VI-3 : Affrontements orialiens
« Vous... vous êtes encerclée, lança-t-il d'une voix tremblante, rendez-vous ! »
Aucune chance qu'elle n'accepte ; mais il ne pouvait négliger aucune possibilité d'échapper à ce combat.
Octale éclata d'un rire clair, avant de reprendre la parole en langue du nord, afin d'être certaine qu'il la comprenne.
« Pauvre gamin. Le ton même de ta voix ne parvient pas à masquer la peur que tu éprouves. Tu es terrorisé, car tu sais que tes arguments sont faux, tu sais que tu vas perdre cette guerre. Tu es à ma merci. »
Octale s'avança d'un pas vers lui. Zagnar n'avait plus comme unique envie que de s'enfuir mais resta comme pétrifié.
« N'approchez pas ! » Prévint-il.
Des tirs à l'arme lourde se faisaient entendre près de la rivière, lointains et sourds.
« Sinon quoi ? Tu crois que je n'ai pas paré à toute éventualité ? Mes vaisseaux ont contraint les tiens à reculer et pilonnent actuellement tes canons de défense. Mes troupes ont désormais tout le champ libre pour traverser la rivière. Tu as perdu. Tu ferais mieux de me reconnaître Général Chef, tant qu'il en est encore temps.
— Jamais ! Cracha-t-il.
— C'est la mort que ton orgueil inconséquent te fait choisir. »
Elle se mit en garde et ricana.
« Viens, si tu en as le courage. »
Le père de Zagnar, Sméarn Pteï, avait autrefois tué les parents d'Octale au cours d'une bataille mémorable, plus de dix ans de cela, lors de son ascension au titre de Général Chef. Elle était alors âgée d'à peine seize ans, fille unique et seule héritière.
Malgré son âge juvénile, elle s'était imposée Général de Brocélie, aux dépends de personnalités influentes. Cependant, incapable de poursuivre la guerre avec sa nation exsangue, elle avait été contrainte de prêter allégeance au Général de Kalendor.
Aujourd'hui, Zagnar espérait pouvoir répéter l'histoire. Les Brocéliens n'étaient pas invulnérables, les parents d'Octale étaient morts au combat, leur fille n'était pas immortelle.
Il s'élança vers elle en hurlant pour se donner courage et contenance, puis abattit son épée de toutes ses forces.
Elle avait levé la sienne au-dessus de la tête, d'un geste négligent. Zagnar eut l'impression d'avoir frappé un mur. Son arme rebondit et l'entraîna en arrière.
La riposte d'Octale fut fulgurante. Elle le frappa de plein fouet au bras droit avant qu'il n'ait le temps de réagir. Sa lame fracassa le métal de l'armure, et irradia Zagnar de douleur.
Il lâcha son arme, porta l'autre main à son bras, et recula, hébété.
Octale l'emportait. Mais elle-même semblait surprise de cette facilité.
« C'est donc tout ce dont tu es capable ? » Siffla-t-elle avec mépris.
Elle releva son arme, tua un soldat noir qui tentait de s'interposer, puis chercha de nouveau Zagnar de sa lame. Les gardes rouges fondirent sur les Kalendoriens, qui refluèrent dans le plus grand désordre. La garde noire essaya de ramener son Général vers l'arrière, tout en le protégeant d'Octale.
La lame fusa en direction de la tête de Zagnar. Un soldat noir s'interposa à la dernière seconde, pour s'effondrer quelques secondes plus tard, mort. Deux autres soldats se portèrent à la rencontre d'Octale. Sa lame perça la défense de l'un tandis que son coude percutait le suivant pour lui faire perdre l'équilibre.
Sans plus se préoccuper d'eux, elle s'élança à la poursuite de Zagnar, accompagnée de sa garde personnelle. Les gardes noirs se révélèrent incapables de les arrêter, ni même de freiner leur progression. Octale, triomphante, éclatante, traçait un sillage de mort dans les rangs adverses. Ses troupes la suivaient aussitôt, galvanisées.
Aucune balle ne les atteignait, aucune lame ne les inquiétait.
Rien ne les arrêterait.
Ils étaient invulnérables.
Pour les Kalendoriens, l'appréhension laissa place à la peur, puis la peur à la panique. La garde noire, affolée, désordonnée, battit en retraite dans la pagaille la plus totale.
Zagnar tituba. Le garde qui le soutenait était tombé raide mort.
Comment arrêter Octale ? Comment stopper la progression de ce démon ?
Sa main valide activa un communicateur.
« Ici le Général, aboya-t-il pour couvrir les grésillements parasites. Que toutes les unités aériennes effectuent un bombardement intensif de la zone D114.
— La zone D114 ? Ce n'est pas là où vous vous trouvez ?
— Je ne vous demande pas où vous êtes, vous ! Obéissez ! »
Une balle perdue atteignit son appareil, coupant net la communication. Zagnar jura, exaspéré. La garde noire était presque à genoux, seuls quelques-uns se battaient encore avec l'énergie du désespoir.
Quelques appareils noirs apparurent dans le ciel et tirèrent à l'aveugle sur la zone désignée par Zagnar. Plusieurs explosions firent trembler le sol, et touchèrent aussi bien alliés qu'ennemis. Le Général, ainsi qu'une poignée de survivants, se regroupèrent derrière les débris d'une tourelle surélevée.
Octale s'avançait toujours vers eux, triomphante.
Zagnar s'était ressaisi, malgré la douleur qui irradiait tout son bras droit, malgré le sang qui continuait de s'écouler à travers son armure fracassée. De sa verve habituelle, il dressa son poing gauche en gesticulant. Ses yeux injectés de sang brillèrent d'un éclat funeste.
« Nous les repousserons jusqu'à leur capitale ! Hurla-t-il pour couvrir le tumulte des combats. Ils ne pénètreront pas plus loin dans nos terres ! »
Un groupe d'hommes aux uniformes rapiécés passa près d'eux.
« À vos postes, soldats ! Vociféra Zagnar. Nous allons arrêter leur armée ici et maintenant ! Retournez aux combats ! »
Il leva la tête. Les vaisseaux noirs se faisaient écraser par l'essaim rouge. Leurs bombardements se faisaient épars, alors qu'ils peinaient déjà à se défendre.
« C'est tout ce que fait l'aviation ? S'étrangla-t-il, hors de lui. Je veux qu'on rase cette zone ! Je n'ai pas demandé quelques vagues tirs de missiles accompagnés d'un combat stupide contre ces abrutis de chasseurs brocéliens ! Vous croyez peut-être que ça inquiétera Octale ?
— Général, ce sont nos derniers appareils...
— Ça ne justifie rien ! »
Il se redressa, fou furieux. Octale avançait toujours. Vers lui. Et le sourire victorieux qu'il devinait sous son casque écarlate ne contribuait que mieux à l'exaspérer.
Les tirs de canons qui provenaient de la berge avaient cessé. Les Brocéliens avaient débarqué.
Jamais il ne lui prêterait allégeance. La place de Général Chef lui revenait de droit. À lui, pas à elle. Elle ne pouvait pas l'emporter.
« Général, elle sera là d'ici quelques secondes, il faudrait peut-être songer à se replier.
— Non ! »
Il se tourna vers le soldat, hors de lui.
« Jamais ! Le prochain qui me parle de repli, je l'exécute sur place ! »
Octale était tout près. Quelques tirs légers furent échangés, sans succès. Elle continua sa progression.
« Tous à terre ! »
Un vaisseau kalendorien en perdition s'écrasa non loin de Zagnar. La terre se souleva dans un ultime tremblement d'apocalypse et des débris métalliques furent projetés en tous sens.
Zagnar se releva, hors de lui.
« Pourquoi ces abrutis s'écrasent sur nous et pas sur Octale ? »
Son regard fut attiré par un missile qui avait atterri tout près, encore intact, bien qu'à moitié recouvert de terre. Sans se préoccuper de l'état de ses troupes, il extirpa un soldat des décombres. Ceux qui n'avaient pas profité du crash pour battre en retraite gisaient tout autour d'eux, face contre terre.
« Je ne peux plus marcher. Je crois que j'ai quelque chose de cassé. »
Sans mot dire, il le traîna jusqu'au missile, puis lui remit une longue barre métallique entre les mains.
« Quand Octale sera là, je veux que tu frappes sur ceci. »
Le soldat contempla la barre, surpris, puis le missile. Son visage blêmit.
« Mais... Je vais mourir !
— Si tu ne le fais pas, tu mourras quand même. Quel est ton nom ?
— Garde noir Valenrion, Général.
— Tu n'as pas le choix, Valenrion, elle arrive.
— Vous ne croyez quand même pas qu'elle achèverait un blessé à terre ?
— Et sinon ? Tu préférerais être prisonnier dans ses geôles infâmes jusqu'à ce qu'elle devienne Général Chef ? Je t'offre une chance de rentrer dans l'Histoire. Tu as bien une famille ?
— Oui, Général.
— Si tu te conduits en héros, elle recevra les honneurs qu'il se doit. Sinon, tu sais que je n'éprouve pas de pitié envers les traîtres. »
Octale était tout près, accompagnée de sa garde personnelle. Zagnar battit en retraite alors que quelques balles commençaient à siffler autour de lui. Il rejoignit aussitôt un groupe de soldats qui se refusait malgré tout à l'abandonner.
Octale s'approcha du blessé. L'homme maintenait la barre de métal en l'air, entre vie et mort.
« C'est rare, un tel acharnement à vouloir se battre, déclara-t-elle seulement, sans comprendre. Mais même s'il force l'admiration, il est inutile.
— N'ap... N'approchez pas !
— Même si le gamin écervelé, froussard, et colérique qui vous sert de chef a refusé, vous pouvez vous rendre. »
Elle lui tendit la main, et reprit d'une voix suave.
« Je ne tue pas des soldats à terre, sauf quand ils m'y obligent. Lâchez votre arme. »
— Je... je ne peux pas. »
Les yeux d'un garde rouge s'agrandirent soudain d'effroi en comprenant.
« Bombe ! » Prévint-elle dans sa langue natale.
Il était trop tard. Le blessé abattit son arme de fortune sur le missile recouvert de terre.
L'explosion fit trembler le sol, et souleva un épais nuage de terre et de poussière. Zagnar eut un sourire mauvais. Le règne d'Octale s'arrêterait ici.
« À l'attaque ! Pas de pitié ! »
Il s'élança vaillamment, maintenant que tout danger était écarté, suivi par quelques soldats et Barzacs arrivés en renfort. Il exécuta les survivants qui avaient le malheur de se trouver sur sa route, sonnés et blessés.
Il s'approcha d'Octale en ricanant. Son ennemie avait été jetée à terre, et ne respirait plus que difficilement. Plusieurs débris perforaient désormais les écailles de son armure disjointe et poussiéreuse. Sur le casque rouge ébréché, les orgueilleuses pointes de métal s'étaient brisées.
« Tu aurais dû accepter ma proposition de tout à l'heure. Cela t'aurait au moins épargné la vie.
— Ta quête... est vaine... Jamais les autres Généraux ne te reconnaîtront. »
Zagnar eut un rictus sinistre.
« Le Wienskor m'a rejoint, le Neelhan est sous mes ordres, et maintenant la Brocélie va perdre son Général. »
Il ramassa de la main gauche son épée qu'Octale avait gardée en guise de trophée. Elle était encore intacte ; celle de Brocélie serait brisée à jamais.
Son bras n'eut pas le temps de frapper. Un homme aux couleurs écarlates se jeta sur lui dans un hurlement. Il frappa de toute sa rage, et désarma le Général incapable de se défendre avec sa seule main gauche. Il ne rata la tête de Zagnar que de peu, contra la lame d'un Kalendorien arrivé en renfort, une deuxième venant prêter main forte à sa camarade, une troisième...
« Sauvez le Général ! » S'époumona-t-il.
Deux femmes aux combinaisons rouges rapiécées s'approchèrent d'Octale, et l'empoignèrent pour la ramener vers l'arrière. D'autres gardes se portèrent à la rencontre des Kalendoriens pour protéger leur repli.
« Abattez-les, vociféra Zagnar, ne les laissez pas s'échapper ! »
L'homme lui jeta un poignard à la figure ; le Général s'écarta de justesse pour entrevoir la lame siffler devant ses yeux. Le Brocélien tenait tête à cinq adversaires, et contrait leurs attaques avec une virtuosité sans pareille. Néanmoins, ses assauts perdaient en puissance.
Il faiblissait, s'épuisait dans ce combat inégal. Un homme seul ne pouvait pas arrêter toute une armée, mais il pouvait la retarder. Quelques secondes. Des secondes précieuses pour son Général.
Un sixième Kalendorien rejoignit ses compagnons. Il était encerclé.
Le Brocélien tournoya pour repousser ses adversaires. Trop nombreux. Le cercle se referma. Il en effleura un de la pointe de l'épée, tenta de s'échapper, échoua, perdit son arme, tomba au sol, se releva, tomba de nouveau.
Il respirait encore. Octale aussi, à l'abri.
Sourire. Nul ne viendra à son secours. Mais le Général était sauf. C'était tout ce qui lui importait.
Les soldats noirs se retournèrent vers Zagnar. Un tel courage et dévouement les avait tous impressionnés.
Les yeux du Général brillèrent de rage et d'amertume. Sa bouche ne s'ouvrit que pour laisser place à une rancœur perfide.
« Tuez-le. »
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