Chapitre 15
Meqdad
Il est 1h30 du matin et je suis en train de bosser sur un truc pour le taff. Tout le monde dort chez moi sauf Narjess qui prépare ses concours blancs. J'ai un creux donc je vais chercher un truc dans la cuisine et vais en proposer à ma sœur. Quand j'arrive dans sa chambre je souris à la vue devant moi. Elle dort sur ses cours. Ça me rend fier ça. Elle a sacrifié son sommeil pour travailler et ramener des notes et un diplôme. Je la réveille et lui demande d'aller dans son lit. Buthayna elle dort à point fermé. Mes sœurs c'est mes diamants. Pour rien au monde je les échangerai ou je les laisserai.
Après être sûr qu'elle dort dans son lit et éteint la lumière je repars dans le salon. Je vois le voyant de mon téléphone clignoter. Je check et vois un appel et un message de Camille et c'est vraiment pas le moment. Mais j'ai bien posé mes conditions et elle a l'habitude de suivre à la lettre ce que j'ai dit. A moins qu'elle ait pris la confiance et qu'elle m'appelle juste comme ça. Je décide de lire le message avant.
« Tu dors ? »
Un simple truc. Je lui réponds que oui et que je suis somnambule. Elle me demande si elle peut m'appeler en disant que c'est urgent. Je lui dis d'attendre avant de sortir et monter sur le toit. Je l'appelle pas tout de suite. J'observe la cité. C'est un truc de dingue de voir que même quand y a rien à faire et que, même quand les lampadaires sont en panne un soir de nouvelle lune, y a encore des gens qui sortent et font un tas de trucs. Pas juste des trafics et des trucs pas bons à savoir. Y a aussi des gens qui rentrent de chez leurs potes ou famille, des autres qui sortent d'une salle des fêtes après s'être amusés au mariage d'un proche ou avoir accueilli un nouvel être au monde.
Et puis y a moi. Je sors jamais à cette heure sauf quand je vais chez Jalal ou Karim. Mais je dois dire que ça fait du bien. Je repense aussi à ma vie au Yémen. Comment elle était et surtout comment elle serait qi j'étais toujours là-bas. Je serais surement un pro des armes et à l'heure qu'il est je serais en train de tuer de sang-froid. C'est dans ces moments que je remercie le Planificateur de m'avoir fait quitter mon pays natal même si ça me manque. Les armes c'est ce que je déteste le plus au monde. Ça tue sans souffrance. C'est un moyen de faibles et surtout de cons, de gens qui savent pas utiliser leur cerveau. Perso mon arme à moi c'est mon silence et mon regard. On peut faire passer beaucoup plus d'infos avec ces deux moyens qu'avec une mitrailleuse. La condition c'est qu'il faut qu'en face il faut avoir une personne assez intelligente pour comprendre ou assez conne pour avoir peur et ne plus recommencer la connerie. Mais ça sous-entend une deuxième chance que certains ne méritent pas.
Je pense aussi à mon grand-père qui me manque de ouf. Quand j'étais gosse je me séparais jamais de lui. C'était mon deuxième père. Si j'avais besoin d'aide c'était vers lui que je me tournais. Si je voulais parler c'était à lui que je le faisais. Même aujourd'hui si il était avec moi il aurait su tout ce qui se passe dans ma vie. Camille aussi il la connaitrait sans la connaitre. Je l'entends d'ici me dire de faire attention à ce que je fais. Je peux le voir me regarder du coin de l'œil en me voyant sortir à presque 2h du matin. Si mon grand-père il était là ma vie elle serait mille fois plus simple. Mais rien n'est simple dans la vie et les « si » emmènent le diable et c'est vraiment pas ce qui me manque en ce moment.
Je passe mes mains sur mon visage avant de souffler et déglutir la boule qui s'est formée dans ma gorge en pensant à mon grand-père. Je prends mon tel et appelle Camille avant que Mademoiselle ne se frustre. Elle a surement pas réussi à dormir. Pourtant je lui ai envoyé un passage hier et ça avait l'air de marcher. Je vois pas pourquoi elle a pas écouté.
« Allo ? »
Sa voix elle est bizarre. Comme si elle a pleuré ou quoi. Je fronce les sourcils en essayant de rien faire paraitre dans ma voix.
« Tu dors ?
_ Oui et je suis somnambule.
_ On est deux alors. »
Elle veut jouer à celle qui copie. On jouera à deux. Elle rigole et se tait.
Je sais pas dans quoi je plonge mais j'aime pas laisser les gens autour de moi en détresse. Quand quelqu'un a besoin de moi je peux pas dire non. Et là clairement Camille elle a besoin de moi.
« Bon tu m'as pas appelé pour voir si je dormais si ?
_ Non...
_ Donc ?
_ Je... Je sais pas par où commencer.
_ Termine avant de commencer alors. Va droit au but. Tu sais que j'aime pas tourner...
_ C'est pas ça ! comprends moi un peu s'il te plait.
_ Bah parle alors ! »
Elle souffle et prend une grande inspiration mais se tait. Moi je parle pas. C'est à elle de le faire. Pendant qu'elle est silencieuse, je me remets en question. Je suis conscient que ce que je fais ça va plus me porter préjudice qu'autre chose mais c'est plus fort que moi. Je vois toujours mon grand-père secouer la tête pour désapprouver mais je bouge toujours pas.
C'est au bout de 2 bonnes minutes que la Miss se décide à ouvrir la bouche. Elle pose des questions inutiles avant de me raconter sa vie. C'est en entendant ça de leur bouche que tu te rends compte que malgré l'argent, malgré le fait qu'ils manquent de rien, ils sont pas heureux. Nous ici on galère à boucler les mois et on les envie d'être proprio alors que notre loyer il coute plus que nos salaires. On se plaint de pas pouvoir s'acheter ce qu'on veut. Mais le bonheur, le vrai, il s'achète pas. C'est le Créateur qui le donne. Si t'es privé de l'amour d'une mère et de l'encadrement d'un père, t'es privé du bonheur pendant au moins une partie de ta vie. C'est pour ça que je remercie le Tout Miséricordieux au moins une centaine de fois en une journée. C'est pour ça que mon rêve c'est d'ouvrir un orphelinat. Parce que je parle des gens privés de l'amour de leurs parents mais eux ils sont privés des parents et de l'amour des parents.
Le truc qui m'a le plus choqué dans tout ce qu'elle a dit c'est qu'elle appelle la mère à Pablo « maman » devant sa mère. J'ai bloqué pendant 3 minutes. Perso je pourrais pas appeler quelqu'un d'autre mama. Baba je l'ai fait mais c'était une exception. Mon grand-père je l'appelle baba. Mais c'est tout. Remplacer mes parents c'est impensable pour moi. Et surtout de la façon dont elle me l'a dit c'est carrément du surnaturel !
Elle pleure je la calme un peu et je lui dis de dormir parce qu'il est tard. La princesse elle est pas de cet avis et elle veut en savoir un peu plus sur moi. Elle dit que c'est pas juste que je sache des trucs sur sa vie et qu'elle ignore tout de moi. Donc je lui donne les infos qu'elle veut savoir sans rentrer dans les détails.
« Et... est-ce que... tu as une personne préférée ? Enfin... une personne avec qui tu aimes passer beaucoup de temps. Plus que les autres ? »
J'ai beugué. Pas que j'hésite, parce que y a pas photo ici la réponse je l'ai et je l'ai toujours eue. Mais pourquoi elle me demande ça ? Et surtout est-ce que je suis obligé de lui répondre ?
« Allo ? »
Elle m'a ramenée à la réalité. Je lève la tête et déglutit avant de lui répondre. J'ai la voix qui casse à cause de la boule que j'ai à la gorge.
« Meqdad ça va ? Je... Je suis désolée... Je n'aurais...
_ Non tranquille. Ça m'a juste fait penser à un truc. Vas-y tu dois dormir maintenant.
_ Je ne peux pas. En fait...
_ C'est pour ça que tu m'as appelé. Tu veux que je récite. C'est ça ?
_ O...
_ Vas-y tu veux que je récite quoi ?
_ Je... »
Je rigole. Je crois trop que c'est Narjess ou Buthayna. Elles ont des passages qu'elles préfèrent et des passages à apprendre donc voilà. Mais elle, elle sait à peine de quoi je parle. Elle sait même pas ce que c'est.
« Attends. »
Je l'entends bouger et elle me dit que c'est bon. Donc je récite et même pas deux minutes après elle s'est endormie. Elle me fait rire. Elle a trop des manières de princesse et j'aime pas. Mais quand je suis avec elle, elle fait jamais ses caprices. C'est juste maintenant elle a pris la confiance et elle se montre un peu plus. Et encore, elle beug trop.
Je reste encore un peu sur le toit en pensant à mon grand-père. Il me manque de fou. Je plonge dans mes pensées et me noie dans mes larmes tout en appréciant le vent frais du mois de février qui claque sur mes joues.
Camille
« Sors »
Et il raccroche. Il aime trop faire ça. Le pire c'est qu'il sait que je n'aime pas mais on dirait que ça lui fait plaisir. Je lui envoie donc un message avant de me diriger vers la bibliothèque. Monsieur Alomari n'est pas du même avis donc il vient me chercher. Il sait que je n'ai pas cours et en profite pour me faire sortir dans ce froid de canard.
« Qu'est-ce qu'il y a ?
_ Y a que je dois te présenter quelqu'un.
_ Qui ?
_ Tu verras viens. »
Je souffle et le suis. Il m'énerve à faire le garçon autoritaire. Au début il me faisait peur mais maintenant il m'exaspère. Monsieur n'en fait toujours qu'à sa tête et quand j'ose refuser c'est lui que se met en colère. Point positif dans tout ça c'est qu'il garde ses distances, et je l'en remercie pour ça.
On sort de l'institut et il se dirige vers le café où il m'a fait manger la dernière fois. On entre et je le suis jusqu'à une table où un homme habillé d'une longue robe blanche était déjà installé. Je m'arrête et appelle Meqdad. Il se retourne, sourit et me demande de le suivre sans avoir peur. Je le suis sans grande conviction. Seulement pour ne pas contrarier Monsieur. Il s'assoie sur la chaise à côté de l'homme et je prends place en face sans lever la tête. J'entends des rires mais n'ose toujours pas lever la tête.
« J'arrête de jouer. Lève la tête petite sœur. »
En entendant sa voix je lève directement la tête. L'homme à la robe n'est autre que mon grand frère. Je les regarde tous les deux en ouvrant grand les yeux.
« Maintenant t'as plus besoin de m'appeler à 2h du mat' si t'arrives pas à dormir. »
Quand j'ai lu le message, j'ai directement tourné la tête vers lui.
« Calme. C'est pas mon idée au départ. Je l'ai juste croisé à la mosquée. »
Je reste muette tandis que Meqdad se lève en me demandant ma commande. Sans réponse de ma part, il s'en va.
Les questions se bousculent dans ma tête mais aucun son ne sort de ma bouche. J'observe mon frère sans oser bouger. Lui est tout souriant et semble soulagé. Il ouvre la bouche et parle mais je suis toujours un trans. Il me sort de mon état secondaire en claquant des doigts sous mes yeux. Je secoue la tête pour revenir à la réalité et lui fais signe quand je me sens prête à l'écouter. Il me raconte son histoire et je ne peux m'empêcher de penser à ma sœur. Je suis maintenant sûre que Sophie a fugué pour la même raison. Les disputes avec maman, Gab qui la défend et ne veut rien dire, maman qui ne s'en soucie pas. Enfin tout me ramène à cette conclusion.
J'allais demander après elle quand Meqdad arrive avec un plateau et son collègue. Il me tend le plateau et va pour reprendre sa place quand il voit que Karim s'est déjà installé. Ce dernier lance un sourire à son ami qui lui lance son éternel regard noir. Il vient ensuite s'installer à mes côtés sans me jeter un seul regard. Je jette alors un œil à mon plateau et vois une tartelette aux fraises avec un verre de capuccino. Je le regarde avec de gros yeux. Comment sait-il que j'allais commander ça ?
« Calme. C'est ton frère qui me l'a dit. J'allais pas inventer. »
Je ne dis toujours rien, ce qui m'a valu une remarque de Karim. Ce garçon n'a rien à voir avec son ami. Il est plus bavard et plus enjoué. Il discute avec mon frère alors que Meqdad et moi restons silencieux. Je veux lui demander beaucoup de choses mais je n'ose pas. Je m'apprête donc à partir mais il me retient.
« Tu pars où ?
_ Je... En c...
_ Je crois que t'oublies que j'ai accès à ton emploi du temps.
_ Mais... »
J'avais oublié ce détail. C'est frustrant de le voir me donner des ordres sans que je puisse lui tenir tête. Je décide de le faire aujourd'hui. Sans lui parler, ni dire quoi que ce soit à qui que ce soit, je m'habille, prends mon sac et sors. C'est trop pour moi. Je vais m'asseoir sur un banc plus loin et laisse mes larmes couler dans mes mains.
Au bout d'un certain temps, je sens une présence à mes côtés. La personne me tend quelque chose. Je ne réagis pas tout de suite mais quand je vois que la personne insiste, je lève la tête pour découvrir Meqdad avec un sachet à la main.
« Prend ça. J'ai pas payé pour rien. »
Il pose le sac et s'en va. Je souris, prends le sac et me dirige vers l'institut.
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