20 Diane
-Mon mari m'a toujours beaucoup parlé de vous, Shi.
-En bien ou en mal?
Elle rit légèrement, mais ce rire est étouffé par son chagrin. Je pense.
-Les deux. Il rentrait souvent en pestant contre vous et vos mauvaises habitudes, il râlait sur le fait que vous lui en faisiez voir de toutes les couleurs et que vos... assassinats étaient d'une originalité déconcertante. Il m'a dit une fois que vous devriez être réalisatrice ou metteuse en scène plutôt que tueuse à gage.
-Je suis une artiste, et le cinéma ou le théâtre ne m'intéressent pas.
-Cela vous apporterait pourtant moins d'ennuis.
-Ainsi qu'une vie plate et ennuyeuse à Sanare, au milieu des vieux réalisateurs prédateurs et des acteurs sous coke.
-C'est un point de vue.
Je ris en me rappelant d'une discussion avec le commissaire où cette même phrase était sortie. Mon cœur se serre à nouveau. Putain que c'est désagréable! Pourquoi je me sens comme ça! Roseline me jette un regard intrigué en me voyant m'agiter sur le siège passager, mais ne dit rien. Nous roulons en silence jusqu'à une banlieue pavillonnaire toute proche. La voiture se gare devant une petite maison très banale, entourée d'un petit jardin bien entretenu contenant même un nain de jardin.
Un putain.
De nain de jardin.
J'ai toujours su que le vieux avait un nain de jardin. Son air bonhomme me poussait à le croire. Je me souviens lui avoir même demandé, une fois. Je crois que c'était une discussion du type.
"T'es qu'une gamine idiote, Shi! Tu n'as aucune idée des choses que tu fais!"
"Parles pour toi le vieux! T'es tellement déconnecté des choses, je suis sûr que t'as même un putain de nain de jardin et que t'imagine que c'est la classe!"
Ou un truc du genre.
-Entrez, Shi, je vous en prie.
-Tu peux me tutoyer, tu sais. Dis-je.
Elle rit.
-Mon mari avait raison, tu n'as aucune manière! Assis toi là.
La maison est... eh bien, aussi banale dedans que dehors. Une typical "maison de vieux" du 3e, avec l'odeur de bouffe et les vieux meubles couverts de photos. Des photos du vieux, de sa femme, et d'une jeune fille.
-C'est votre gosse? Dis-je en pointant un cadre proche, posé contre un vase empli de fleurs colorées.
Le visage de Roseline se marqua d'une expression de mélancolie.
-Oui, c'est notre fille. Elle s'appelle Diane. C'est... notre bijou, notre pierre précieuse. C'est pour elle que mon mari était si impliqué avec toi, Shi. Il avait peur que... tu finisse comme elle.
-Elle a pas l'air si dangereuse ou mal en point sur ces photos. Dis-je en me levant pour observer le cadre.
Diane est une belle jeune fille qui devait être un peu plus jeune que moi sur la photo que j'observe, mais le cliché date. Roseline et le commissaire y semblent plus jeunes. Elle a des cheveux d'un beau blond, longs et cascadant sur ses épaules et sur une partie de son visage, vu qu'elle a une imposante mèche. Ses yeux sont bleus et pétillants, un grand sourire franc et direct, marqué par des fossettes qui embellissent son visage.
-Canon...
Roseline ricane.
-Elle n'est pas intéressée par les femmes. Dit-elle simplement.
-Ça ne m'a jamais arrêtée, tu sais. Qu'est ce qu'elle a de si terrible, cette gamine? Enfin, elle est plus âgée que moi, je crois...
-Disons qu'elle a mal tourné... elle a rencontré un homme, un homme dangereux, elle qui était si joyeuse et innocente. Elle en est tombée follement amoureuse. Elle le suivait dans tout ce qu'il faisait, même ce qui était illégal, malgré tout ce que nous lui disions. Nous avons très vite coupé les ponts, son père policier ne pouvait supporter ce petit ami. Il a ruiné son innocence, mais elle l'a adouci en échange. Il se peut que cette relation ai été bénéfique en un sens, même si mon mari ne l'a jamais accepté.
-Et que pense-t-elle de la mort de son père? Tu lui en as parlé?
Elle sourit tristement et se lève pour ouvrir une porte fenêtre menant sur le jardin, en me faisant signe de la suivre.
-On va où?
-Je ne lui ai pas encore annoncé la nouvelle. Je vais le faire maintenant.
-Et je dois venir?
-Pourquoi pas?
On traverse le petit jardin, et je me demande ou cette femme m'emmène. Peut être que je devrais être plus prudente... puis elle s'arrête soudain, et mon regard se perd sur le nain de jardin auquel elle fait face. Je m'apprête à dire quelque chose quand mes yeux glissent sur une petite plaque au sol, devant le nain.
Une plaque commémorative.
-Bonjour, Diane. Commence Roseline.
-Attends attends, Roseline, tu veux dire que Diane est morte???
Elle me jette un regard embué.
-Elle vivra toujours dans mon cœur. Tout comme son père, maintenant.
-Il s'est passé quoi?
-Diane... avait réussi à changer son petit ami. Il était décidé à se caser pour elle et à oublier son passé criminel. Il a accepté un dernier boulot, mais c'était une mission très dangereuse. La mafia n'aime pas vraiment voir un des leurs quitter le bateau avec tous leurs secrets. Diane a choisi de l'accompagner. Il sont morts ensemble.
Sa voix se brise sur ces dernières paroles. Je suis incapable de ressentir la moindre empathie, et pourtant je lui passe la main dans le dos pour la consoler. Désormais, elle est seule, elle aussi. Comme moi.
-Quand mon mari t'as rencontrée... il a revu notre petite fille. Pourtant, tu n'a rien à voir avec elle. Tu es violente, tu as un passé criminel déjà écrit, tu es bien plus jeune et tu ne lui ressemble en rien physiquement. Mais je pense que... c'était sa manière de se racheter pour avoir abandonné sa fille. Il s'est toujours senti coupable de son décès, d'avoir coupé les ponts au lieu d'aider son couple. En tentant de t'aider, de te sortir de cette violence, et en restant présent pour toi malgré tes actes...
-Je comprends.
Je pense au commissaire. Et à Marie. Une femme innocente qui se retrouve forcée à cohabiter avec un monstre. Tout cela ressemble beaucoup trop à l'histoire de Diane pour n'être qu'une coïncidence. Mais que voulais tu montrer, le vieux? Que cherchais tu à me prouver et à te prouver? Que dans tous les cas, l'histoire se solde par la mort? Ou qu'au contraire, cela peut changer? J'aurais aimé te le demander, mais tu es parti. Mais je ressens une chaleur toute particulière en comprenant que j'étais importante pour toi, le vieux.
Car tu l'étais aussi pour moi. Et je vais tirer toute cette affaire au clair.
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