75 Le Tombeau de Benito
Je gare ma voiture devant la grande demeure en pierre dont le lierre commence à recouvrir les murs. Elle semble ancienne, comme ayant traversé les décennies pour nous contempler du haut de tout son âge. Mais l'âge ne fait que saper les fondations... malgré toute sa condescendance, cette vieille demeure est fragile; quelques coups de bulldozer et elle s'effondrera.
Il en va de même pour la mafia. Construite pendant des dizaines d'année, basée sur un système solide et sur de grandes rentrées d'argent, elle a fini par prendre de haut le monde entier.
Jusqu'à l'arrivée de Cheshire.
Cheshire est à la mafia ce que le bulldozer est à la maison. Son assassin.
La nuit est désormais tombée depuis longtemps. La lune éclaire la demeure de sa lumière pâlotte, et le silence de la nuit n'est brisé que par le bruit du vent dans les feuilles. Cheshire a marqué son entrée. Les deux vigiles à l'entrée de la propriété sont empalés sur les pointes de la grille. Je me demande même comment elle a réussi l'exploit des les foutre là haut, malgré leur carrure impressionnante.
La demeure dans laquelle les Falconi se sont réunis est grande, un peu à l'écart du monde, dans le 4e, perdue au milieu d'un immense parc que j'ai traversé en voiture, sur le chemin en gravier, depuis le portail. Maintenant, je me trouve devant la grande maison, où de nombreuses voitures, certaines luxueuses, sont garées, immobiles dans le silence de la nuit, attendant leurs propriétaires qui ne reviendront peut être jamais. Un jet crache une eau transparente dans la fontaine au milieu du bosquet marquant le centre de la petite place de gravier, devant la maison. Tout à l'air calme et en paix. Mais je sais que ce n'est que le calme après la tempête. Car, si on fait bien attention, il devient évident que la tempête est passée.
Sur le parvis de la maison, trainent les cadavres de deux majordomes bien habillés. L'eau de la fontaine est rougie par le corps d'un garde, percé par un couteau dont la garde est encore visible dans son dos. Cheshire semble être entrée en grande pompes. Comme à son habitude... reste à savoir si cette mauvaise habitude n'a pas eu raison d'elle avant qu'elle ne puisse accomplir sa tâche.
Je monte gravement les marches d'escalier en pierre, veillant à ne pas marcher sur le sang des deux employés, et je pénètre par la porte ouverte. De part et d'autre du hall d'entrée, se trouvent deux salles réduites en charpie, visiblement par deux explosions. Les cadavres déchiquetés de gardes du corps et sous fifre baignent dans leur sang... des impacts de balle marquent le sol, et nous les murs, ce qui semble montré que des survivants ont été abattus, déjà au sol. J'avance dans le couloir. Un silence de mort règne dans la grande demeure.
Je débouche sur un grand hall. Les corps qui s'y trouvent sont ceux de malheureuses victimes collatérales. Des serveurs, dont les plateaux portant des coupes de champagnes ou des petits fours se sont renversés au sol quand ils ont rencontré la mort. Des femmes peu habillées, probablement appelées par les chefs de clan pour satisfaire certains besoins primaires, ont une expression figée d'horreur, alors que leur maquillage a coulé pendant qu'elles pleuraient en se vidant de leur sang. L'immense escalier menant à l'étage et jonché de corps, leur sang invisible sur le tapis rouge; mais en gravissant les marches, je sens la texture du liquide sous chacune de mes semelles. Le premier étage devait être celui où avait lieu la réunion de chefs. Miroirs brisés, impacts de balles, tables renversées marquent la violence du choc.
Et le nombre de cadavre marque l'unilatéralité du combat qui a eu lieu. J'ignore si la surprise était trop grande, si l'attaque était trop soudaine; si dans leur confiance aveugle en leur plan, ils se sont trop désarmés, ou s'ils ont cru que le nombre suffirait à venir à bout de cette intruse.
Je ne sais pas.
Les murs noircis montrent que quelques grenades ont explosé, ici aussi. La grande salle est jonchée des débris des chandeliers qui ont éclatés, mais également de douilles déjà refroidissantes. Aucun corps ne bouge. Tous ont la gorge tranchée; la plupart devait déjà être morts quand cela a été fait. Cheshire est folle, mais également terriblement méthodique. Aucun des habitants des lieux n'a eu la moindre chance de s'en sortir, même en se faisant passer pour mort.
Un odeur terrible de cigare et de cigarette traine dans l'air, se mélangeant aux doux parfums de l'alcool, des petits plats préparés en cuisine, du sang et de la poudre. C'est une harmonie toute particulière et unique, ayant une dimension presque... sépulcrale. J'ai l'impression d'entrer dans un tombeau, pour reprendre les mots de Casanova. Un tombeau dans lequel se trouvent les corps de ceux qui, dans leur orgueil, ont sous estimé la menace qui pesait sur leur propre vie.
Devant moi, git l'intégralité de la famille Falconi, ainsi que ses principaux lieutenants. Une famille, ayant reprit le flambeau de ses prédécesseurs, avec une volonté d'expansionnisme. Une famille qui fut capable de tenir tête aux Sforza, à la tête de la plus grande partie de la ville depuis tant d'années, malgré une infériorité numérique écrasante au départ. Mais leur tactique agressive, leurs méthodes retorses et risquées, leur ont permis de renverser la balance; prise du commissariat, utilisation de Cheshire, assassinat de nombreux membres des Sforza, plan visant à discréditer ces derniers, impliquant Marie et son ex compagnon, Nico... mais malheureusement pour eux, c'est leur propre violence qui est venue à bout d'eux.
Cheshire.
Le monstre qu'ils ont eux même fait sortir de la fosse où elle avait été enfermée à tout jamais. Ils ont tenté de dompter le diable; il a d'abord joué avec eux, avant de se libérer de sa laisse. Et maintenant, ils gisent dans une mare de sang, de leur sang, versé par leur propre créature. Quelle ironie.
Au milieu de la grande table, sur un plateau doré, trône une tête. Bien que ne l'ayant jamais vu en personne, je sais déjà à qui elle appartient. Benito Falconi, le chef du clan. Celui qui a mis fin à la paix relative d'Ilica pour satisfaire ses rêves de grandeur et de pouvoir. Et qui y a perdu la vie, et la tête, tout comme Sigurdsson avant lui.
Alors, tout comme avec Sigurdsson, je saisis cette tête par les cheveux, et shoote dedans, vers les escaliers. Je l'entends retomber dans un bruit immonde. J'ai bien peur d'arriver un peu tard pour apporter une autre contribution que celle ci à la vengeance de la mort d'Ambre.
Je traverse la grande salle; la baie vitrée, éclatée en morceaux, est ouverte sur un long balcon en pierre longeant tout le premier étage. On y a une vue magnifique sur le parc, et, en contrebas, un grand bassin agrémenté d'une fontaine chantonne. Une silhouette se tient debout contre la rambarde, observant la lune lointaine et muette.
Je souris légèrement.
-Tu as mis du temps. Me dit Cheshire sans se retourner.
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