XVIII-3 : Le Dieu aux mille noms
La jeune fille du milieu fut la première à prendre la parole. Ses yeux clairs balayèrent l'assistance avant de se concentrer sur les trois prétendants.
« Bienvenue à vous, et félicitations pour vos prouesses, qui vous ont permis d'être présents parmi nous. Aujourd'hui marque le début d'un nouveau cycle, un cycle qui vous permettra de rejoindre notre confrérie et d'apporter la Lumière aux mondes en péril. Vous avez été choisis, en effet, par Ahura Mazda, notre Guide, afin de devenir les nouveaux messagers de Sa parole divine, et de faire valoir les valeurs que nous défendons. Ce Guide, c'est Celui qui voit tout, Celui qui sait tout, Celui qui peut tout. Il est la raison d'être de notre Univers, et Sa renommée s'est étendue à travers tous les mondes connus, bien que sous des noms multiples : Ahura Mazda, Grande Déesse, Lumière divine, Déesse Cristal, Esprit Universel, n'en sont que quelques exemples. Il est le Dieu Unique, l'Éternel qui a forgé l'Univers, et auquel nous devons la vie. Beaucoup le prient, le vénèrent, et l'adorent, mais bien peu ont eu ne serait-ce que l'occasion de le rencontrer en personne. J'espère que vous êtes conscients de l'honneur qui vous est fait, Voyageurs. »
D'épais filaments de lumière glissèrent depuis l'entrée du Temple, puis ondulèrent le long des marches de marbre. Ils se concentrèrent entre les Grands et les autres Voyageurs pour scintiller de mille feux.
Toutes les personnes présentes s'agenouillèrent, envahies de respect et de dévotion. Alyne, Galaniel, et Césape firent de même. À plusieurs décimètres du sol, une forme se précisait, prenait consistance.
Un corps oblong, une peau de métal, aux teints blancs et or, surmonté d'un disque de lumière éclatante. Titanesque, le Dieu irradiait de toute son omnipotence. Face à Lui, les Voyageurs se trouvaient relégués au rang d'insignifiantes fourmis.
Il prit la parole, dans une langue oubliée que seuls ses disciples pouvaient comprendre. Sa voix se fit absolue, son Verbe fit résonner l'espace, témoin de sa toute-puissance.
« Je vous souhaite la bienvenue à tous les trois, et vous reconnais chacun en tant qu'Archange. Puissiez-vous répandre la Lumière ! »
Il tendit dans la direction de Césape une main démesurée, dont les trois doigts formaient des griffes plus grandes qu'un homme.
« Césape Victorèle, le Gigarosian, confie-moi donc ta Pierre d'Origine afin de sceller le Pacte qui te liera à Moi. »
Césape avait perdu son insouciance apparente. Il marcha jusqu'au Dieu sans mot dire, et lui tendit d'une patte presque tremblante sa Pierre. Le Dieu s'en empara aussitôt du bout de ses doigts gigantesques. Elle s'éleva dans les airs, oscilla, vibra, puis d'étincela d'une chaude lumière blanche très vive. Le sortilège prit alors fin, et la lueur s'effaça. Le Dieu rendit sa Pierre à Césape. Si elle avait conservé ses coloris vert et marron, son teint était redevenu plus terne, tandis que ses orifices s'étaient refermés.
« Césape Victorèle, le Gigarosian, tu es désormais lié à Moi à travers ta Pierre d'Origine. Bienvenue parmi Mes Archanges. »
Césape récupéra l'artefact avec le plus grand respect. Déjà, le Dieu tendait sa main vers Galaniel, à son tour gagné par une certaine appréhension.
« Galaniel Zawhyka Espan, le Shawnien, confie-moi à ton tour ta Pierre d'Origine afin de sceller le Pacte qui te liera à Moi. »
En d'autres circonstances, Césape aurait certainement fait remarquer la répétition par une blague quelconque. Seulement, le moment était d'importance, et tous en étaient conscients. C'était à peine si les Voyageurs osaient le lever le regard sur Celui qu'ils vénéraient tant. Aucun ne prononçait plus le moindre mot, écrasés par la solennité de l'instant, cet instant qui voyait naître de nouvelles ailes à la cause de la Lumière.
Après avoir accompli le même cérémonial, le Dieu rendit sa Pierre à Galaniel. À son tour, il devenait un Voyageur.
« Galaniel Zawhyka Espan, le Shawnien, tu es désormais lié à Moi par ta Pierre d'Origine. Bienvenue parmi Mes Archanges. »
Galaniel réceptionna sa Pierre d'une main moite, non sans émotion. Le Dieu se tournait déjà vers Alyne.
« Alyne ol'Astyn, la Célestiale, confie-moi ta Pierre d'Origine, afin de sceller le Pacte qui te liera à Moi. »
Alyne s'exécuta, emplie de vénération. C'était un instant fort, un de ces instants qu'elle n'oublierait jamais, un instant dont chaque seconde se gravait dans sa mémoire en caractères indélébiles.
« Alyne ol'Astyn, la Célestiale, tu es désormais liée à Moi par ta Pierre d'Origine. Bienvenue parmi Mes Archanges. »
Elle s'empara de la Pierre, le cœur battant à rompre. Elle devenait officiellement une Voyageuse.
« Je vous salue, tous les trois. Vous êtes désormais des Archanges, les nouveaux porteurs de Ma Volonté. »
Les trois Pierres s'illuminèrent en même temps, et établirent le contact avec leurs porteurs respectifs. Elles étaient la voix du Dieu, le lien qui lui permettait de communiquer avec les Voyageurs. Leur principe d'utilisation s'inscrivit aussitôt dans l'esprit des nouveaux Voyageurs.
Des fluctuations pseudo-aléatoires parcouraient les dimensions supérieures de l'Univers. Elles permettaient parfois à deux parties distinctes d'entrer en contact, ce qui constituait une Faille. Une personne présente au bon endroit et au bon moment pouvait alors instantanément changer de lieu. Il s'agissait cependant d'un événement fugace : pour deux lieux similaires, la durée d'apparition d'une Faille n'excédait jamais plus de quelques secondes. Puis les probabilités et temps d'apparition chutaient ensuite exponentiellement lorsque les lieux en question affichaient des différences marquées.
D'ordinaire, les Pierres d'Origine restaient ternes, leurs deux orifices fermés. Mais si une Faille intéressante était sur le point d'apparaître, elles s'illuminaient afin d'en informer leur porteur. Le Voyageur était alors libre d'en consulter les informations et de la franchir ou non. Pour ce faire, il suffisait d'entrer en contact avec l'un des orifices de la Pierre. Le premier offrait des précisions sur la position et l'heure de la Faille, l'autre des informations plus générales sur le monde auquel elle menait.
Plus deux mondes étaient éloignés, et plus la probabilité d'apparition d'une Faille diminuait. Cela tenait à la quantité d'énergie requise pour 'tordre' l'Univers sur de longues distances, qui devenait improbable dans le cadre d'un processus de fluctuation pseudo-aléatoire. Ce mode de transport s'avérait ainsi pratique pour passer d'un système solaire à l'autre, mais plusieurs sauts étaient nécessaires pour traverser la Galaxie, par exemple. De plus, il ne permettait pas de s'aventurer en dehors. Voyageurs comme Itinérants y étaient ainsi restés confinés depuis la création de leurs Ordres.
Une seule exception bafouait la règle de génération pseudo-aléatoire des Failles : tous les cycles, les Voyageurs pouvaient revenir au Sanctuaire, à l'aide de leurs Pierres d'Origine. Cela leur permettait de se réunir et d'accueillir les nouveaux arrivants. La raison de cette spécificité résidait dans la non-spatialité du lieu : le Sanctuaire avait été créé de toutes pièces par l'Éternel, détaché du reste de l'espace. Seules les Pierres d'Origine permettaient d'y accéder.
« Quoi qu'il advienne, vos Pierres reflèteront le Lien qui nous unit. Elles seront Mes yeux, elles seront Ma voix, vous serez les bras de Ma Volonté. Parfois, Je vous conseillerai, mais souvent, vous serez libres de vos choix et de vos actes. Sachez vous en montrer dignes ! »
Le Dieu redevenait volutes de lumière indistinctes mais scintillantes. Il se résorba peu à peu dans le Temple.
Un Grand Maître se chargera de vous apprendre ce qui vous fait encore défaut. Au prochain cycle, lorsque nous nous reverrons, vous ne serez plus des apprentis, mais des Archanges à part entière.
Les trois Pierres s'étaient illuminées, et retranscrivaient directement la pensée du Dieu à leurs porteurs.
Nous sommes désormais liés à jamais. Puissiez-vous répandre la Lumière de par l'Univers.
Il disparut dans le Temple, salué par une ovation formidable.
Le Grand Maître du milieu, la jeune fille à la voix fluette, ne reprit la parole que lorsque le calme fut revenu.
« C'est toujours une joie que de voir de nouveaux arrivants rejoindre la cause de la Lumière. Au nom des Grands Maîtres et de l'Ordre, je vous souhaite une fois de plus la bienvenue parmi nous. Mais permettez-nous de nous présenter, dans le cas où vous ignoreriez encore notre identité. Je suis le Grand Maître Mitteï Ogame, l'Exadine.
— Hum, je l'aurais imaginée un peu plus impressionnante, pour un Grand Maître, chuchota Césape.
— C'est une Métamorphe, marmonna Alyne.
— Euh, si tu le dis.
— Elle change de forme à volonté. Et contrairement à d'autres, elle est capable de conserver la même apparence indéfiniment. »
À son tour, le géant d'ébène se présenta.
« Je suis le Grand Maître Oukouakouloumé Nbagadir le Terrien. » Assena-t-il d'une voix forte.
Il haussa les épaules, avant d'ajouter sur un ton renfrogné :
« Si vous ne parvenez pas à le retenir, je préfère encore que vous me nommiez Oukou, plutôt que d'écorcher le nom que m'ont donné mes ancêtres. »
Le dernier Grand Maître s'avança d'un pas calme. Son regard se promena tour à tour sur chacun des apprentis. Un regard clair, le reflet même d'une authentique paix intérieure, qui se traduisait par un certain flegmatisme extérieur. Il prit la parole d'une voix posée.
« Je me prénomme Seyer Askhalomène, l'Ayrissien. J'aurais l'honneur d'être votre instructeur au cours de ce nouveau cycle. Mais pour l'heure, je vous laisse donc faire connaissance avec vos futurs alter-égos. »
À ses côtés, Galaniel crut qu'Alyne allait s'étrangler.
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