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XVIII-2 : Le Dieu aux mille noms

Galaniel s'était levé. Il n'avait dormi que durant quelques heures, mais ce court sommeil l'avait revigoré. À son réveil, il s'était demandé si tout ce qu'il venait de vivre n'était pas qu'un rêve criant de réalisme, s'il n'était pas en réalité dans sa chambre, à Epadonas. La vision de la chambre l'avait aussitôt ramené à la réalité, aussi inconcevable fût-elle.

Il s'approcha de l'horloge accrochée au mur et la tapota. Elle frémit en réponse, puis se détacha de son socle. Une myriade d'étincelles lumineuses l'entoura alors qu'elle se déployait en un réveil articulé pour voleter dans la pièce.

« Bonjour, Galaniel, j'espère que vous avez bien dormi. »

L'appareil se posa finalement au creux de ses mains, après avoir tourné plusieurs fois autour du jeune homme.

« Je vois que vous avez changé de tenue, remarqua-t-il. Celle-ci vous va à ravir. »

Galaniel avait en effet remplacé son équipement noir rapiécé par un costume neuf aux tons blanc et or.

« Merci, sais-tu quand commence la Cérémonie d'investiture ?

— Environ dix adalans. Je vous aurais réveillé, le cas échéant, mais il se trouve que vous êtes déjà prêt. »

Galaniel resta pensif.

« Quelque chose ne va pas ? S'inquiéta le réveil.

— À vrai dire, je me demandais comment il se faisait que tu parles dans ma langue natale, et que tu utilises le même décompte du temps que sur Shawn. »

Le réveil lui répondit sans détours.

« Ces données m'ont été transférées par la Table de Vérité, ainsi que tous les éléments vous concernant. Je connais en outre les us et coutumes de Shawn, puisque vous en êtes originaire. À défaut il m'est toujours possible de puiser des informations manquantes dans les Archives.

— Les Archives ? De quoi s'agit-il ?

— De l'ensemble des données conservées par l'Ordre, et stockées dans le Temple. Seuls les Grands Maîtres sont habilités à les modifier mais tous les Voyageurs peuvent y avoir accès. Vous n'avez d'ailleurs qu'à m'en faire la requête, et je vous transmettrai toutes les informations correspondantes.

— Et les Voyageurs, sont-ils recensés dans les archives ? »

Le réveil se déploya, puis s'allongea en un corps qui se para de tonalités grises et bleues. Des bras articulés en émergèrent, tandis qu'une tête oblongue se matérialisait à son sommet. Un robot instructeur de Zyx. L'appareil se déplaça sur des roulettes qui n'émirent qu'un faible sifflement mécanique.

« Bien sûr. Chaque Voyageur est recensé dans les Archives, depuis la création de l'Ordre. Ce qui en trois mille cent un cycles, ne représente pas moins de cinq mille cent soixante-dix-neuf dossiers, en incluant le vôtre et celui de vos deux camarades.

— Y aurait-il celui d'un certain Zawhyk Dremana Espan ?

— Effectivement. Humain originaire de Shawn, il a rejoint l'Ordre quinze cycles de cela. Malheureusement, il est mort sur Oriale au cours de ce dernier cycle. »

Ainsi son père avait bel et bien été un Voyageur ; les informations du robot venaient corroborer ce qu'il devinait déjà. Seulement pourquoi ne lui avait-il jamais dévoilé la moindre information à ce sujet ?

« Désirez-vous des informations supplémentaires ? Demanda le robot.

— Une autre fois, sans doute ; la Cérémonie ne va pas tarder. Je suppose que la porte s'ouvre de la même manière que pour l'entrée ?

— C'est cela même. Prenez soin de vous. »

Le robot se déplia. Ses composants se réordonnèrent, tournèrent les uns sur les autres, puis se rétractèrent, pour ne plus laisser qu'une boîte métallique.

Dehors, Würz attendait, adossé au mur d'en face, les bras croisés, et le visage impénétrable.

Il rejoignit Galaniel, alors que le jeune homme sortait de ses quartiers.

« Je vois que vous avez repris des forces, constata-t-il. Vous en aurez certainement besoin. »

Son regard indéchiffrable se posa sur l'épée que Galaniel n'avait pas quitté, et qu'il avait accrochée à son flanc droit. Le jeune homme intercepta le regard du Voyageur, mais ne sut comment l'interpréter.

« Les armes ne sont pas autorisées pendant la Cérémonie ? »

Würz nia de la tête.

« Au contraire. En tant que Voyageur, je ne peux d'ailleurs que vous conseiller de ne jamais vous séparer de vos armes, quelles que soient les circonstances. »

Le bracelet de Würz se mit à briller. Galaniel se rendit compte qu'une pierre y avait été incrustée, une pierre à la couleur bleu profonde. La Pierre d'Origine du Voyageur.

« Vous avez votre Pierre ? » Vérifia Würz.

Galaniel opina de la tête.

« Très bien, la Cérémonie est sur le point de commencer. Si vous voulez bien me suivre. »

Le jeune homme lui emboîta le pas. Le Voyageur le menait à la cour centrale.

« Au fait, comment nommez-vous l'hologramme d'accueil qui semble être présent dans chaque chambre ? »

Le sourire de Würz dévoila des dents aussi blanches qu'aiguisées.

« Déconcertant, n'est-ce pas ?

— Je dois l'admettre, en effet. Ce sont les Voyageurs qui les fabriquent ?

— Les Voyageurs ? Non. Vous avez déjà entendu parler d'Emondyn ?

— Euh, non.

— Vous ne tarderez certainement pas à entendre parler de lui, alors. C'est un magicien remarquable, reconnu parmi ses pairs au point d'avoir été érigé au rang de légende vivante. Ils l'appellent même le Magicien Maître. »

Il continua sa marche d'un pas rapide, sans en ajouter davantage.

« Et quel nom donnez-vous à ses... créations ? » Tenta de nouveau Galaniel.

Würz haussa les épaules, comme si la question n'était pas de grande importance.

« Chacun les appelle comme il veut, à partir des légendes et des cultures de son peuple d'origine. Vous les avez déjà spontanément nommés : "hologramme d'accueil". C'est un nom comme un autre ; je pourrais aussi choisir de citer "interface de commande", "robot dernière génération", "fée", "génie bienveillant", "ange serviable", "hasblan", "maejin maître", les qualificatifs ne manquent pas ; à vous de choisir le vôtre. »

Tous les Voyageurs s'étaient réunis dans la cour intérieure, soit au total une centaine de personnes, le visage empreint de solennité. Disséminés aux alentours, les Salvens surveillaient la scène, impassibles, toujours revêtus de leurs armures dorées caractéristiques.

Galaniel remarqua Séophan et Néol guider respectivement Césape et Alyne. Si le premier Voyageur se montrait calme et silencieux, le second essayait sans grand succès d'établir une conversation avec l'elfine. Würz les rejoignit alors qu'ils arrivaient en face de leurs pairs Voyageurs.

Les rangs s'écartèrent alors pour les laisser passer, et ils arrivèrent en face du Temple. Puis Néol, Würz et Séophan s'effacèrent alors que se rassemblaient de nouveau leurs pairs, curieux et attentifs.

Depuis le sommet des marches, face à l'entrée monumentale, les trois Grands Maîtres surplombaient l'assemblée. Celui de gauche était un homme gigantesque au crâne rasé, et à la carrure impressionnante. Presque aussi grand que Césape, sa taille peu commune se trouvait encore renforcée par la position surélevée qu'il occupait. Deux yeux sombres perçaient sa peau d'un noir d'ébène, et restaient fixés sur Galaniel, presque avec animosité. Le jeune homme préféra détourner le regard.

Au milieu se tenait une jeune fille, du moins en apparence, et dont la stature frêle contrastait avec le colosse. À première vue, elle ne devait pas avoir plus de sept ans. Néanmoins, deux immenses yeux clairs dévoraient son visage au blanc irradiant, pour se faire les témoins d'une science millénaire. Ses cheveux, plus épais que ceux d'un humain, étaient presque transparents, et scintillaient à la lumière comme du cristal. Néanmoins, ils conservaient une souplesse qui leur permettait de suivre le moindre de ses mouvements. L'ensemble ne contribuait qu'à la rendre encore plus étrange et déconcertante.

Parmi tous les Voyageurs que Galaniel avait eu l'occasion de croiser, elle était la seule à ne pas porter d'armes. Le colosse arborait par exemple un étonnant croisement entre une hache et une massue, qu'il avait accroché à sa taille. Le jeune homme préféra néanmoins ne pas se fier aux apparences. Sous des dehors innocents et inoffensifs, une puissance infinie se dégageait de l'enfant, tant par ses attitudes, ses gestes assurés, que son regard insondable.

Le dernier Grand Maître possédait quant à lui une taille intermédiaire, proche d'un humain ordinaire. Sa peau comme ses cheveux prenaient cependant des teintes orange, tandis que des oreilles doubles élancées se dressaient sur sa tête allongée. La main posée sur le pommeau d'une fine rapière, il arborait un costume impeccable, aux dominantes ocres. Ses yeux d'un violet très clair se posaient tour à tour sur chacun des trois prétendants, Galaniel, Alyne et Césape, comme pour les évaluer du regard.


(1) L'adalan est une unité temporelle utilisée uniquement sur Shawn, équivalent à un peu moins d'une minute terrienne. Par un souci de compréhension et de clarté, et à l'exception de cet exemple, l'ensemble des valeurs scientifiques présentes dans ce récit sont automatiquement converties.

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