La grande confrontation est enfin arrivée ! Merci à tous pour vos retours sur le dernier chapitre, j'espère que vous apprécierez celui-ci !
J'avais oublié de le préciser pour le chapitre précédent, mais les références au vol du caducée et à une quête précédente sont des références qui viennent de La cour des Miracles de Perripuce bien évidemment ^^
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Chapitre 19 : Le combat des magiciennes
Lou Ellen avait pris des décisions difficiles dans sa vie. Elle avait laissé son père derrière elle et décidée de suivre un satyre pour se rendre dans une Colonie inconnue ; elle avait participé à deux guerres en s'engageant dans des combats presque désespérés : elle avait trouvé le courage d'avouer ses sentiments à Connor... Et pourtant, le laisser se battre seul face à Autolycos sans un regard en arrière était sans doute l'une des plus douloureuses de toutes. Encadrée par Will et Nico, elle avançait résolument devant elle, se retenant de toutes ses forces de faire demi-tour. L'inquiétude lui ravageait les entrailles – elle l'avait seul avec Lacy par les dieux – mais elle savait aussi que le meilleur service qu'elle pouvait lui rendre était de récupérer les torches pour repartir d'ici.
Ensemble, ils longèrent la côte, leurs armes à la main. Les trois magiciennes ne devaient pas être loin et elle voulait conserver l'effet de surprise le plus longtemps possible avant de les attaquer. Elle ne se faisait pas d'illusions : il était peu probable que le combat puisse être évité. Elles avaient été trop loin en volant le symbole d'Hécate pour y renoncer sans se battre.
- T'es sûre qu'on va dans la bonne direction ? marmonna Will en jetant des coups d'œil nerveux autour d'eux.
- Je les sens, je te dis. Par-là.
D'un geste, elle désigna la ligne d'horizon, au-delà des arbres et de la colline qui se dressaient devant eux. Nico plissa les yeux. Il dut juger que son instinct faisait l'affaire car il continua à avancer sans poser de question et elle lui en fut reconnaissante. Depuis le début de la quête, elle avait bien conscience que son rôle de leader était vacillant. Elle l'endossait quand il fallait, mais elle ne l'avait pas non plus totalement embrassé à bras ouverts. Tout le long de leur voyage, elle s'était reposée sur les autres, particulièrement Nico. Elle avait mis ça sur le compte de son expérience par rapport à eux tous, mais il fallait bien qu'elle admettre qu'elle en était venue à lui faire confiance. Pourtant, l'aide de Nico avait été à double tranchant par moments. Les autres avaient aussi eu tendance à se tourner vers lui plutôt que vers elle au moindre problème et elle avait eu du mal à lui tenir tête. En repensant à leur dispute lorsqu'il avait voulu venir affronter les Dactyles, elle retint une grimace. S'il avait insisté un peu plus – et si Will n'avait pas été si buté – elle aurait sans doute fini par céder. Et seul les Parques savaient quelles auraient été les conséquences d'une telle action...
- Arrête de douter, admonestera soudain Nico.
- Quoi ?
- Tu penses trop, tu te stress et tu nous stress, précisa-t-il avec un regard entendu en direction de Will dont les mains étaient si crispées sur son arc que la corde était tendue au maximum. On a besoin d'avoir l'esprit clair pour cette mission. Elles ne nous laisseront aucune chance.
- Je le sais...
Et pourtant, elle ne put s'empêcher de se retourner à moitié vers l'endroit où elle avait horriblement conscience d'avoir laissé Connor et Lacy. Nico soupira.
- Blackstone, claqua-t-il alors en la faisant sursauter. Concentre-toi.
- Mais...
- Est-ce que t'as pris la bonne décision ? Aucune idée. Mais Connor a raison sur deux choses, ce qui n'arrive pas souvent au passage : la prophétie mentionne bien un ennemi pour un héros et surtout ta mère t'a choisi pour une raison. Alors arrête de douter, par Hadès !
Face à son ton vindicatif, elle sentit une vague embarrassée et hargneuse monter depuis son ventre avant de se répandre dans le reste de son corps.
- Ils sont peut-être en train de se faire massacrer en ce moment même, Di Angelo ! Excuse-moi de m'en soucier.
- Et en t'en souciant, tu les mets en danger, opposa-t-il fermement. Plus vite on récupère les torches, plus vite...
- Je sais ! Par les dieux, Nico, je sais mais imagine si c'était Will que tu avais dû laisser derrière et...
Sa voix s'éteignit. Elle s'interrompit elle-même, soudain conscience de ce qu'elle venait d'avouer et les larmes lui montèrent aux yeux. Elle détourna le visage, incapable d'affronter le regard de Will. Elle n'était pas sûre qu'ils aient vu le baiser qu'elle avait échangé avec Connor juste avant leur départ, trop occupés à se battre, mais elle n'arrivait pas à s'en détacher. Parce que s'il arrivait quelque chose à Connor et que c'était le dernier geste qu'ils avaient partagé, elle s'en voudrait toute sa vie...
Son argument parut en tout cas atteindre Nico car il se fit plus doux lorsqu'il reprit :
- Lou Ellen, crois-moi, je comprends... Je... J'ai déjà fait une promesse impossible en regardant quelqu'un tomber dans le Tartare et... (il s'étrangla à moitié avant de se reprendre) et je sais à quel point ça peut être dur d'avancer quand on a laissé quelque chose derrière. Mais on a besoin de toi. C'est ta quête : la tienne et celle de personne d'autres.
Touchée par ses mots, elle se résolut à leur faire face à nouveau. La première chose qui la frappa fut la foi inébranlable qu'elle lut dans les yeux de Will et elle en tira de la force presque inconsciemment. Puis, elle vit la sincérité de Nico. Elle savait à quel point il détestait parler du Tartare et elle se l'imagina, penché au-dessus d'un puit de ténèbres sans fin, regarder Percy et Annabeth chuter sans rien pouvoir faire. Il ne mentait pas en disant qu'il comprenait son sentiment d'impuissance. Elle redressa la tête. Si Nico avait pu traverser l'Enfer – littéralement – et en revenir, elle était capable d'aller récupérer ces maudites torches pour retrouver Connor ensuite et lui passer le savon de sa vie pour l'avoir embrassé en plein milieu d'une bataille.
- D'accord, dit-elle avec conviction. On y va !
- Ca c'est notre Lou Ellen ! encouragea Will en lui tapant dans la main. Allez !
- T'emballes pas trop, tempéra Nico, l'air soudain inquiet. Tu restes à distance des magiciennes surpuissantes, tu m'entends ?
- Mais oui, Mort-Junior !
- Will ! Will, reviens là, on avait dit quoi avec ce surnom !
Agacé, Nico courut après Will et Lou Ellen les suivit, le cœur soudain plus léger et l'esprit clair. Silencieusement, ils s'engouffrèrent dans les sous-bois et avancèrent. La sensation étrange au fond d'elle s'intensifia alors à chacun de ses pas à mesure qu'elle se rapprochait des torches. C'était comme si son corps vibrait : il reconnaissait la présence des attributs divins de sa mère. En réalité, c'était son sang qui chantait et elle prit le temps d'adresser une dernière prière à sa mère tandis qu'ils émergeaient de la lisière des arbres. En face d'eux, il ne restait plus que la colline comme obstacle. D'un même pas, ils entamèrent leur ascension. Le bruit des vagues, au loin, était le seul bruit qui surpassait celui du vent qui soufflait toujours. Lou Ellen refusa de se laisser gagner par l'appréhension. Au lieu de ça, elle se repassa mentalement ses notes griffonnées dans son petit grimoire où elle notait ses sorts. Celui de transformation qui lui servait à métamorphoser les gens en cochons brilla dans son esprit. C'était un des premiers qu'elle avait appris et réussi à maîtriser. Et alors qu'elle visualisait la queue en tirebouchon de l'animal, ils atteignirent le sommet de la colline.
Elle ne s'était pas attendue au spectacle qui se révéla alors en contre-bas. Placées en cercle autour de deux torches, trois femmes en robe de cérémonie avaient les mains levées vers le ciel, yeux fermés. Elle bougeaient les lèvres mais aucun son s'en sortait – ou du moins aucun qui ne leur parvenait – et elle faisaient brûler des herbes dans un bol en cuivre à leurs pieds, embaumant l'air d'une odeur de plantes brûlées. Lou Ellen inspira profondément. Elles étaient enfin là. Les trois magiciennes les plus célèbres de la mythologie. Aucune d'elles n'était fille d'Hécate et pourtant elle avait maîtrisé les arts magiques comme personne.
- Qu'est-ce qu'on fait... ? chuchota Will, l'air impressionné.
- Qu'est-ce qu'elles font surtout ? répondit Nico, perplexe.
Lou Ellen s'avança d'un pas. C'était de toute façon impossible de descendre sans être à découvert. Elle observa alors plus attentivement le rituel des trois magiciennes et la réalité la frappa brusquement. Elle écarquilla les yeux sous le coup de la surprise.
- Elles... elles aspirent le pouvoir des torches ! Elles veulent les drainer de leur magie pour se l'approprier !
- C'est possible, ça ?
- Pour un humain ou un demi-dieu ? Pratiquement pas... C'est même impossible seul. Quiconque essayerait finirait dissout par la puissance des pouvoirs d'un attribut divin.
- Mais pas elles ?
- Elles ont gagné un semblant d'immortalité, rappela Nico d'un ton où perçait autant l'horreur que l'inquiétude face à la situation, et surtout elles sont trois à se répartir le pouvoir.
Lou Ellen se tourna vers lui, agitée.
- Même divisé, il reste considérable ! prévint-elle.
- Je me doute bien...
- Vous allez continuer à nous déconcentrer ou descendre, demi-dieux ? s'exaspéra soudain une des femmes en ouvrant brutalement les yeux pour les toiser.
Ils se figèrent. C'était sans doute vain de s'imaginer qu'elles ne les avaient pas entendu arriver, mais Lou Ellen avait espéré. Envahie par la détermination, elle resserra sa prise autour de son épée à trois lames. Trois lames pour trois ennemis. Trois lames pour trois torches. Au nom de la mère, de la fille, et des saints attributs, pensa-t-elle avec ironie.
D'un regard, elle vérifia bien que le poignard des Dactyles étaient toujours pendus à la ceinture de Will. C'était lui qui avait été désigné pour le garder, étant sûrement le plus vulnérable face aux magiciennes. De toute façon, Lou Ellen ne pouvait pas s'en servir. Dès qu'elle approchait de l'arme, elle ressentait une sensation de rejet forte, comme si le métal et sa magie se repoussaient mutuellement.
- La fille d'Hécate, ricana une seconde femme. Te voilà enfin. Mais viens donc nous affronter ! Nous serons ravies de te renvoyer à ta mère en petits morceaux !
- Pas si je les transforme d'abord en cochon, marmonna-t-elle dans un souffle.
Nico sourit, sinistre. Il brandit son épée en fer stygien et même le feu éclatant des torches parut être absorbé par son aura.
- Ne te gêne pas, dit-il. Prêts ?
- Ensemble, affirma-t-elle.
Et ils se mirent à descendent la colline. Alors qu'ils approchaient enfin, le pouvoir des torches se fit sentir plus nettement, comme des battements de cœur sourds. Lou Ellen réalisa que ce n'était pas leur véritable apparence qu'elle voyait. Les torches devant elle étaient emprisonnées sous une forme supportable aux yeux des mortels : leur socle était en métal forgé et formait des motifs alambiquées avant de s'évaser en réceptacle dans lequel dansait des flammes puissantes, orangées et bleutées. Lou Ellen fut surprise en constatant qu'elles ne dégageaient aucune chaleur.
- Ils sont donc devant nous, entonna la troisième femme en ouvrant les yeux à son tour. Ceux qui nous pourchassent sans relâche. Je vous imaginais plus impressionnants...
- Vos Propétides aussi ont fait l'erreur de nous sous-estimer, répliqua Lou Ellen avec une assurance feinte. Elles ne sont plus là pour le dire.
- Ces idiotes ? se moqua-t-elle. Des simples soldats, rien de plus. Ma chérie, crois-moi, tu ne repartiras pas d'ici cette fois-ci.
Elle ponctua sa remarque d'un sourire cruel et Lou Ellen les détailla alors plus amplement du regard.
- Pasiphaé, Circé, Médée, énuméra-t-elle successivement en pointant chacune des femmes.
- Belles déductions. Fille d'Hécate, fils d'Apollon et fils... d'Hadès, je présume ?
Aucun d'eux ne chercha à nier, ça aurait été inutile. Tout comme les trois femmes ne pouvaient cacher leur identité, eux aussi portaient la marque de leur parent divin. Lou Ellen les détailla alors plus précisément. Chacune dégageait une aura forte, palpable, et elle avait l'impression qu'il lui suffisait de tendre la main pour effleurer la magie qui tourbillonnait autour d'elle telle la Brume entourant le monde. Pourtant, leur magie était différente de celle qu'elle ressentait chez ses frères et sœurs à la Colonie. Leurs pouvoirs leur étaient presque... extérieurs. Elles l'avaient conquis, dompté, mais ils ne leur appartenaient pas de naissance.
La plus à gauche, Pasiphaé tenait droite et royale comme une statue intemporelle mais trop belle pour être aimée. Elle portait une longue robe élégante sans manches dont les fils d'or tranchaient avec l'ébène de ses cheveux relevés dans un cône émaillé de diamants et d'émeraude. Comme pour rappeler son lien à la création de Dédale, un pendentif en forme de Labyrinthe ornait son cou. Les rubis qui formaient la chaîne du collier ressemblaient presque à des gouttes de sang contre sa peau et Lou Ellen frissonna.
A ses côtés, sa sœur Circé lui ressemblait de manière troublante. Sa chevelure noire était tressée d'or et elle posait ses prunelles vertes perçantes sur chacun d'eux à tour de rôle. Pendant une seconde, Lou Ellen crut qu'elle avait des hallucinations en voyant des mouvements agités sa robe sombre avant de comprendre qu'il s'agissait de formes qui se succédaient, comme des scènes qui prenaient formes entre les plis : des animaux galopant, des ombres de végétaux et même une lune brillante qui courait dans le ciel en passant par toutes ses phases.
Enfin, Médée était peut-être la plus impressionnante de toutes. Plus jeune, la nièce de Pasiphaé et Circé les toisait avec une rage brûlante derrière son sourire. Elle était entourée d'une aura mystérieuse, comme si ses yeux contenaient des savoirs anciens et sombres qu'aucun mortel ne pouvait rêver de percer. Elle portait aussi un collier en or, lourd et voyant, qui reposait au-dessus de sa poitrine. Il représentait trois torches entre croisées, symbole d'Hécate. Lou Ellen ressentit une colère sourde pulser en elle. Médée n'avait aucun droit sur ce symbole, pas après ce qu'elle avait osé faire. Elle parut comprendre ses pensées car elle porta soudain sa main à sa gorge et son rictus s'agrandit.
- Ne me fais pas la leçon, fille d'Hécate, lui dit-elle d'une voix chargée d'un léger accent qui trahissait ses origines. La magie coule peut-être dans tes veines mais pour nous autres, elle a été un combat. Nous avons autant de droit sur ces torches que toi.
- De droit ? Je n'ai aucun droit dessus, elles appartiennent à ma mère !
- Des attributs tout au plus. Elle n'en a pas besoin, ses pouvoirs lui viennent de son essence divine.
- C'est faux et vous le savez... Les Dieux tirent une partie de leurs pouvoirs dans leur symbole. Ils renforment justement leur essence. C'est un vol d'identité, ni plus ni moins.
Pasiphaé roula des yeux, l'air agacé.
- Et ce qu'on nous a fait subir ? Ne crois-tu pas que c'était un vol d'identité aussi ?
- Oui, oui, on sait, s'impatienta Nico sans se laisser impressionner. On vous a fait subir des choses horribles et vous n'arrivez pas à pardonner à Hécate...
- Ne te moque pas, fils d'Hadès ! cingla Circé, furieuse. Toi plus que tout autre devrait comprendre la persécution. Nous avons toujours été les exclus, celles que les mortels traquaient et lynchaient en place publique. Aujourd'hui, nous prenons notre revanche. Nous reprenons notre dû : la magie ultime.
D'une certaine façon, Lou Ellen comprenait les paroles des trois magiciennes. Elle avait connu ce qu'elle décrivait. Elle se souvenait des moqueries et du sentiment ravageur de n'appartenir à aucun groupe, d'être moquée et décriée. Maîtriser ses pouvoirs l'avait en partie réconcilié avec son héritage. Et sous un certain angle, la magie était aussi l'héritage des femmes devant elles. Issues d'une même famille, elles avaient fait de la magie leur identité, une véritable revendication.
- J'entends ce que vous dites, assura-t-elle, compréhensive. Mais vous ne pouvez pas vous dresser contre une déesse. Les torches... Elles sont plus que la source de son pouvoir, elles en sont la projection. Leur lumière guide les âmes égarées vers les Enfers. Sans elles, ça sera le chaos.
- Les âmes ? Et pourquoi reviendraient-elles à Hécate ? Nous pourrions tout autant assurer cette tâche. Après tout, contrairement à elle, nous avons véritablement conscience de ce qu'être égarée signifie.
Nico parut être arrivé au bout de sa patience car il émit un claquement de langue agacé.
- Di Immortales... Être égaré, répéta-t-il avec dédain. Mais qu'est-ce que vous en savez ? Vous passez votre temps à vous attaquer à plus faibles que vous. Quand c'était pas avec Cronos, c'était avec Gaïa. A une époque ça a même été Hécate avant qu'elle refuse de vous donner plus de pouvoirs !
- Nico... intervint Will, tendu, comme une mise en garde.
Lou Ellen ne put qu'approuver. D'instinct, elle réaffermit sa prise autour de son épée et commença à lever l'autre main, prête à jeter un sort si nécessaire. Heureusement, elles n'attaquèrent pas. Médée se contenta d'avancer un pas, menaçante, et planta son regard dans celui de Nico. La température sembla baisser drastiquement.
- Et toi, demi-dieu, comment oses-tu juger ? lui jeta-t-elle, venimeuse. Tu penses que nous ne savons rien de l'égarement ? Nous ? (Elle secoua la tête, faisant voler ses mèches sombres comme des volutes de fumée). Saches que nous sommes des égarées à plus d'un titre. Nous sommes ce que tu ne pourras jamais comprendre : sorcières, étrangères et femmes. Depuis des siècles, nous avons été abusées par les hommes pour cela !
- Punie à la place d'un mari... clama Pasiphaé.
- Piégée par les dieux et les mortels... renchérit Circé.
- Trahie par l'homme aimé... compléta Médée d'une voix sinistre. J'avais tout sacrifié pour lui. Mon pays, ma famille, mon honneur ! Je suis devenue une errante, abandonnant ma couronne et mon palais. J'avais tout donné pour Jason ! Jusqu'à mon âme ! Et il a osé se détourner de moi, me calomnier et laisser les habitants de Corinthe croire que j'étais une magicienne obscure, celle dont la voix racontait des mensonges et dont les mains guérisseuses apportaient le poison. J'étais l'étrangère là où Jason n'était que le héros. Alors je suis devenue ce qu'ils disaient de moi : la sorcière.
- Mais vos enfants... souffla Lou Ellen, incapable d'occulter la fin de l'histoire de Médée qu'elle connaissait par cœur.
Dans presque toutes les versions du mythe de Médée, transformé par le temps, la fin faisait de la princesse de Colchide la meurtrière de ses propres fils pour punir Jason. Lou Ellen n'avait pas besoin d'être mère pour sentir son estomac se retourner à cette simple pensée.
- Ah mes enfants... C'est là tout le mystère, n'est-ce pas ? Comment peut-on donner la mort à ceux mêmes à qui on a donné la vie ? La réponse est simple : ce n'est qu'en me détachant d'eux que j'entrais dans l'immortalité. L'humanité, elle, aurait refusé ce geste. Pas moi. Moi, je suis Médée, et plus personne – plus aucun homme ! – n'osera l'oublier. Je ne suis ni épouse, ni mère, ni monstre. Je suis sorcière.
Le mot résonna dans l'air, presque surnaturel. Sur cette revendication, Médée sourit alors froidement. Même ses tantes, qui l'encadraient, eurent l'air mal à l'aise et Will sembla être sur le point de vomir. Lou Ellen se demanda ce que ça lui faisait, à lui le guérisseur, d'entendre un récit pareil.
- Et à ce titre, je fais mienne les torches d'Hécate, conclut donc Médée, implacable. Maintenant je repose ma question, sangs-mêlés. Oserez-vous vous dresser face à moi ?
Le défi était glaçant. Lou Ellen sentit son cœur s'affoler, puis elle glissa un regard vers Nico et Will. Ils se tenaient à ses côtés, inébranlables, et elle se rappela alors ce qu'ils avaient déjà affronté ensemble. Au-delà de cette quête, ils s'étaient battus contre la déesse-mère. Par les dieux, Nico avait même parcouru le Tartare. Ce n'était pas trois magiciennes qui allaient les arrêter. Avec détermination, à l'image de Médée, elle redressa le menton et pria pour que sa voix ne tremble pas.
- Moi aussi, je suis sorcière, déclama-t-elle. Et ses torches sont mon droit de naissance, la mission qu'on m'a confiée. Vous n'êtes qu'une imposture. Toutes ! La bénédiction d'Hécate vous a été donnée et vous l'avez trahie. Alors si vous voulez parler de vengeance, considérez que je représente celle de ma mère.
Sur ces mots, elle se jeta dans la bataille. Elle avait vu Connor faire de même : elle ne devait pas laisser le temps à ses adversaires de reprendre contenance. Sans réfléchir, elle visa Médée en projetant sa lame en avant de toutes ses forces. La magicienne ne put que reculer avec précipitation, renversant une des torches dans le processus. L'herbe grésilla. Un cri de rage s'arracha de la gorge de Médée tandis qu'elle levait les mains, amassant une boule magenta entre ses paumes. Lou Ellen roula à terre pour l'éviter. Du coin de l'œil, elle eut conscience que Nico affrontait Pasiphaé et Will tenait à distance Circé en décochant plusieurs flèches explosives. Elle se releva. Son épée japonaise l'encombrait plus qu'autre chose, réalisa-t-elle alors. Elle ne prit pas le temps de réfléchir. Elle avait affirmé elle-même qu'elle était une sorcière, il était le temps de le prouver : elle avait ses propres armes. D'un geste, elle métamorphosa son saï en son collier à triple croissants de lune. En face d'elle, Médée brandit à nouveau ses mains. Une épaisse fumée surgit de terre, les enveloppant toutes les deux, et pendant une seconde Lou Ellen fut projetée dans la grotte de Mélinoé tant la situation était familière. La Brume brouillait ses sens et elle jeta des boules de magie dans tous les sens, espérant sans trop y croire atteindre Médée avant de se figer brusquement. Si elle atteignait Nico ou Will par mégarde... Médée émit un rire méprisant et émergea soudain à quelques centimètres d'elle. Elle recula en poussant un cri.
- Effrayée par un peu de Brume, ma petite ? nargua-t-elle toujours avec sa voix rauque aux accents si particuliers. Ne sais-tu pas la maitriser depuis le temps ?
- Je...
Mais à nouveau, Médée fit surgir des illusions. Et Lou Ellen avait beau savoir rationnellement que c'en étaient, elle ne put endiguer sa panique alors que quatre murs perçaient soudain le sol pour venir l'encadrer. Elle tenta de les repousser, tétanisée, mais ils continuèrent à s'élever jusqu'à la dépasser, comme quatre côtés d'un cercueil vertical.
- Arrêtez ! hurla-t-elle.
- Tu es pathétique... C'est ça qu'Hécate a choisi face à moi ?
- Lou Ellen ! appela Will au loin.
La voix de Will parut percer la Brume. Elle s'y accrocha de toutes ses forces, puis expira longuement avant de se concentrer. Médée avait des millénaires d'entraînement en matière d'illusions. Il fallait juste qu'elle arrive à les déjouer, un peu à la manière d'un épouvantard. Elle se fit sourire elle-même en songeant à la tête de Connor s'il savait qu'elle faisait des comparaison Harry Potter dans un moment pareil. Avec cette idée à l'esprit, elle leva les mains jusqu'à avoir les paumes à plat contre les murs qui continuaient à l'engloutir. Ils paraissaient si tangibles contre sa peau... Pourtant, elle puisa dans sa magie et les imagina en train de se fendre et tomber à terre, détruits par la seule force de sa volonté. Des dizaines de fissures et de lézardes se mirent alors à courir sur toute la surface et l'illusion vola en éclat. Littéralement.
- Pas mal, apprécia Médée. Mais tu vas te fatiguer avant moi, ma chérie. Et ta mère ne viendra pas te sauver. N'as-tu pas remarquer le point commun entre toutes les femmes choisies par Hécate ?
D'un pas lent, elle se mit à lui tourner autour comme un prédateur avec sa proie. Lou Ellen pivota pour la garder toujours en ligne de mire.
- Moi, Circé, Pasiphaé... Elle nous a toutes abandonnée. Jadis Titan, puis Déesse... Dans le camp de Cronos puis des Olympiens... Hécate est aussi changeante que les voies qu'elle protège. Qu'est-ce qui te fait croire qu'elle est encore de ton côté ?
- C'est ma mère !
- Oh jeune innocente... J'ai bien tué mon propre père, découpé mon frère en morceaux, et tué mes enfants par vengeance. La famille, ça ne veut rien dire. Juste un mot pour te retenir d'accomplir ta destinée.
- Vous n'aviez pas la bonne famille alors. Je vous plains plus qu'autre chose. La famille donne de la force.
- Tu crois ?
Lou Ellen n'eut pas le temps de répondre. Dans leur déplacement incessant, elles s'étaient décalées vers le combat entre Nico et Pasiphaé. Cette dernière devait tirer sa force du Labyrinthe sur leurs pieds car l'herbe brillait d'un éclat doré à chacun de ses pas avant de se recroqueviller, mourantes. Le même phénomène se jouait pourtant du côté de Nico, la lumière magique en moins.
- Les ombres sont peut-être tes fidèles compagnes, fils d'Hadès, mais veilles à ce qu'elles ne deviennent pas tes ennemis, prévint Pasiphaé.
- C'est vous qui devriez avoir peur des ombres !
Elle avait beau avoir assisté au phénomène plusieurs fois maintenant, Lou Ellen resta bouche-bée en voyant les ombres répondre à l'appel de Nico. Le mur de ténèbres se dressa avant de se heurter à celui de fumée blanche de Pasiphaé : les Ombres contre la Brume. L'opposition plongea la scène dans un clair-obscur avant qu'ils ne ressortent face à face. Nico décrivit un large arc de cercle avec son épée, mais Pasiphaé bloqua la lame d'un mouvement de main qui fit jaillir une racine du sol avant de s'enrouler autour d'elle. Les yeux de Nico s'écarquillèrent.
- Ta mort sera ma vengeance contre ta sœur, siffla Pasiphaé. Je me délecterai des larmes d'Hazel Levesque, sois en sûr. Mais elle te rejoindra dans le royaume de votre père assez vite, ne t'inquiète pas.
Cette fois, Lou Ellen vit Nico se figer. Elle comprit en une seconde que Pasiphaé venait de signer sa défaite. Personne ne menaçait Hazel devant Nico. Elle le savait pour avoir vu son expression le jour où Mélinoé avait évoqué Bianca en suggérant qu'il avait remplacé une sœur par une autre : il ne perdrait pas Hazel. Pas à nouveau.
Avant que quiconque – elle-même, Médée ou Pasiphaé – ait pu esquisser un geste, Nico relâcha brusquement son épée en fer stygien qui resta prisonnière de la racine et saisit le poignet de Pasiphaé. Lou Ellen hoqueta de stupeur.
- C'est vous qui irez rejoindre votre mari, dit-il d'une voix glaciale. Dites à Minos que le Roi Fantôme le salut.
Sur ces mots, il resserra ses doigts si fort que Pasiphaé laissa échapper un cri de douleur. Puis, si lentement que Lou Ellen crut à nouveau être victime d'une illusion, elle se mit à disparaître. Il n'y avait pas d'autre mot. Sa peau perdit de son éclat et sa consistance vacilla, comme si elle devenait aussi tangible que la Brume autour d'eux. Même Médée eut un souffle haché qui sembla se coincer dans sa poitrine alors que tout le monde s'arrêtait pour observer Pasiphaé devenir transparente comme du verre fumé. De l'autre côté du champ de bataille, près de la torche encore debout, Lou Ellen vit Will et Circé tournés vers le spectacle, immobiles.
- Qu'est-ce que tu fais ? Non ! Arrête !
- Vous n'aurez qu'à errer dans votre Labyrinthe tous les deux, se contenta de répondre Nico, implacable. Après tout, il en connait chaque couloir... Un véritable guide, vous verrez.
- Pitié !
- Il n'y a aucune pitié aux Enfers. Seulement la justice. Encore une fois, votre mari en sait quelque chose.
Les traits de Pasiphaé se contractèrent, presque invisibles désormais.
- Je refuse de payer pour ses crimes ! Je ne suis pas responsable de Minos !
- Non, c'est vrai. Mais vous êtes coupables de vos actions. Alors au nom de ma sœur, laissez-moi vous le dire : vous avez perdu.
Et avec une dernière pression, le corps de Pasiphaé disparut. Les doigts de Nico se refermèrent sur du vide.
- Par tous les titans du monde... murmura Médée après quelques secondes, comme si le temps s'était suspendu. Qu'es-tu ?
Nico la toisa. Il se mit soudain à tanguer.
- Un enfant des Enfers, dit-il simplement.
Puis il s'effondra. Lou Ellen crut presque voir les fils d'une marionnette céder au moment où le corps de Nico bascula, inconscient. Will poussa un cri de détresse qui l'éveilla alors de sa transe.
- Will, attention !
Il se retourna à temps pour éviter le coup que Circé lui portait.
- Will, reste concentré ! Tu l'aideras après !
- Suis ton propre conseil, fille d'Hécate.
Lou Ellen fit volte-face à son tour. Médée se dressait derrière elle et elle fit un pas de côté pour éviter la boule de magie qui lui siffla aux oreilles. Ce n'était pas le moment de fléchir. Avec une magicienne en moins, elle se rapprochait des torches. Plus vite elle les récupèrerait, plus vite elle rejoindrait Connor et Lacy. La respiration haletante, elle plongea en elle-même pour faire jaillir sa magie. Son sort de métamorphose en cochon, si familier, se matérialisa entre ses mains et elle le projeta vers Médée qui le bloqua avec un mur de Brume aussi solide qu'un bouclier. Sans attendre, elle tenta un deuxième projectile que Médée évita tout aussi facilement avant de l'imiter. Lou Ellen plongea pour l'éviter et la boule de magie explosa au-dessus de sa tête. Mais elle n'eut beau pas l'atteindre, elle en ressentit les effets en une seconde : un son perçant, insupportable et douloureux, lui vrilla les tympans et elle plaqua ses mains sur ses oreilles. Un sort acoustique, reconnut-elle au fond de son esprit accaparé par un océan sonore de souffrance. Difficilement, elle écarta ses mains, les larmes yeux, puis les posa contre le sol. Si Pasiphaé avait pu contrôler la nature... La magie touchait toutes choses. Pas besoin d'être un enfant de Demeter.
Soudain, la racine toujours enroulée autour de l'épée de Nico reprit vie pour venir s'emparer de la jambe de Médée. Celle-ci baissa les yeux, surprise, avant d'être déséquilibrée lorsque Lou Ellen ordonna à la racine de tirer d'un mouvement brusque. Médée s'étala à terre dans un cri et le bruit infernal cessa.
Lou Ellen poussa un soupir de soulagement. Elle se releva et recula pour être hors de la portée de Médée, puis se souvint brusquement de la mauvaise posture de Will il y a une minute. Elle le chercha du regard avant de l'apercevoir. Il était renversé sur le dos, son arc gisant dans l'herbe de Colchide à quelques mètres. Il tenait encore le poignard des Dactyles, mais Circé pesait sur lui, sa propre dague au poing. Elle faisait pression de tout son poids tandis qu'il se débattait.
- Will !
Sans y penser, elle appela la Brume et se laissa envelopper. Elle se rappelait vaguement ce que Nico lui avait dit sur le fonctionnement du voyage d'ombre. Elle se souvenait à peu près de la sensation avec Mrs O 'Leary. Elle laissa sa mémoire et son instinct la guider. Elle eut l'impression d'être recouverte d'une couverture humide, puis de traverser un nuage, et enfin de dégringoler dans des montagnes russes. Et elle se déplaça par voyage de Brume : elle ne se tenait plus là où elle avait été, elle était désormais juste derrière Circé. Will écarquilla les yeux.
- Will, maintenant !
En même temps que son ordre, elle attrapa le bras de Circé, celui qui tenait la dague prête à frapper. La magicienne se retourna, perplexe, mais Will n'hésita pas. Il lui plongea le poignard dans la cuisse. Circé hurla.
- Espèce de sang-mêlé ! cracha-t-elle. Les fils d'Apollon sont les pires ! Tu crois que la virilité est une affaire d'hommes ? Attends de voir ce que je vais te faire !
D'un geste brusque, elle se dégagea si fort que Lou Ellen tomba à genoux et projeta sa paume ouverte vers le visage de Will. Celui-ci ferma les yeux par réflexe, mais rien ne se passa. Lou Ellen sentit un rire gonfler dans sa poitrine. Les Dactyles n'avaient pas menti.
- Comment... Qu'est-ce que... ? s'étonna Circé.
- Oh... fit mine de s'ébahir Will. On ne vous a pas dit ? Ce poignard capture les pouvoirs magiques. J'espère que ça ne vous manquera pas tout de suite ?
- Toi ! Je vais te maudire pour l'étern...
Elle n'eut pas le temps de terminer sa menace. Will avait à nouveau frappé. Comme Lacy avec la Propétide, il choisit sa cible avec choix : le cœur. Et contrairement à la fille d'Aphrodite, il avait la précision d'un médecin. La lame s'infiltra sans résistance entre deux côtes. Circé poussa un cri muet, bouche entre-ouverte, puis un filet de sang coula au coin de sa bouche, colorant ses lèvres en rouge cramoisi. Et elle dissout dans l'air, son corps immortel vaincu pour le moment.
Will expira de soulagement, la tête renversée dans l'herbe.
- Bien joué, William, souffla-t-elle.
- Merci... Comment tu... ? Nico !
Il parut se souvenir de son petit ami, toujours évanoui à quelques mètres, et il se remit sur ses pieds à toute vitesse. Lou Ellen le laissa faire. Il pouvait s'occuper de Nico, elle avait encore un ennemi à affronter. Comme en écho à ses pensées, Médée fonçait sur elle à grands pas, le visage déformé par la rage en constatant la défaite de sa deuxième tante et acolyte.
- Finis de jouer, fille d'Hécate ! rugit-elle. Assez de tes tours de passe-passe ! Je suis la petite-fille d'Hélios en personne ! Je vais t'arracher le cœur et le regarder brûler dans les flammes de ces torches !
D'une main, elle désigna la torche renversée juste à côté d'elle et les deux autres encore debout. Si proche, Lou Ellen pouvait percevoir le pouvoir de celle à terre en écho, comme des pulsassions.
- Prends la magie qui te revient, souffla soudain une voix au creux de son oreille.
A moins que ça ne soit dans son esprit.
- Maman ? murmura-t-elle.
- Bats-toi en mon nom, ma fille.
Incertaine, Lou Ellen tendit la main. Médée s'arrêta net.
- Non !
Mais elle ne pouvait plus l'arrêter. Lou Ellen sentit sa paume rentrer en contact avec le socle en fer forgé de la torche. Et le monde explosa derrière ses paupières. Ce fut comme si tout le pouvoir d'Hécate se déversait en elle, courait dans ses veines, saturait son corps... Elle voyait tout. Chaque carrefour. Chaque décision. Chaque possibilité. Elle pouvait sentir les âmes errantes traverser la planète en quête d'une entrée pour les Enfers. Elle entendait les prières de chaque sorcière, chaque être doué de magie... La sensation était vertigineuse. Presque douloureuse. De loin, elle pouvait presque voir sa peau se mettre à fumer, mais elle était trop préoccupée par le reste. Et alors elle se souvint de Médée, toujours devant elle. Médée qui avait perverti le don de Hécate. Le pouvoir accumulé en elle jaillit soudain. Jamais de sa vie elle n'avait jeté un sort si puissant. La magie fusa telle une flèche impossible à arrêter et irradia sur plusieurs mètres avant d'atteindre Médée. Dans une tentative désespérée, celle-ci essaya de dresser un bouclier de Brume face à elle, mais la magie le traversa comme s'il n'était fait que de fumée élémentaire. Médée poussa un rugissement avant de disparaître. Epuisée, Lou Ellen retira sa main et s'effondra à son tour, à peine consciente, mais elle eut la force de chuchoter avant de sombrer :
- Je suis sorcière...
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Et voilà ! Il restera désormais deux chapitres et un épilogue avant la fin !
A lundi prochain ;)
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