XXV-2 : Le Cristal de Shawn
Anxieux, Galaniel scrutait la plaine glacée. Une marée noire de canons, de chars, de soldats, s'approchait d'eux. Une vingtaine de Barzacs menait la marche, accompagnée d'une part non négligeable de gardes noirs.
Le jeune homme jeta un regard à ses compagnons : Lisdon, les yeux écarquillés sur leurs ennemis innombrables ; Marzog, prêt à en découdre ; Ethmine, inquiète, mais pourtant rassurante ; et enfin, Esmène, le visage dissimulé derrière son casque écarlate. Les gardes rouges l'accompagnaient, dans leurs armures caractéristiques, constituées en majorité d'écailles, et renforcées par des plaques de métal aux articulations. Un propulseur venait s'ajouter dans leur dos, de même que quelques lance-roquettes, intégrés aux bras.
Le premier Barzac s'immobilisa, aussitôt imité par le reste de l'armée noire, avant qu'ils n'arrivent à portée de tir. Le temps s'immobilisa dans son élan. Seuls retentissaient les tirs du vaisseau-mère, les vrombissements des chasseurs kalendoriens, ainsi que les bruits de combats lointains, de l'autre côté de la ville.
Zagnar ricana. Face à lui, les Shawniens se terraient au sommet d'un ridicule muret de pierre. Mais ni eux, ni la porte de fonte, désormais verrouillée, ne sauraient l'arrêter bien longtemps. Il les balaierait, il les tuerait jusqu'au dernier, il les ferait supplier de les épargner, avant de les achever. Et, surtout, il retrouverait ce Galaniel, ce meurtrier, là, quelque part, dissimulé parmi ses ennemis. Peut-être était-il même déjà là, à le narguer, ou peut-être comprenait-il, voyait-il sa propre mort approcher.
Le Barzac s'élança, suivi par toute son armée.
Une volée de flèches ricocha sur les carapaces de métal, appuyée par des éclairs bleus, aux dommages tout aussi discutables. Les Kalendoriens ripostèrent. Un mitraillage nourri, insoutenable ; une nuée mortelle, que peinèrent à contrer les quelques magiciens présents.
La visière de son casque rabaissée, Galaniel projetait des sphères enflammées sur la horde furieuse. Des gardes noirs déviaient ses projectiles, et peu d'entre eux parvenaient à atteindre leur cible. À sa gauche, son frère, Marzog, tirait des flèches sans discontinuer, pour des résultats à peine symboliques.
Les gardes rouges prirent leur envol, juste avant que les premiers Barzacs n'atteignent le mur d'enceinte. Ils tournoyèrent en tous sens, insaisissables, et firent feu sur leurs adversaires. Des mitrailleuses lourdes et des lance-missiles leur répondirent, agités par les quatre membres supérieurs des monstres de métal.
Une explosion ébranla la porte de fonte, mais elle tint bon. Plusieurs Barzacs escaladèrent le mur d'enceinte, firent virevolter des lames démesurées, tracèrent de profondes entailles dans la pierre. Les canons des chars noirs se mêlèrent à cette symphonie destructrice.
Une poignée de Barzacs prit pied sur le rempart, leurs lames repoussèrent les Shawniens, puis ils bondirent de l'autre côté. Aucun sort ne semblait les affecter, aucun projectile ne daignait les atteindre. Seuls les gardes rouges essayaient encore d'attirer leur attention, par des attaques sporadiques et ciblées.
La confusion régnait. Le mur d'enceinte, fracturé, ébréché, tremblait sous les explosions. Les Shawniens étaient pris entre deux feux, d'un côté les Barzacs, de l'autre une grêle de balle incessante, que les magiciens ne parvenaient même plus à endiguer.
Un pan de muraille s'effondra, Galaniel bondit en arrière, tandis qu'un missile le frôlait pour terminer sa course dans une maison proche.
Le jeune homme s'écrasa plusieurs mètres plus bas avec les décombres, se redressa dans la poussière. Malgré la confusion, des Shawniens continuaient encore de garder les remparts, dont sa mère, Ethmine, et son frère, Marzog. Néanmoins, leur nombre ne cessait de diminuer.
Non loin, Esmène virevolta, évita de peu la lame démesurée d'un Barzac endommagé, dévia une volée de balles, se positionna juste derrière. Elle déchaîna ses fusils-mitrailleurs à bout portant, à l'emplacement même d'une articulation. Le bras cessa de s'agiter, les trois autres se perdirent en mouvements désordonnés. D'autres gardes rouges rejoignirent le combat, pour harceler le monstre à l'agonie.
Galaniel se jeta au sol. La lame mortelle d'un autre Barzac le frôla pour arracher le pan de mur d'une maison. Le jeune homme se redressa, projeta une boule de feu, dont la course s'incurva pour atteindre un autre bâtiment proche. Le Barzac fit à son tour feu. Les balles s'immobilisèrent toutes avant d'atteindre Galaniel, puis repartirent en sens inverse, pour être déviées à leur tour.
« Effectivement, ça promet d'être aussi difficile que prévu. » grommela le jeune homme.
Un bras de métal se tendit dans sa direction. Galaniel plongea dans une habitation, et évita de justesse le missile qui fit s'effondrer l'entrée.
La porte de fonte se fractura, de nouvelles fissures parcoururent l'enceinte vacillante. Submergés, les derniers Shawniens battaient en retraite. Les Kalendoriens escaladaient la muraille de toutes parts pour les affronter au corps-à-corps.
Marzog posa pied à terre, accompagné d'Ethmine, et de Lisdon. Tous trois se jetèrent aussitôt derrière les ruines d'un bâtiment pour éviter les balles d'un Barzac, puis reprirent leur course. Ici, la situation devenait intenable.
Une ultime déflagration fit éclater la porte de fonte. L'un après l'autre, les chars noirs pénétrèrent à l'intérieur de la cité.
Le magistrat-président poussa un sifflement de dépit. La porte est venait de céder, et toute l'armée kalendorienne s'engouffrait désormais à travers l'avenue principale. Les rangées de chars se succédaient, pour écraser l'une après l'autre les maigres barricades.
« Nous allons devoir lancer le signal ocre. » soupira-t-il.
Son regard se porta vers le ciel. L'ombre noire du vaisseau-mère surplombait toujours Hyktacrite, accompagnée par son essaim de chasseurs. Les canons crachaient leur feu impitoyable, sans discontinuer, pour iriser de rouge le dôme protecteur.
« Vous croyez vraiment que Seyer sera capable de contrer seul une telle puissance, tout Grand Maître qu'il soit ?
— Nous n'avons pas le choix, se résigna le magistrat-président. Que nos ennemis atteignent le Cristal et nous perdront notre protection, de toute façon. Nous devons nous en remettre à lui. »
Le Commandant éteignit sa radio. Jusqu'ici, l'invasion suivait son cours, malgré une résistance – admirable, il fallait le reconnaître – des Shawniens. Mais une résistance désespérée, vouée à l'échec.
Ses pas foulaient la neige épaisse d'un relief accidenté, suivis par une cohorte de gardes noirs. Une ultime précaution, un dernier front, qui s'avèrerait sans doute superflu. En ce moment même, Zagnar déferlait à travers la cité, après avoir écrasé l'entrée est.
Il restait encore cette étrange protection, qui empêchait les bombardements, mais elle-même ne pourrait arrêter le Général. Et, dans quelques instants, lorsque le Commandant aurait atteint ses objectifs, la défaite des Shawniens deviendrait totale.
Un hurlement attira son attention. Un loup blanc le fixait, depuis un promontoire rocheux. Des excroissances cristallines bleu clair constellaient son pelage rayé de gris, ses yeux ressemblaient à deux pépites de glace.
L'animal grogna, dévoila des crocs menaçants, aussitôt rejoint par toute une meute. Ces montagnes étaient leur territoire.
Alyne se mit à l'abri derrière un véhicule renversé. Malgré des débuts incertains, les Shawniens reprenaient l'avantage. Elle posa une main sur ses côtes. Une blessure légère, de la part d'un garde noir. Ses doigts irradièrent une chaude lueur blanche. La plaie se referma aussitôt. Rien qu'une égratignure, un coup de chance de son adversaire, un adversaire qui, lui, n'avait pas survécu, bien sûr.
Elle se redressa, la lumière de ses mains se mua en éclairs et une formidable déflagration projeta des soldats proches à terre. Puis elle s'élança, et fit tournoyer ses deux doubles lames. Les Kalendoriens avaient sans doute réussi à ouvrir une brèche, dans la muraille, mais aucun d'eux ne l'avait atteinte. Aucun d'eux n'était passé, aucun d'eux ne passerait, elle s'en était fait le serment.
Alyne s'avança dans les lignes ennemies, suivie par un humain bedonnant et à l'armure en piteux état, Rhétar. Une épée lourde à la main, il se battait du mieux qu'il pouvait, malgré sa jambe de bois. D'autres Shawniens les suivaient, afin de poursuivre les Kalendoriens. Les tirs ennemis s'espacèrent, se raréfièrent, les soldats ennemis battirent en retraite.
Une dernière balle fut tirée, mais s'arrêta juste devant le front du maître d'armes, avant de retomber. Son regard se tourna vers Alyne.
« Non seulement, vous êtes une combattante hors pair, mais vous maîtrisez aussi la magie à la perfection. »
Il lui tendit une main épaisse.
« Nous n'oublierons jamais ce que vous avez fait pour nous, Voyageuse. »
Au dernier instant, Alyne entrevit une ombre se faufiler entre les décombres fumants, puis pénétrer à l'intérieur de la cité.
« Vous avez vu ?
— Les Kalendoriens se sont repliés, oui. »
Alyne plissa les yeux.
« Non, il y avait quelqu'un d'autre.
— Bof, il s'agissait sans doute d'un Shawnien.
— Je vais le vérifier.
— Vous voulez que je vous accompagne ?
— Ce n'est pas la peine, je saurai me débrouiller face à un ennemi seul, quand même. »
Sans rien ajouter, elle s'élança vers la muraille effondrée.
« Bon, eh bien du coup, je reste, conclut Rhétar, au cas où des Kalendoriens reviendraient. »
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