Média : forêt.
Musique : I see fire d'Ed Sheeran.
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Chapitre 4
Mamm-gozh et ses mystères
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Forêt de Brocéliande
16 avril 2017
En sortant de l'arbre, je ne me sentais pas très bien, légèrement vaseuse. Ma tête était comme compressée et j'entendais à peine les oiseaux chanter dans les branches au-dessus de moi. C'était un peu la même sensation que lorsque je me trouvais sous l'eau. Tout me semblait étouffé.
Je n'avais pas la moindre idée de la façon dont j'avais redescendu l'escalier. Je me revoyais clairement tomber dans le tronc de l'arbre, puis me relever pour sortir par la porte qui se trouvait maintenant face à moi. Entre les deux, le trou noir. Et puis, finalement, il ne s'était peut-être rien passé. Après tout, pourquoi y aurait-il forcément eu un escalier ? Ce n'était pas le même arbre que celui par lequel j'étais arrivée puisqu'il n'était pas obstrué par des fougères. Donc, cette TéléPorte-ci pouvait n'être qu'une simple porte (ce qui, entre nous, était quand même bien plus pratique !).
Je m'assis sur le pas de la porte, le temps de reprendre mes esprits – et de récupérer mon audition.
Comme tous les adolescents de la Terre – ou du moins la majeure partie –, je rêvais que quelque chose vienne soudainement bouleverser ma vie. Pas que celle-ci soit monotone, loin de là. Je pensais juste qu'on avait tous besoin de changement, un jour ou l'autre. Sans doute pour se rendre compte d'à quel point notre vie avait pu être heureuse avant, lorsque nous n'étions que des enfants.
Pour moi cette chose qui, je le supposais, devrait bouleverser ma vie, avait un nom : Zéphyr, ou encore Tic-Tac, l'Oracle, voire le «truc zozotant» – bien que j'aie quelques doutes quant à sa réaction s'il avait connaissance du dernier surnom de la liste...
Tout se bousculait dans ma tête, je ne savais pas sur quel pied danser. J'avais besoin de mettre les choses à plat. Rapidement si possible !
Résumons :
1- Je m'étais téléportée grâce à un arbre.
2- J'avais atterri dans une forêt vraiment étrange, où des manoirs apparaissaient et où des loups enragés voulaient me faire frire aux petits oignons pour me manger (mais sans les petits oignons, et en sautant l'étape de la friture).
3- J'avais actuellement un lutin, sous la forme d'une montre, accroché à mon poignet.
«Bien, il ne manque plus qu'à ce que je tombe sur un beau garçon – bien que l'opération me semble délicate puisque je suis en plein milieu d'une forêt – et ma journée sera parfaite !» me dis-je en enfonçant ma tête dans la fourrure d'Holly, assise sur mes genoux, de désespoir. «Quand je vais raconter ça à Lily, elle va halluciner !»
Mon regard tomba sur la montre posée à mon poignet. Quelle heure était-il ? Il avait dû se passer... vingt minutes, en comptant l'ascension de cet escalier de malheur, depuis que j'étais entrée dans l'arbre ? Allez, maximum une demi-heure !
Il me fallut plusieurs secondes pour assimiler ce qu'indiquaient les aiguilles (de Tic-Tac), sur le cadran (de Tic-Tac) : 18h30.
— Dis-moi, monsieur le lutin, t'es sûr d'être à l'heure là ? soufflai-je en commençant à paniquer mais sans vraiment y croire. Tu n'aurais pas subi un petit décalage horaire, à tout hasard ?
«Tu me prends pour un débutant ou quoi ? Ze zuis à la même heure que zelle de ta montre. Tu zais, zelle qui est reztée zur ta table de nuit...» grommela-t-il.
Aïe, je l'avais vexé.
— Pardon, dis-je, sincèrement désolée. C'est juste que je ne pensais pas avoir passé autant de temps en Angleterre.
«On n'était pas en Angleterre. Zi on avait été dans ton monde, ou zelui que tu crois être le tien, za aurait été à l'emplazement de ze pays. Mais on n'y était pas, puizqu'on n'était dans notre monde. À moins que tu ne puizzes être à deux endroits en même temps, ze dont ze doute fortement» zozota-t-il de sa petite voix fluette.
— Ah, lâchai-je alors que je n'avais strictement rien compris de ce qu'il m'avait dit, à part que nous n'avions jamais été en Angleterre.
Il y eût un petit silence pendant lequel j'eus l'impression que ma nouvelle montre – bien plus bavarde que l'ancienne – s'agitait. Je ressentais cela sous la forme de chatouilles à mon poignet. C'était vraiment déstabilisant.
Je me rendis compte à cet instant que j'entendais à nouveau comme avant. Tous les sons m'étaient revenus, je n'avais même plus mal à la tête !
«Dépêche-toi de retrouver ta famille avant qu'ils n'appellent la polize» glissa-t-il doucement.
Ma famille. La police. Me dépêcher.
Une demi-seconde plus tard, toute fatigue oubliée, j'étais en train de courir sur le chemin et Holly, dans mes bras, devait se demander quelle mouche avait bien pu me piquer.
Quelle débile alors, avec tous ces événements, j'en avais oublié mon frère et mes parents ! Ils étaient sans aucun doute morts d'inquiétude, d'autant plus que ça ne me ressemblait pas de traîner aussi longtemps en forêt sans les avertir !
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Il me sembla que j'avais fait environ la moitié du chemin jusqu'à la Fontaine de Jouvence lorsque je m'arrêtai pour reprendre mon souffle. Habituellement, j'adorais courir. Cependant, là, tout ça revêtait une allure bien plus critique. Cela ne me disait rien qui vaille !
Je posais le petit carlin au sol le temps d'attraper mon portable, glissé dans la poche arrière de mon jeans, et d'y jeter un coup d'œil.
25 appels manqués.
18 messages vocaux.
40 sms.
Oh. My. God. J'allais en prendre pour mon matricule, il n'y avait aucun doute ! Finalement, je n'étais pas si sûre que ça de vouloir aller à la fontaine...
Je n'eus pas le temps d'y réfléchir plus que mon téléphone sonnait : un appel de Lucien.
«Décroze» me dit Tic-Tac en même temps qu'Holly aboyait, comme pour me dire la même chose (mais en langage chien).
J'appuyai sur le petit téléphone vert.
— Allô ? dis-je d'un ton peu assuré.
«Elo ?» s'écria la voix de Lucien depuis l'appareil «Maman, elle a répondu ! Est-ce que je-»
J'entendis ma mère lui dire de lui passer le téléphone.
«Eloane ?»
Aucun doute possible, c'était bien ma mère. Je m'assis à même le sol, je m'appuyai le dos sur un tronc d'arbre et j'entrepris de jouer avec le lacet de ma chaussure droite.
— Oui, c'est moi mam-
Elle me coupa aussitôt et, comme moi lorsque j'étais paniquée ou que j'avais trop de choses à dire en même temps – au moins, je savais de qui je tenais cette manie –, entreprit de me noyer sous un flot rapide de paroles.
«Oh mon petit flocon, ma petite Eloane, tu nous as fais si peur... Mais où étais-tu donc passée ? Ne recommence plus jamais une chose pareille ! Tu ne te rends pas compte, on a cru qu'il t'était arrivé quelque chose ! Et puis, à quoi ça sert d'avoir un téléphone si c'est pour ne jamais décrocher lorsqu'on t'appelle ? Ton père allait partir à ta recherche et-»
— Je m'étais perdue, la coupai-je également.
En soit, ce n'était pas vraiment un mensonge, puisque je ne sais pas où je m'étais trouvée pendant tout ce temps. J'avais juste omis un ou deux détails... rien de bien important. De toute façon, je ne pouvais décemment pas lui raconter que j'étais entrée dans un tronc d'arbre et que celui-ci m'avait emmenée jusque dans un forêt possiblement en Angleterre – entre autres bizarreries qui m'étaient arrivées !
Cependant, j'avais oublié un point. Ma mère se hâta d'ailleurs de le rappeler à ma mémoire :
«Perdue ? Perdue ! Mais comment pourrais-tu te perdre sur un sentier bien tracé ? C'est tout bonnement impossible !» cria-t-elle dans le téléphone de Lucien.
Pauvre téléphone, et pauvres oreilles aussi. Elle m'avait au minimum percé le tympan, si ce n'était plus ! Qu'y avait-il après le tympan ? La boîte crânienne ? Hum, je ferais peut-être bien de vérifier sur internet. Et si je demandais à Lily ? Elle devrait bien savoir, elle, non ? Quoique ce n'était pas sa préoccupation première.
Ma mère continua de crier pendant quelques instants dans le téléphone. Si j'avais été un chien, mes oreilles et ma queue se seraient baissées de honte.
Je devais bien évidemment m'attendre à une réaction de ce genre face à l'excuse bidon que je lui avais donnée. Surtout que j'excellais dans tout ce qui touchait à l'orientation, grâce à mes parents d'ailleurs !
Merci papa, merci maman...
Ils m'avaient en quelque sorte obligée (tout comme Lucien) depuis mon plus jeune âge à pratiquer toutes sortes d'activités extra-scolaires – dont la musique – et j'avais même dû faire des stages l'été. Heureusement que Lily était toujours avec moi – ses parents seraient-ils comme les miens, finalement ? –, sinon j'aurais fini par péter une durite !
Il me semble que j'avais à présent à mon actif quatre ans d'escrime, trois de tir-à-l'arc, deux d'auto-défense et six d'escalade – sans compter les stages de karaté, judo, taekwondo, et j'en passais. J'avais même pris deux cours – beaucoup trop à mon goût – de cuisine ! Ils avaient peur que je m'empoisonne ou quoi ? La seule chose que j'avais réussi à tirer de ces cours, c'était «comment éviter de s'entailler les doigts avec un épluche patates». Notion élémentaire en cuisine, cela va de soi. Pourquoi ne m'avaient-ils pas inscrit à la danse classique plutôt ? Ce n'étaient pas ça le cliché des parents normaux habituellement ? Enfin je n'allais quand même pas me plaindre : si jamais je me faisais embêter dans la rue, ce n'était pas moi qui repartirais avec un nez cassé.
Je repris contact avec la réalité et, voyant que ma mère n'était pas prête de s'arrêter dans son monologue, je la coupai :
— Bon. J'arrive. Bisous.
J'appuyai sur le petit téléphone rouge.
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