Partie sans lui
"Tout ça est parti d'une lettre. Une simple lettre et puis... Tout s'est écroulé. C'est ce qu'il y a dedans, qui a fait couler les larmes sur son visage crispé par la douleur. Elle ne s'est pas fait d'illusions. Évidement, ce n'est pas marqué noir sur blanc. Non... Sinon ça serait trop... Trop quoi d'ailleurs ?Triste ? Officiel ? Définitif ? Ouais, c'est pas mal ça, définitif. Ils ne l'ont pas noté comme ça, évidement. Mais sa tristesse est la même. Elle pleure, à moitié cachée derrière ses cheveux blonds en bataille. Les cernes sous ses yeux sont noires, symbole de l'enfer qu'elle vit depuis qu'il est parti. Souvenir, marque laissée par les nuits blanches où, inquiétée par le silence, elle tournait en rond, cherchant désespérément le sommeil qui, lui, s'obstinait à fuir. A la fuir. Comme lui. Elle sait qu'il n'a pas choisi tout ça, mais quand même. Elle lui en veut. Elle lui en veut parce qu'elle a besoin de lui. De l'avoir à ses côtés, en chaire et en os, comme dirait la grand-mère. Pas seulement sur une vieille photo de mariage, pliée en quatre dans son porte-monnaie. Elle lui en veut, d'avoir choisit ce métier-là. Il aurait pu faire tellement d'autres choses. Boulanger, maraîcher, cordonnier. Facteur. C'était bien ça, facteur ! Ça te fait voir le monde, c'métier là. Tu voyages sur ta bicyclette, tu rencontres des gens. Tu parles, tu ris, tu bois café sur café. ''Vous en r'prendrez bien un p'tit voyons !'' Ouais, il aurait pu faire ça. Il aurait dû faire ça, comme il se l'était promis enfant, les yeux pleins d'étoiles. Il voulait pas faire comme son père, il avait dit. Il voulait avoir une grande et belle famille. Bah tiens ! Voyez où ça l'a mené. Il a fait pareil, l'gamin. Et puis, il l'a laissée, sa p'tite femme aux cheveux blonds comme les blés. Il l'a laissée sur le carreau, comme on dit chez nous. Il est partit. Et puis elle l'a attendu. Oh que oui, elle l'a attendu. Elle a guetté son retour, chaque soir, les avant bras posés sur le bord de la fenêtre. Elle l'a attendu, fidèle au poste. Elle a plus d'ongles même, à force de les ronger, inquiète chaque fois qu'il quittait la maison.
Mais là, aujourd'hui, elle sait que c'est fini. Il ne reviendra plus, son homme. Alors elle pleure, elle pleure parce qu'elle sait qu'il va falloir qu'elle travaille dur, qu'elle travaille tard, pour subvenir aux besoins. Elle va devoir bosser comme une folle, malgré son ventre qui s'arrondit. Il y a quelqu'un là-d'dans, elle en est persuadée. Il lui a laissé un souvenir dont il ignore l'existence.
Elle pleure, la pauvre dame. Elle pleure, mais elle sait qu'elle ne doit pas rester là. Elle ne peut pas, sinon elle se laissera mourir de chagrin. Elle doit oublier, passer par dessus et regarder l'horizon sereinement. Et, quand son ventre sera de nouveau plat, elle avisera. Elle dira, elle brodera autour de la vérité. ''Il est parti, il reviendra pas, il ne veut pas'', elle dira. Elle n'expliquera pas tout. Elle ne confiera pas l'angoisse à chaque fois, la peur qui prend tout le corps, les pleurs, l'attente désespérée. Non, ça, elle le gardera enfoui en elle. Elle le recouvrira de sourires, de cris et de rires, jusqu'à l'oublier totalement. Elle ne veut pas se souvenir de la vérité. Elle n'est pas assez forte pour ça. Alors, c'est décidé, elle part.
Elle prend ses affaires, elle s'en retourne chez sa mère. Elle retourne là où tout à commencé. Voilà, les valises dans le coffre, les économies dans le vide-poche, et la clef sur le contact. Elle sait conduire, il a bien fallu apprendre, puisqu'il n'était plus là. Elle chasse ses idées d'un signe de tête, efface les dernières larmes du bout des doigts. Le moteur ronronne, elle appuie sur l'embrayage, passe la vitesse. Ça y est, elle est partie. Elle s'enfuit, elle veut retrouver sa liberté. Oublier, tout oublier, ne penser qu'au futur. Ouais, casser les rétroviseurs, et avancer. Elle roule dans la campagne, les fenêtres ouvertes. Elle sent le vent jouer avec ses cheveux. Elle sourit, se laisse guider par ses souvenirs. La dernière fois qu'elle a pris c'te route, c'était après la nuit de noces. Elle était heureuse et, dans l'autre sens, elle essaie de l'être aussi. Elle remonte le temps, la jeune fille redevient môme. L'air d'été a un parfum de liberté fleurie. Elle inspire à pleins poumons cet air pur. Puis se met à rire. Elle rit, et le son de sa voix sort par les fenêtres, envoûtant. Lorsqu'elle en a assez de rire, elle fredonne. Une vieille chanson dont elle a oublié les paroles. Elle tape sur le volant, suivant le rythme de la mélodie que lui chantait sa mère pour l'endormir, enfant. Ses lèvres bougent légèrement, sa gorge vibre, et elle replonge dans ses souvenirs. Des souvenirs ornés de jupes à froufrous et de fleurs multicolores. D'odeurs de pain chaud et de tarte aux pommes qui sort du four.
Elle retourne là où d'où elle vient. Elle ne parlera pas de ce qu'il s'est passé. Elle ne dira rien. Juste ''j'ai préféré revenir''. Elle veut renouer avec ce qu'elle a connu avant. Prendre un nouveau départ. Faire un bond dans le passé pour créer un nouveau futur.
Elle roule. Elle roule, les fenêtres ouvertes, et ses soucis s'envolent dans le vent. Elle veut se réinventer, elle veut changer. Elle veut tout effacer pour tout recommencer.
Elle se promet d'oublier qu'un simple mot vient de tout bouleverser.
Disparu."
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