Camille

Je signe mon chèque et sors du bureau avec une seule image en tête. Ce garçon que j'ai croisé en entrant. Il avait plus le profil d'être un de ces garçon qui passent leurs journées en bas des tours de banlieue. Sa présence m'a étonnée. Je me demande bien ce qu'un garçon comme lui fait ici.

En soi, sa présence dans l'établissement ne me dérange pas. Ça prouve qu'ils ne sont pas tous pareil. Et c'est ce que ma mère et mon frère ne comprennent pas. Mais si je leur en parle je risque de me retrouver sans abri en un rien de temps.

En sortant de l'école je me dirige vers ma voiture et prends la direction du quartier de Elisa, ma femme de ménage. La pauvre est malade et j'ai décidé de lui rendre une petite visite surprise.

Au passage je donnerai à sa fille les chaussures que ma sœur m'avait offertes en sachant très bien que je ne les mettrais pas. Leur couleur m'écœure mais la fille de Elisa en rêve depuis des mois, j'ai donc décidé de lui faire plaisir.

« Camille ?

_ Bonjour Pablo !

_ Tu fais quoi ici ? T'es venue voir ma mère ?

_ Oui. Elle va mieux ?

_ Ça s'améliore. Merci en tout cas merci pour la semaine. Elle en avait besoin.

_ Ce n'est rien. Tant que maman ne sait pas et que Maxime est en vacances elle peut se reposer.

_ Ouai mais préviens aussi quand ils reviennent. J'ai pas envie qu'elle...

_ Ne t'inquiète pas. Si tu veux savoir ils reviennent tous les deux à la fin de la semaine prochaine.

_ Ok et vous vous débrouillez comment ?

_ So' a une amie qui a accepté de venir chez nous. »

J'aime bien Pablo. Il est très soucieux des autres et il ne compte pas quand il s'agit de ceux qu'il aime. C'est un garçon très serviable qui aime répandre la joie et la bonne humeur autour de lui malgré qu'il ne vive pas dans le meilleur des mondes.

Cela me fait penser. Pablo connaît pas mal de monde. Et il est très probable qu'il connaisse le garçon que j'ai croisé dans le bureau de comptabilité de l'école.

« Euh... Pablo ? Est-ce que tu connais un garçon qui est à l'école de stylisme ?

_ L'école de stylisme ? Y a personne ici qui sait que ça existe ! C'est pour les meufs comme toi wesh ! On vit pas dans les beaux quartiers nous !

_ Non non. Ce garçon ne venait pas d'un beau quartier comme tu dis. Bon je monte voir ta mère.

_ Asy je te dis si j'ai des infos.

_ Merci. Au pire ce n'est pas très grave. »

On prend chacun notre chemin. Dans l'ascenseur il y a une fille qui me regarde bizarrement. Elle a les yeux d'un noir à faire fuir les corbeaux. Ses cheveux sont moins foncés et bien attachés en queue de cheval. Je n'ose pas parler de peur de me faire blesser ou agresser. On ne sait jamais avec ce genre de personnes. Et pour encore plus de sécurité je détourne le regard.

« Pourquoi tu baisses les yeux ? Je graille pas ! »

Je ne parle pas la même langue qu'elle mais grâce à Pablo j'ai un lexique de leur langage. Elle ne mange pas. Mais je ne sais pas ce qu'elle est capable de me faire dans cet ascenseur. Je garde donc toujours le silence.

« La moindre des politesses c'est de répondre quand on te parle. Mais je vois que les miss Louboutin parlent pas avec les ghetto youth. Asy ciao ! Et fais gaffe tu risques de pas être bien vue ici. »

J'avais presque oublié le sac de louboutin que j'avais ramené à Katarina, pourtant il est dans ma main depuis que je suis descendue de ma voiture. Maintenant que j'y pense les garçons qui étaient avec Pablo me regardaient bizarrement. Je n'y avais pas fait attention sur le coup mais maintenant j'ai compris la leçon et ferai mieux de cacher les produits de luxe que je ramène la prochaine fois.

« Wesh Camille ! tu fais quoi ?

_ Bonjour Kat. Comment tu vas ?

_ Tranquille et toi ?

_ Très bien merci. Tiens c'est pour toi.

_ Mais non ! Fallait pas !

_ C'est Sophie qui me les a offertes alors qu'elle sait que je n'aime pas ces chaussures.

_ Mais t'es malade ! C'est le rêve de toutes les filles ici d'en avoir.

_ Maintenant tu en as. La semelle rouge m'écœure.

_ Je vois. Trop de chichi de riche en toi.

_ Si tu veux. En attendant où est ta mère ?

_ Dans sa chambre. »

Je passe le reste de mon après-midi avec Elisa. Si ma mère était au courant elle me mettrait à la porte sans hésiter. Elle refuse que je mette les pieds dans ces quartiers. C'est trop dangereux selon elle. Mais Pablo n'est pas dangereux et les garçons avec lui n'ont pas l'air plus agressifs. Personne ne m'a harcelée ou dit quoi que ce soit de déplacé et pourtant je suis venue plusieurs fois auparavant.

Arrivée chez moi j'entre et ferme la porte. J'entends du bruit venant de la cuisine. Je suis donc le son et vois ma sœur regarder quelque chose qui a l'air de la captiver sur son ordinateur.

« So ? »

Elle sursaute avant de se précipiter sur son écran et le baisser. Elle doit cacher quelque chose. Mais je n'y prête pas attention puisqu'autre chose a retenu mon attention. Une assiette était posée sur la table derrière l'ordinateur de Sophie.

« Tu étais où ?

_ Chez Elisa. Et cette assiette elle sort d'où ?

_ C'est S... euh... mon amie qui est venue remplacer Elisa qui l'a ramenée avec elle.

_ Hm.... »

Elle n'est pas normale aujourd'hui. Même le nom de son amie elle n'a jamais voulu me le dire. Son comportement est anormal depuis un certain temps. Elle cache beaucoup trop de choses. A maman je comprends mais à Gabriel et moi c'est étonnant.

En parlant de mon grand frère cela fait une semaine que je n'ai pas de ses nouvelles et il me manque énormément. Le fait qu'il soit allé aux Etats-Unis une fois son diplôme d'ingénieur architecte décroché a mis une certaine distance entre nous. Mais ça ne nous empêche pas d'avoir des conversations des heures durant sur Skype. Grâce à la dizaine d'années qui nous séparent, il représente la figure paternelle que je n'ai jamais eue. Et cette relation nous a permis une complicité que je n'ai ni avec Maxime ni même avec Sophie. Pourtant tout le monde sait que je suis quasi fusionnelle avec ma sœur, bien que ce soit en train de changer pour je ne sais quelle raison.