VI-1 : Affrontements orialiens
Contrairement à la Fédération zyssienne, qui depuis près de deux millénaires ne fait plus usage que de la langue unifiée, Oriale dispose encore d'une certaine diversité linguistique. Ses différentes nations reprennent en effet les langues des anciens états ayant organisé l'Exode.
Ainsi Kalendor et le Wienskor font usage de la langue du nord ; la Brocélie, le Furthyr, et l'Ostrie de la langue du croissant ; l'Orcalie de l'orcalien ; et le Neelhan du neelhanais.
La langue officielle d'Oriale est déterminée par la nation d'origine du Général Chef. Ainsi, avec le kalendorien Sméarn Pteï, quarante-sixième Général Chef d'Oriale, la langue du nord s'est répandue à travers la lune. Avec l'ostrois Otogar Xersang, quarante-cinquième Général Chef d'Oriale, il s'agissait de la langue du croissant.
En pratique, les changements politiques fréquents d'Oriale obligent ses Généraux à maîtriser à minima les langues de chacun de leur voisin.
Hupias Ecterian, Mœurs et coutumes d'Oriale la méconnue
Lune d'Oriale, Neelhan, forteresse d'Elanis, vingt-cinq jours après la mort du Général Chef
Le Général du Neelhan s'effondra, mort. Avec un sourire de satisfaction, le meurtrier retira d'un coup sec la lame de sa poitrine.
L'homme glacial à l'armure noire releva la visière de son casque. Un visage pâle, deux yeux froids et sans âme, dont un à demi fermé par la longue cicatrice qui balafrait sa face. Le Commandant de la garde noire de Kalendor.
Il secoua de sa main gauche sa lame ensanglantée, puis son regard se porta en direction de la fenêtre brisée.
Un spectacle de désolation et de destruction s'étalait sous ses yeux. Son œuvre.
Conformément au plan, la ville avait été encerclée et le Général du Neelhan n'avait pu leur échapper. Suite à un bombardement intensif de plusieurs jours, les armées coalisées du Wienskor et de Kalendor s'y étaient alors engouffrées. Elles n'avaient laissé derrière elles que ruines fumantes, bâtiments vacillants, et panaches de fumée âcre.
Le Neelhan était tombé.
Il se retourna, triomphant, et enjamba un corps à l'uniforme vert clair, un membre de la garde d'élite de ce pays. Aucun ne s'était rendu ; tous avaient préféré mourir dans cet ultime combat. Mais cela n'avait servi qu'à retarder la mort de leur Général de quelques minutes.
Encerclés par des soldats de la garde noire, les survivants de la famille régnante le regardaient, apeurés, désarmés, impuissants. Ils étaient à sa merci.
La tentative de Zagnar pour arrêter les armées rouges d'Octale avait échoué. Après deux jours et deux nuits de combats acharnés, l'armée kalendorienne s'était une fois de plus repliée, abandonnant des pertes considérables sur le terrain. De leur côté, les Orcaliens s'étaient décidés à franchir la frontière sud en masse. Il ne s'en était fallu que de peu qu'ils ne prennent Zagnar et son armée à revers au moment le plus critique. Le Général n'avait réussi à les contourner qu'au dernier moment, et s'était réfugié plus au nord-est.
La situation avait dégénéré au point de devenir intenable à l'ouest. La capitale, Epithaï se faisait chaque jour plus menacée ; aussi fallait-il prévenir tout danger de l'est.
Seule une nation à l'autorité assurée pouvait se permettre de laisser des survivants. Ce n'était plus le cas de Kalendor. Zagnar n'avait plus les moyens de pouvoir se poser la question de leur loyauté. Ramener cette famille à Epithaï devenait dangereux et surréaliste. Après un certain nombre de discussions mouvementées, le Général s'était enfin rangé à son avis.
Il fallait mettre un pantin à la tête du Neelhan, un dirigeant controversé qui s'attirerait les foudres du peuple. La nation plongerait dans un chaos politique total, et serait incapable de se retourner contre Kalendor.
Néanmoins, cela nécessitait l'élimination de la famille régnante, jusqu'au dernier.
« Tuez-les tous. Je ne veux pas de survivant, ordonna-t-il aux gardes d'une voix froide et monocorde.
— Ce... ce n'est pas ce qui était initialement prévu.
— Le plan a subi des modifications. Pour le bien de Kalendor, obéissez ! »
Il était le Commandant de la garde noire. Les soldats sortirent des lames à contrecœur, et arrachèrent des cris étouffés. Zagnar était encore jeune, mais il devrait comprendre que dans certains cas, la plus grande fermeté était de rigueur.
Cinq femmes en armures noires firent irruption dans la pièce, leurs visages dissimulés par des casques kalendoriens. Le Commandant, ainsi que les deux gardes à ses côtés n'eurent que le temps de se retourner. Deux d'entre elles se précipitaient déjà sur eux, armes au poing. Les trois autres se jetèrent sur les six autres gardes noirs avant qu'ils n'achèvent de mettre leurs ordres à exécution.
Le Commandant était décontenancé. Les inconnues portaient les insignes de la garde noire, ce qui leur avait sans doute permis d'arriver jusqu'ici. Il ne tarda d'ailleurs pas à remarquer qu'elles faisaient au moins preuve de la même dextérité aux armes. Pouvait-il en être autrement de celles qui avaient réussi à subtiliser cinq uniformes de la garde d'élite ?
Le garde à sa droite s'effondra, mort, incapable d'arrêter la lame meurtrière de son assaillante. Le Commandant eut un juron étouffé ; il le savait pourtant loin d'être inexpérimenté. À son tour, il parvint à blesser l'une des assaillantes de l'extrémité de son épée. Elle marqua un instant d'arrêt qui lui fut fatal ; le second garde fit siffler sa lame et vengea son camarade. Néanmoins, il ne put éviter le revers mortel de la dernière femme, qui l'envoya au sol.
Avant même qu'elle ne puisse se remettre en garde, l'arme du Commandant fusa dans sa direction. Elle esquiva en partie, mais la lame glissa sur son casque pour en arracher la visière.
Le Commandant faillit pousser un cri de surprise. Il la connaissait, même s'il n'avait encore jamais eu à la combattre.
Esmène Vlata, Commandant de la garde rouge d'Octale Zdalavitch, Général de Brocélie. Rien que ça...
Il esquissa un sourire alors qu'elle essuyait d'un mouvement le sang qui perlait désormais sur sa joue. Tous deux se firent face.
Deux Commandants, ainsi qu'un Général, dans la même journée. Celle-ci devrait résonner encore longtemps de ses exploits.
Elle attaqua la première, et fut contrée sans grande surprise. Le Commandant de la garde noire n'était pas seulement un fin stratège militaire, mais aussi un guerrier chevronné, si ce n'était légendaire. Il avait pour lui plus de quinze ans d'expérience à ce poste, un record qu'il ne devait qu'à des qualités émérites.
Esmène lança une nouvelle attaque. Il la contra de nouveau sans la moindre peine et riposta avec vivacité. Son adversaire fut contrainte d'effectuer un bond en arrière pour éviter sa lame meurtrière.
Pas à pas, le Commandant se rapprochait, et l'obligeait à reculer. Sa défense était implacable. Il était la plus fine lame de Kalendor, si ce n'était d'Oriale toute entière. Du haut de sa quarantaine accomplie, il jaugeait et évaluait son adversaire. La trentaine tout au plus, un peu moins d'expérience, qu'elle tentait de compenser par sa fougue et sa vivacité.
Il enchaîna plusieurs assauts avec une rapidité foudroyante. Esmène para, se baissa, voulut s'écarter sur le côté, mais en fut empêchée au dernier moment par l'arme du Commandant. La lame s'interposa et traça une fine ligne rouge sur sa jambe gauche. Elle fut à nouveau contrainte de reculer.
La blessure était bénigne mais entravait en partie ses mouvements. Une lueur de panique s'alluma dans ses yeux sombres. Ses mouvements se faisaient plus frénétiques, plus saccadés, plus désespérés. Elle reculait à intervalles réguliers, incapable de reprendre l'avantage contre son adversaire.
Elle voulut jeter un coup d'œil vers le fond de la salle. Le sol était jonché de cadavres. Seule, une femme armée de deux lames combattait encore avec acharnement deux adversaires kalendoriens.
Elle n'eut pas le temps de chercher un éventuel survivant de la famille régnante. Un coup violent manqua de lui arracher son arme. Le Commandant enchaîna aussitôt et enfonça son armure au niveau du ventre. Il visa ensuite la tête, ne fut paré que de justesse, et la frappa du genou à sa blessure.
Pliée de douleur, Esmène recula pour heurter un mur. Elle était acculée.
Seul un instinct de survie désespéré lui permit d'arrêter la lame du Commandant décidé à la mettre à mort.
Leurs visages se croisèrent en même temps que leurs lames. Les yeux froids, déterminés et implacables du Commandant rencontrèrent ceux, affolés et paniqués, d'Esmène.
D'un revers, sa lame lui fut arrachée des mains. Dans un réflexe désespéré, elle parvint cependant à saisir le bras du Commandant pour l'entraîner en avant. Son adversaire se dégagea, roula au lieu de s'écraser au sol, et se releva sans encombre.
Il était toujours armé, mais ces quelques secondes laissèrent à Esmène le temps de prendre les jambes à son cou. Un coup d'œil lui permit de s'informer qu'il ne restait plus personne d'autre de vivant dans la salle.
Des soldats arrivaient par les escaliers ; toutes les issues étaient déjà bouclées. Elle n'échapperait pas au Commandant.
Sans réfléchir, elle brisa de son poing une fenêtre, monta sur le rebord, hésita l'espace d'une seconde, sentit la présence toute proche du Commandant dans son dos, puis s'élança vers l'extérieur.
Le Commandant pesta alors qu'elle échappait à nouveau à sa lame. Tout au plus avait-il pu érafler son armure à la dernière seconde. Puis il se reprit. Ils étaient au sommet de la demeure ; trente mètres de vide les séparaient du sol. Qu'est-ce qu'elle espérait ?
Il passa la tête par la fenêtre, puis eut un sifflement admiratif. Centimètre après centimètre, Esmène progressait le long de la paroi, malgré l'armure kalendorienne souple mais incommodante. Ses doigts s'accrochaient à la moindre aspérité entre les pierres disjointes. À cette hauteur, la moindre erreur serait fatale.
Le vent sifflait à ses oreilles, sinistre ; un fragment de pierre se détacha, tel le précurseur d'une fin tragique.
Le Commandant sortit un fusil. Esmène ne se serait jamais rendue ; elle allait donc mourir. Plusieurs balles fusèrent, qui dévièrent toutes de leur trajectoire avant de se perdre dans le vide. Il rengaina son arme. Même à bouts de forces, Esmène continuait de faire usage de son A.O.M. Il devinait plus qu'il ne voyait son visage en sueur, sa respiration haletante, ses membres qui s'engourdissaient. Elle avait cessé de progresser, et ne se maintenait plus qu'à grand peine contre le mur. Ce n'était plus qu'une question de temps pour que la fatigue fasse son œuvre.
« Je n'aurai pas pensé faire de l'escalade ici, mais il faut avouer que ce ne sont plus des jeux de mon âge. »
Il sortit un poignard, dont il examina la lame effilée.
« Vous vous épuisez, Esmène... La moindre erreur et c'est la mort assurée. »
Il lança vers elle son arme. Elle se plaqua contre le mur, glissa sur une mousse interstitielle, tenta de raffermir ses autres prises, sentit ses doigts commencer à glisser sous son poids, paniqua, retrouva ses moyens, accrocha son pied à une fissure inconfortable, puis retrouva sa stabilité.
Le Commandant pointait à nouveau un fusil vers elle. Il cherchait à l'épuiser, encore plus. Tôt ou tard, elle ne parviendrait plus à dévier les balles ; tôt ou tard, elle lâcherait prise.
Les projectiles sifflèrent très près d'elle, signe qu'elle faiblissait.
Du regard, elle chercha une échappatoire. Atteindre une fenêtre proche ? Les gardes noirs l'y attendaient déjà. Descendre ? Les pierres étaient trop épaisses, et les prises qu'offraient les jointures s'espaçaient tous les mètre et demi. Impensable.
Le Commandant réarma son fusil. Elle songea au dernier saut qu'elle allait effectuer. Son regard se perdit dans la chute vertigineuse qui allait être la sienne.
Un drapeau vert, hissé à une hampe vacillante, au moins deux mètres en contrebas, non loin d'un balcon ouvragé. Pouvait-elle seulement l'atteindre ? Le saut était aussi impensable que suicidaire.
Elle n'avait plus le choix. Le Commandant faisait feu. Elle plongea vers la hampe.
Les balles sifflèrent tout autour d'elle. Elle heurta la hampe métallique de plein fouet, rebondit sans parvenir à la saisir, poursuivit sa chute à demi étourdie. Par réflexe, ses doigts s'agrippèrent au drapeau vert ; la toile se déchira sous son poids.
Elle essaya d'atterrir sur le balcon, manqua de peu la rambarde, mais referma ses mains sur un ornement.
Le choc fut d'une violence insoutenable, et lui donna l'impression de lui arracher le bras. Elle crut que la pierre sculptée cèderait, ou qu'elle-même lâcherait prise. En dessous d'elle, ses pieds ne rencontraient plus que le vide.
Malgré l'armure qui lui pesait de plus en plus, elle parvint à atteindre la rambarde, puis à se hisser sur le balcon.
Elle s'effondra au sol, épuisée, les membres irradiés de douleur. Elle resta immobile quelques secondes, avant que son transpondeur ne s'active.
Un sourire éclaira son visage inondé de sueur. Un garde rouge avait réussi à échapper aux Kalendoriens, et protégeait une nièce de feu Xeo Eclarian.
Elle se redressa ; rien n'était encore perdu. S'il leur restait encore à quitter la cité, le plus difficile était passé.
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