Un monstre tentaculaire gigantesque s'extirpa du vaisseau. Son corps métallique luisait d'un éclat inquiétant.

Il hurla, et fit claquer dans l'air ses longs tentacules, chacun refermé sur une lame démesurée.

Galaniel évita de justesse un premier assaut, et riposta aussitôt avec son arme de poing. Son attaque n'eut pas le moindre effet notable, si ce ne fut d'énerver davantage la créature cauchemardesque.

Il analysa la situation. À une dizaine de mètres, une mitrailleuse abandonnée l'attendait, sans doute installée puis abandonnée par des alliés. À première vue, elle semblait encore en état de marche, mais il n'y avait qu'un seul moyen d'en être sûr...

Il courut le plus vite qu'il pouvait, sauta pour éviter une lame mortelle, puis se baissa aussitôt ; la seconde décapita un lampadaire. Il s'écarta sur le côté, et évita les boules de feu que crachait le monstre. Les projectiles poursuivirent leur route et pulvérisèrent un panneau publicitaire.

Galaniel renversa une poubelle cabossée sans y prêter attention, puis s'agrippa à la mitrailleuse. Il la mit en route. Le monstre s'avançait vers lui. Les tentacules s'agitaient, inquiétants. Il n'aurait pas de seconde chance.

Une grêle de projectile s'abattit sur le monstre, et lui arracha un hurlement abominable.

Mais Galaniel ne regarda pas la suite. Une épée traversait son torse de part en part. S'il ne ressentait pas la moindre douleur, il avait perdu. Un alien caché dans une poubelle. N'était-ce pas stupide...

Le décor se brouilla, tandis qu'une musique déprimante se faisait entendre. Le ciel se colora de rouge, puis l'une après l'autre s'affichèrent les lettres fatidiques :

                                                           GAME OVER

Alyne ne comprenait plus. D'autres souvenirs similaires s'affichaient à leur tour. Galaniel qui, pour échapper à une tribu primitive, tente une acrobatie périlleuse et chute dans un lac de lave ; Galaniel qui se fait dévorer par un monstre ; Galaniel qui affronte des maîtres du combats en des lieux exotiques et se fait tuer.

Elle ne comprenait pas. Comment pouvait-il avoir vécu tout cela, et se retrouver devant elle ?

Une nasse l'empêcha de continuer, des anneaux l'encerclèrent. Une contre-attaque cinglante la contraignit à refluer en désordre derrière ses propres barrières, des barrières désormais craintives et mal-assurées.

Galaniel repéra une faille, dans laquelle il se faufila. Il la fit enfler, la transforma en brèche, puis emporta tout un pan de la barrière mentale d'Alyne.

Il avait désormais libre passage. Des souvenirs de l'elfine se matérialisèrent. Une formation sévère dans sa cité étincelante. Éducatrices intransigeantes mais aux talents reconnus par tous. Cours de magie, de peinture, de musique, d'écriture, d'esprit, initiations au maniement des armes.

Prières. Beaucoup de prières. Vénération de la Grande Déesse. Culte de la Lumière.

Volonté de fer, sélection impitoyable.

Cité Céleste, trois mois avant la mort du Général Chef

Les prétendantes avaient toutes été rassemblées dans une splendide salle, inondée par une lumière bleue intense. Des arcades sculptées les entouraient, soutenues par d'innombrables colonnades de cristal. Sur le plafond, sur les murs, s'étalaient des fresques démesurées, qui retraçaient la glorieuse histoire de leur peuple.

Depuis l'estrade colossale de marbre blanc ouvragé, la Reine en personne surplombait les prétendantes, pour leur réciter un interminable discours. Plusieurs Guides Éclairées l'encadraient, dans leurs uniformes officiels splendides, brodés d'or et d'argent. Enfin, des Guerrières Immaculées veillaient de part et d'autre de la pièce, droites et imperturbables, dans leurs célèbres armures blanches éclatantes. Si leurs regards fixes donnaient une impression d'absence, aucun détail de la scène n'échappait en réalité à leur acuité légendaire.

Ce discours, la Reine le répétait à chaque cycle, soit chaque rotation complète de la Cité Céleste autour son étoile. La géante bleue constituait par ailleurs une source inépuisable d'énergie pour alimenter ce vaisseau spatial titanesque, dans lequel vivait tout un peuple. Dans l'espace, des panneaux argentés s'étendaient par centaines de milliers. L'excédent récolté était stocké dans des cellules hexagonales dorées, conservées sous haute surveillance, au plus profond du Palais. Au fil des siècles, de formidables réserves avaient été constituées, et les estimations les plus folles couraient à ce sujet.

Dans les sociétés élaborées, la maîtrise de l'énergie devenait un enjeu d'importance, et la Reine l'avait bien compris. Désormais, elle disposait de quoi assurer la pérennité de la Cité jusqu'au prochain millénaire.

Parmi les prétendantes, Alyne n'écoutait la Reine que d'une oreille discrète. Principalement des choses qu'elle savait déjà, agrémentées de félicitations pour avoir triomphé de cette première sélection. Désormais, elles allaient pouvoir accéder aux épreuves du Matayella.

Il n'y aurait qu'une seule Élue. Une seule d'entre elles pourrait accéder au titre de Voyageuse. Tout son esprit se fixait sur cet objectif dont elle avait toujours rêvé. Elle n'aurait droit qu'à un seul essai. Un seul.

Elle compta les prétendantes. Dix-huit, plus elle. Toutes lui étaient inconnues, exceptée une, Saëlle, qui écoutait la Reine avec l'attention la plus profonde. Alyne se résigna finalement à prendre son exemple.

Galaniel manifesta un recul de surprise. Non seulement les Voyageurs étaient connus dans d'autres mondes, mais ils se trouvaient même au centre d'institutions. La Reine continuait son discours, et ses paroles, jusqu'alors floues et indistinctes, s'étaient gravées en lettres de feu dans la mémoire d'Alyne.

« C'est ainsi que celle d'entre vous qui sera choisie, l'Élue qui rejoindra l'Ordre des Voyageurs, sera amenée à rencontrer de nombreuses peuplades aux mœurs variées. Il va sans dire qu'il ne s'agit souvent que d'ersatz de civilisations. Même si elles n'en valent pas la peine, les Voyageurs, comme vous le savez, cherchent à les aider et les faire évoluer.

Vous pouvez vous demander l'utilité de cette démarche, et je vous apporterai l'explication suivante : le rôle premier des Voyageurs est de combattre les Forces Obscures sous l'égide de la Grande Déesse. Même si nous seules sommes véritablement dignes de devenir Ses messagères, le soutien d'autres peuples peut apporter un renfort appréciable. Notre Cité reste le fleuron de l'Armée de la Lumière, mais ne pourrait intervenir simultanément aux quatre coins de la Galaxie. Aussi aurez-vous, tôt ou tard, à travailler aux côtés de ces créatures inférieures.

Je vous rappellerais néanmoins que ces peuples primitifs sont constitués d'individus opportunistes, avides, incapables, tricheurs, menteurs, et bornés. Vous vous apercevrez bien vite à quel point ils peuvent rendre impossible toute confiance mutuelle. Je vous conseillerais donc de toujours surveiller vos arrières, et de ne jamais croire ces créatures sur parole. Si ce n'étaient les Voyageurs pour les guider vers le droit chemin, toutes auraient déjà succombé aux Ténèbres les plus noires.

Maintenant, je n'ai plus qu'à vous souhaiter bonne chance, que la meilleure d'entre vous réussisse les épreuves du Matayella ! Puisse-t-elle faire honneur à notre civilisation ! »

Révulsion et révolte. Tels furent les sentiments que ressentit Galaniel. Comment la Reine d'un peuple qui se disait défenseur de la Lumière pouvait-elle à ce point mépriser toutes les autres civilisations ?

Un mur impénétrable repoussa son esprit ; Alyne referma la brèche par laquelle il avait pénétré.

Les défenses s'étaient toutes reconstituées, sans plus laisser la moindre faille. Pas même une fissure, une faiblesse. Une paroi d'acier lui faisait face.

Galaniel rouvrit les yeux. Alyne se tenait à genoux à deux mètres de lui. Elle darda sur lui un regard fulminant.

Il voulut parler. N'en eut pas le temps. À peine eut-il le temps d'entrevoir une sphère électrifiée se former en face de lui qu'une explosion formidable le projetait au sol.

Sa vue se brouilla. Tout au plus parvenait-il encore à entendre des paroles, des voix, mais dont le sens lui échappait. Un fantôme blanchâtre et indistinct se rapprocha de lui, s'accroupit à son côté, hésita.

Il tressaillit. Des doigts glacés se posèrent sur son torse douloureux.

Une chaleur tiède le traversa, sa vue se précisa de nouveau, tandis qu'il recouvrait l'usage de ses membres.

Alyne écarta son bras. Galaniel recula, passa la main à travers sa combinaison noire à moitié trouée, sur son torse désormais indemne. Il leva un regard interrogateur en direction de l'elfine, accroupie près de lui. Ses doigts blancs émettaient encore une lumière réconfortante, mais qui ne tarda pas à se résorber. Une lueur de surprise teintait encore ses yeux de glace. Elle hésita, puis se décida néanmoins à prendre la parole.

« Je ... je me suis laissée emportée ; je m'en excuse, cela ne se reproduira plus. »

Elle lui tendit une main pour l'aider à se relever. Galaniel l'ignora, et se remit seul sur pieds.

« Je n'ai que faire de ta prévenance de façade. »

Son regard noir fit reculer Alyne, qui ne sut que faire ou répondre. Puis il se détourna, et la laissa seule au milieu du cercle des villageois effervescents, avant d'être rejoint par un Césape enthousiaste.

Sans plus un regard pour l'elfine.