainte de Dieu était au-dessus des autres considérations.

Malgré les conflits qui s'étaient cristallisés entre les deux communautés, ils se retrouvaient sans faute à toutes les festivités. Car on se détestait, certes, mais la morosité était tout autant motif à dépérir que l'animosité. Jim était toujours forcée d'y assister car sa grand-mère était membre actif du comité organisateur. Elle trouvait donc impératif que sa petite-fille apparaisse dans l'univers de sa paroisse et face bonne impression. De toute façon, elle jugeait que les adolescents n'avaient rien de mieux à faire que de commencer à apprendre le gout du travail et de la contrainte.

Afin de préparer la célébration, les organisateurs s'activaient à monter les grandes tentes, dresser les tablées et accrocher les installations électriques. En tant que petite-fille des Park, la présence de Jim était obligatoire et elle avait été réquisitionnée toute l'après-midi à monter le bar avec Namjoon. Les deux jeunes étant plutôt taciturnes, ils avaient travaillé en silence toute l'après-midi. Ils écoutaient distraitement les bavardages enjoués des femmes qui passaient jeter un coup d'œil sur le chantier. Ils se passaient les outils sans un mot, d'un geste exigeant du menton. De toute évidence, ils avaient tous les deux étaient forcés à aider et même s'ils avaient été élevés dans cette culture de la communauté et qu'ils avaient la politesse de ne pas le montrer, ils n'avaient pas particulièrement d'enthousiasme à se joindre aux préparatifs.

Depuis l'échec de sa couple, Haechan avait catégoriquement refusé que Jimin soit une femme. Il l'avait amené avec lui dans tous ses chantiers, lui avait mis un marteau et un tournevis rapidement dans les mains. Il avait éduqué sa fille avec dureté. Il s'opposait à l'idée de lui acheter ses propres vêtements. Il avait récupéré ses vêtements de garçon chez sa mère et l'habillait avec. Il lui gardait ses cheveux courts. Il lui refusait ses faiblesses d'enfant. Qu'il pleuve ou qu'il vente, elle était à ses côtés. Et il ressentait du plaisir à la voir souffler en vain sur les engelures qui lui coupaient ses petits doigts, à le supplier de ralentir le pas quand ils allaient en forêt, à l'entendre trébucher dans son dos et ne pas se retourner. Qu'elle tombe et se relève seule. Seule avec le goût amer de l'injustice... Parce qu'il la voulait forte. Il la voulait assez forte pour accepter tous ses élans de colères et tous ses excès. Il voulait anéantir en elle la femme qui aurait pu encore le fuir.

Sa grand-mère au contraire avait pour dégoût les femmes qui se négligeaient. Il ne fallait pas être coquette - parce qu'elle trouvait ça vulgaire - mais il fallait à tout prix ressembler à une femme quand même. Pour paraître en société, les jours de célébrations, sa grand-mère sortait toujours de ses armoires une de ses robes de jeune fille qui empestaient l'essence de térébenthine et la poussière et qu'elle forçait sa petite-fille à enfiler. Malgré cela, Jimin était rarement appelée à travailler avec les femmes. La plupart du temps, elle assistait mollement Namjoon. On l'avait associé aux tâches des hommes. Légère et habile, elle était généralement chargée de grimper aux échelles pour tous les travaux qui nécessitaient d'être en hauteur.

La soirée était inhabituellement fraîche ce soir-là. Les bénévoles avaient pour tradition de partager le dîner sous la tente principale en récompense de leur travail. Ils y discutaient déjà des ajustements à prévoir pour l'année prochaine. Il arrivait que le prêtre sorte sa guitare pour leur jouer quelques morceaux, toujours les mêmes. Mais l'alcool aidant, les applaudissements bienveillants étaient sans faute redoubler. Parfois même, ils se joignaient à ses cordes pour entamer un chant d'adoration.

Mme. Min était arrivée dans la soirée, après que les boîtes à outil soient rangés bien au chaud dans les coffres de camionnette, ravie de pouvoir distribuer les recettes de son potager sans devoir manœuvrer la perceuse. Mais ni Koo ni Yoon ne semblaient s'être jointes à la veillée. Jimin mâchouillait des gâteaux apéro, l'air plus renfrognée qu'à l'accoutumée, assise à l'extrémité de la longue table. Sa petite silhouette était dissimulée entièrement par un vieux sweatshirt de Namjoon qu'elle lui emprunté. Elle avait laissé quelques mètres entre le groupe, assise en bout de la rangée de table. Elle espérait faire diminuer le volume sonore des conversations qui résonnaient sous l'épaisse bâche du toit, sans pour autant paraître trop impolie. Elle essayait de faire abstraction des éclats éblouissants des guirlandes qui s'enroulaient autour de la structure et qui lui faisait mal au crâne. Alors qu'elle enfournait une nouvelle poignée de chips dans sa bouche, elle croisa le regard courroucé de sa grand-mère sur elle. Elle se demanda si c'était parce qu'elle portait le vêtement d'un garçon, si c'était la capuche qu'elle avait rabattue sur son visage pour essayer de disparaître ou simplement parce que sa grand-mère n'avait jamais que des reproches à la bouche pour elle. Dans le doute, Jimin retira sa capuche en l'insultant mentalement avant que leur attention à toutes les deux ne soient détournés par l'entrée indiscrète d'un nouvel arrivant sous la tente.

Jimin se figea sur sa chaise alors qu'elle découvrait Jihyun qui saluait en grands éclats ses proches et toute la tablée. Le jeune homme était un grand échalas à la chevelure gominée, une amabilité d'hypocrite, des manières vulgaires, un rictus mal placé et l'air bête. En somme, il était le portrait craché de son petit frère mais l'œil plus sournois. Jim chercha aussitôt Namjoon des yeux. Il était debout, en train de servir de généreux gobelets de mauvaise bière et, de toute évidence, cherchait à masquer sa surprise alors que son aîné s'approchait de lui, les bras grands ouverts pour le serrer contre lui :

- Hé le morveux ! T'as encore grandi, ma parole, plaisanta-t-il, faisant mine de trouver cela encore drôle alors qu'ils étaient devenus tous deux des hommes depuis bien longtemps.

Namjoon se laissa faire et il sembla se perdre dans l'étreinte musclée, déboussolé, et, pendant une seconde, Jimin eut de la peine pour lui. C'était son regard. Jimin connaissait ce regard. Celui où l'on cherche et trouve l'amour dans sa peur. Ils sont parfois comme des petits enfants qui regardent ces mains tendues, méfiants qu'elles ne se fassent brutales bientôt. Être serré par ses mêmes mains. Être tenu connu contre ce cœur qui prétend vous reconnaître même dans le noir le plus noir mais qui parfois - oui parfois seulement - commande cyniquement votre destruction.

Jim détourna rapidement les yeux. Elle savait que Namjoon n'aimerait qu'elle puisse voir aussi clair en lui. C'est un peu un truc qu'ils ont entre eux, comme un accord muet. Quand l'un fléchit, l'autre détourne le regard. Ça lui laisse le temps de reconstruire son image intacte. Et puis on fait mine d'oublier. Et puis, de toute manière, elle n'avait aucunement l'intention de perdre du temps à s'apitoyer sur la famille merdique de Namjoon. Ce n'était un mystère pour personne ici. Surtout pas pour Jimin. Alors, elle replongea obstinément la main dans son paquet, agacée.

Jihyun avait toujours été une racaille de la pire espèce et sa façon détestable d'embrasser toutes les bigotes du pays comme du bon pain relevait plus de la provocation qu'autre chose. Il était la définition même du mec qui avait mal tourné. Il était parti en ville il y a de ça pas mal de temps. Jimin n'aurait su dire quand parce que ce n'est certainement pas le genre d'information qu'elle s'attachait à conserver. Mais assez longtemps pour qu'elle espère qu'il ne refoute plus jamais ses pieds ici. Au contraire, Namjoon l'avait attendu sans doute de pieds fermes ce retour, cette visite. Même s'il ne l'aurait jamais avoué. Elle imaginait qu'elle pouvait le comprendre dans un sens. C'est un truc de grand frère, non, d'être admiré de son cadet ?

Mais le truc vraiment agaçant avec Jihyun, c'était qu'il partait un beau jour et ne donnait plus de nouvelles. Et puis, comme ça, un jour comme aujourd'hui, il revenait triomphant sur les lieux qui l'avaient bercé, comme une fleur. Il aimait peut-être qu'on ait souffert de son absence. En ville, Jimin était prête à parier qu'il était le dernier des ratés. Ici, il se plaisait à jouer le petit patron mafieux et à terroriser les gosses. Au fond, il n'avait jamais grandi et il était comparable à ces petits harceleurs de cour de récréation qui ne se sentent exister qu'en foutant le bordel. Ce genre de personnes qui faisaient pitié, selon Jimin. Namjoon et sa stupide admiration faisait tout autant pitié, d'ailleurs.

Le mécontentement de la petite blonde monta d'un cran alors que Namjoon et son frère s'approchèrent d'elle : après les lumières abrutissantes, les conversations bruyantes, il avait fallu qu'on rajoute la désagréable présence de Jihyun. Mais bien-sûr, Namjoon flippait bien trop d'être seul avec lui, il avait besoin de Jimin pour gérer. Elle serra les dents alors que Jihyun passait une main dans son dos pour la contourner :

- Jimin, Jimin... Il ne manquait plus qu'une Park pour que le tableau soit complet ! Et quelle femme mademoiselle est devenue, se moqua-t-il sans pour autant pouvoir cacher l'avidité de son regard qui prenait la mesure de l'étendu de sa beauté.

Elle avait subitement envie de remettre la capuche sur sa tête mais elle le fixa tout en continuant à mâcher, imperturbable. Namjoon eut un rire bête et elle eut vraiment envie de se lever et de le gifler lui :

- Jihyun, salua-t-elle du bout des lèvres.

Les trois se connaissaient trop bien pour être dans l'hypocrisie. Ainsi, elle ne comptait pas lui paraître sympathique. Jimin avait d'autres choses à faire que perdre du temps avec des gens comme Jihyun. Mais elle ne pouvait pas s'empêcher de jeter un œil anxieux à Namjoon, alors qu'ils prenaient place à ses côtés. Quand Jihyun était là, c'était comme s'il ne savait plus où se mettre pour qu'on l'oublie. Il était tendu à l'extrême, mal à l'aise. Est-ce qu'il avait espoir que Jimin fasse la conversation à sa place ? Avec son propre frère ? C'était hors de question :

- Alors vous sortez finalement ensemble ? questionna-t-il en pointant du doigt le sweatshirt de Namjoon sur les épaules de Jimin

C'était un connard de poser cette question :

- Non, répondirent-ils à l'unisson.

Il se rassit au fond de son siège, amusé par leur solennité :

- Tu devrais, Nam. Depuis le temps que vous traînez ensemble... Et elle est jolie.

Nam lança un petit regard rapide en direction de Jim, histoire d'être sûre qu'elle n'allait pas se jeter sur lui et lui griffer sauvagement le visage. Il eut presque envie de rire en la voyant fixer un point au loin, profondément ennuyée par le commentaire, sa petite mâchoire tendue comme un arc.

Il n'y avait rien à répliquer. Il haussa simplement les épaules. La réalité était que Namjoon était peut-être le seul homme qui ne se posait pas la question de savoir si Jimin était jolie. Jim était juste quelqu'un. Quelqu'un qui s'était retrouvé à vivre la même vie de merde que lui. Jimin était affreusement chiante et caractérielle et compliquée et... Et Jimin était aussi bien trop merveilleuse pour ce monde et pour les gens comme lui. Il la détestait parfois, pour ça. Tout aurait été plus simple si elle avait été conne et rude, comme toutes celles qui vieillissaient ici et qui finissaient par abandonner tous les rêves que font les filles. Jimin, elle vivait trop dans sa tête.

Jimin finit par se lever, probablement trop irritée par le nouvel arrivant. Elle partit sans doute se planter dans un coin sombre en attendant de pouvoir avoir l'autorisation de se tirer. Il regarda sa silhouette rétrécir dans le soir en déglutissant. Il n'aimait pas ça. Il n'aimait pas ça du tout. Il ouvrit la bouche, hésitant, haletant. Et puis, il osa parler.




- Pourquoi est-il ici ?

Namjoon fit un bond, rattrapa de justesse le carton qu'il chargeait dans son coffre. Il le posa rapidement et plaqua une main sur son cœur, prenant appuie maladroitement contre la carrosserie poussiéreuse de sa voiture pour reprendre ses esprits. Il releva les yeux vers Jimin, à quelques mètres de lui. Elle ne souriait pas mais il savait qu'elle n'était pas fâchée de lui avoir foutu les jetons. Fuck. A force de fumer et boire comme un ringard, son palpitant déconnait sérieusement. Elle allait finir par le tuer à apparaître toujours dans les moments où il se pensait seul. Il souffla et sortit son paquet de cigarettes :

- Qu'est-ce que tu veux ? râla-t-il comme si elle était la seule responsable de sa migraine et du nœud au fond de son ventre

Leurs regards se croisèrent. Il se détourna en pestant entre ses lèvres, craquant son allumette pour allumer sa clope. Sentant qu'elle n'avait pas bougé d'un poil, piochant encore dans un nouveau paquet de chips, il soupira de nouveau. Putain. Jimin était la pire des chieuses, parfois :

- Arrête de bouffer comme ça, tu vas avoir un gros cul, se vengea-t-il de la nervosité qu'il venait d'accumuler.

Jimin marqua un temps de pause avant de replonger sa main dans le paquet, signe qu'elle avait sans doute considérer de l'étrangler et de lui arracher les yeux pendant quelques secondes :

- Qu'est-ce que ça peut bien te foutre ?

Visiblement, elle avait besoin de lui vivant si elle voulait obtenir des informations. Il ne répondit rien. Ce n'était pas une question, elle lui rappelait juste qu'il fallait mieux pour lui qu'il se la ferme. Elle avait raison, il était un connard. Agacée, elle reprit :

- Tu savais qu'il viendrait ?

Son regard perçant rendait Namjoon nerveux. Il frotta ses yeux dans une tentative désespérée de regagner une certaine nonchalance. Il soupira en rejetant en arrière les quelques mèches grasses qui lui tombait sur le front avant de se redresser pour la confronter :

- J'en savais que dalle, Jim.

Et c'était vrai. La dernière fois qu'il avait eu des nouvelles de son frère remontait à bien un an. Il avait été chopé pendant une livraison et jeté en garde à vue. Tout ça parce qu'un petit gars plein de fric voulait avoir l'air cool en se défonçant le cerveau avec une quelconque drogue de merde, dans une soirée de merde, dans une ville de merde. Putain, ça lui foutait la rage parfois... Mais qui était-il pour critiquer le monde ? Personne. Il valait mieux ne rien penser de tout ça.

Jihyun n'avait pas appelé Namjoon quand il avait été condamné avec sursis. Mais il avait quand même appris la nouvelle parce qu'il avait des amis à lui qui rentraient parfois au village et qui était vaguement proches de son frère. Suffisamment proche en tout cas pour être au courant de tous les bourbiers dans lesquels Jihyun se jetait allégrement. Namjoon ne disait jamais rien des nouvelles qu'il recevait de la ville à ses parents. Ce soir-là, il n'avait pas dérogé à cette règle. Il était rentré après le boulot, il avait mis la table en écoutant sa mère et son père se disputaient par-dessus les voix du poste radio. En mangeant, ils semblaient déjà avoir oublié pourquoi ils se gueulaient dessus. Son père lui parla boulot. Les décisions de merde de la direction. Et Namjoon avait essayé de ne rien ressentir en songeant à son frère. Namjoon ne le changerait pas. Namjoon ne changerait ni le monde, ni sa famille, ni sa vie. C'était comme ça. Il fallait s'y faire.

D'une certaine manière, il n'arrivait pas à être en colère contre Jihyun. Pas totalement. Il savait pourquoi il était parti. Il était parti pour les même raisons évidentes que tous les autres. Ce n'était pas vraiment une question, en réalité. Et puis, lui, en ville, il aurait sans doute fini pareil. Petit égo cassé, la peau avide d'amours indécentes, la rage à l'âme, l'argent pour se racheter une dignité : c'était facile d'imaginer le scénario qui l'avait conduit à jouer le toutou auprès des petites chefferies urbaines. Vous voyez, ni Jihyun ni Namjoon n'avaient vraiment peur de passer pour des ratés. On leur avait fait comprendre qu'ils l'étaient du jour où ils avaient mis un pied dans ce monde. Non, Namjoon gardait tout ça pour lui. Il ne pouvait pas vivre à l'idée que, si son frère venait à mourir, ses parents passeraient le restant de leurs jours à se demander quelle erreur ils avaient commis. Des erreurs, leurs parents s'en étaient répandus. Peut-être que parfois, la nuit, quand Namjoon était censé dormir depuis longtemps déjà, il aurait pourtant souhaité de tout son cœur qu'ils en prennent conscience. Que ça les ronge. Que comme Namjoon, ils soient les yeux ouverts dans la pénombre de leur chambre à souffrir. Mais jusqu'ici, Namjoon n'avait jamais parlé. Il n'avait jamais rien dit. Petit, c'était la peur des représailles. Il voyait comment son père cognait quand son frère faisait des conneries à l'école. Il se souvenait des scènes entre lui et Jihyun dans la cuisine. Ils se battaient de façon spectaculaire. Leur mère hurlait qu'ils aillent faire ça dehors pendant que son mari plaquait l'adolescent contre les étagères remplis de vaisselle, rouge de colère. Ses pieds ne touchaient même plus le sol.

Quand son frère avait commencé à travailler, c'était lui qui avait pris la relève pour faire des conneries à l'école. Ça lui aurait donné des occasions de parler, sans doute. Il n'avait plus vraiment peur, il aurait pu être un peu méchant. Mais finalement, il encaissait en silence. Namjoon, lui, n'avait jamais eu la combativité de Jihyun. C'était devenu une habitude, se taire. Et puis, il se disait que ça restait leurs parents, vous voyez. Ils ne méritaient pas de tels tourments :

- Jihyun déteste cet endroit, s'agaça Jimin, comme si elle ne pouvait pas accepter l'idée que son retour était inopportun

Elle avait raison, ça ne pouvait pas l'être. Jihyun ne serait jamais revenu ici sans une bonne raison. Et ça lui faisait froid dans le dos rien que de se remémorait les propos glaçants qu'il lui avait tenu une heure plus tôt. Il avait parlé avec désinvolture et des mots si crus étaient sortis de sa bouche que Namjoon l'avait écouté sans dire un mot : « Tu comprends, Nam ? Tu comprends, il faut que je ne fasse pas de bruit. Un bon petit citoyen docile, qu'ils me foutent la paix. »... Liberté conditionnelle... Bordel. Il ne savait même pas ce que ça voulait dire. Mais ça ressemblait à ce que Namjoon appelait « les emmerdes ». Il tira sur sa cigarette et ricana :

- Qui ne déteste pas cet endroit ?

Il avait dit qu'il comptait se faire employer un temps à la scierie, aussi longtemps qu'il le fallait pour qu'ils l'oublient. Papa l'aiderait à y rentrer, c'était le plan. La réinsertion professionnelle, il avait dit. Enfin, un truc comme ça. Namjoon ignorait ce qu'il leur avait baratiné pour qu'ils avalent le truc. Jihyun avait toujours été un beau parleur convainquant. Il ne dit pas pour quel motif il avait été condamné. Namjoon n'avait pas vraiment envie de savoir. Ça devait être quelque chose de minable. Comme menacer une mamie au couteau de cuisine pour lui voler son sac à main.

Au fur et à mesure que son frère parlait, son esprit se vidait, un blanc l'emplissait totalement. Comme si la vie était comme une poignée de sable qui lui échappait d'entre les doigts, vous voyez ? C'était la seule image qui lui venait pour décrire ce qu'il ressentait. Sous la table, il avait caché ses mains tremblantes. Il ne pouvait pas imaginer plus terrible moment pour Jihyun de débarquer ici.

Le bordel. Ça allait être le bordel.

Elle observa le corps de Namjoon dans l'éclairage froid du petit lampadaire. Sa tête semblait peser autant qu'une pierre, son échine courbée pouvant à peine la supporter. Elle aurait voulu le secouer de toutes ses forces, comme si, côte à côte le torse bombé, ils pouvaient continuer à nier leur pitoyable avenir :

- Tiens-le, ton frère, compris ? Personne n'a besoin de quelqu'un comme lui ici.

Elle avait parlé avec dureté mais Namjoon savait que ce n'était pas de la méchanceté. Il ne dit rien, fit un petit geste du menton insolent, mais ils savaient que le message était passé. Namjoon devait faire attention à lui. Elle vida les dernières miettes du paquet dans sa bouche avant de le chiffonner et de le jeter sur le siège arrière, par la fenêtre ouverte de la voiture :

- Merde, Jimin ! Ma caisse, c'est pas une poubelle !

Elle avait déjà fait volteface et s'éloignait en direction du parking où les dernières conversations s'épuisaient lentement. Elle l'entendit marmonner un « pouffiasse » dans sa barbe.


Jimin retrouva sa grand-mère qui discutait encore avec quelques femmes. Mme. Min était encore là et semblait heureuse de sociabiliser avec des gens du cru, même si elle semblait un peu perdue et décalée à leurs côtés. Jim la scanna de la tête au pied. C'était amusant de voir comme sa fille s'était construite en opposition à tout ce qu'elle était de lunaire. Elle avait à ses pieds deux gros paniers en osier bien chargés et une idée germa aussitôt dans l'esprit de la petite blonde. Jimin se pencha et souleva l'un des deux paniers :

- Mme Min, laissez-moi vous aider à rapporter tout ça.

Elle ne savait pas très bien quelle audace l'avait poussé à agir. Peut-être qu'elle repensait à la journée qu'elle avait passé avec Koo et qu'elle se disait que les amies faisaient ce genre de chose, créer des occasions pour se voir. Et elle avait envie de voir la brune. En fait, elle pensait souvent à Koo. Elle ne pouvait pas s'en empêcher. Il avait quelque chose dans la façon dont elle essayait d'écouter Jim, dont elle la regardait comme si elle était importante... Parfois, à tout moment de la journée, elle la revoyait assise proche d'elle dans le champ, marcher à ses côtés en soirée ou bien découvrir ses épaules pour lui prêter sa veste. Elle se sentit un peu rougir à l'idée que les femmes puissent deviner qu'elle n'avait pas agi par grandeur d'âme mais, au vu du sourire fier de sa grand-mère, la manipulation était passée. Mme Min s'esclaffa :

- Ah les jeunes comme ça, on n'en fait plus !

Jim ne chercha pas à comprendre ce qu'elle voulait dire par là. Elle fut soulagée lorsque sa grand-mère l'autorisa à rentrer avec Mme. Min. Elles se mirent en marche vers leur petit domaine, dans la nuit. Mme. Min se mit en tête de la questionner sur son avenir. Jim marmonna une histoire bidon, qu'elle ne savait pas trop, qu'elle prenait son temps pour réfléchir. Elle remerciait Yoon de ne pas avoir détaillé à sa mère le néant qui arrivait à la fin des vacances d'été. Elle avait suffisamment l'impression que les jours qui passaient était un compte à rebours mortifère, elle n'aurait pas eu le courage de supporter les conseils bien léchés d'une femme qui, de toute évidence, ne comprenait pas sa vie.

Elle l'invita à boire un verre d'eau pour la remercier et même si Jimin n'avait pas la moindre envie de mettre un pied chez les Min, la curiosité l'emporta. Peut-être que Koo serait là. Mais dans le salon, à sa grande déception, elle ne croisa que Yoon à qui Hobi tâchait de faire la lecture, devant la cheminée éteinte. Elle semblait en train de s'endormir contre son épaule, ses lunettes tombant sur le bout de son nez fin. Elle se redressa, mécontente d'être surprise un peu trop proche de Hobi. Mme. Min ne sembla pas le moins du monde le remarquer et se lança dans des descriptions détaillées de sa soirée. Par politesse, Hoseok fit semblant de s'intéresser à sa tirade et elle se laissa tomba dans un fauteuil moelleux que Jimin aurait bien aimé testé. Mais Mme. Min commanda rapidement à sa fille de servir un verre d'eau à leur invitée pendant qu'elle répondait aux questions plates de celui qu'elle considérait déjà comme son beau-fils. Yoon leva les yeux au ciel en les voyant faire mais se leva sans broncher. Lorsqu'elle passa aux côtés de Jimin, elle lui souffla avec autorité :

- Suis-moi.

Jim se retint de soupirer. Premièrement, aucun signe de Koo à l'horizon, elle se sentait stupide de s'être laissée entraînée par sa propre bêtise. Mais en plus de ça, elle allait se taper la Présidente des élèves et ses discours sur la vie. Elle s'était jetée elle-même dans la gueule du loup semblait-il. Quelle idée de merde que de rendre service aux gens. C'est ainsi qu'elle se retrouva dans la plus belle des cuisines qu'elle n'ait jamais vu. Mise à part dans les magazines féminins, chez sa grand-mère. Mais elle avait toujours pensé que c'étaient des mises en scène et pas que des vrais gens vivaient dedans. Elle espérait que sa surprise ne se lisait pas sur son visage. Elle essayait d'imprimer ces couleurs et ces textures pour plus tard. On ne savait jamais, peut-être qu'un jour, elle aussi, elle aurait une jolie maison. Sa sidération fut coupée court par un verre d'eau fraîche tendue sous son nez :

- Tiens.

Jim attrapa le verre, oubliant de remercier. Elle était bien trop mal à l'aise pour fonctionner normalement. Elle allait prendre ce verre, le vider d'une traite et se casser de cette magnifique maison pour toujours. C'était le plan. Et de toute manière, Yoon n'était pas du genre à se formaliser pour si peu. Elle avait l'habitude des petites brutes dans son genre :

- Tu es venue pour voir Koo ?

Jimin sursauta presque en entendant ce prénom. Elle oublia comment avaler pendant quelques secondes alors qu'elle sentait ses joues chauffer. Elle eut une difficulté incroyable à faire tomber l'eau glacée dans son estomac, quand bien même elle voulait nier son accusation, indignée par on ne sait trop quoi. Yoon sembla très amusée par le spectacle. Elle prenait plaisir à la torturer. La blonde jouait les dures mais elle était comme n'importe qui. La Président croisa les bras sur sa poitrine et ne lui laissa pas le temps de rétorquer :

- Dommage. J'espère un peu que tu venais pour m'apporter de bonnes nouvelles.

Jim détourna les yeux en reposant son verre sur le marbre lustré, embarrassée par la tournure que prenait la conversation. Face à son silence, Yoon soupira, jetant son regard par la baie vitrée. Sur les champs baignés par le noir de la nuit se découpaient leurs deux reflets blancs, comme de grands fantômes flottant dans la nuit. Elle allait reprendre la parole mais un filet de voix hésitant la coupa dans son élan :

- Je vais avoir dix-huit ans à la fin du mois.

Les deux adolescentes s'observèrent longuement. Le cerveau de Yoon connecta rapidement tous les morceaux entre eux. Evidemment... Evidemment que ça comptait. Jim serait majeure. Une adulte. Capable de faire ses propres choix. Mais ça marquerait aussi le jour où plus aucun organisme des services de la protection de l'enfance ne viendrait la recherchait là-bas. Si elle n'arrivait pas à se défaire de l'emprise de son père pour demander de l'aide... Haechan n'avait probablement aucune intention de la perdre une seconde fois. Il ne fallait pas compter sur sa mère pour venir la chercher. A moins qu'ils ne se passe quelque chose de grave, personne ne viendrait chercher Jimin... Mais il ne fallait pas penser au pire.

Jimin fixait intensément Yoon. Elle lui demandait de l'aide. Elle lui avouait silencieusement qu'elle ne savait plus quoi faire pour elle-même, qu'elle était terrifiée, qu'elle était perdue. Pour la première fois, la Présidente des élèves se sentait prise de court, impuissante. Elle voulait lui dire quelque chose, qu'il y avait des solutions, qu'elle n'était pas seule. Mais Yoon avait peur quelque part de promettre quelque chose qui la dépassait. Elle avait besoin de temps, de réflexion.

Jimin cherchait la confirmation dans les yeux de Yoon que son passage à la majorité serait signe de bon augure pour elle. Elle déglutit mal à l'aise devant son silence. Elle savait habituellement avoir des mots encourageants mais Jimin était trop intelligente pour ça et elle ne croyait pas aux faux espoirs.

Parfois Yoon était vraiment triste pour Jimin. Elles n'avaient jamais été amies mais elle s'était attachée à elle plus qu'à l'accoutumée. Vous voyez, il y avait quelque chose en Jimin qui vous donnait envie de vous démener. Elle avait défendu l'indéfendable aux conseils de classe, mettant sa réputation et sa crédibilité en jeu, pour la protéger. Quand elle voyait Jimin dormir au fond de la classe, isolée du monde tout autour d'elle, elle ne pouvait s'empêcher de se demander ce qui se passait chez elle le soir, ce qu'elle ne disait à personne. Elle voulait aussi la secouer, lui dire que d'autres choses étaient possibles, qu'il fallait quitter son apathie mortelle. Mais ça aussi, c'était injuste. Parce que personne de leur âge ne pouvait se sortir de cette situation seul. Et c'est pourquoi elle préféra garder le silence. Yoon aussi était aussi jeune et incapable que Jimin de trouver de vraies solutions. Prise de court par la situation, Yoon ignora son appel à l'aide et conclut la conversation, mal à l'aise :

- Il est trop tard pour tout ça... Nous reparlerons plus tard. Moi aussi, j'ai des choses à te dire.

Jimin aurait voulu parler, répondre quelque chose d'intelligent. Ou un minimum arrogant, histoire de ne pas perdre la face. Elle ravala les tremblements qui agitaient son corps alors qu'elle avait essayé de formuler quelque chose qui la torturait depuis des semaines. Mais même ça, elle en était incapable. Elle était pétrifiée à chaque fois que la Présidente des élèves essayait de la faire parler de son futur. Il lui semblait qu'elle ne pouvait donner aucune réponse face à un avenir qui, quelque soit le choix qu'elle prendrait, lui semblait douloureux et sans issue réelle. Mais comment exprimer la prison qu'elle ressentait au fond d'elle ? Alors elle resta les bras ballants devant Yoon, incapable de formuler quoi que ce soit. Yoon la prit en pitié et décida de la libérer :

- Koo était partie se défouler. Elle devrait arriver d'une minute à l'autre. Si tu pars maintenant, tu devrais la croiser avant qu'elle ne rentre...

Jim continua de la fixer, les yeux écarquillés mais quelque chose dans son expression avait changé, signe qu'elle avait visé juste. Elle réprima difficilement un petit sourire. C'était gros comme le nez au milieu de la figure :

- Ça, ça veut dire qu'il faut que tu y ailles. Maintenant, insista-t-elle pour qu'elle se décide à initier un mouvement.

Jimin sembla piquée par la remarque et se redressa rapidement, essayant de cacher sa précipitation soudaine. Yoon lui emboita le pas. Elle salua Hoseok et Mme. Min et, à la porte, elle semblait avoir repris ses esprits. Alors qu'elle allait se jeter dans le noir, elle sembla se souvenir de quelque chose et revient sur ses pas. Elle glissa à l'attention de la Présidente :

- Il me faut aussi des informations sur quelqu'un, Yoon.

Les deux jeunes femmes se fixèrent quelques secondes. La Présidente sembla considérer l'offre. Si elle était plutôt bavarde auprès de Koo, elle se faisait orgueil de bien garder les secrets de chacun au plus grand nombre. Cela faisait partie de son professionnalisme. Mais si elle voulait que Jimin soit coopérative, elle devait peut-être faire entorse à sa discipline. Elle lui accorda d'un hochement de tête prometteur :

- Je verrais ce que je peux faire.

Elles se saluèrent sans davantage de cérémonie et Jimin balança sa capuche sur sa tête avant de s'éloigner d'un pas rapide.


Quand Jimin regagna le portail de la propriété, elle tomba nez à nez avec Koo qui finissait ses étirements contre le murée de pierre. Elle portait un short de cyclisme et un t-shirt blanc très simple. Quelques mèches avaient échappé à sa tresse, comme d'habitude. Dès qu'elle aperçut la petite blonde, sa bouche se fendit en un sourire chaleureux. Jimin dut retenir son visage de s'éclairer de même. Elle l'observa avec une froideur un peu trop surjouée :

- Jim, tu étais chez nous ?

Parfois, Jimin oubliait que Koo venait d'un milieu où les maisons ressemblaient à des décors de magasines. Quelque chose la mettait mal à l'aise, là-dedans. Comme si elle avait une expérience de la vie balbutiante et brouillon à côté. Et si elle semblait à côté de la plaque depuis le début ? Elle bredouilla des justifications :

- Je, j'ai aidé ta tante avec ses affaires.

Koo hocha la tête. Elle ne cherchait pas à interpréter quoique ce soit dans les comportements des autres. Mais Jimin avait cette habitude de mentir un peu sur tout et n'importe quoi pour s'éviter des représailles ou réprimandes potentielles :

- Si j'avais su que tu allais passer, je ne serai pas partie. Mais par chance, je suis rentrée à temps pour te croiser.

Jimin espérait vraiment que la capuche qu'elle avait enfoncé sur sa tête et l'obscurité cachaient la teinte cramoisie qu'elle prenait. C'était le genre de stupide commentaire gentil qui la mettait qui traînait dans sa tête pour des jours entiers. Elle se trouvait ridicule. Elle aurait voulu lui dire qu'elle était aussi contente de la voir mais cela lui sembla insurmontable. Elle resta plantée là, les poings flanqués dans les poches de son sweatshirt. Koo offrit :

- Ça te va si je te raccompagne chez toi ? J'ai encore un peu d'énergie à dépenser avant d'aller dormir.

Jimin resongea à ses jouets de bébé qui pourrissaient dans le gazon haut, mâchouillés par le vieux griffon. Et à la lumière glauque du plafonnier qui filtrait à travers les persiennes rouillées. Et aux postes de télévision qui hurlaient à travers la ruelle, entre les maisons des vieux travailleurs de la scierie qui s'étaient tués les tympans avec les machines à une époque où ça ne posait de problème à personne. Son nez fronça par réflexe, gênée, alors qu'elle se força à prendre la parole avec désinvolture :

- J'ai la dalle. Je connais un truc pas mal, ça te dit de tester ?

Koo sembla réfléchir quelques secondes, jetant un coup d'œil en direction de la maison. Mais son visage finit par s'illuminer d'un sourire magnifique et... Et éclatant comme Jimin avait rarement vu des couchers de soleil l'être. Elle enfonça son ongle dans sa paume de main pour se rappeler à l'ordre :

- Ouais, avec plaisir.

Jimin ne put réprimer un petit sourire en coin, soulagée. Elles se mirent en marche, côte à côte. Jimin essaya d'oublier son pantacourt camouflage de chantier et le sweatshirt puant de Namjoon qui lui faisait une robe :

- Tu cours souvent les soirs, comme ça ? voulut-elle savoir.

- Hm, affirma Koo : ça fait le vide dans ma tête avant d'aller dormir.

- Soucis pour dormir ?

- Parfois.

- Hm.

Koo lui lança un petit regard mais n'ajouta rien. Jimin reprit car un silence l'aurait gêné :

- Trop de choses en tête ?

Elle se sentit un peu mal à l'aise en s'entendant parler. Elle ne savait pas ce qui lui prenait, elle n'avait pas à poser des questions aussi intimes tout à coup. Mais Koo ne semblait pas le moins du monde surprise. Encore moins dérangée de lui répondre :

- Ma grand-mère est à l'hôpital en ce moment. On espérait qu'elle reviendrait à la maison à la fin de l'été mais... Son état ne semble pas encore stabilisé.

La lumière de la petite épicerie illuminait la place au loin. L'air commençait juste à être respirable. Jimin sembla se perdre un instant dans ses pensées. Elle, elle détestait par-dessus tout sa grand-mère. Mais maintenant, si elle s'imaginait la vieille sur un lit d'hôpital, comme dans les films dramatiques, branchée de partout... Ca lui semblait vertigineux :

- Nous vivions ensemble. Elle m'a élevé comme un parent, en quelque sorte.

La phrase foudroya quelque chose en Jimin. La vieille était une vraie épine dans le pied, honnêtement. Mais elle s'était occupée de Jimin sans relâche, même lorsqu'elle lui avait mené la vie dure. Jim se rappelait de la vie à ferme. Ça avait été un enfer entre elles. Elles se seraient jeté des assiettes au visage si elles avaient pu. Jimin se souvenait de la détresse constante dans laquelle elle avait vécu à cet épisode de sa vie. Elle était petite encore à l'époque. Mais elle se rappelait fixer l'horizon avec rage, ressentant au fond d'elle ce même désemparement qu'aujourd'hui : comme si elle ne savait pas si elle devait s'enfuir, elle, sans jamais se retourner ou faire la guerre à la Terre entière pour retrouver le monde de son père, qu'ils lui avaient dérobé. Parfois, elle se décidait à mettre un pied devant l'autre, remonter la route du sud comme si elle pouvait trouver un chemin, une issue. C'était toujours sa grand-mère qui venait la repêcher. Elle la giflait pour la forme. Parce qu'elle était mal à l'aise de voir une gamine hurler à la mort alors qu'elle essayait de la mettre dans la voiture. Mais la vieille n'était jamais dangereuse comme son père. Elle, au moins, elle ne la secouait pas en lui hurlant qu'elle était juste comme sa salope de mère.

Quand bien même Jimin était punie de tout parce qu'elle s'était mal comportée à l'école, sa grand-mère venait la bercer chaque soir. La nuit, si elle l'entendait sangloter dans son lit ou appeler désespérément ses parents dans un sommeil délirant, elle se levait et passait des heures à lui caresser la joue. D'une certaine manière, la façon qu'elle avait de toujours mettre son nez dans les affaires de Jim était sans doute une preuve de considération. Elle était la seule qui enfonçait le portillon rouillé du jardin, enjambait énergiquement les divers objets abandonnés à la pluie et au vent, pour venir déposer des conserves qu'elle faisait à la ferme. Son fils avait beau l'insulter de tous les noms, elle revenait à la charge toujours plus forte et remontée. C'était une figure qui faisait preuve d'une certaine constance. Jim se demandait si ce n'était pas ça, au fond, l'amour.

Jim hocha lentement la tête en regardant au loin. Koo s'étonna à penser que la compréhension qui traversa alors son visage n'avait besoin d'aucun mot pour la réconforter. Koo repensa à ce que Yoon lui avait raconté sur Jimin. Elle se doutait que l'expérience qu'avait Jim du deuil n'avait probablement rien à voir avec la sienne, que cela devait être une émotion conflictuelle chez elle. La mort avait cet avantage de séparer sans rancune. L'abandon devait avoir une toute autre dimension.

Elles entrèrent dans la petite épicerie du village et une forte odeur de poussière chaude et de papier journal leur sauta aux narines, étouffante. La caisse était désertée. Les réfrigérateurs ronronnaient d'un bruit assourdissant sous la lumière verdâtre des néons. En face de la porte, place stratégique d'un commerçant consciencieux, leur faisait face le mur des alcools, qui se dressait jusqu'au plafond. La silhouette de Jimin semblait minuscule devant les étalages de bouteilles. Elle détourna les yeux, nullement impressionnée, et s'enfonça entre les présentoirs pleins à craquer de paquets et boîtes aux couleurs criardes, son lacet défait traînant sur le damier ocre et jaune. Les joints et fissures s'étaient remplies au fil des années de cette boue sombre qui avait coagulé dans les veines du carrelage. Koo lui emboîta le pas. Jimin ouvrit la porte d'un frigo, à l'autre bout de l'allée, et regarda par-dessus son épaule :

- Boisson aussi ?

Sa petite créole dorée attrapa la lumière blanche comme une étoile cachée dans son cou. Elle ressemblait à un ange, baignée dans ces lumières froides, comme prête à être avalée par les portes du paradis. Quelque part, cette image donnait envie à Koo d'accourir vers elle pour l'attraper, la retenir. Il y avait quelque chose dans la beauté de Jimin qui était tellement triste que ça lui faisait mal. Surtout ce soir où elle sentait son cœur sur le bord d'un gouffre. Ses yeux continuaient à faire mentir le sourire qu'elle s'efforçait de conserver. C'était ce mélange de fragilité et de puissance qui émanait de la petite blonde, de son regard plein de rage et d'innocence. Koo avait le sentiment que Jim la comprenait. Que même si c'était l'été, les vacances, l'air de liberté à l'idée de se barrer, de devenir indépendant, il y avait aussi en elles la peur de l'inconnu. Du néant aussi. Mais Koo savait aussi qu'elle, elle ne comprendrait jamais totalement Jimin.

La brune hocha la tête en se forçant un peu à sourire. Jimin hésita un instant avant de détourner les yeux, une expression indéchiffrable au visage. Elle finit par attraper ce qu'elle cherchait avec nonchalance :

- T'as pas besoin de sourire si tu es triste pour ta grand-mère.

La petite blonde avait parlé avec un ton irrité, comme si ce genre de comportement l'agaçait. Mais Koo savait que c'était la façon dont Jimin s'exprimait et elle ne s'en formalisa pas. Au contraire, elle trouva la remarque d'une bienveillance assez intelligente. Elle la laissa finir son petit tour et déposer quelques pièces sur le comptoir au côté d'un petit tas de monnaie, signe qu'il y avait eu d'autres passages nocturnes. Les bras chargés, elle se dirigea vers la sortie en maugréant :

- Dieu seul sait où sont les hommes de ce village à cette heure-ci...

Koo repensa au mur des alcools face à la porte ouverte, pesant derrière son dos comme une présence malsaine. Le mur de frigos semblait grogner à présent, comme des animaux dérangés par leur présence. Il y avait quelque chose qu'elle ne sentait pas à Binmin-li. Elle déglutit et essaya de détendre l'atmosphère :

- Tu as déjà volé des trucs ici ?

- Bien-sûr que non, mentit copieusement Jimin en passant la porte, la brune dans son dos.

Elle avait volé quelques trucs, seulement. Mais c'était d'une valeur inexistante pour la trésorerie d'un petit commerce bien implanté dans le paysage local. Et puis, son père donnait toujours à leur famille des déchets de bois pour l'hiver et des légumes du jardin en été. Lui continuait de lui vendre des caisses de mauvais whisky dans le dos de Jim. Elle jugeait que si quelqu'un profitait de l'autre, c'était bien lui, pas elle. Mais elle ne voulait pas que Koo l'associe à une voleuse. Elle avait été accusée de trop nombreuses fois au collège, pour les objets disparus dans les vestiaires des filles. Elle détestait à présent ce mot. Jimin n'était pas une voleuse.

Elles s'assirent sur un banc public et Jimin déballa ses trésors avec soin pour les déposer entre elle. Elle invita même Koo à se servir d'un geste d'encouragement :

- Est-ce que parfois tu as peur de traîner la nuit, ici ? questionna la brune en piochant au hasard, avec réticence, dans un paquet : Certaines personnes âgées me fixent quand je vais courir parfois, ils me donnent la chair de poule. Comme si je faisais une bêtise.

Elle croqua dans un snack sous le regard plein d'espoir de sa voisine. Elle fit un effort pour ne laisser aucune émotion transparaître mais elle n'était pas sûre de comprendre ce qu'elle mangeait. C'était trop salé et trop gras, sans doute la seule raison pour laquelle cela restait mangeable. Elle replongea la main dans le paquet et Jimin sembla se détendre enfin. Elle-même prit le temps d'avaler quelques gâteaux avant de répondre :

- Ceux-là sont vraiment pas mal. Ils sont au fromage.

Koo n'était vraiment pas sûre qu'il y ait un gramme de fromage à l'intérieur, ça avait un goût comparable à rien de réel. Mais ça restait addictif, pour toutes les mauvaises raisons. Elle opina pourtant, ne voulant pas la contredire et se resservit assidûment :

- Tu as toujours peur après ce je t'ai donné la dernière fois ? Tu es un peu une froussarde, tu sais.

Koo releva les yeux vers la blonde, surprise. Jim avait un rictus malicieux quasi indétectable au visage cette fois mais la brune le releva quand même. Elle laissa son regard prendre la mesure de son expression avec une joie inexplicable. Koo sourit à son tour, amusée, avant de répondre :

- Je dois t'avouer quelque chose... Je ne sais pas si je crois à ces trucs de magie. Mais en tout cas, je l'ai gardé avec moi.

Elle se redressa un peu pour sortir le pendentif de fortune, essayant de ne pas tâcher son col blanc au passage avec ses doigts huileux. Jimin l'observa faire, très surprise. Elle fixa le petit bouton contre sa peau brune, le cœur battant. La vérité, c'était, qu'à présent, elle avait envie qu'il soit véritablement ensorcelé. Qu'à travers lui, Koo revienne, continue de la croiser au hasard, de vouloir lui parler et de l'écouter comme ce soir. L'idée qu'elle garde précieusement quelque chose qu'elle lui offert lui faisait ressentir quelque chose qu'elle n'aurait su exprimé. Elle se rassit en tailleur sur son côté du banc, s'accaparant un paquet de biscuit et répliqua fièrement :

- Je pense que ça veut dire que tu as un peu commencé à croire en ma magie, en tout cas.

Koo se mordit la joue pour ne pas éclater de rire à la façon dont Jimin avait gonflé son buste, ravie d'elle-même. Sa sincérité, presque trop brute, avait quelque chose d'extrêmement touchant. Si Jimin avait eu un peu plus confiance en elle, il ne faisait nul doute qu'elle aurait été une séductrice redoutable. En tout cas, c'était ce que Koo pensait. La chamane en herbe reprit :

- Alors... Tu es coincée ici, pour le moment ?

Koo hocha la tête. Jimin reprit un biscuit et le mangea en silence, semblant réfléchir. En fait, Jimin n'était jamais du genre à s'attarder sur le malheur des autres. Elle n'était pas d'un milieu où l'on s'étendait de toute manière sur ses douleurs personnelles. On se racontait factuellement les épreuves de la vie en haussant les épaules fatalement. Les jours qui suivaient, les femmes s'organisaient discrètement pour rassembler quelques mets qu'elles offraient aux familles endeuillées. Ce genre de petits gestes solennels mais qui, au fond, étaient assez tendres. Mais surtout, on haussait les épaules en se confiant et l'autre personne hochait la tête, signe qu'il n'y avait pas besoin de plus en dire pour comprendre. Il y avait une certaine fierté aussi à ne pas endommager l'autre avec ses larmes. Mais avec Koo, c'était différent. Jimin avait envie d'être la personne qui savait tout. Elle avait envie de se sentir importante pour elle, d'être sa source de réconfort. Elle finit par questionner :

- Ca ne te dérange pas d'être ici ?

Koo mentirait si elle disait que vivre chez sa tante pour les vacances était désagréable. Elle et Yoon n'avaient aucune obligation, pouvaient manger ce qu'elles voulaient, à l'heure qu'elles voulaient... Elles étaient libres d'aller et venir. La nature autour de Binmi-li était assez magnifique, le lac offrait sa fraîcheur pendant les heures les plus chaudes de l'après-midi. Mais ce n'était pas ce qu'elle avait envie de dire à Jimin, bien que la petite blonde s'en serait contentée. Elle ne voulait pas être comme n'importe quel vacancier qui flatte l'autochtone.

Chaque endroit avait sa part d'ombre et celle de Binmin-li lui semblait particulièrement pesante ces derniers temps. Ou peut-être était-ce elle qui vieillissait et ne savait plus s'émerveiller sans cette part de retenue anxieuse. Dans tous les cas, quand elle observait Jimin évoluer dans ces lieux, son attirance était teintée d'une part de doute. Doute qu'elle essayait de faire taire, surtout quand Jimin la fixait comme ça, au fin fond d'une nuit calme :

- Je ne déteste pas être ici mais... Je ne sais pas si je pourrais y vivre. On dirait que les gens sont durs entre eux. On a l'impression que ça pourrait éclater rapidement mais qu'en même temps tout est si solidement accroché ensemble.

Elles se fixaient maintenant depuis une durée inquiétante, par-dessus les victuailles avant que Jimin n'explose de rire. La brune se demanda ce qu'elle avait pu dire de drôle. Mais, comme elle se rendait compte que c'était la première qu'elle entendit le rire de Jimin, ses préoccupations se dissipèrent aussitôt. Sa tête rejetée en arrière, ses pommettes hautes, ses mèches courtes qui glissaient dans le vide, ses épaules qui se secouent doucement, son visage éclatant... C'était comme la foudre dans la nuit. Elle avait envie de l'embrasser :

- Tu parles comme si les gens de Daebak étaient différents, rit Jimin : Mais tu ne les connais juste pas.

D'une certaine façon, ses paroles marquèrent Koo et elle rougit un peu, trouvant sa remarque déplacée. Jimin avait peut-être raison. Elle ne connaissait tout simplement pas les gens de Daebak comme on connaissait ses voisins dans un petit village. Et on ne savait rien du sentiment fragile de dépendre des autres, d'appartenir aux souvenirs collectifs d'une petite communauté. En ville, quand on avait les moyens de s'isoler, on avait les moyens de s'effacer. Alors, ça ne coûtait plus rien d'être gentil, de saluer un inconnu dont les tars ne nous avait fait souffrir une seule fois. Peut-être qu'elle ne connaissait même pas grand-chose du cœur des Hommes, comparé à Jimin. Elle se sentit embarrassée de son commentaire et décida de se taire.

Un silence s'installa entre elles. Jimin observa un papillon brûler ses ailes contre le lampadaire au bout de la place. Elle était heureuse que Koo soit arrivée à Binmin-li. Elle était heureuse qu'elle ait posé sur Jimin un regard d'intérêt et qu'elle ne l'ait pas trouvé bizarre. Elle la faisait se sentir bien et... Et normale. Elle la faisait sentir comme si elle pouvait être quelqu'un de bien mieux qu'elle ne l'était. Mais elle ignorait comment lui dire ce genre de choses. Ce n'était pas si grave, ce n'étaient guère que de stupides petites émotions. Ça n'avait pas d'intérêt de les lui exprimer. Le principal était qu'elles ne détestaient pas le temps passé ensemble. Elle déboucha sa bouteille de soda sans un mot, pour distraire son esprit. Elle espérait que Koo saurait lire sa maladresse comme le faisait sa cousine. Elle ne voulait paraître pour quelqu'un qui manquait de manières

Quand Jimin jeta un coup d'œil dans sa direction, Koo se rendit qu'elle la fixait avec quelque chose d'un peu trop sincère dans les yeux. Elle détourna précipitamment le regard, les joues rouges. Elle devait bien admettre que ce qu'elle ressentait avec Jimin depuis qu'elle l'avait croisé, ce soir-là, dans la caravane la hantait. Si elle était totalement sincère avec elle-même, la petite blonde l'obsédait. C'était la première fois de toute sa vie que son cœur faisait un bond dans sa poitrine dès qu'elle reconnaissait sa voix. C'était la première fois où elle cherchait des excuses pour voir quelqu'un. C'était la première fois de sa vie où une fille lui plaisait tellement qu'elle rêvait d'elle aussi bien la nuit que le jour. C'était la première fois de sa vie qu'elle ne se posait plus de questions sur rien. Elle regardait Jimin et ce qu'elle ressentait était tellement claire, vrai et tellement bouleversant que, parfois, elle en oubliait de respirer. Elle essayait de refouler tous les questionnements qui lui traversaient l'esprit. Mais c'était plus fort qu'elle. Elle se demandait souvent ce qu'elle faisait, avec qui elle était, est-ce qu'elle pensait à elle... Elle retournait souvent ce que Jimin lui avait dit le premier soir où elles s'étaient rencontrées. Elle ne pouvait plus nier que si la présence de Namjoon lui était aussi désagréable, c'est parce qu'elle était un peu jalouse de lui. Fixant ses lacets, un peu embarrassée, elle eut le courage de formuler :

- Donc... Tu étais avec Namjoon aujourd'hui ?

Jimin fronça les sourcils, automatiquement irritée par la mention de ce nom, et confuse quant à son apparition dans la conversation. Elle but quelques gorgées de sucre pour faire passer la pilule avant de regardait Koo avec agacement :

- J'aidais ma grand-mère pour les préparatifs et il était là, oui.

Koo hocha la tête, l'air perplexe. Il y eu un silence gênant. La brune essayait de détendre l'atmosphère :

- Il est.. sympa.

Jimin ne sut pas ce qu'elle était censée répondre à ça. Elle se tut, les lèvres pincées. Ce qu'elle pouvait bien se foutre de savoir si Namjoon était sympa ou non, c'était pas son problème :

- Depuis quand vous... Vous avez commencé à vous fréquenter ?

Jimin sembla enfin reprendre conscience qu'elle portait son sweatshirt. Et que c'était la deuxième fois qu'elle rencontrait Koo en portant des vêtements à lui après lui avoir dit de son plein gré qu'ils étaient sex friends pour l'impressionner. Maintenant qu'elle avait rencontré Koo et qu'elle pouvait passer du temps avec elle - et penser à elle quand elles n'étaient pas ensemble - , l'idée de retourner dans le hangar de la scierie pour bécoter Namjoon la dégoutait profondément. En réalité, elle avait toujours eu une sorte de dégoût au fond d'elle dans ces moments-là. C'était d'ailleurs assez rare parce que ni l'un ni l'autre ne trouvait ça particulièrement plaisant. Elle le frappait chaque fois qu'il avait une érection alors qu'ils s'embrassaient parce que bordel, comment pouvait-il avoir une érection pour Jimin alors qu'ils traînaient ensemble depuis qu'ils étaient bébés ? Il la dégoûtait. Elle le frappait de nouveau alors qu'il gémissait qu'il n'était qu'un homme. Si les hommes étaient capables de ça, et bien Jimin haïssait les hommes.

Elle avait la conviction que toutes les fois où ils s'étaient embrassés étaient des erreurs. Aucun des deux n'en redemandait et cela mettait toujours un froid entre eux pour les jours qui suivaient, comme s'ils voulaient effacer de leur mémoire ces sensations. Mais parfois, lorsqu'ils se sentaient fragilisés, qu'ils avaient besoin d'avoir mal pour se rassurer et de faire ça sur quelqu'un, ça pouvait leur arriver. Mais c'était plus une punition qu'autre chose :

- C'est fini avec lui, s'enfonça-t-elle dans son mensonge.

Le cœur de Koo s'envola, devenu léger tout à coup :

- Oh, je ne savais pas. Désolée.

Une pointe d'espoir passa dans ses yeux mais Jimin était bien trop agacée pour se rendre compte de quoique ce soit :

- Ne le sois pas, c'est un soulagement...

Koo leva un sourcil, surprise par le choix des mots, et elle se sentit obligée de rajouter quelque chose pour adoucir un peu le trait :

- Il était vraiment un mauvais coup, tu vois ?

Jimin prononça ses mots avec l'envie de vomir. Elle essayait de parler de sexe comme si elle y connaissait quelque chose mais elle était rassurée à l'idée de rester le plus éloignée de toutes ces choses-là. Elle en éprouvait énormément de dégoût. Mais elle espérait qu'elle mentait suffisamment bien pour la jeune sportive y croit.

Koo hocha la tête mais en réalité n'avait jamais vraiment réfléchit à ce à quoi un mauvais coup avec un garçon pouvait ressembler. Enfin, elle avait des amies qui lui avait dépeint en détails les choses bien-sûr. Elle savait que c'était plutôt courant. Mais elle n'avait pas particulièrement envie d'approfondir sa connaissance. C'était quelque chose de totalement étranger pour elle :

- Vous êtes restés en bon termes au moins, essaya de compatir Koo qui était en réalité très rassurée de l'annonce

Jimin avala nerveusement une poignée de ses précieux biscuits, mécontente. Elle commençait sérieusement à en avoir marre d'être constamment associée à Namjoon. Elle se disait qu'avec le temps, ils avaient fini par se ressembler et cette idée la rendait folle :

- Moi et Nam n'avons jamais été en bons termes, contredit-elle : C'est un naze. Et honnêtement, il ne m'a donné que des remords. Il était là, c'est tout.

Koo hocha la tête, bien d'accord avec le diagnostic. Elle devait admettre que Namjoon n'avait rien de comparable avec Jimin. Sur le chemin du retour, elle ne pouvait pas s'arrêter de sourire. En se couchant, elle referma sa main sur le collier qu'elle lui avait offert, dans le secret de ce champs de maïs. Namjoon était un naze, Jimin avait dit...

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