XXV-5 Le Cristal de Shawn
Seyer accéléra. Irradié de lumière, le Voyageur se faisait trait de feu. En-dessous de lui, les Shawniens continuaient d'affronter les Kalendoriens, pris au piège dans l'allée est. Les troupes du nord et du sud, quant à elles, se repliaient, pour prêter main-forte à l'est ou revenir dans le centre-ville.
Le Grand Maître survola la muraille intérieure, puis traversa d'une traite la place du Cristal. Réunis en cercle, les magiciens poursuivaient leur invocation, des filins de lumières les reliaient à l'impressionnant monolithe. Tout autour, une poignée de soldats montait la garde, d'autres s'engouffraient déjà dans le bâtiment du Conseil pour prêter main-forte aux magistrats.
L'Œil de l'Aigle lui faisait désormais face. La baie d'avrec avait explosé, et les combats se poursuivaient dans la salle dévastée, entre gardes noirs et rouges. Le Grand Maître poursuivit sa course vers la droite, la salle du Conseil.
Seyer visa une fenêtre. Derrière, les magistrats luttaient pour leurs vies, armes à la main, contre des adversaires impitoyables.
Impact.
La vitre éclata, pour entraîner toute une portion de mur avec elle. Une météorite de feu traversa la pièce, renversa tables et chaises sur son passage, avant de pulvériser le mur suivant.
Des débris blanchâtres tombèrent du plafond, tandis que Seyer se relevait, parmi les décombres. Trois membres du Conseil étaient morts, quatre blessés plus ou moins grièvement, et cinq encore indemnes, dont le magistrat-président.
Face à lui, les gardes noirs n'étaient guère plus qu'une dizaine. Les doigts du Grand Maître se refermèrent sur le pommeau de sa rapière.
Galaniel buta contre un corps, évita de peu l'épée d'un garde noir, se redressa, puis contre-attaqua.
Des cadavres jonchaient la pièce. Peu d'armures noires, mais beaucoup de Shawniens, surtout, ses amis...
Quelques mètres plus loin, Gehrmnen restait avachi, une plaie béante dans la poitrine, le regard vide. À côté, Jarélie, étendue de tout son long, la chevelure blonde imbibée de sang.
Il était arrivé trop tard. Une fois de plus, le jeune homme n'avait rien pu empêcher.
Furieux, il fit siffler son arme, para, contre-attaqua, feinta.
L'épée du garde noir effleura sa joue. Loin de s'interrompre, Galaniel intensifia ses attaques. Il ne lui laissa aucun répit, frappa encore et encore, de toutes ses forces, de toute son âme. Son adversaire, pourtant expérimenté, peinait à le suivre. Un effet de fatigue ? Peu importait. Galaniel s'acharna jusqu'à ce qu'il commette une erreur, une hésitation, un ralentissement fatal. Le Shawnien s'engouffra dans sa défense, sa lame perfora l'armure noire de toute sa rage.
L'homme retomba au sol, Galaniel retira son épée ensanglantée, ses doigts se crispèrent. À quelques mètres, seulement, Esmène croisait le fer avec le Commandant. Encore lui, toujours lui. Le jeune homme n'avait encore jamais vu son visage, mais pouvait désormais reconnaître ces insignes d'or entre mille.
Il vit le garde rouge reculer, chanceler, l'épée adverse venait de déjouer sa garde pour l'atteindre à la jambe. Le Shawnien bondit en avant. Quand donc s'arrêteraient les meurtres du Commandant ?
Les lames s'entrechoquèrent avec une violence insoutenable. Galaniel porta des coups furieux, dévastateurs, haineux.
« Encore toi, Galaniel, le nargua l'armure noire. Tu es donc si pressé de mourir ? »
Il parvint à repousser le jeune homme sans toutefois le désarmer. Un éclair orange traversa la pièce, le Commandant tendit une main. La foudre se scinda de part et d'autre, sans l'atteindre.
Seyer émergea de la porte de fonte fracturée, les bras chargés d'étincelles mordorées. Le Commandant raffermit sa prise sur son arme.
« Vous n'avez rien à faire ici, vous. Cette planète n'appartient pas aux Voyageurs, siffla-t-il.
— Je ne suis pas ici sous les ordres des Voyageurs. »
Des yeux d'un violet profond, des oreilles doubles élancées, des cheveux d'un orange vif, et la peau d'une teinte similaire, bien que plus claire... Cette description ne lui était pas inconnue.
« Vous êtes le troisième Grand Maître, Seyer Askhalomène, le formateur de Zawhyk.
— Je vois que Sméarn vous a bien renseigné. »
Le regard du Commandant se porta sur Galaniel. Resté sur la défensive, le jeune homme ne baissait pas la garde pour autant.
« Après le père, le fils, donc ? Qu'importe, votre fin sera la même. »
Du bruit remontait, depuis les escaliers. Les renforts Shawniens arrivaient.
« On se replie. » ordonna le Commandant.
Il se dirigea vers la baie dévastée, imité par ses subalternes. Les gardes rouges, mal en point pour la plupart, n'essayèrent même pas de les arrêter.
Seul Seyer fusa, parcouru d'éclairs. Sa rapière fut interrompue net par les deux lames du Commandant. Sous le choc, l'homme recula de plusieurs mètres, mais ne perdit pas l'équilibre pour autant.
« Cette planète est sous ma protection, menaça le Grand Maître, et je vous conseille de ne sous-estimer ni ma détermination, ni les pouvoirs qui sont les miens.
— Vous vous croyez tout-puissants, protégés par votre épouvantail de dieu, mais les Itinérants auront votre peau. Malgré tout, si vous désirez encore vous rajouter de nouveaux ennemis, je serai votre homme. »
Un tir du vaisseau-mère percuta les bâtiments proches. Seyer écarquilla les yeux. Le dôme protecteur se dissipait, la cité redevenait vulnérable. Un second groupe de gardes noirs venait de s'infiltrer sur la place du Cristal, pour s'en prendre aux magiciens. Le Commandant s'écarta.
« Tous ceux qui se dressent face à Kalendor iront au-devant de leur propre fin, sans exception. »
Sans lui répondre, Seyer matérialisa ses ailes et prit son envol. Un déluge de flammes s'abattait sur le centre-ville, le Grand Maître étincela d'une lueur insoutenable. Une coupole d'or se matérialisa de nouveau, au-dessus du Cristal.
De leur côté, les gardes noirs attrapaient des cordes afin de s'échapper à travers la baie dévastée. Galaniel se précipita, tandis que le Commandant lançait un nœud coulant sur la tête de loup sculptée d'un bâtiment proche.
Le Kalendorien évita son assaut, puis s'élança dans le vide. Ses deux pieds heurtèrent le mur de pierre et il se laissa glisser jusqu'au sol, avant de disparaître par une ruelle secondaire.
Les renforts Shawniens investissaient désormais la salle, mais trop tard. Les derniers gardes noirs venaient de s'échapper, et la menace se trouvait désormais dans la place du Cristal. Galaniel s'approcha d'Esmène. La femme avait retiré l'armure de sa jambe et appliquait un bandage rudimentaire sur sa jambe blessée, aidée par un autre garde rouge.
« J'aurais encore besoin de votre aide. »
Un propulseur lui ferait gagner de précieuses secondes, pour rejoindre la place du Cristal. Esmène soupira. Elle devait sans doute la vie à l'intervention du jeune homme, mais espérait aussi que son courage ne finisse par avoir raison de lui.
« J'aimerais vous accompagner, mais ce n'est plus possible. Mes gardes s'en chargeront. »
Deux femmes en armure attrapèrent le jeune homme, rejointes par un dernier garde rouge. Les seuls encore en état de combattre, après l'affrontement contre les gardes noirs du Commandant.
Tous les quatre prirent leur envol.
Aktalin rouvrit les yeux. Le sort fluctuait, l'éclat du Cristal s'atténuait.
Il fit un bond de côté pour éviter une lame meurtrière et dégaina son épée, presque par réflexe.
Le chaos l'entourait. Des hommes en armure noire investissaient la place, assassinaient par derrière les magiciens concentrés sur le sortilège.
Il para le coup de son adversaire au dernier instant. Où étaient les gardes, censés les protéger ? Déjà morts, pour la plupart. Du coin du regard, il constata la baie d'avrec dévastée de l'Œil de l'Aigle.
« Et mince... »
Sans les magistrats et, surtout, sans la protection du Cristal, la bataille tournait à leur net désavantage. Un tir du vaisseau-mère fit trembler la place et toucha de plein fouet un groupe de Shawniens. Le suivant fit éclater le sommet du Cristal pour réduire sa taille d'un tiers. Des fragments brillants volèrent en tous sens, tandis qu'un bâtiment proche explosait à son tour.
Près de lui, les magiciens essayaient de répliquer avec leurs pouvoirs. Des éclairs de lumière traversaient la place, mais sans atteindre leurs adversaires. Au dernier moment, les sorts se déviaient, inutiles.
Gardes noirs.
Aktalin esquiva une nouvelle attaque, tenta de riposter. Son adversaire faisait effectivement preuve d'une maîtrise redoutable des armes blanches. Le Shawnien perdit l'équilibre, roula au sol, évita un nouveau coup d'épée.
Une sphère électrifiée interrompit l'espace d'un instant l'assaut du garde noir. Aktalin profita de ce répit, se redressa, pour se mettre de nouveau en garde. Son maître, Cermanfis, se porta jusqu'à lui, armé d'une lance, pour lui prêter main-forte.
Les explosions proches s'interrompirent. Une coupole dorée venait de se matérialiser, juste au-dessus d'eux. Auréolé d'une lumière insoutenable, toutes ailes déployées, l'Archange leur offrait sa protection.
« Seyer... » murmura Cermanfis.
Il n'eut pas le temps de continuer qu'une nouvelle attaque du garde noir le manqua de peu.
« Mais ils vont finir par se calmer, ceux-là ? » grommela le Mage.
Il fit tournoyer sa lance, riposta, fut désarmé l'instant d'après, se défendit d'une nouvelle explosion électrique. Puis, de son autre main, il fit fuser une langue de feu sur un autre garde noir, afin de retarder son avancée.
Près de lui, son élève subissait les mêmes difficultés, malgré sa jeunesse et sa prédisposition pour les armes blanches. Aktalin manqua de peu de perdre son arme, recula, pour se trouver adossé au Cristal. Les gardes noirs, pourtant peu nombreux, avaient un net avantage. Galaniel et les Brocéliens n'avaient rien exagéré. L'élite de Kalendor, de véritables machines à tuer, insensibles aux sorts et aux balles, experts de l'arme blanche et du corps-à-corps.
Un sifflement traversa l'air. Galaniel s'écrasa tout près, accompagné de trois gardes rouges. Le Shawnien se redressa aussitôt, couvert de sang et de poussière, le regard aussi furieux que déterminé.
« Les renforts arrivent ! Ce n'est l'affaire que de quelques minutes ! »
Les soldats arrivés dans l'Œil de l'Aigle, tout d'abord, Césape et les troupes du nord, ensuite, ainsi qu'Alyne et celles du sud. Et, même depuis l'est, les Shawniens se repliaient vers le centre-ville, afin d'échapper au pilonnage kalendorien, de toute façon.
Ils devaient seulement tenir, encore un peu.
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