|7| Farouche, aussi.
Drakaïs allait étriper Drakayn.
Le premier jour avec les intrus, Drakaïs resta avec sa meute, ignorant les autres le plus possible et évitant tout contact avec eux. Elle sentait leurs regards sur elle, tantôt curieux, tantôt calculateurs.
Elle détestait ça.
Une Drakonique dans une meute de Loups-Garous. Saugrenu. Dans sa meute, personne n'y pensait; tout le monde l'avait accepté depuis des années. Avec les autres meutes, c'était différent : elle rencontrait encore souvent des réactions hostiles, des comportements froids ou plus agressifs.
La question revenait toujours : 'Pourquoi ne te fais-tu pas Mordre ?'
'Pourquoi ?', en effet.
Elle préférait ne pas répondre. Elle avait vite appris que ses réponses ne plaisaient pas. Alors elle se taisait. Elle avait également vite appris que son regard, déjà dès son plus jeune âge, perturbait lorsqu'elle se taisait. Trop intense. Trop menaçant. Trop prédateur.
Les Loups-Garous ne détestaient pas les Drakoniques, pas comme les autres peuples. Les Loups-Garous ne chassaient ni ne persécutaient les Drakoniques. Mais ils les craignaient.
'Dragon. ', avait-elle entendu dans son dos. Pas 'lézard', ni 'serpent', ni 'reptile'. Dragon. Il n'y avait pas d'insulte dans ce mot, pas comme dans les autres. Il la rendait fière, aussi absurde que ce soit.
Il marquait aussi sa différence. Un Dragon chez les loups. Jamais vraiment acceptée, jamais vraiment chez elle.
Mais elle n'avait plus de « chez elle » depuis longtemps, n'en avait peut-être jamais vraiment eu. Chez elle, c'était peut-être avec sa meute, avec Cerbère, Elesborn, Lya et les autres.
Elle préférait ignorer ce vide en elle, toujours présent, jamais comblé, qui la suivait partout où elle allait, qui se faisait particulièrement ressentir quand elle était avec sa meute.
Elle détestait donc les regards des intrus, surtout ceux d'Idris et d'Adrias, qui lui rappelaient son anormalité.
Elle détestait encore plus le fait que depuis qu'elle était en leur présence, le vide s'était fait moins présent, comme légèrement satisfait.
Mais ce qu'elle détestait plus que tout, c'était Drakayn. Drakayn et son regard curieux, invasif. Drakayn et son attitude de connard. Drakayn et ses questions.
« J'avais entendu parler d'une rumeur, comme quoi la meute du grand Cerbère avait un Dragon parmi elle, mais je ne l'avais jamais prise au sérieux. Mais c'est toi. Une petite Drakonique. Un Dragon déguisé en loup. Mais ce n'est qu'un déguisement, n'est-ce pas ? »
Elle ne répondit rien. Elle lui tourna le dos, crispée et fuit dans la forêt, suivie de Lya, sous excuse d'aller chasser pour le repas du soir. Elle fut satisfaite de rentrer avec un daim. Cependant, la satisfaction s'envola en voyant que le regard de Drakayn était encore plus perçant qu'avant.
Le deuxième jour suivit la même progression. Une nuit agitée, un levé grognon, un petit déjeuner rapide pour échapper le plus vite possible aux regards, une marche vive pour se porter devant tout le monde.
Drakayn et ses incessantes questions.
'Comment as-tu rejoint la meute ?' 'D'où viens-tu ?' 'Depuis combien de temps es-tu avec la meute ?'
Et quand elle finit par craquer, grognant un 'La ferme !', Drakayn se contenta de sourire, un petit sourire satisfait qui lui donna envie de l'étriper. Elle fit flasher ses yeux. Il fit flasher les siens. Rouges. Démoniaques. Un Malédrake. L'information lui permit de se calmer.
« Fergon aussi. », lui apprit-il.
Et il partit rejoindre ce dernier, visiblement satisfait pour la journée.
« Je ne l'aime pas. », grogna Lya en apparaissant à ses côtés.
Drakaïs renâcla.
« Et moi donc, fit-elle sombrement.
– Fergon non plus, continua la plus jeune. Avec son regard calculateur... Il est trop calme. J'ai l'impression qu'il observe toutes mes réactions. Qu'il note tout. Et que dès qu'il pourra... »
Lya passa rapidement un pouce sur sa gorge. Drakaïs grogna. Rien n'arrivera à Lya sous sa garde.
« Sin est bizarre. Bruyant, puis réservé. Joyeux, puis triste, expliqua Lya en agitant ses mains en tout sens. Parfois, j'ai l'impression que c'est un enfant. Et à d'autres moments, il est comme un vieux con amer. »
Une exclamation outrée retentit derrière elles. Elles l'ignorèrent.
« Et ne parlons même pas d'Idris et Adrias. Si je savais pas qu'ils sont frères et sœurs, je te dirais que ce sont deux anciens amants. Idris a l'air d'avoir un balais dans le cul, et Adrias est comme une reine de glace. Sauf que c'est pas une reine, donc j'ai juste envie de lui cracher dessus.
– Lya...
– Oh, ta gueule, t'en penses pas moins ! »
Drakaïs explosa de rire.
« Tu as conscience qu'ils t'entendent, j'espère ? »
Sa petite sœur eut un petit sourire fier.
« Oui. Mais j'ai réussi à te faire rire. Donc je m'en fiche. S'ils sont pas contents, qu'ils aillent se faire – »
Encore vibrante de rire, Drakaïs étouffa Lya en la prenant dans ses bras pour lui souffler dans le cou et lui mordiller la peau. Les glapissements de la jeune Loup-Garou résonnèrent dans ses oreilles le reste de la journée.
Le soir, alors qu'ils installaient les pierres pour leur feu de camps, Adrias leur jeta un regard noir, glacial. Lya et Drakaïs échangèrent un sourire tremblant. Il n'en fallut pas plus pour les faire repartir dans un fou rire.
Quand elle croisa ensuite le regard de Drakayn, elle ne réussit pas à reprendre son masque menaçant. Elle baissa la tête pour éviter ses yeux qui semblaient tout voir, non sans noter qu'un sourire amusé ornait les lèvres du Malédrake.
Mais même Drakayn ne parvint pas à tuer la bonne humeur que Lya avait réveillé chez elle.
Le soleil sur sa peau est une couverture chaude. Elle s'étire de tout son long et pousse un soupir d'aise, un vrombissement vibrant dans sa poitrine. Elle entend les autres autour d'elle, étalés comme elle comme des gros chats, et elle pouffe de rire, car même si les chats sont de minuscules créatures poilues, elle doit admettre que la ressemblance, en cet instant, est évidente. Stupides boules de poil. Elle se souvient vaguement d'en avoir gobé un, plus jeune. L'expression « avoir un chat dans la gorge » avait pris tout son sens.
Elle sait immédiatement qu'un nouveau venu est là, et n'attend même pas qu'il se manifeste pour ouvrir un œil et fixer son attention sur lui. Petit bonhomme et son expression vide. Elle referme son œil.
« Nous avons un problème. »
Cette fois, le soupir est ennuyé.
« Quoi encore, Seth ?
– C'est Onyx. »
Elle ouvre les deux yeux et lève la tête pour le dévisager. Sa collerette de plumes se déploie autour de sa gueule et elle darde sa langue sur lui. Agitation. Inquiétude. Peur. Il écarte sa langue d'un geste de la main.
« Les Anges l'ont capturé. »
Oh. Elle repose sa tête sur ses pattes et ricane méchamment.
« Il est en danger.
– Ce sont juste des piafs. Il nous idolâtrent, et même s'ils veulent lui faire du mal, ils n'en sont pas capables.
– Les Anges l'ont capturé.
– Et ?
– Tu n'es pas sérieuse, Ru. »
'Ru'. Le voilà donc à essayer de faire vibrer la corde sensible.
« Ru, s'il-te-plaît. Regarde-moi. »
Petit salopiaud. Impossible de lui refuser quelque chose avec cette voix-là.
Il est crispé, pâle, plus pâle que d'habitude, et son regard bleu est habité par une panique contagieuse. Il est inexpressif et c'est son regard, normalement aussi neutre que tout le reste, qui l'interpelle. Son alarme est trop grande à cacher.
« Ru, ils vont lui faire du mal. Je pense qu'il vont commettre quelque chose d'irréparable.»
La certitude dans sa voix finit de la convaincre.
Drakaïs avait les yeux ouverts sur le ciel nocturne feuillu. Le feu crépitait et les corps lovés autour d'elle respiraient en unisson. Elle aurait aimé enfouir son visage dans la fourrure de ses compagnons, serrer davantage Lya contre elle et enterrer ses pieds sous le corps canin d'Elesborn.
A la place, elle préféra s'extraire délicatement de l'étreinte de Lya, pour naviguer entre les corps lupins des membres de la meute.
Elle s'éloigna machinalement en resserrant ses fourrures sur elle, ses pensées se résumant à deux noms.
Onyx et Seth.
« Encore un mauvais rêve ? »
Cerbère avait la tête posée sur ses pattes avant et rencontra son regard calmement. La fureur qui la traversa la surprit suffisamment pour la sortir de sa torpeur.
« Est-ce que tu sais ce qui m'arrive ? »
Cerbère continua de soutenir son regard.
« Oui. »
Elle s'attendait à cette réponse mais la reçut pourtant comme un coup de poignard en plein cœur.
« Et tu ne vas rien m'expliquer, n'est-ce pas ? Qui est Seth, qui est cette foutue Dragonne, ce que vient faire Onyx là-dedans, pourquoi ça m'arrive à moi... Comme tu ne m'as rien dit pour ma famille, hein ? » Elle voulait s'arrêter, mais le barrage avait cédé et le flot était inarrêtable. « Est-ce que tu comptais me le dire au moins ? M'avouer que tu m'avais pris ce qui me restait d'eux ? Pensais-tu vraiment que c'était mieux, me laisser oublier, me laisser fermenter comme ça, me donner ce mensonge, cette illusion de paix ? » Elle tremblait. Sa voix était un murmure furieux. Elle ne voulait pas réveiller les autres ou risquer de se faire entendre par les intrus, qu'elle percevait plus loin, encore éveillés. « Tu auras beau me donner toutes les excuses du monde, tout ce que je vois, c'est que toi et Elesborn, vous ne m'avez pas laissé l'occasion de les pleurer, de faire mon deuil. Et maintenant, c'est comme si je venais de les perdre. Comment as-tu pu me faire ça ? Je te faisais confiance, termina-t-elle dans un filet de voix.
– Je ne suis pas désolé. Elesborn ne l'est pas non plus, chuchota finalement Cerbère. C'était la meilleure chose à faire pour toi, et si tu dois nous détester pour ça, alors nous l'accepterons. Tu as grandi heureuse et saine avec nous, et c'est tout ce qui compte.
– Toi et ta putain de morale, rit-elle faiblement. Parfois, j'aimerais vraiment que tu arrêtes de te cacher derrière cette merde. »
Pour toute réponse, Cerbère ferma les yeux. Dégoûtée, Drakaïs le quitta. Elle savait que si elle restait, elle finirait par dire des choses qu'elle regretterait aussitôt. Malgré la trahison qui lui empoignait le cœur et les tripes, elle ne voulait pas laisser sa colère la contrôler.
Elle s'enfonça dans la forêt, inconsciemment portée vers l'agitation causée par les autres. Les rires et les discussions passaient dans ses oreilles sans qu'elle s'y attarde. L'obscurité baignée par la lumière du feu la fit remonter à la surface.
Fergon, Sin et Drakayn étaient assis autour d'un feu. Ils s'étaient tus à son arrivée et l'observaient. Drakayn avait un rictus sur les lèvres.
« Eh, tu te joins à nous ? », lui lança-t-il.
Elle pensa à dormir, pensa à ses visions et à ses souvenirs, et avant même de décider qu'elle avait eu son compte pour la nuit, elle se retrouva assise à côté du Malédrake.
Sin lui jetait des petits regards craintifs et elle sourit de toutes ses dents, moqueuse. Le jeune Drakonique lui sourit en retour, sa crainte envolée. Elle ricana. Bizarre, en effet.
« Drakaïs, c'est ça ?
– Et tu es Sin, marmonna-t-elle, le ton sec. Épargnez-moi le bla bla inutile. Pourquoi vous ne dormez pas comme Idris et Adrias ?
– Pour l'amusement, évidemment, ricana Drakayn. Tu connais ? »
Elle lui jeta un regard noir. Le sourire de Drakayn se fit plus grand.
Connard.
Fergon se racla la gorge. Le Malédrake l'examinait, et elle se crispa en croisant ses yeux. Remplis de suspicions, calculateurs et froids.
« Et toi ? souffla Fergon. Qu'est-ce qui te tient éveiller ? »
Elle resta silencieuse quelques secondes, puis finit par hausser les épaules.
« Peut-être que j'avais envie de m'amuser. », fit-elle en jetant un coup d'œil appuyé à Drakayn.
Ce dernier leva son verre vers elle avant de boire une longue gorgée. Elle renâcla.
Un silence lourd tomba sur eux.
« Qu'est-ce que ça fait ? », lâcha brusquement Sin.
Elle fronça les sourcils.
« D'être une Drakonique. Chez des Loups-Garous. », développa le blondinet. Sous le poids de son attention sévère, il se tassa sur lui même. « Pardon. Je ne voulais pas être indiscret. C'est juste que le silence était vraiment inconfortable et je n'aime pas ça du tout. Et, bon, tu es fascinante. » Il parut paniqué. « Je veux dire, ta situation est fascinante, et tu es toujours dans ton coin, ou avec ta meute, et quand je vois comment tu es avec Drakayn, je me dis que tu es très intimidante, mais que ce serait sympa de te parler, comme tu es une Drakonique, et tu as dû voir pleins de choses et, et, et... pourquoi est-ce que vous ne m'arrêtez pas, les gars ? couina Sin, la tête plongée entre ses genoux.
– Divertissant, articula Drakayn en buvant une gorgée.
– Fascinant. », le taquina Fergon en ébouriffant le blondinet.
Sin lâcha un râle. Amusée malgré elle, Drakaïs s'autorisa un petit sourire. Ils lui rappelaient la meute. Cependant, son sourire s'évapora à son affirmation :
– Je ne suis pas une Drakonique. Pas vraiment du moins.
De nouveau, le silence les envahit un court instant.
« Tu dis que tu n'es pas une Drakonique, mais es-tu un Loup-Garou ? », lui demanda abruptement Fergon par dessus les flammes.
Elle rencontra le regard du Démon et se trouva soudain muette. Elle se racla la gorge, se découvrit une passion inédite pour l'étude de ses chaussures.
« Non. »
Le crépitement des flammes suivit sa réplique sèche.
« Pourquoi ? », voulut savoir Drakayn, qui la fixait avec intensité, le regard voilé par la confusion.
Elle serra les lèvres, tout à coup plus agacée qu'avant. Elle se serait passé de l'intervention de Mr Connard.
Elle fut tentée de garder le silence, mais opta plutôt pour un froid :
– Je ne vois pas en quoi ça te regarde.
L'amusement remplaça la confusion dans le regard du Maledrake.
« Ah oui ? Peut-être parce que ça ne me regarde pas ? rit-il en portant sa coupe aux lèvres. Pourtant, ça ne m'empêche pas de demander : pourquoi ? »
Ses visions lui paraissaient préférables désormais. Elle souhaitait plus que tout étouffer ce sourire crâneur sous l'un de ses poings. Elle sentait le poids des regards des autres sur elle. Elle détestait ça. Être ainsi au centre de l'attention lui donnait envie de disparaître.
« Mais ne te sent surtout pas obligé de répondre. », fit-il face à son silence, moqueur.
Oh, un vrai connard. L'ignorer ou lui mettre son poing dans la figure ? Les deux options étaient tout aussi tentantes.
« Je me demande... », siffla-t-elle finalement en se levant. Elle fit en sorte de capturer les yeux vermeils du Démon avant de continuer. « Naît-on aussi con ou le devient-on ? »
Et elle s'éloigna sous les éclats, le cœur irrité et les pensées enflammées.
« C'est de naissance ! lui cria Drakayn, la voix tremblante de rire. Mais il faut aussi un minimum d'entraînement pour atteindre mon niveau, le talent naturel ne fait pas tout ! »
Malgré elle, un sourire trouva son chemin sur ses lèvres. Pour disparaître aussitôt une fois qu'elle s'en rendit compte.
Connard.
Elle ferma les yeux.
Un connard, oui, mais avec les autres, sa compagnie devenait presque supportable.
Note:
Hey ! Un petit chapitre que je viens à peine de terminer !
Une sorte de chapitre de transition, même s'il contient pas mal d'informations importantes en fond de toile :p ! Les anciens, vous aurez peut-être reconnu la scène de la vision, avec Seth et l'allusion à Onyx. Un peu de drama aussi, car j'adore ça ahah ! Je suis curieuse de savoir ce que vous pensez de l'action de Cerbère et d'Elesborn concernant les souvenirs de la famille de Drakaïs ! Enfin, j'espère que la thématique de l'identité apparaît un peu plus ici. Vous avez un assez bon aperçu du caractère de Drakaïs dans celui-là, même si la pauvre n'est pas dans le meilleur des états vues ses circonstances :") !
Je me suis plutôt bien amusée à écrire les dialogues dans ce chapitre. Celui de la fin était d'ailleurs majoritairement écrit depuis un an maintenant !
Et... je ne vois pas trop quoi dire d'autre !
Bisous, j'espère que ce chapitre vous aura plu ! A la prochaine !
PS: je prends de l'avance sur les notes courtes, comme ça, quand elles seront longues, je me dirais que je peux le faire puisque j'ai fait des efforts au début. MOUAHAHAH !
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