Les projectiles se désintégrèrent dans la nuit, juste avant d'atteindre sa poitrine. Sans réfléchir, Galaniel foudroya aussitôt le garde avec son lance-éclair. Ce dernier fut projeté en arrière, le corps parcouru d'étincelles électriques, avant de retomber au sol, inerte. Il avait reçu la dose maximale.

Galaniel se retourna de nouveau. Un éclair illumina le visage du meneur qui le regardait, souriant sous la pluie battante.

« Ce n'est pas passé loin, constata-t-il.

— Comment as-tu fait tout ça ? Je croyais que tu n'avais pas de pouvoirs magiques.

— C'était vrai il y a un certain temps, lui sourit-il. Mais ces dernières années ont été très... instructives. »

Sans plus lui donner d'indications, il se remit en route à travers le campement. Galaniel lui emboîta le pas, déconcerté. D'habitude, les aptitudes à la magie étaient héréditaires : l'on naissait magicien, ou l'on ne l'était pas. Des tests durant l'enfance permettaient ainsi de différencier les uns des autres et de reconnaître les futurs magiciens. Cependant, ni lui, ni son père, Zawhyk, ne les avaient passés avec succès.

Ils traversèrent avec le reste de l'armée des cratères fangeux, encadrés par des tentes éventrées. Quelques ennemis en surgirent pour les prendre par surprise, mais s'effondrèrent aussitôt sous les tirs de Galaniel et des autres Shawniens. Dans la pénombre, Zawhyk esquissa un sourire. Main dressée en face de lui par réflexe, il n'avait pas même eu à utiliser ses pouvoirs.

Ils arrivèrent enfin au poste de communication, ravagé par les tirs de catapulte. Les bâtiments étaient en ruines et les antennes gisaient en plusieurs morceaux. Malgré la pluie, les fagots enflammés avaient allumé plusieurs foyers d'incendie. Une odeur forte et âcre émanait de l'installation dans laquelle certaines machines grésillaient toujours. Dans la fumée épaisse, quelques gardes encore présents essayaient de sauver ce qui pouvait l'être.

Deux Barzacs encore intacts émergèrent des décombres. Les deux géants mécaniques se dressèrent face aux Shawniens et étendirent leurs membres métalliques.

« Attention ! »

Zawhyk s'était porté à l'avant, main dressée, alors que deux obus quittaient leurs bras en direction de son groupe. Les deux projectiles incurvèrent leur course avant d'atteindre leur cible, et se perdirent dans des tentes proches.

Alors que retentissaient les explosions, le premier Barzac attrapa de deux de ses mains des lames gigantesques. D'un bond formidable, il s'élança sur Zawhyk. Le Shawnien n'esquiva l'attaque que de justesse, par un saut presque surréaliste.

Sans lui laisser le temps de se reprendre, le colosse fit feu de ses deux autres bras. Les mitrailleuses lourdes firent déferler un torrent de mort dans sa direction.

Le bras gauche dressé face à lui, la main irradiant d'une faible lueur, Zawhyk resta immobile. Toutes les balles s'interrompirent dans leur course, comme arrêtées par un mur invisible, avant de retomber au sol, inutiles.

La main droite de Zawhyk se raffermit sur le manche de son épée. La lame de métal s'était parée d'une lueur surnaturelle. L'humain et le colosse de fer se firent face, l'espace d'un instant. Puis, illuminés par un nouvel éclair, ils se jetèrent l'un sur l'autre en faisant siffler leurs armes.

De son côté, Galaniel s'était écrasé au sol en essayant d'éviter une rafale de tirs du second Barzac. Autour de lui, plusieurs Shawniens avaient été fauchés par les balles. En réponse, rien ne semblait pouvoir atteindre leur adversaire impitoyable. Même les éclairs lancés par les mages s'évanouissaient avant de rencontrer l'épaisse cuirasse.

Des gardes noirs les pilotent.

Ils n'arriveraient à rien de la sorte, mais un assaut frontal serait suicidaire. Galaniel ferma les yeux. Il lui restait un dernier atout, qu'il n'avait pas encore eu l'occasion d'utiliser.

Un A.O.M., ou Amplificateur d'Onde Mentale, que le Général du Neelhan, Fermal Eclarian, leur avait prêté. Avec son aide, le Shawnien déploya son esprit pour s'attaquer à celui du pilote. D'ordinaire, les ressortissants de la garde noire avaient été formés à contrer ces attaques, et possédaient de même des A.O.M. Par chance, celui-ci n'opposa toutefois qu'une résistance très relative à l'intrusion de Galaniel. Il ne fallut que peu de temps au Shawnien avant de se rendre maître de son esprit.

Cela lui permettait de contrôler la moindre de ses actions, mais aussi un accès à ses souvenirs et émotions. Il s'agissait d'une nouvelle recrue de la garde noire, du nom de Valenrion. L'homme peinait encore à maitriser le potentiel de son A.O.M, et occupait donc un modeste poste, censé se situer à l'écart des combats. Sa surprise se faisait palpable, de même que sa peur face à cette épreuve du feu improvisée.

Le Shawnien l'obligea à faire demi-tour pour se retourner contre les autres soldats. Le combat fut cependant de courte durée. Alors que les adversaires s'enfuyaient déjà, une fausse manœuvre fit s'écraser l'appareil dans la boue immonde. L'esprit du pilote échappa à Galaniel ; il rouvrit les yeux dans la pluie glaciale.

De son côté, Zawhyk abandonnait le cadavre démantibulé de son adversaire. Le métal avait été tordu, les bras arrachés comme s'ils n'étaient faits que de papier. L'affrontement avait été d'une violence rare. Il s'arrêta un instant, indemne, pour constater que les Shawniens achevaient de saccager ce qui restait du poste de communication.

Galaniel jeta un regard sur la piste d'envol qui s'étalait non loin. Cette dernière était jonchée de débris divers. Les vaisseaux restants avaient été disloqués, tandis que les obstacles et cratères noirs rendaient tout décollage impossible à un éventuel rescapé.

Malgré tout, quatre vaisseaux noirs les survolèrent, pour bombarder les catapultes de l'autre côté de la colline. Des explosions sourdes et lointaines se firent entendre. Les Shawniens ne pourraient désormais plus compter sur leur soutien.

Le plus difficile restait toujours à faire. Ils n'avaient encore investi que la périphérie du campement, plus ou moins bien gardée depuis le départ des autres Généraux. Désormais, il fallait pénétrer au cœur de la base, parsemé de tourelles automatiques et de robots de combat. Enfin, l'Araignée Noire et le Général Chef les attendaient de pied ferme. Il s'agissait de leur objectif final, mais aussi du plus redoutable.

Zawhyk regroupa ses troupes en formation serrée, pour affronter les soldats qui restaient encore. Au moins cinq mille hommes, qui avaient eu tout le temps de se réorganiser de leur côté. Cependant, il s'agissait de leur unique chance d'empêcher la guerre que projetait le Général Chef. S'ils échouaient, les vaisseaux-mères quitteraient Oriale et commenceraient l'invasion de la planète Zyx d'ici trois jours. Puis ce ne serait alors plus qu'une question de temps avant le tour de Shawn.

Zawhyk regarda le ciel une dernière fois. L'épaisse couverture de nuages sombres lui masquait son monde natal, cette planète glacée et reculée qui lui manquait déjà.

Aujourd'hui, tout l'avenir du Système reposait sur les deux mille guerriers qui l'avaient suivi dans cette lutte désespérée.

Il aspira une bouffée d'air âcre. En réalité, il savait que le Général Chef tomberait tôt ou tard. Sa chute avait été programmée par les mêmes puissances qui l'avaient laissé étendre sa domination sur Oriale. Mais s'il ne l'arrêtait pas maintenant, cette guerre provoquerait des milliers, des millions de morts. Et cela, il ne pouvait pas le laisser faire.

En face de lui, les soldats noirs se regroupaient pour former une solide ligne compacte, épaulés par de nombreuses machines de mort. À ses côtés, Galaniel attendait sous la pluie battante, et semblait trépigner d'impatience. Derrière lui, les guerriers de Shawn serraient dans leurs poings lames, arcs, et parfois fusils fournis par le Général du Neelhan.

Ils s'apprêtaient à livrer leur dernier combat. Combien d'entre eux reviendraient de cette opération que tous savaient suicidaire ? Il ne pourrait pas tout protéger, c'était impossible. Son regard se posa sur Galaniel. Il espérait de tout son cœur qu'il ressorte indemne de cet affrontement mortel duquel il n'avait pas pu le dissuader. Il avait la même impétuosité, la même ardeur, la même vaillance que lui ; mais cela suffirait-il seulement ici ?

Zawhyk s'avança d'un pas mesuré. Il ignora la pluie qui continuait de se déverser, ignora les canons innombrables pointés sur lui, ignora enfin la mort elle-même, pourtant omniprésente et omnipotente. Il leva son épée dans le tonnerre des éléments furieux.

« En avant ! Montrons-leur qui nous sommes vraiment ! »

La horde de guerriers déferla sur ses ennemis telle une flèche destinée à transpercer leurs lignes compactes. Des tirs furent échangés. Des projectiles furent déviés, parfois désintégrés, et même renvoyés. Mais ceux-ci s'intensifièrent. Les quelques mages présents ne pouvaient plus tous les contrer en même temps. Plusieurs guerriers de Shawn tombèrent avant même d'atteindre la première ligne de défense. Les autres continuèrent d'avancer avec la même ardeur, malgré la mitraille intense qui les accueillait de ses cris de mort.

Des éclairs bleutés fusèrent vers la ligne des soldats ennemis. Sous le choc, les premiers rangs semblèrent s'ébranler, mais se ressoudèrent aussitôt. Sans s'arrêter, Galaniel continua de faire feu avec ses armes de poing. Juste devant lui, Zawhyk guidait la course effrénée. Un bouclier translucide aux tons irisés l'entourait, sur lequel venaient rebondir les projectiles avant de pouvoir l'atteindre. En réponse, le Shawnien répliquait de sa main gauche par des éclairs d'un bleu intense. Les déflagrations qui s'ensuivaient balayaient des groupes entiers d'ennemis, mais les rangs suivants venaient aussitôt prendre la relève.

Zawhyk brandit une nouvelle fois son épée. Les deux armées étaient sur le point de se rencontrer.

Le choc qui s'ensuivit ébranla les deux camps par sa violence. La ligne adverse faillit résister sur toute sa longueur, mais recula en son centre sous l'assaut dévastateur de Zawhyk. D'un revers de main, il balayait les ennemis, et projetait de toutes parts des éclairs dévastateurs. Tout son être irradiait d'une lumière bleu pâle, véritable lueur d'espoir pour le cœur de ses troupes. Dans sa main, son épée irradiait du même éclat surnaturel et achevait les soldats qu'il atteignait au corps à corps. La lame tranchait le métal comme s'il ne s'agissait que de vulgaire papier mâché. Même l'impressionnant Barzac qui essaya de l'arrêter fut broyé sur son passage.

Galaniel s'arrêta de mitrailler. Toutes ses balles venaient de s'interrompre dans leur course avant d'atteindre leurs cibles. Face à eux, des hommes à l'uniforme noir caractéristique traversaient les rangs désorganisés pour se porter jusqu'à eux.

Des gardes noirs.

Un important contingent, contre lequel les armes à distance seraient inefficaces. Derrière suivaient une dizaine de Barzac de même que des chars aux canons lourds de menace. Les meilleures unités dont disposait le Général Chef, bien décidées à mettre un terme à l'avancée shawnienne.

Inquiet, Galaniel posa la main sur la garde de son épée, avant d'interroger son père des yeux. Ce dernier esquissa un faible sourire.

« Je pense qu'il va être temps de sortir le grand jeu. » Murmura-t-il.