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Chapitre 4

Les portes de la salle du trône surplombaient Erek de toute leur hauteur. Il se tenait devant elles, immobile, les mains moites, le cœur battant la chamade. Il avait si peur. Parce que cette fois-ci, il n'allait pas simplement se confronter à son père. Il n'allait pas simplement chercher à lui faire entendre raison, chercher à lui expliquer que le Royaume était en danger et qu'il fallait faire quelque chose. Il allait lui annoncer qu'il allait faire quelque chose. Que lui, Erek, prince du Royaume de Rubis, allait s'embarquer dans un voyage extraordinaire pour sauver son peuple.

Lui, Erek.

Il poussa les portes et pénétra dans la pièce en puisant dans toute sa détermination pour ne pas s'enfuir en courant. Ses pas résonnaient sur les pierres. Il avait l'impression que tout le monde le jugeait, que tous les gardes présents se moquaient de lui dans leurs belles armures rutilantes. Il n'osait pas lever les yeux, il voulait juste s'approcher du trône de son père comme il en avait l'habitude, discrètement, silencieusement.

— Erek.

Sa voix tonna. Ferme. Autoritaire. Puissante.

— Que me vaut ce plaisir ?

Erek retint un soupir de soulagement. Il semblait de bonne humeur – pour le moment. Arrivé à quelques mètres de l'escalier qui menait au fauteuil doré, il s'accroupit, un genou à terre, une main sur le cœur, en signe de respect.

— Tu peux te relever, mon fils.

Erek obéit et croisa alors enfin le regard de son père. Celui-ci était assis, le dos droit, les muscles crispés, sur son trône aux dorures étincelantes, les traits du visage plissés. Il observait Erek comme s'il cherchait à lire en lui, à le décrypter, à connaître avant qu'il en fasse part la raison de sa présence ici. Erek avala difficilement sa salive. Il n'aimait pas ses yeux noirs, profonds, indéchiffrables. À chaque fois qu'il les voyait, il comprenait pourquoi il était craint. Pourquoi il était le roi du Royaume.

— Père, je viens ici pour vous faire part d'une nouvelle importante, commença-t-il.

Ses mots tremblaient, s'envolaient, dans l'immensité de la salle. Il n'y avait pas d'écho sourd et terrible. Il ne ressemblait pas à son père. Il ne lui ressemblerait jamais.

Le roi attendit, posa son menton dans sa paume, intrigué. Erek se recroquevillait un peu plus à chaque regard. Il n'y arrivait pas. Il n'y arriverait pas. Il ferma les yeux une seconde, simplement pour se remémorer les paroles rassurantes de Jek, l'expression encourageante d'Arya, l'espoir qu'il avait perçu dans les prunelles de ses amis avant de s'engouffrer dans la pièce aux mille dangers, la pièce dans laquelle il ne se sentait jamais en sécurité, toujours épié, méprisé, insulté. Il prit une longue inspiration et rassembla ses idées du mieux qu'il pouvait, avant de se lancer :

— Je ne vous apprends pas que le Royaume est en danger...

Il leva les mains devant lui.

— Je sais que nous avons eu cette discussion de multiples fois, mais je sais aussi que vous avez conscience de la menace qui pèse sur nos terres.

Il toussota.

— Mais j'ai pris des initiatives et j'ai trouvé une solution. Je sais comment rendre à notre Royaume sa splendeur d'autrefois, comment sauver les Rubis. Par conséquent, je vais partir à la recherche d'un artéfact magique.

Il s'arrêta là, le souffle court, même s'il avait articulé chaque syllabe lentement comme si sa vie en dépendait.

La peur n'avait pas quitté son corps et ce sentiment vicieux le paralysait entièrement. Il avait à nouveau baissé les yeux, terrorisé par ce qu'il pouvait y avoir dans ceux de son père. Celui-ci n'avait rien dit, ne s'était même pas exclamé pour l'empêcher de poursuivre... Alors que pouvait-il penser ? Pourquoi restait-il silencieux ?

Au fond de lui, Erek le savait, c'était parce qu'il réfléchissait, parce qu'il pesait ses mots, mais aussi parce qu'il était sûrement dévoré par la colère.

Cette colère, il la connaissait bien.

Son père pouvait facilement s'emporter lorsque le cours des événements ne correspondait pas à ce qu'il souhaitait. Il aimait tout contrôler et son entêtement constant forçait chacun à abdiquer en sa faveur. Le roi avait toujours raison. Et s'il ne faisait rien pour sauver le Royaume, c'était parce qu'il avait une bonne raison. Heureusement, certains Rubis remettaient en question le comportement de leur souverain, mais à leur échelle, ils ne pouvaient rien faire. C'était à eux qu'Erek pensait. Les terres dévastées, noircies, tournaient dans son esprit, gonflaient, prenaient toute la place, et balayèrent ses craintes pour lui insuffler le courage dont il avait besoin.

Le prince se redressa, et avança de quelques pas. Il fit face à son père comme il ne l'avait jamais fait auparavant, mu par une force inébranlable. Le roi ne cilla pas quand il vit la détermination transparaître sur le visage de son fils. Il continua à tapoter nonchalamment l'accoudoir de son fauteuil, impassible.

— Je n'ai pas besoin de votre permission. Vous ne dites rien mais je sais ce que vous pensez. Je suis pathétique, je suis une déception, je ne vous suis pas dans votre folie.

Il ponctua son discours enflammé de grands gestes de la main.

— Je suis tout ce que vous ne pourrez pas être. Je tiens à notre peuple et je cherche à le sauver ! Et je préfère mourir en essayant plutôt que rester inactif.

Erek replaça la mèche de cheveux roux qui était tombée sur son front. Il avait sûrement les joues rouges, des larmes au coin des yeux, la jambe qui tressautait nerveusement – tant de signes qui faisaient de lui un être faible. Mais à ce moment précis, il était fier de cette sensibilité, il était fier de ne pas ressembler à l'homme au cœur de pierre qui le dévisageait comme s'il n'était qu'une proie.

Une proie qui allait vite être dévorée.

— Mon cher fils, j'admire ta soudaine bravoure, commença-t-il en se levant. Quelle stupéfaction de voir cette flamme brûler en toi !

Il ricana.

— Je me reconnais enfin en toi, tu sais. Nous avons finalement le même tempérament vif, le même besoin d'exprimer nos opinions, cette même ferveur. Je l'avais repérée depuis quelque temps déjà, depuis que notre Royaume subit ces attaques, mais il est vrai que je commençais à désespérer. Je commençais à te voir comme un incapable.

Un sourire traversa furtivement son visage, réduisant un instant la dureté de ses traits.

— Je suis ravi que tu me parles de cette situation parce qu'il faut que je te partage une annonce de la plus haute importance.

Sa voix se fit doucereuse. Erek déglutit.

— J'ai prévu de remplir les rangs de notre armée. Elle est correcte, c'est un fait, mais il se trouve que j'ai besoin de plus de soldats, de plus de Rubis pour pouvoir partir à la conquête du monde.

La conquête du monde ? Mais de quoi parlait-il ? Les Royaumes s'étaient accordés des années auparavant pour cesser toutes relations et vivre en paix – du moins, c'était ce qui avait été répété et transmis au fil de l'Histoire.

— Oh, je comprends ton désarroi, mon fils. Tu ne me suis pas, comme toujours, tu te demandes ce que peut bien raconter ton vieux père...

Il leva les yeux au ciel en souriant à nouveau. Il s'amusait, il se délectait de la situation. Erek était toujours le plus faible dans leur histoire, personnage secondaire effacé qui suivait à contrecœur le protagoniste.

— J'étais en possession d'un allié. Allié qui m'a trahi et qui est devenu un ennemi. Tu n'as pas besoin de connaître les détails, seulement qu'il me faut récupérer la Pierre des Ténèbres qui, à ma connaissance, se trouve au sein du Royaume d'Améthyste.

Erek s'étrangla presque avec sa salive. La Pierre des Ténèbres ? Le Royaume d'Améthyste ? Ce flot d'informations l'engloutit. Son corps arrêta de fonctionner pendant une seconde. Une seconde de flottement. Il ne pensait plus, ne bougeait plus, ne comprenait plus ce qui se jouait devant ses yeux. Il essaya de prendre une longue inspiration, puis sortit la tête de l'eau. La voix de son père résonna douloureusement à ses oreilles.

— Je te nomme général. Tu vas mobiliser des chevaliers, des guérisseurs, des paysans, tous les Rubis du Royaume, à l'exception des nobles, et tu vas les emmener sur le champ de bataille. Nous allons entrer en guerre contre le Royaume d'Améthyste et nous allons gagner.

Son rictus menaçant acheva de pétrifier Erek. Il avait la désagréable sensation de devenir fou. Ce qu'il n'entendait n'étaient pas les paroles de son père, ce n'était pas une déclaration de guerre. Non, ce n'était pas possible. Il devait forcément rêver.

Oui, c'était cela. Il s'était endormi au bord de la falaise et rien de tout cela n'était arrivé. Arya n'existait pas, il n'avait jamais entendu parler de la Pierre des Ténèbres et de celle de Lumière... Il n'avait jamais voulu montrer à son père qu'il subsistait en lui un peu de courage. Il n'était pas là.

Une main se posa sur son épaule. Erek sursauta. C'était son père. Il se tenait droit devant lui, bien réel, illuminé par les rayons de soleil qui pénétraient par la fenêtre. Mais il n'avait rien d'un être angélique qui cherchait à établir la paix. Erek ne s'y méprenait pas. Son père ressemblait à un monstre, le visage dévoré par l'ambition, par les plans obscurs d'un homme qui n'avait pas conscience de la gravité de ses actes, les poings serrés, son pendentif pendant autour de son cou.

Erek observa le Rubis qui s'y trouvait un instant. Il pensa à son propre Rubis, enfoncé sur la bague qu'il n'enlevait jamais de son doigt. C'était donc ça qu'il était destiné à être ? Un général, un combattant, un prince dévoré par une soif insatiable de vengeance ? Un Rubis qui se servait de ses pouvoirs de feu pour détruire ?

Erek ne voulait pas être cette personne. Il ne pouvait pas être cette personne. Il avait un objectif, il avait ses propres valeurs, et il les savait respectables. Sa mère avait confiance en lui.

Il se dégagea de l'étreinte de son père et recula de quelques pas. Un éclair de perplexité passa dans son regard puis s'effaça, remplacé par deux prunelles aussi froides que la pierre.

Erek imagina les yeux doux et rassurants de sa mère. Ses muscles se crispèrent.

— Je ne vous suivrai jamais dans votre folie ! Je sais comment sauver le Royaume, et je ne vous laisserai pas vous interposer.

Enfin, sa voix était ferme. Il retint un sourire.

— Je suis le roi, Erek. Tu vas faire ce que je demande.

La façon dont son prénom sonna dans sa bouche lui donna envie de fuir. Il pouvait presque sentir dégouliner sur lui le mépris et la déception que son père ressentait envers lui. Chaque mot était comme un coup de poing dans le ventre. Les jambes d'Erek continuèrent de reculer, sans qu'il les y autorise. La peur revenait planter ses griffes dans sa poitrine.

— Je suis le Rubis le plus puissant ici.

Il ponctua ses paroles d'une torsion du poignet qui fit naître une flamme dans sa paume. À chaque clignement de paupières d'Erek, elle s'agrandissait, prenait de l'ampleur, mue par l'énergie magique.

La salle du trône devint rapidement étouffante. La chaleur s'insinua dans chaque pierre, chaque tapisserie, chaque chandelier de cristal. Les gardes commencèrent à s'agiter. La magie enroulait ses tentacules invisibles autour de chaque être qu'elle trouvait dans la pièce. Erek manqua trébucher. La sueur lui coulait dans le dos. La puissante lumière de la flamme l'aveuglait. Le jaune, le orange, les couleurs crépusculaires se mélangeaient, se fondaient, et le surmontaient de toute leur hauteur. Son père leva le bras et la sphère de feu s'envola et explosa pour former d'autres globes brûlants qui flottèrent quelques secondes au-dessus de leur tête avant de replonger en piqué vers la paume du roi. Une déflagration retentit, Erek grimaça, et les flammes disparurent.

— Tu vois, Erek, je fais ce que je veux. Le feu est sous mon contrôle, je peux lui faire faire ce que je désire.

Son ton était menaçant, et il allait de pair avec le rictus qui s'affichait sur son visage. Erek ne voyait aucune issue, il ne savait pas comment il pouvait fuir cette situation. Il était prêt à renoncer et à accepter de suivre son père à contrecœur, lorsqu'un terrible grondement fit trembler les murs du palais. Le temps sembla se suspendre. Le roi fronça les sourcils, Erek retint sa respiration, les gardes tirèrent leurs épées, les sens en alerte. Le grondement se fit entendre à nouveau et cette fois-ci, de la poussière vola, quelques cristaux du lustre s'écrasèrent sur le sol de pierre, des murmures apeurés s'élevèrent.

Erek pensa à s'échapper par la porte, guidé par la panique. Il ne voulait pas savoir ce qui était responsable de ces secousses. Il se laissa porter par ses jambes fragiles et s'approcha de la sortie discrètement, profitant de ne pas avoir l'attention de son père sur lui.

Puis, soudain, tout bascula. Les pierres se couvrirent d'une substance obscure, aussi noire qu'une nuit sans lune, qui s'étala sur tout ce qui se trouvait devant elle. Un garde hurla, les autres se mirent à courir, la surprise déforma le visage du roi, et Erek poussa la porte sans réfléchir.

Il se précipita dans le couloir, glissa, trébucha, s'éloigna à toute vitesse, hors d'haleine, le cœur battant.

Au fond de lui, il avait compris. Il n'avait pas eu besoin d'en voir plus. La Pierre des Ténèbres... L'obscurité qui dévorait tout, les ténèbres qui détruisaient la lumière, qui dévoraient les Royaumes. Ce n'étaient plus les alentours qui étaient attaqués. C'était le palais lui-même.

Erek poursuivit sa course sans jeter un seul regard en arrière. Il pouvait presque sentir la magie se répandre dans son dos, sur les murs, sur le sol, à l'intérieur de chaque tapisserie et de chaque torche qui s'éteignait sur son passage.

Son regard était voilé, ses muscles le faisaient souffrir. Il ne pensait plus. Il fuyait. Il devait retrouver Jek et Arya.

Son épaule poussa d'un coup sec la porte de la bibliothèque et tout son corps pénétra dans la pièce.

— Il faut partir d'ici ! hurla-t-il.

Il s'apprêta à reprendre sa course mais ses deux amis ne bougèrent pas. Ils se contentèrent de le fixer d'un air interdit.

— Qu'est-ce qu'il se passe, Erek ?

Le prince se força à inspirer profondément et à calmer sa respiration saccadée. Il avait envie de les secouer. Il fallait s'enfuir vite, il n'avait pas le temps de s'expliquer !

— La Pierre des Ténèbres... Le palais... On est attaqués ! articula-t-il difficilement.

L'expression sur le visage de Jek et d'Arya changea radicalement. Il y vit de la perplexité mais aussi une panique soudaine et ravageuse. Ils échangèrent un regard et se précipitèrent vers Erek, qui reprit sa course.

Tous les couloirs se ressemblaient mais le prince pouvait se déplacer dans ce labyrinthe de pierres les yeux fermés, alors ils atteignirent l'entrée principale rapidement. Une entrée qui débouchait sur une petite cour vide, à l'exception de quelques chevaliers qui s'entraînaient çà et là, sans imaginer le drame qui se jouait à l'intérieur du palais.

Erek ne supportait pas l'idée de les laisser là. Il hurla du plus fort qu'il pouvait, pour prévenir tous les Rubis qu'il fallait évacuer les lieux, et se laissa porter par son courage et ses muscles brûlants, suivi par ses amis.

Au-delà de la demeure royale s'étendait le Royaume de Rubis, entouré par sa gigantesque muraille. Muraille qu'il fallait franchir pour se rendre au port. Pour s'échapper.

C'était la seule solution.

Les cris d'alerte explosèrent au bord de ses lèvres, ses mains guidaient instinctivement les Rubis qu'il croisait sur son chemin. Certains s'élançaient à ses côtés tandis que d'autres ne pouvaient s'empêcher de se questionner sur la raison de cette soudaine agitation. Mais Erek n'avait pas le temps d'attendre. Il n'avait pas le temps de s'expliquer.

C'était l'envie de survivre qui parlait, qui le propulsait en avant, qui dictait sa conduite. Il n'y avait plus que ça.

À l'horizon, les silhouettes des navires se dessinaient, majestueuses, salvatrices, étincelles d'espoir au sein de cette fuite éperdue et frénétique.

Erek continua à hurler, envers les marins qui s'affairaient sur le port, envers les hommes qui nettoyaient le pont des gigantesques vaisseaux ou qui remplissaient les cales pour le prochain voyage.

Tous le reconnurent, se figèrent, laissèrent un tourbillon d'émotions s'écraser sur leur visage. Ils semblèrent aussi apercevoir la menace au loin, puisque leurs gestes se parèrent d'une ferveur nouvelle et intense.

Erek sentit un sourire victorieux poindre, il accéléra, puisa dans ses toutes dernières ressources, ne se retourna pas.

Arrivé au pied de La Vague Brûlante, un des nombreux bâtiments qui se succédaient au bord de l'océan, leur coque solide enfoncée dans l'eau turquoise, il pila, et entreprit de donner des instructions pour faire monter tous les rescapés à bord.

Sa gorge le faisait souffrir. Son corps meurtri hurlait. Il aurait aimé s'effondrer sur les planches de bois et se faire emporter par des vagues irréelles à la hauteur indécente. Il aurait aimé abandonner. Mais le feu crépitait toujours en lui. Son cœur ne cessait pas sa course effrénée, la sueur recouvrait chaque parcelle de sa peau frissonnante, des points noirs dansaient devant ses yeux, en réaction à son effort démesuré, mais ce n'était pas fini. Sa détermination ne s'était pas encore dissoute dans les affres de l'inquiétude et de l'affolement.

Il était Erek. Il était le prince.

Les corps s'entassaient dans son champ de vision, se compressaient sur les passerelles. Les navires commençaient à se remplir. Erek observa les environs d'un air satisfait. Tout semblait se dérouler parfaitement...

Puis, soudain, des cris.

Au milieu de l'agitation, ils auraient pu s'envoler et se perdre parmi les autres, mais ils parvinrent aux oreilles du prince. Il sentit des mains s'accrocher à ses vêtements, vit des doigts lui indiquer le palais dans son dos, entendit vaguement des phrases hachées par la panique. Et les cris résonnaient dans l'immensité de la plaine et du port. À cause de ce qui se déroulait derrière lui.

Erek fit volte-face, et c'est là qu'il le vit. Le désastre. La catastrophe. L'apocalypse.

La Pierre des Ténèbres avait déployé tout son pouvoir pour engloutir tout ce qu'elle rencontrait. Le palais n'existait plus. Erek ne distinguait que des tours noires, détruites, englouties par les ténèbres. Des ténèbres qui avançaient, qui rampaient vers eux, qui se déversaient sur l'herbe.

Bientôt, le port serait touché. Bientôt, le Royaume entier serait emporté.

Erek déglutit. Poussa machinalement les Rubis qui trébuchaient vers lui pour les faire monter sur le navire. Jeta des coups d'œil affolés aux autres vaisseaux qui se remplissaient le long du port. Observa avec horreur que des hommes, des femmes, des enfants, arrivaient par vagues toujours plus importantes, terrifiés par cette fuite inattendue. Comprit qu'il n'allait pas pouvoir sauver tout le monde.

Il gravit la passerelle et se heurta au capitaine dès qu'il posa un pied sur le pont. Il ne voyait qu'une silhouette floue qui se mélangeait aux autres, une silhouette qui baragouinait, qui hurlait, qui le secouait, perdu dans sa folie. Erek n'entendait rien. Il n'entendait plus rien. Il lui ordonna de quitter le port d'une voix morte, d'une voix vide, qui n'était pas la sienne, et laissa le pauvre homme se débattre avec les cordages et ses marins, pour se précipiter vers le bastingage.

Erek examina à nouveau la scène d'horreur qui se déroulait sous ses yeux. Les corps vivants et épouvantés se mêlaient à ceux qui se faisaient engloutir par les ténèbres. Ils se métamorphosaient, se figeaient, statues grisâtres qui se dissolvaient dans le vent. Des Rubis disparaissaient, s'évaporaient, comme s'ils n'étaient qu'une vulgaire poussière insignifiante. Les personnes touchées ne pouvaient pas s'échapper, elles étaient prisonnières de ce liquide sombre.

Les tentacules rampaient vers le port, et bien vite, elles furent sur le pont, à s'immiscer entre les planches, à agripper les chevilles des malheureux qui n'étaient pas assez rapides pour grimper sur les navires dont la coque se mettait en branle. La menace se glissait silencieusement, au milieu des cris de terreur. Erek en était bouche-bée. Bientôt, ce serait son bateau qui allait être emporté. Il devait se mettre en route, il devait abandonner certains habitants.

Il détourna le regard et distingua le capitaine devant le gouvernail, concentré et prêt à manœuvrer. Puis, Erek se souvint. Il se tordit le cou à la recherche de Jek et d'Arya, terrifié à l'idée de les avoir perdus. Il n'avait plus fait attention, il avait agi instinctivement, il n'avait pas gardé son attention sur eux. Où étaient-ils ?

Arya fut la première qu'il trouva. Elle était sur le navire, reconnaissable entre mille avec ses fins cheveux d'or qui brillaient au soleil, au sein des chevelures sombres des Rubis. Il sentit le nœud dans sa poitrine se desserrer légèrement. Elle n'exprimait aucune émotion, mais il devina qu'elle pensait probablement à la destruction de son propre Royaume. Erek déglutit et reprit ses esprits ; Jek, à présent. Où était-il ?

Ses pupilles coururent sur la plaine dévastée qui s'étendait devant lui. Les derniers Rubis n'étaient plus, ils étaient tous dans le port, horrifiés, essayant de se mettre hors de portée des ténèbres, grimpant tant bien que mal sur les coques des navires tandis que ceux-ci quittaient le quai. Plus rien ne leur semblait impossible, dominés par leur désir de survie, par une folie intense qui faisait tressaillir Erek. Les larmes lui montèrent aux yeux. Où était Jek ?

Une silhouette qui se détachait des autres retint son attention. Il était là. Jek ! Encore à terre, à quelques mètres de La Vague Brûlante, un petit garçon dans les bras. Ses jambes s'évertuaient à avancer, à le conduire aussi rapidement que possible jusqu'à la passerelle, mais il était ralenti par le poids de l'enfant, par les pleurs qui le secouaient, par le besoin qu'il ressentait de caresser ses cheveux pour le calmer.

Erek s'éloigna du bastingage et se précipita sur la passerelle qui reliait le navire au port. Ils n'étaient pas encore partis, il pouvait récupérer Jek et son petit protégé. Il n'était pas trop tard.

— Dépêche-toi, Jek !

Son cri sembla parvenir aux oreilles de son ami, puisque celui-ci leva les yeux et aperçut Erek. Une lueur d'espoir illumina son visage, il accéléra le pas, et arriva sur la passerelle, à bout de souffle. Derrière lui, les planches commençaient à craquer. Les petites habitations des pêcheurs se tordaient en un grondement atroce, avalé par les lianes obscures qui écrasaient, qui ensevelissaient, qui annihilaient. Jek passa l'enfant à Erek, qui le prit sans réfléchir, qui se retourna pour le déposer sur le navire, qui refit face à son ami pour l'entraîner avec lui en sécurité. D'autres Rubis l'avaient suivi, ils allaient pouvoir secourir de nouvelles personnes !

Mais la passerelle se déroba, le bois éclata, Erek fut tiré en arrière. Il tomba sur le dos, le souffle coupé, des étoiles dans son champ de vision. Une brusque secousse l'empêcha de se relever. Le monde semblait avoir été emporté par une bourrasque aussi violente qu'inattendue. Erek sentit le plancher glisser sous lui, le vent lui fouetter le visage.

Il roula sur le flanc et se propulsa sur ses mains, étourdi, confus. Un mauvais pressentiment lui comprimait la poitrine.

Il papillonna des cils et le Royaume se dessina devant ses yeux. Déjà loin. Trop loin. Les vagues s'écrasaient sur la coque de bois, le navire était propulsé en avant par une force qu'il ne savait pas identifier. Le port disparaissait, mais Erek eut le temps d'apercevoir ses derniers contours. Il eut le temps de voir avec horreur le corps de Jek s'embourber dans le liquide noir et visqueux qui avait achevé sa course. Les ténèbres avaient tout dévoré. Jek n'était pas monté à bord. Les ténèbres l'avaient englouti. Elles avaient englouti tous ces corps qui s'éparpillaient un par un dans un amas de poussière.

Erek eut un haut-le-cœur. Il ne comprenait pas. Il était si proche... Il aurait pu monter à bord, il aurait pu les rejoindre ! Que s'était-il passé ? Comment le navire avait-il pu glisser à cette vitesse, à cette distance du port ?

Le vaisseau continuait sa course extraordinaire, s'enfonçait à peine dans les rouleaux glacés qui se percutaient en contrebas, sous le regard du prince, qui se tenait contre la rambarde. Tous ses sens étaient anesthésiés. Mais il trouva la force de se retourner pour rencontrer les expressions indéchiffrables de tous les Rubis qui avaient pu être sauvés. De tous les marins qui s'affairaient pour que leur voyage se passe au mieux. Du petit garçon qui pleurait toujours. Et d'Arya. Arya dont les mains étaient emportées dans une danse singulière et harmonieuse. Arya dont les prunelles océan se heurtaient brutalement aux siennes. Arya dont le médaillon brillait d'une lueur surnaturelle.

De la magie.

Erek comprit. Il comprit qu'Arya avait utilisé ses pouvoirs d'eau pour projeter le bateau loin du port, pour que celui-ci s'éloigne avant d'être touché par les lianes de ténèbres. Parce que le temps était compté, et qu'Erek avait cru naïvement pouvoir accueillir d'autres malheureux avant que la Pierre des Ténèbres détruise ce qu'il lui restait à détruire, alors que ce n'était pas le cas. Il comprit qu'elle maniait toujours l'eau en contrebas pour que leur embarcation se meuve vers la sécurité ; cela expliquait le mouvement gracieux de ses mains.

Il s'effondra. Sa tête lui tournait. Les dernières secondes lui revinrent en mémoire. Douloureusement. C'était Arya qui l'avait tiré en arrière. Ou un autre Rubis. Quelqu'un qui avait perçu le danger, qui avait accepté de sacrifier ceux qui restaient pour fuir. Erek avait pensé qu'il lui restait encore quelques secondes. Assez de temps pour que Jek...

Les larmes s'écrasèrent sur ses joues. Brûlantes. Cruelles. Destructrices. Un cri lui déchira la gorge. Il tapa du poing, il battit des jambes, il se noya dans ses sanglots. Les images explosaient dans son esprit. Les morts. Les hurlements. La panique. Les ténèbres. Le palais qui tombait. Son père... La flotte de Rubis qui abandonnait le port pour échapper à l'attaque. À la destruction.

Il revoyait Jek qui lui offrait un regard plein d'espoir. Il imagina sa main se tendre vers lui. Il entendit à nouveau la passerelle se déchirer sous leurs pieds, devina son ami qui tombait à la renverse tandis que lui, lui, le prince, était tiré sur l'embarcation. Vers la sécurité. Vers la vie.

Les paupières d'Erek se fermèrent. Il se sentit sombrer. Son corps se relâcha, ses muscles endoloris s'endormirent. Il plongea dans l'obscurité rassurante qui l'appelait.

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