XV-1 : La Fédération zyssienne
Le premier paragraphe de la Constitution... Un texte rédigé en des temps immémoriaux, et imposé par la nécessité d'alors. Il reflète l'état d'une époque aujourd'hui révolue, mais dont le souvenir ne s'est jamais éteint. Je ne remets pas en question son application qui a, je le pense, permis la sauvegarde de notre planète, mais je vous invite à réfléchir sur les conséquences d'une prolongation indéfinie. Le monde n'est plus ce qu'il était il y a trois mille ans, pouvons-nous laisser les mêmes lois le guider ?
Introduction d'un discours numérique prononcé par le Président de la Fédération zyssienne
Galaniel se tournait et se retournait sans parvenir à trouver le sommeil. En à peine quelques heures, son existence avait basculé du tout au tout. Un combat désespéré, la mort de son père, puis celle du Général Chef. Il se revoyait encore jeter cette épée, au terme de cette seconde fatidique, cette seconde qui devait faire basculer son existence.
La Pierre d'Origine lui avait ouvert les portes d'un monde insoupçonné. Il pouvait désormais prétendre à rejoindre ce mystérieux Ordre des Voyageurs, comme – il en était presque certain – son père avant lui.
Les événements s'étaient succédés, mais Galaniel conservait cette sensation de n'avoir eu qu'une prise somme toute limitée. La mort de Zawhyk avait pris les couleurs de la fatalité, mais il espérait que ce sacrifice permette au moins d'éviter la guerre. Pourquoi alors la Table de Vérité lui avait-elle fait entrevoir Barcad dévastée ? Le futur Général Chef d'Oriale ferait-il les mêmes choix que le précédent ? Son père était-il mort en vain ? La chute de Zyx était-elle inévitable ?
Mais surtout, l'image de la Tour le glaçait d'effroi. Il se rappelait les légendes à son sujet, un monument érigé à l'aube des temps. La Tour capable de mener les hommes au pouvoir divin, à l'apothéose. La Tour capable de défier les pouvoirs de la Déesse Cristal elle-même.
Babel...
« Galaniel... Galaniel... »
Le murmure le tira de sa semi-torpeur. Il se dressa aussitôt sur le matelas de mousse verte. Ses sens lui jouaient-ils des tours ou venait-il de reconnaître la voix de son père venue d'outre-tombe ?
Ses yeux peinèrent à s'habituer à l'obscurité de la pièce. Dans un recoin, les ronflements de Césape faisaient vibrer la hutte de paille. À l'opposé, Alyne sommeillait, à l'intérieur d'une sphère translucide, parcourue de filaments dorés. Sans doute une quelconque protection magique.
Le jeune homme tourna la tête et ne put qu'à grand-peine retenir un cri de surprise.
Assis sur une chaise invisible, Zawhyk l'observait de son regard bienveillant. Son corps apparaissait translucide et irradiait une faible lueur bleutée.
« Tu ne rêves pas, et c'est bien moi, anticipa-t-il. Je suis revenu pour te voir et te parler. Tout d'abord pour te féliciter de ton combat contre le Général Chef. Ton exploit te vaut maintenant l'honneur de pouvoir rejoindre les Voyageurs, comme je l'avais fait auparavant. Je suis fier de toi, Galaniel. »
Stupéfait, le jeune homme s'avéra incapable de balbutier ne serait-ce que quelques mots intelligibles. Zawhyk continua de sa voix douce et rassurante.
« Ma mort ne doit pas t'attrister indéfiniment. Grâce à toi, elle n'aura pas été vaine, et si je l'ai acceptée, je n'en resterai pas moins toujours près de toi. Désormais, ce sera à toi de tracer ton propre chemin, mais je sais que tu resteras fidèle à tes convictions.
« Lorsque tu auras rejoint les Voyageurs, le Grand Maître Seyer Askhalomène se proposera d'assurer ta formation. Il te permettra de maîtriser le pouvoir de la Lumière, et développera tes capacités à un point que tu n'oserais encore imaginer. C'est un homme, ou plutôt devrais-je dire un fythélien, juste et intègre, et le même Maître qui a guidé mes premiers pas dans l'Ordre. Tu peux lui faire confiance. »
Zawhyk se leva. Sa lumière faiblissait ; il devenait de plus en plus transparent. Sa voix se fit moins nette, plus ténue, mais Galaniel ne perdit pas une seule parole.
« Dans un cycle, de nouveaux apprentis rejoindront l'Ordre. Ta formation sera alors achevée, et tu deviendras un Voyageur à part entière. Je reviendrai, ce jour-là, pour t'aider à t'orienter vers la voie du courage et de la justice. »
Son image continuait de s'estomper à vue d'œil, jusqu'à ne plus laisser qu'un halo informe.
« Ne pars pas ! s'exclama Galaniel, déboussolé.
— Je resterai toujours à tes côtés, quoi qu'il advienne, ne l'oublie jamais. »
Il ne restait plus qu'une poignée d'étincelles imperceptible. Un dernier souffle, presqu'inaudible.
« Je ne t'oublie pas. »
Les étincelles s'éteignirent ; l'obscurité reprit ses droits sur la salle, pesante, implacable, glaciale. Galaniel se sentit subitement seul.
« À qui tu parles ? »
Il sursauta, puis se retourna fébrilement. Alyne le dévisageait, une lueur d'incompréhension peinte sur son visage.
« Je... je viens de voir mon père à l'instant.
— Tu fais des rêves éveillés ?
— Ce n'était pas un rêve ! S'emporta Galaniel. Je l'ai vu, il était là à l'instant, il m'a parlé et je lui ai parlé comme je te parle à toi en ce moment. »
Alyne l'examina avec circonspection. Galaniel était beaucoup trop agité pour ne pas dire ce qu'il croyait être la vérité. Il se lança dans un charabia de paroles plus ou moins cohérentes et qu'elle n'écouta qu'à moitié. Elle venait de sentir une présence éveillée, à l'extérieur de la hutte.
« Il y a quelqu'un dehors, le coupa-t-elle.
— Quoi, quelqu'un ? Je te parle de mon père. »
Sans donner plus d'explications, elle se précipita vers l'extérieur. Le village était désert, plongé dans l'obscurité. Galaniel la rejoignit aussitôt.
« Il n'y a personne, ici, grommela-t-il.
— Et tout à l'heure, il n'y avait personne non plus, à qui tu parlais ? »
Galaniel se renfrogna.
« Il était vraiment là. Je l'ai vu.
— Et moi, j'ai vraiment senti une présence à l'extérieur.
— Bon d'accord, il y avait peut-être quelque chose à l'extérieur. Mais ça peut être n'importe quoi. »
Il se tut. Alyne s'était retournée.
Derrière eux, une ombre gigantesque leur barrait la route. Le cœur de Galaniel s'accéléra.
« Qui va là ? » Lança Alyne.
Un grognement leur répondit. La masse obscure s'avança dans leur direction d'un pas pensant. Les mains d'Alyne s'illuminèrent de blanc, les rayons révélèrent le titan qui approchait d'eux. Une abondante fourrure mordorée, de grands bras trapus, des canines impressionnantes, un museau aplati, deux yeux jaunes brillants...
« Ce... Césape ?
— Ben oui, c'est moi. Vous vous attendiez à quoi d'autre ?
La lumière que projetait Alyne s'éteignit, et laissa l'obscurité reprendre ses droits sur le village silencieux. Toutefois, l'obscurité n'empêcha pas Galaniel de deviner la façon dont Césape les dévisageait.
« Vous en faites une tête, fit-il remarquer. On dirait que vous vous attendiez à rencontrer la mort en personne. Mais si ça peut vous rassurer, ce n'est pas moi, ou alors je ne suis pas au courant. »
Alyne haussa les épaules.
« Il y a certaines personnes qui s'amusent à parler à des revenants au lieu de dormir.
— Et il y en a d'autres qui les entendent sans les voir. » Répliqua Galaniel.
Césape ouvrit des yeux étonnés.
« C'est ça votre explication ? Vous profitez de la nuit pour chasser les fantômes ? »
Il éclata d'un rire sonore.
« Si vous me disiez plutôt ce que vous faisiez réellement ? C'est pas gentil de faire des cachoteries à un futur vieux copain... »
Alyne posa ses mains sur ses hanches et le toisa de son regard glacial avant de répliquer.
« Nous ne t'avons dit que la vérité ; et d'ailleurs nous pourrions aussi te retourner la même question. »
Césape sembla se rembrunir.
« Moi ? Euh, j'avais soif. Bon d'accord, c'est une explication encore plus bidon que la vôtre. En réalité je vous ai entendu sortir et je vous ai suivi, non pas tant pour profiter de votre présence rassurante que pour savoir ce que vous complotiez à l'extérieur. On ne sait jamais ce qui peut se passer.
— Tu n'étais pas en train de dormir ?
— Je ne dors que d'un œil, surtout ici. Bien malin celui qui parviendra à me surprendre dans mon sommeil, au passage particulièrement mérité. Sinon, c'est quoi, vos histoires de fantômes ? »
Ils prirent quelques minutes pour relater à Césape les événements supposés. Le gigan les écouta parler sans mot dire, mais fit preuve du même scepticisme qu'Alyne au sujet de ces visions
« C'est bien la première fois que j'entends parler d'une chose pareille, remarqua-t-il, alors que ses compagnons achevaient leurs explications.
— Personnellement, depuis que j'ai une Pierre d'Origine, j'expérimente beaucoup de choses dont je n'avais jamais entendu parler, rappela Galaniel.
— C'est vrai, acquiesça Césape, mais nous avons ici une encyclopédie ambulante pour différencier ce qui est normal de ce qui ne l'est pas. »
Son regard se porta sur Alyne qui, bras croisés, semblait s'être résignée à un mutisme passager.
« Je ne connais pas grand-chose à la question, avoua-t-elle finalement. La nécromancie est une science interdite.
— J'ai eu vent de quelques légendes, avant de venir ici, continua Césape. Mais il s'agissait de cas marginaux, et je serais bien en peine d'affirmer qu'elles eussent pu contenir ne serait-ce qu'une once de vérité. »
Leurs regards se tournèrent vers Galaniel.
« Je ne connais rien à cette prétendue science, se défendit-il. Je vous ai dit ce que j'ai vu, c'est tout. »
Un silence embarrassé s'instaura, rapidement rompu par Césape.
« Tu auras sans doute fait un mauvais rêve.
— Sans doute, concéda Galaniel, désireux de clore cette discussion au plus vite. Il s'est passé tant de choses incroyables ces derniers temps que le rêve ou la réalité en deviennent difficiles à cerner.
— En attendant, il n'y a que nous, ici, remarqua Césape. S'il y avait quelque chose ou quelqu'un d'autre, il n'y est plus. Inutile donc de s'éterniser dehors. »
Ils acquiescèrent, et préférèrent mettre ces apparitions sur le compte de la fatigue. Seul Galaniel continua d'y croire dur comme fer, mais abandonna lui aussi le débat pour retourner dormir. Une journée difficile les attendrait le lendemain.
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