Chapitre 2
Un peu troublée par cette rencontre inattendue avec la reine des fées, la princesse Ébène reprit néanmoins la route.
À mesure qu'elle cheminait vers le nord, il faisait de plus en plus froid et sans doute bientôt, ne tarderait-elle pas à croiser la neige. En attendant, le paysage était encore verdoyant et plein de vie. La princesse, assoiffée par son long périple, mit pied à terre au bord d'un ruisseau. S'agenouillant parmi les roseaux, elle approcha son visage de l'eau pour boire et eu un mouvement de recul.Une odeur infecte s'élevait du lit du ruisseau. Des poissons morts flottaient à sa surface ainsi que quantité d'insectes et d'oiseaux.
La jeune fille se redressa et porta son regard courroucé vers l'amont du torrent. Qu'est-ce qui avait pu souiller ainsi cette eau si pure ? Guidant son cheval par la bride, Ébène remonta le cours de la rivière pour en trouver la raison. Après quelques heures,elle arriva près d'une grotte dans laquelle le ruisseau semblait prendre sa source. A l'entrée, la puanteur était insupportable, et la princesse dut s'enrouler le bas du visage dans sa cape pour ne pas suffoquer.
Ce qu'elle découvrit à l'intérieur lui glaça le sang. Un énorme serpent y était lové, au milieu des restes d'animaux qu'il n'avait qu'à moitié dévorés. Le venin suintait de ses crochets acérés et dégoulinait par terre d'où il allait se mélanger aux eaux de la source, la contaminant de son poison.
La princesse empoigna son épée, et provoqua le serpent de la voix et du geste. L'énorme bête se jeta sur elle. Le combat dura longtemps car si le serpent était puissant, la princesse était agile. Enfin lorsque le reptile, ouvrant grand la gueule, se précipita pour l'engouffrer d'un seul coup, la princesse Ébène leva bien haut Cintelante, son épée, et lui transperça la mâchoire jusqu'au cerveau. Elle lui trancha la tête avant de s'évanouir de douleur et de fatigue.
Lorsqu'elle revint à elle, ses vêtements déchirés et brûlés par le venin,elle vit que l'eau de la source jaillissait à nouveau pure et saine. Elle sourit de joie. Le tintement cristallin du ruisseau se transforma soudain en une douce voix qui s'exprima ainsi :
-Princesse, tu m'as débarrassé du poison qui me souillait et rendu ma pureté. Je t'en suis très reconnaissant. Pour te remercier,prends cette fiole pleine de mon eau et quand tu en auras besoin, tu pourras faire appel à moi.
Et une petite bouteille ronde apparut, brillante au milieu de l'eau de la source. Très étonnée, la princesse la mit dans son sac puis reprit la route après avoir remercié le torrent pour son présent inattendu.
La princesse continua son voyage toujours plus vers le Nord. Dans les villages enneigés qu'elle traversait, les habitants commençaient à parler d'un royaume dirigé par une sorcière, au-delà des montagnes infranchissables qui bordaient la région.
Après avoir beaucoup cherché et avoir vainement offert l'or de sa bourse, Ébène finit enfin par trouver un guide qui l'accompagnerait jusqu'au pied de ces montagnes. Mais pas plus loin, car c'était le domaine d'esprits maléfiques qui s'amusaient à provoquer des éboulements sur les voyageurs, et à les perdre en changeant sans cesse les points de repère. Du moins, c'était ce que racontaient les villageois effrayés. De plus, il n'existait ni pistes, nicols, ni passages pour parvenir de l'autre côté. La princesse se mit cependant en route vers les montagnes, accompagnée de son guide,tous deux chaudement emmitouflés dans des pelisses de fourrure.
Puis très vite, l'homme la laissa seule et la princesse se trouva face à la montagne. Prévoyante, elle avait laissé sa monture à l'auberge du village. Elle s'engagea sur un chemin à peine visible et commença à grimper. A chacun de ses pas, des pierres s'éboulaient sous ses pieds, menaçant de la faire tomber. Et bientôt, la neige recouvrit la piste qu'elle suivait. Soulever ses pieds demandait chaque fois un effort plus grand. Ses mains s'égratignaient contre les rochers. Mais elle continuait à avancer avec obstination. Jusqu'à... jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus du tout avancer. La paroi était soudain devenue bien trop escarpée pour elle, pas la moindre prise où elle aurait pu caler son pied ou accrocher sa main. Elle s'assit sur une pierre, brusquement prise parle désespoir. Était-il possible que sa quête s'arrêta ici ?
Le soleil se couchait déjà, teintant la crête des montagnes de rouge et d'or, bientôt il ferait nuit, et elle ne pourrait plus ni revenir en arrière, ni chercher un abri. La princesse regardait fixement le sommet de la montagne, souhaitant ardemment pouvoir s'envoler pour la franchir. Ces pensées n'étaient plus tournées que vers ce seul vœu.
Et ce fut à cet instant qu'Ébène sentit un étrange picotement lui parcourir les bras. Elle constata avec stupéfaction que ceux-ci étaient en train de se recouvrir d'un doux plumage blanc. A leur tour, ses mains furent transformées en de longues plumes soyeuses.Et ce n'est qu'à ce moment précis qu'elle se rappela les paroles de la reine des fées et ce qu'elle signifiait. Elle se souvint enfin de l'histoire que lui racontait sa mère lorsqu'elle était plus jeune.L'histoire des douze sœurs, qui tous les soirs quittaient leur plumage de cygne, reprenant forme humaine pour se baigner dans l'eau d'une cascade. Et comment le prince du royaume, passant par hasard,fut charmé par leur beauté et vola l'un des plumages laissé sur le rivage. L'une des jeunes filles ne put ainsi reprendre son vol avec ses sœurs et resta avec le prince qui l'amena dans son château et la combla d'amour et d'attentions.
C'était bien évidemment l'histoire de ses parents, et il en restait une trace dans les veines de la princesse, tandis qu'elle s'envolait vers le ciel, exultant de joie, grand oiseau blanc étincelant dans le soleil couchant. Ses ailes puissantes lui permirent d'atteindre le sommet enneigé des montagnes qu'elle franchit en se laissant porter par le vent.
Sous elle s'étendait maintenant une région incroyablement verdoyante,où les champs multicolores s'étendaient à perte de vue. Ce royaume si fertile était-il vraiment celui de la Reine Noire ? Après tout ce qu'elle en avait entendu, cela lui semblait difficile à croire.
Le soleil jetait ses derniers feux alors que la princesse toucha la terre, retrouvant sa forme humaine et sa si sombre chevelure. Elle avança sur le chemin de terre, vers le château noir qu'elle avait vu plus loin au sommet de la colline. Ébène croisa sur son chemin plusieurs hommes et femmes qui se hâtaient de rentrer chez eux. Leur attitude était inquiète et la frayeur voilait leur regard lorsqu'ils la voyaient. Plusieurs fois, elle frappa aux portes des chaumières pour demander l'asile pour la nuit mais partout, on refusa de lui ouvrir. Résignée, la princesse s'écarta des chemins pour trouver un refuge dans un sous-bois. Elle y passa une nuit inquiète et inconfortable.
Au petit matin, malgré la fatigue, elle se sentait fin prête à affronter la Reine Noire, aussi reprit-elle la route d'un bon pas.La jeune fille arriva vite à la petite ville qui s'étendait autour de la colline du château. Elle la traversa sans s'attarder,filant droit vers son but avec confiance.
Les gardes aux portes du château, dans leur uniforme d'argent et de jais la laissèrent passer sans un mot. Le seuil sitôt franchit, comme par un étrange sortilège, la princesse se trouva dans une plaine immense battue par les vents. Un peu plus loin se dressait une tour solitaire. Ébène s'avança sans peur et appela d'une voix forte :
-Reine Noire, montrez-vous ! Je suis la princesse Ébène et je viens sauver le prince que vous retenez prisonnier !
Comme si elle n'attendait que ce défi, la Reine Noire apparut soudain à un balcon de la tour et sa voix était pleine d'ironie.
-Sauver ? Sauver ? Naïve princesse, mais qui te dit qu'il veut être sauvé ? Viens donc le lui dire toi-même, mon beau prince.
Et sur un geste de la sorcière, le prince sortit sur le balcon. Il semblait surpris et hésitant.
-C'est très courageux de votre part et je vous en remercie, Princesse Ébène, mais je me trouve très bien ici, et ne désire point m'en aller. Pour votre propre sécurité, vous devriez vite quitter ces terres hostiles.
-Prince ! Réveillez-vous ! Vous avez été ensorcelé ! cria Ébène.
Mais le prince secoua la tête, soudain plus sûr de lui.
-Non, mon souhait le plus cher est de rester dans les Terres du Nord.
-Non, cela ne se peut ! cria encore la princesse. Cette sorcière vous trompe. Sa magie vous inspire des sentiments qui ne sont pas les vôtres ! Je combattrais ses maléfices !
-Vraiment ?
La sorcière semblait très amusée par la situation.
-Mes « maléfices », comme tu dis, ne pourront être brisés que par ma mort et tu ne seras jamais capable de m'atteindre.Mais il n'est pas dit que je refuserais le combat...
La Reine Noire réapparut en bas de la tour. Ébène sortit son épée,et avança sur elle, menaçante. La sorcière fit un grand geste,dressant les bras au ciel, et des flammes brûlantes s'élevèrent du sol, formant un mur infranchissable entre elle-même et la princesse.Épouvantée, Ébène fit un pas en arrière. Mais soudain, comme sans raison, elle sourit et plongea la main dans son sac. Elle en tira la fiole donnée par le torrent.
-O Torrent, s'écria-t-elle, souviens-toi de ta promesse et viens à mon aide car il me faut éteindre ces flammes infernales !
Et lorsqu'elle jeta la fiole au milieu du feu, l'eau s'enfla de manière extraordinaire. Bouillonnant avec rage, elle noya les flammes dans ses remous, n'en laissant que des spirales de fumée.Le feu mourut dans des grésillements d'agonie et Ébène reprit son avancée vers la Reine Noire, triomphante. Celle-ci eu un bref mouvement de stupeur, mais sa confiance en sa magie fut la plus forte.
De nouveau, elle leva les mains et cette fois, la princesse sentit un violent souffle d'air devant son visage. Elle ne pouvait plus faire un seul pas en avant, violemment repoussée par un vent déchaîné.
-Abandonne avant que je décide d'utiliser toute ma puissance ! lança la sorcière sûre de sa victoire.
Mais malgré son apparente défaite, la princesse Ébène ne s'avoua pas vaincue. De nouveau, elle plongea la main dans son sac et en sortit la flûte d'argent du prince. La jeune fille la porta à ses lèvres et commença à jouer quelques notes. En traversant l'instrument,son souffle se teinta d'argent et ses volutes allèrent à la rencontre du mur de vent dressé par la sorcière. Les souffles mêlés s'enroulèrent et dansèrent ensembles faisant résonner encore plus fort la musique jouée par la princesse. La belle structure impénétrable de la protection de la sorcière se brisa et lorsqu'Ébène arrêta de jouer, le vent devenu brise alla s'éparpiller aux quatre coins de la plaine.
Le rictus de triomphe de la Reine se changea en affreuse grimace de colère. Sa fierté refusait de voir ses pouvoirs défensifs tenus en échec par une si jeune fille. Ébène avança encore vers elle,l'épée brandie. Gonflée d'orgueil et de suffisance, une troisième fois, la sorcière leva les bras au ciel et une troisième fois, elle invoqua son pouvoir. Au dernier moment, avant que la princesse ne la rejoigne, le sol frémit et trembla avant de laisser jaillir un mur de roche brune et chaotique.
-Cette fois, tu ne trouveras pas de solution, princesse ! Tu es aussi impuissante qu'un enfant nouveau-né devant moi !
La princesse vacilla sur ses jambes et reçut quelques éclats de pierre sur le visage, pourtant, elle n'avait jamais été aussi confiante.Elle affermit sa prise sur la garde de Cintelante, son épée, et la leva bien haut au-dessus de sa tête. La jeune fille ferma à demi les yeux et évoqua la puissance de son père maniant cette arme et tout son désir de vaincre. Puis elle l'abattit en un seul geste. La lame s'embrasa de lumière et traça un trait éblouissant sur la paroi du mur.
La princesse recula d'un pas. Le mur s'illumina d'une intense clarté et vola en éclats de terre et de roches brisées. Aveuglée, anéantie par cette troisième défaite consécutive, la sorcière resta pétrifiée d'horreur.
Ébène franchit bravement le dernier pas qui la séparait d'elle et lui perça le cœur de sa lame. La Reine Noire s'écroula au sol, raide morte. Son corps disparut en fumée, consumé par la magie qu'elle avait trop utilisée, ne laissant qu'un petit tas de vêtements noirs.
La plaine aride s'évanouit peu à peu, laissant de nouveau place à la cour du château. Sans hésiter, la princesse s'élança dans la tour principale, montant les escaliers quatre à quatre. Elle arriva dans des appartements magnifiques. Aux murs pendaient des tapisseries brodées de fils d'or et d'argent, chaque meuble de bois précieux était sculpté avec une grande délicatesse. Et c'est ici qu'elle trouva le prince. Il n'était pas seul. Sur un fauteuil à ses côtés, sanglotait une jeune fille. Lorsqu'Ébène entra, elle releva la tête, et la princesse put voir ses yeux gonflés de larmes entre ses mèches blondes éparses. Elle se remit à pleurer de plus belle.
-C'est la fille de la Reine Noire, expliqua le prince à mi-voix.
Emmenant Ébène à part, le prince lui narra comment la Reine l'avait effectivement séquestré dans ce château à l'encontre de sa volonté, mais que pendant cette captivité, il s'était épris de la fille de la Reine qu'elle voulait lui faire épouser de force. Ce brusque sentiment avait rompu le sortilège de la sorcière qui le maintenait en son pouvoir. La princesse Ébène fut stupéfaite de cette révélation mais finalement soulagée d'avoir un si bon prétexte pour ne pas épouser le prince. Puis, le jeune homme lui fit part de sa décision de rester dans les Montagnes du Nord pour y gouverner sagement aux côtés de la fille de la Reine.
Ébène resta plusieurs jours au château pour se reposer de son long voyage.Le prince la reçut avec le faste et les égards dus à son rang et même sa blonde fiancée tâcha de lui faire bon accueil. Autour d'elle, chacun voulait l'approcher et la saluer, car pour tout le peuple, elle était celle qui les avait libérés de leur reine cruelle.
Lorsque la princesse Ébène décida de repartir, le prince lui donna une escorte somptueuse, chargée de transporter la montagne d'or, les pierres précieuses, les riches étoffes, les épices rares et les parfums dont il lui faisait cadeau. La moitié était cependant destinée à ses parents, accompagnée d'une invitation à ses noces prochaines.
Après avoir fait ses adieux, Ébène quitta les Montagnes du Nord par un passage dans les montagnes, connu des seuls sujets de la Reine Noire.Un peu vexée de s'être donné tout ce mal pour rien, mais finalement heureuse de son aventure, elle reprit la longue route qu'elle avait déjà empruntée. Et quelques semaines plus tard, au terme d'un voyage sans encombres, elle arrivait aux frontières du royaume des ses parents. Ce fut alors qu'elle vit arriver vers eux un cavalier dans un nuage de poussière. Il arrêta son cheval à leur niveau et reconnut soudain la princesse qui chevauchait en tête de la troupe. Le chevalier dans sa belle armure brillante descendit de sa monture et salua la princesse avec une joie sans égale.
-Princesse Ébène, que je suis heureux de vous retrouver saine et sauve ! Vos parents m'ont demandé de partir à votre recherche, me promettant votre main si je vous retrouvais ! Je suis désormais un homme comblé !
En entendant ses mots, la princesse éclata d'un grand rire incrédule.Elle fit tourner la bride à son cheval et le lança au galop sur un chemin de traverse, toujours riant. Et c'est ainsi qu'elle partit chercher l'aventure, son sourire toujours plus doux qu'une plume de cygne et la détermination dans ses yeux plus sombre que sa chevelure d'ébène.
FIN
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