Au delà des Ombres
( texte fait à l'occasion des joutes wattpadiennes, re upload)
Ils me disaient fou. Un schizophrène selon les médecins. Depuis deux ans, j'étais interné dans cette chambre. Aucun signe de guérison entre tous les médicaments abrutissants qu'ils me donnaient. Mes parents ne me rendaient plus souvent visite. Tant mieux. Quand ils étaient là, j'avais envie de hurler. Je l'avais déjà fait. Je regardais ces sortes de fantômes derrière eux. Les orbites vides, le corps en fumée.
Ils avaient tous cet esprit derrière eux. Tous.
Ils me fixaient, je le savais. Ils murmuraient des mots, incompréhensibles à l'oreille mais gravés dans mon esprit.
Libère-nous.
Incapable de ne pas l'entendre lorsque l'un d'eux était dans la même pièce que moi. Je me bouchais les oreilles, mais le message tournait en boucle.
À force, j'ai compris qu'ils étaient les Ombres des gens.
Ils existent. Mais personne ne s'en rend compte. Personne ne me croyait.
J'ai arrêté d'essayer. D'espérer qu'ils me croient un jour.
Au fond, je songeais qu'ils avaient raison. J'étais fou.
Mais il est arrivé, sans ombre derrière lui. Au milieu de la nuit, Il m'a révélé la vérité. Au-delà de notre monde, il en existe d'autres, des dizaines, de milliers mêmes. Il venait de l'un d'eux. Une femme avide de pouvoir a renversé leur monde et en est devenu le tyran. Dans cet univers parallèle, la magie existait. Elle a utilisé un puissant sortilège pour devenir immortelle et sceller des centaines d'innocents, depuis ils sont devenus les ombres de notre planète. Ces spectres que je voyais...Des âmes torturées qui me suppliaient de les libérer. Une légende dans leur monde parlait de moi, ou plutôt un Terrien, qui pouvait voir les âmes emprisonnées et aurait le pouvoir de les libérer.
La personne qui m'a délivrée se tient devant moi. Un enfant, plus jeune que moi. Une ample tunique bleue lui ceint la taille, de la même couleur que ses cheveux. Dans ses yeux violets, je peux lire toute la détresse de ce monde en danger. Je sens que derrière ce petit corps se cache un grand esprit, bien plus mature que moi. Il est venu lui-même me demander mon aide. Il sait que les adultes réduits en esclavage n'ont plus l'espoir.
Il m'a laissé le choix. Je pouvais tenter de secourir cette terre en péril ou alors, il pouvait enlever ces visions de ma tête. Pour n'importe qui, le choix serait simple. Qui voudrait délaisser sa maison pour des étrangers ?
Mais moi, je n'ai plus de foyer. Je suis las de ce monde qui ne m'accepte pas. J'en ai marre de ces gens qui me regardent d'un air dégoûté.
Je descends de mon lit et tends mon poing, le pouce levé. Je souris de toutes mes forces au garçon qui me fait face.
— Ce méchant de pacotille, tu vas voir, on va le défoncer !
Le gamin glousse et je ris moi aussi. Curieux, je demande alors :
Sinon, c'est quoi ton nom ?
— Je m'appelle Kyp.
— Moi, c'est Jo, enchanté ! Dis... Tout le monde chez toi peut passer d'un monde comme à l'autre comme ça ?
Malgré l'obscurité qui règne dans la chambre, je le vois rougir.
— Non, je suis le seul, je crois.
Ce gamin me donne envie de me comporter comme un grand frère et je passe mon bras autour de ses épaules.
— C'est un pouvoir génial en tout cas !
Il sourit, mais d'un coup il se crispe.
— Elle sait que je suis partie...et pourquoi. Nous devons partir, et tout de suite !
— Pourqu...
Je n'ai pas le temps de finir ma phrase, des créatures surgissent d'un vortex noir apparu de nulle part. Des félins faits d'une matière étrange. Comme de l'encre. Les yeux blancs de ces monstres me fixent. Une bête se jette sur moi. Tiré par Kyp, j'évite de peu les crocs qui claquent.
Atterri sur les fesses, je me relève vite, les yeux ronds. Je recule peu à peu vers la porte, les yeux rivés vers les monstres. Pitié, qu'elle soit ouverte ! Je tire sur la poignée, Bingo ! Je m'exclame :
— Je pensais que t'étais le seul à pouvoir faire ton truc !
— La Reine peut envoyer ses créations d'encre dans ce monde, mais je ne pensais pas qu'elle me retrouverait aussi vite...
— En tout cas, faut se tirer !
C'est à mon tour de prendre son bras et l'entraîne dans les couloirs. J'entends derrière nous les bêtes nous poursuivre. L'adrénaline me fait courir plus vite, les battements de mon cœur sont assourdissants, éclipsent presque le bruit des griffes sur le carrelage froid. A chaque pas, je crains de trébucher. J'imagine la sensation des crocs qui enserrent ma chair. Pas question !
J'augmente l'allure, à mes côtés, Kyp ne semble pas essoufflé, tant mieux. Moi, en plus d'être mort de peur, je souffle comme un bœuf.
Au détour d'un couloir, nous croisons un infirmier. Il nous regarde, médusés avant de hurler quand il remarque les monstres d'encre. Je l'évite et fonce dans un local pour le matériel de nettoyage. La lampe automatique s'allume et je claque la porte en métal avant de la bloquer avec mon dos.
— Il faut qu'on s'en aille ! Fais-moi aller dans ton monde !
— J'ai besoin de me concentrer, balbutie-t-il.
Je sens les félins se jeter contre la porte. Au mieux, je pourrais tenir une ou deux minutes. Sous la lumière des néons, je vois Kyp fermer les yeux et se détendre. Je grince des dents, les monstres ne lambinent pas sur leur force !
Soudain, je vois mon nouvel ami ouvrir les yeux. Surpris, j'étouffe un hoquet, le blanc des ses yeux avait disparu. Une couleur bleue électrique avait envahi toute la prunelle. Flippant.
Lentement, il lève sa main et s'agrippe à mon bras. Ma vue se brouille un instant. Le monde semble se dilater puis revenir à un unique point blanc dans un univers noir.
Dans tout mon corps, je sens que je suis ailleurs. C'était limite ! Cinq secondes de plus et la porte cédait ! Autour de moi, une plaine à l'herbe violette s'étend, garnie de fleurs blanches. La terre descend en pente sur une centaine de mètres, pour dévoiler une cité. Quelques rochers truffent la plaine et Kyp m'emmène derrière l'un d'eux. Il pointe une immense bâtisse, à l'écart de la ville. Je plisse les yeux. Non, pas une ville, des usines ! Des cheminées gigantesques crachent une fumée noire et âcre qui remplit le ciel. Je vois d'ici le rougeoiement des flammes dans les bâtiments. Mais que fabriquent-ils ? Mon compagnon aperçoit mon regard et m'explique dans un murmure :
— Ils créent la matière que la Reine utilise pour ses créatures. Elle peut animer à volonté cette encre, la rendre solide ou liquide.
Plutôt classe comme capacité, je trouve. Mais pas question de le dire à Kyp. Cette femme avait asservi son peuple avec ses facultés. Je serre les poings quand je songe à ces pauvres gens enfermés dans ces bâtiments. Même si ce n'est pas les miens, elle me le paiera !
— La prophétie dit que face à la Reine, tu sauras quoi faire, assure-t-il.
— Hein ? Mais j'ai aucun super pouvoir moi !
Je me rappelle mes paroles : « Ce méchant de pacotille, tu vas voir, on va le défoncer ! » Tant pis, je ferai sans super pouvoir. J'ai promis à Kyp de sauver tout le monde. Et ca sera le cas !
Je me sors de notre cachette pour me diriger vers le château mais le gamin retient mon bras.
— J'ai laissé mon elvyr quelque part dans la plaine.
Son quoi ? Sans me laisser le temps de le questionner, il siffle de toutes ses forces. Une immense autruche rouge sort de l'ombre d'un rocher et se précipite vers nous avec ses grandes jambes. Je ne peux m'empêcher de rire tant la scène est ridicule. Ses grands yeux se plissent quand elle me voit, mais elle fait la fête à mon ami. Il caresse avec un sourire la tête couverte de plumes et lui chuchote des mots doux à l'oreille. Kyp monte sur la selle déjà mise sur le dos de la créature et m'aide à monter derrière lui.
Nous avalons les mètres sur cette autruche et bientôt nous nous retrouvons à l'entrée du château. Des grandes torches flamboient sur les portes de métal forgé ouvertes. Les tours de ce palais montent haut dans le ciel, telles des flèches.
Aucune créature d'encre ne garde les portes. La Reine sait donc que je suis là.
Kyp essaie de me persuader de trouver une entrée moins voyante, mais je secoue la tête.
— Tu ne vois pas ? Elle m'attend...
Il capitule et tente de me suivre, mais je l'arrête, la main tendue. Mon visage est grave.
— Je ne peux pas te mettre en danger... C'est mon rôle, ma mission, attends moi-ici.
Le garçon n'insiste pas et va caresser sa fidèle monture, les yeux fixés vers moi.
— Je t'attendrai... Et si tu réussis, je saurai.
Comme tu sauras si je ne réussis pas... mais je ne réplique pas et foule le grand tapis rouge qui mène à l'entrée du palais.
Un gigantesque escalier en marbre blanc prend toute la place et rejoint l'étage par deux autres escaliers mineurs à droite et à gauche. Des flambeaux illuminent l'immense pièce aux murs rouges. Aucun meuble ni aucun tableau ne vient décorer la salle. Vide d'objets comme vide de monde. Elle doit se sentir bien seule, sans personne à ses côtés.
Poussé par une sensation étrange, mes pieds gravissent pas à pas les escaliers. A chaque marche, les souvenirs de ma vie me reviennent. Des souvenirs futiles, mais baignés dans une joie et un bonheur que je connais plus depuis longtemps. Pourquoi me reviennent-ils à ce moment ?
Le palais est immense, mais mon corps sait où il doit se rendre. Je traverse des couloirs interminables, avec ce même marbre blanc et ces mêmes murs rouges.
Je m'arrête soudain devant un inconnu qui me regarde. Il a les mêmes habits que moi. En fait, c'est moi. Je m'approche et effleure le miroir. Il y'a longtemps que je ne me suis pas regardé mais c'est toujours les mêmes boucles noirs, les mêmes sourcils en circonflexe, la même silhouette. Pourtant, mon regard a changé. Ces yeux verts n'ont plus cette teinte d'ennui et de désespoir. Maintenant, j'y lis une détermination sans borne.
Une petite voix au fond de moi me chuchote de pousser le miroir et je m'exécute. La surface s'ouvre comme une porte et je m'avance.
Je suis prêt.
Une pièce simple s'offre à moi. Un lit simple, une commode et un bureau. Une belle jeune femme est assise au bord du lit, pensive. De longs cheveux violets s'échappent à ses pieds. Un regard profond et ancien me scrute. Je murmure :
— Je te connais.
Au plus profond de mes entrailles, je connais cette femme. Sommes-nous liés par le destin ? Qu'importe, j'ai une mission. Je dois la remplir.
— Je suis venu pour libérer toutes les personnes que tu as transformées en ombres !
Ma voix a tonné ses mots, mais mon ennemie ne bouge pas. Elle rit, même. Je peux la comprendre, je dois être bien ridicule. Pourquoi n'a-t-elle pas encore lancé ses créatures contre moi ?
— Tu es ici sans vraiment rien savoir de ce monde. Tu ne sais pas le mal dont ils sont capables. Je les ai emprisonnés pour le bien de tous.
— C'est faux, Tu mens ! je le sais !
La Reine me fixe un moment. Elle doit aussi avoir cette sensation de me connaître, sinon je serais déjà mort. Soudain, je vois une ombre derrière elle. Celle-ci n'est pas comme les autres. Mille fois plus désespérée. Mille fois plus triste. Je reconnais les traits de cette ombre. C'est la femme que j'ai devant moi.
— Ils m'ont toujours rejeté ! crache-t-elle finalement. Ils m'ont toujours mis à l'écart, pour ce pouvoir que je possédais. Ils le qualifiaient de noir, de malsain ! A la fin, c'est moi qu'ils ont considérée comme malsaine. J'étais seule, rejetée. J'étais en colère, je les haïssais. Je les ai enfermés, pour que plus jamais ils ne me fassent du mal. Que pouvais-je faire d'autre !
— Je te comprends...
Je pointe mes yeux sous son regard étonné et d'un coup, je repense aux souvenirs qui me sont revenus dans les escaliers.
— Je peux voir ces gens que tu as enfermés dans mon monde. Chez moi, ils m'ont déclarés fou. Ils m'ont rejeté, comme toi. J'étais seul, je les détestais. Mais... que ce soit dans ton monde, où le mien, il existe des gens bons. Il faut juste les trouver.
Je me rends compte que je pense à Kyp. Je le connais depuis quelques heures, mais il me comprend. Il m'a accepté.
Je m'avance vers la Reine, les bras ouverts. Sans lui laisser le temps de réagir, je l'enlace. Derrière elle, son ombre a disparu. De gros sanglots la secouent et je la laisse pleurer.
Après quelques instants, elle s'écarte et me remercie. Elle psalmodie des mots dans une langue inconnue et je sens un étrange pouvoir se mettre en œuvre.
— Ils sont libres, murmure-t-elle.
Je hoche la tête.
— Adieu. J'espère te revoir... dans d'autres occasions...
Je sors de la pièce et refait le chemin inverse. En réalité, pas besoin de super pouvoir comprendre les gens. L'humain n'est pas mauvais par nature, il le devient. Cette aventure m'a appris cela, cette certitude s'est imposée dans mon esprit.
Je rejoins Kyp qui me saute dans les bras. Il pleure de joie, il sait que j'ai réussi.
— Je ne veux pas gâcher ta joie, mais tu pourrais me ramener chez moi ?
— Mais... ils sont méchants les gens chez toi ? Tu ne veux pas rester avec nous ? Et puis tu sais... j'ai menti quand je te disais que je pouvais effacer tes visions. Ca me trotte dans la tête depuis le début, mais sinon j'avais peur que tu ne me suives pas.
— Je le savais déjà, ptit gars. Mais non, c'est mon monde, à moi de m'y faire une place. Kyp, les gens ne sont pas méchants, ils sont complexes et humains. Ne soyez pas trop dure avec elle.
Le regard brillant, il hoche la tête. Il se concentre alors pendant quelques secondes et me touche le bras.
Comme la dernière fois, le monde s'effrite autour de moi. Je me retrouve sur ma bonne vieille Terre, dans la chambre de l'institut. La prochaine personne que je croiserai n'aura rien derrière elle, je le sais. Et maintenant, au lieu de fuir la vie, je vais la combattre. Je tends le poing, lève le pouce et offre mon plus beau sourire au soleil levant.
— Tu vas voir, je vais réussir, Kyp !
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