Scène 11
Louise Laroche s'adressant à Edith Volage : C'est vous, n'est-ce pas ?
Edith Volage : Moi ? Non, bien sûr que non !
Louise Laroche : Alors qu'est-ce foutez ici, hein ? Vous pouvez me le dire ?
Edith Volage : Mais je n'en sais rien !
Louise Laroche : Vous êtes jeune, jolie, pleine de joie de vivre. Alors, si vous n'êtes pas sa maîtresse, qui êtes-vous ?
Edith Volage : Mais je...
Louise Laroche : Charles va tous les samedis t'acheter des fleurs et reste une heure à te parler ! Alors si ce n'est pas pour te sauter, pourquoi ? Hein ? Pourquoi ?
Edith Volage : Je ne sais pas ! Je ne sais pas !
Adélaïde Laroche : C'est sa fille, Louise !
Louise Laroche : Sa fille ? La fille de qui ?
Adélaïde Laroche : Edith est la fille de Charles...
Edith Volage : Moi ? La fille de Monsieur Laroche ?
Louise Laroche : Tu délires, Adélaïde, tu deviens sénile ma parole ! Charles et moi n'avons jamais eu de fille, tu le sais très bien !
Adélaïde Laroche : Je n'ai jamais dit qu'elle était de toi...
Louise Laroche : Seigneur...
Adélaïde Laroche : Edith est la fille de Charles et de Thérèse...
Louise Laroche : Thérèse ? Tu es donc en train de me dire que mon mari m'a caché qu'il avait eu un enfant avec son ex-femme, alors qu'il sait pertinemment que j'ai toujours rêvé d'éduquer une fille ? Vous êtes sérieux ? Vous croyez vraiment que je vais croire ça ? Charles aurait enfanté une fleuriste ? C'est ridicule...
Adélaïde Laroche : C'est la vérité... Charles a quitté Thérèse pour toi alors qu'elle était en pleine grossesse, et elle est morte durant l'accouchement...
Louise Laroche : Vous me dégoutez ! Vous me dégoutez tous !
Edith Volage : J'étais orpheline, et je découvre que j'ai un père... C'est bizarre...
Louise Laroche : Bizarre ? Ha non, ce soir, ce n'est pas bizarre !
Louise Laroche se lève, furieuse.
Louise Laroche : Après tout, on découvre des tas de choses, ensembles ! Mon fils est pédé, Tristan est une pute, mon mari me trompe et vous êtes sa fille cachée ! Mais quoi de plus normal ? Et maintenant, à qui le tour ? Personne n'a rien d'autre à nous révéler ? Au point où on en est, un secret de plus ou de moins, ça n'a plus aucune importance !
Jean Laroche : C'est Angélique.
Louise Laroche : Pardon ?
Jean Laroche : Charles te trompe avec Angélique...
Silence.
Louise Laroche : Une domestique... La domestique...
Angélique l'air désolé : Je...
Louise Laroche : Depuis quand ?
Angélique : Pardon ?
Louise Laroche : Depuis quand me trompe-t-il ?
Angélique : Madame, je crois que...
Jean Laroche : Dix ans... Cela fait dix ans aujourd'hui Louise...
Angélique : Je suis désolée...
Louise Laroche : Dix ans... Dix roses... Prend les fleurs, Angélique, je crois qu'elles sont pour toi...
Angélique : Vraiment, je...
Louise Laroche : Tais-toi !
Silence.
Louise Laroche : Vous savez quoi ? J'emmerde vos secrets, j'emmerde la bourgeoisie, j'emmerde les pédales, j'emmerde la famille, j'emmerde vos tourtes, j'emmerde votre pot-au-feu, et je vous emmerde tous !
Louise Laroche va dans le fond de la pièce pour s'isoler, bouleversée.
Adélaïde Laroche : Si seulement Charles était là, tout cela n'arriverait pas !
Jean Laroche : Où est-il bon sang ?
Adélaïde Laroche : Tu sens cette odeur ?
Jean Laroche : Non, que se passe-t-il ?
Adélaïde Laroche : Ça sent la mort...
Florian Laroche : Tristan, il faut que tu arrêtes de boire, ça te fait du mal !
Tristan Minois : Et alors ? Souffrir est un droit inaliénable, non ?
Florian Laroche : L'alcool te rend beau...
Tristan Minois : Et il m'aide à oublier que j'ai envie de toi... Pourquoi j'm'en priverais, alors ?
Jean Laroche : Charles, où es-tu passé ? Dans quel enfer nous emmènes-tu ?
Angélique : Si seulement vous saviez...
Angélique se lève et s'approche doucement de Louise Laroche.
Angélique : Il ne vous aimait pas. Il me le répétait souvent, mais il n'a jamais osé vous le dire. Ce n'est pas de la méchanceté, je veux juste que vous sachiez la vérité...
Louise Laroche : Taisez-vous.
Angélique : Non, car je ne veux pas vous laisser comme ça, je ne veux pas que vous souffriez pour quelqu'un qui ne vous méritait pas... Charles, n'était pas un homme bon, et tout le monde ici le sait...
Louise Laroche : C'est faux...
Angélique : Il a rejeté son fils à cause de son homosexualité, il a quitté son ancienne femme après l'avoir mise enceinte, il a abandonné sa propre fille, il vous a trompé et, le pire de tout, il a allégé sa conscience en livrant ses propres secrets à plusieurs personnes de son entourage... Ce n'était pas une bonne personne, Louise... Et ce soir, il a tout mis en œuvre pour vous détruire... Il a tout mis en scène pour vous torturer...
Jean Laroche : C'est du délire...
Angélique : Oui, c'est vrai, c'est du délire... Je l'ai aidé, et j'en ai honte... C'est du sadisme pur, j'en suis consciente et désolée...
Florian Laroche : Mais que se passe-t-il, à la fin ?
Adélaïde Laroche : Où est mon fils ?
Angélique : Je crois que je vais tout vous dire... Je suis aussi coupable que lui, mais je voulais seulement son bonheur... Je vous en supplie, comprenez-moi,je crois que...
Elle laisse sa phrase en suspens.
Tristan Minois : Que ?
Angélique : Je crois que je l'aimais...
Louise Laroche se retourne soudainement et gifle Angélique avant de se jeter dessus.
Louise Laroche : Je vais te tuer, salope ! Je vais te tuer !
Edith Volage : Louise, vous êtes folles !
Tristan Minois : Mais bien sûr, nous sommes tous fou ! Cette soirée nous rend déments !
Louise Laroche : Je vais t'arracher les yeux, connasse ! Je vais t'étriper !
Florian Laroche : Arrêtez là, bordel !
Adélaïde Laroche : Cette soirée devait bien se finir sur un meurtre...
Louise Laroche : Rend moi mon mari ! Rend moi mon mari !
Angélique : Ça ne sert à rien, Louise ! Il est mort !
Louise Laroche se calme instantanément.
Louise Laroche : Quoi ?
Angélique : Charles est mort.
Tout le monde reste silencieux.
Angélique : Une balle dans la tête, dans le front... Un tir, un cri, une tâche sur le papier peint du grenier, puis plus rien... Monsieur est mort, et il a calculé l'ordre des choses...
Angélique fini par sortir une lettre de sa robe et la donne à Louise.
Angélique : Monsieur l'a écrite pour nous, je ne l'ai pas lue.
Louise Laroche ouvre la lettre après un moment d'hésitation. Elle commence à la lire à voix haute.
Louise Laroche : Chers invités, si vous entendez cela...
La voix de Charles résonne, continuant la lettre.
Voix de Charles : ...c'est que je suis mort. Et comme la farce n'est pas assez drôle comme ça, voyez comme je suis resté incorrect jusqu'au bout. Si Angélique fut la seule à avoir suivi la fin de ma pauvre vie, si elle fut la seule à connaître les règles de cette soirée qu'elle a elle-même organisée, ayant passé une journée entière à cuisiner, c'est simplement par soucis de réaliser ma dernière volonté. Et effectivement, alors que vous vous régaliez, sachez qu'à chaque bouchée de ce repas, qu'à chaque gorgée de ce diner, c'était un peu de moi que vous avaliez. Ma vie était partout sur cette table. Ma chair aida à fourrer les tourtes, ma viande prit part au pot-au-feu, et même mon sang fut mêlé au millésime. Vous, pour qui je restais un mystère, avez assisté à ma cérémonie funéraire, et me voilà déjà source d'énergie en votre corps. Vous m'avez mangé, mes amis, et vous pouvez en être fiers.
Mais si Angélique croit tout savoir de mon entreprise, elle se trompe. La pauvre enfant pense que je me suis seulement suicidé, c'est faux. Avez-vous entendu les nouvelles ? Oh, je suis persuadé que ma mère est au courant de tout cela : une nouvelle maladie a été découverte, elle n'a pas encore de nom mais certains disent à tort qu'elle ne concerne que les homosexuels. Angélique me l'a inconsciemment offerte et me faire éclater la cervelle me parut préférable à l'agonie des épidémies. Ce virus se propage par le sang, et le mien a été contaminé. Comprenez-vous alors ma sombre mise en scène ? Ce soir, je ne suis pas le seul à être mort, car vous voilà tous condamnés. En buvant, en mangeant, vous vous êtes assassinés vous-même, et vous ne pouvez plus rien y faire. Que croyez-vous ? Que j'allais partir tout seul et vous laisser toute ma fortune, alors qu'aucun d'entre vous ne semble véritablement tenir à moi ? Allons, allons, ne vous voilez pas la face : cette mort, vous l'avez bien méritée. Voyez comment toutes les révélations passées nous semblent dérisoires lorsque la fin est proche, voyez comment le mensonge, le vice et l'orgueil sont punis. Je vous ai eu par surprise, et je crois que ce meurtre parfait est la chose la plus jubilatoire que j'ai jamais connu.
Mais dans ma plus grande indulgence, j'ai allégé votre peine. Dans le gâteau qu'a préparé Angélique pour le dessert, une dose suffisante d'arsenic a été versée, assez forte pour vous tuer tous mais assez douce pour vous laisser le temps de souffrir. Angélique ne le sait pas. J'ai pris le soin de préparer moi-même la pâte empoisonnée, avant de la confier à ma formidable maîtresse qui, trop aveuglée par le respect, ou bien par l'amour, ne s'est doutée de rien. Ce n'est plus qu'un choix à faire maintenant : vivre encore quelques semaines avec une conscience lourde de secrets infâmes, ou mourir maintenant pour en finir le plus vite possible. Haha, c'est fou comment un être mort peut encore vous torturer, n'est-ce pas ? Au-delà de vos paroles de pacotille et de vos reproches à demi assumés, voilà la véritable cruauté. Et je vous laisse la déguster comme il se doit. Mon âme est au diable, je ne peux plus rien perdre, mais c'est à vous d'avoir peur maintenant. Car voilà tout l'enjeu de votre vie : la mort.
Faites votre choix,
Votre bien aimé Charles.
Silence épouvanté, chacun regarde son assiette avec dégout.Louise Laroche s'assoit alors que Tristan Minois se lève pour fumer une cigarette, nerveux.
Tristan Minois : Ce n'est qu'une farce, tout cela est faux, j'en suis sûr...
Florian Laroche : Angélique, dis-nous que c'est une blague... Je t'en supplie...
Adélaïde Laroche : Mon fils, j'ai mangé mon fils !
Jean Laroche : Angélique, dis-nous quelque chose...
Angélique : Nous sommes en train de mourir...
Edith Volage fond en larme.
Tristan Minois : Ne l'écoutez pas... Personne n'a mangé personne, nous ne sommes pas cannibales !
Angélique : C'est la vérité, vous avez mangé Charles et nous sommes tous en train de mourir, moi y compris...
Tristan Minois : C'est faux !
Angélique : Je vous assure que je ne mens pas... Je suis en train de mourir...
Silence. Au bout d'un moment, Tristan Minois tire la nappe de la table en hurlant, faisant voler tout ce qui est dessus, furieux. Il se rassoit en pleurant. Nouveau silence.
Louise Laroche : Angélique ?
Angélique : Oui madame ?
Louise Laroche : Allez chercher le dessert, s'il vous plait...
Angélique : Mais...
Louise Laroche : Fais ce que je te dis...
Angélique sort de scène.
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