Acte III, Scène 6
(dans le bureau de la Jeffe)
La Jeffe
Il nous revient de mener l'enquête donc.
Chaussette
De quelle manière procédons-nous ?
La Jeffe
À la façon des séries policières, je ne vois que cela comme solution.
Chaussette
Ah. Je n'en regarde pas, je suis plutôt teen soap ou shōjo.
La Jeffe
C'est très simple en réalité : tout d'abord nous allons dialoguer de l'affaire en prenant la parole à tour de rôle, chaque phrase répondant à la précédente et apportant un élément supplémentaire. Nous allons alors dresser une liste de suspects – qu'on accusera successivement sans effet puisqu'ils auront un alibi. Ensuite, l'investigation sera au point mort, nous pataugerons dans la semoule, jusqu'à ce qu'un personnage secondaire dise quelque chose d'absolument banal qui nous mènera à l'indice ou au mobile clef. Le coupable se présentera sous un nouveau jour, tout sera limpide. Dès lors nous le cuisinerons et il avouera. Ses confessions seront exhaustives, l'incriminant complètement étant donné qu'il n'aura pas eu la présence d'esprit de faire appel à un avocat. Pour plus de suspense et se la jouer, on pourrait aussi commencer de la sorte : scène d'ouverture, les héros seront en danger de mort. Et là, fondu au noir et un flashback indiqué par une phrase inscrite à l'écran : « huit heures plus tôt ».
Chaussette
Ça ne serait pas un peu cliché ? Même mes séries le font. En plus, que les héros soient en danger ça ne m'attire pas du tout, je n'ai pas envie d'être mortellement menacée.
La Jeffe
Si, c'est un poncif, mais toute œuvre qui veut se vendre se doit d'effectuer un flashback de ce type. Oui, je suis d'accord, ils sont trop cons ; un flashback qui dure les trois-quart de l'épisode n'en est pas vraiment un. Ils feraient mieux d'insérer ça en tant que flashforward en mettant dans la scène d'entrée qui sera répétée vers la fin un : « huit heures plus tard ». M'enfin, c'est dans les codes des séries télé, je n'invente rien. Le cinéma d'horreur a les héros qui se séparent et le black qui meurt en premier, dans les séries de science-fiction il y a généralement un épisode consacré à un saut dans le temps, dans les mangas ils nous remontrent ce qu'il s'est produit cinq minutes auparavant etc. etc.
Chaussette
Vous m'avez convaincue.
La Jeffe
À n'en pas douter. Après tout, c'est mon travail de convaincre les gens, quand je n'y parviens pas je leur fais une proposition qu'ils ne peuvent décliner.
Chaussette (marmonne)
J'ai l'impression d'avoir entendu cette réplique, mais en plus classe...
La Jeffe (enchaîne)
Bref, prête ?
Chaussette (pleine d'entrain)
Oui !
La Jeffe
Parfait.
Chaussette
Je dois faire quoi au fait ? L'explication était neuf répliques plus haut, je ne m'en souviens plus.
La Jeffe
Tu dois agir, penser et parler en flic.
Chaussette
Ça marche. J'ai souvent assisté à des représentations de la marionnette Guignol. Je vais m'inspirer du Gendarme.
La Jeffe
Avoir un modèle c'est toujours un plus, bien que j'aurais préféré que ce soit un Commissaire Gordon ou un Cordier. Bon, rappel des faits : une bombe a explosé pendant mon émouvante allocution sous la Coupole, causant deux décès. L'attentat est intervenu tandis que je venais apporter un souffle moderne à l'Institut.
(la Jeffe se tait, visiblement elle attend que Chausse prenne la parole ; elle lui adresse un murmure)
Psst, c'est à toi, Chaussette.
Chaussette (sur le même ton)
Qu'est-ce que je dois dire ?
La Jeffe (poursuit)
Le mobile.
Chaussette (elle aussi)
Ah oui, merci.
(prend un accent du Sud)
Bonjour, les enfants. Je suis content de vous voir, vous allez bien ? Ah, vous êtes présente, ma chère Madelon. Cela tombe à merveille, quelque chose de très, très grave est arrivé, si vous saviez. Je m'empresse de vous le révéler. J'ai parcouru tous les téléphones mobiles et les mobil-home du village pour trouver le responsable de la méchante explosion, mais il m'a échappé. Je te conseille de rester sur tes gardes, Madelon, d'avertir Gnafron et Guignol, et d'ouvrir ton œil, et le bon. L'individu est un dangereux bandit, un voyou de la pire espèce, de ceux qu'on apprécie pas trop dans le voisinnage.
La Jeffe
Non, mais... tu joues à quoi là ?
Chaussette
Bah, au Gendarme.
La Jeffe
C'est nul, nul, nul. T'as deux siècles de retard.
Chaussette (boude)
Je fais ce que je peux avec ce que je connais.
La Jeffe
Navrant. Abandonne le bâton, visualise le tonfa.
Chaussette
Le tonfa ?
La Jeffe
Le tonfa.
Chaussette
D'accord, je l'ai.
La Jeffe
Merveilleux. Reprenons.
Chaussette
Avec ou sans accent ?
La Jeffe
Sans accent. Sois le personnage. Extirpe-le de ton moi. Il est là, je le vois. Laisse-lui la place, ne te mets pas en avant. De la modestie, de l'abnégation.
Chaussette
Je vais essayer.
(elle s'éclaircit la gorge)
Hmm. Hmm. Le terroriste est forcément quelqu'un qui a, et le mobile et l'opportunité de placer la bombe sous l'estrade. Vous êtes la cible, par conséquent, il nous faut connaître vos ennemis. Nous recouperons cette liste avec celle de ceux qui ont ou ont pu s'approcher de la tribune.
La Jeffe
Des ennemis ce n'est pas ce qui me manque. Ça pourrait même être toi...
Chaussette (indignée)
Moi ?! Je ne suis pas une terroriste, d'une. Et de deux, pourquoi est-ce que je vous aurais proposé de faire venir la police si je l'étais ?
La Jeffe
Ça se tient. Tes anciennes amies du groupe des réformatrices ont le mobile.
Chaussette
Non, je ne pense pas que l'une d'entre elles aient réalisé un acte si affreux.
La Jeffe
Tes sentiments ne doivent pas interférer, Chaussette.
Chaussette
Vous avez raison. Mais une autre personne est suspecte : votre sœur.
La Jeffe
En effet. Marie-Victoire va devoir répondre à certaines questions. Nous allons nous confronter à notre passé et nous en ressortirons plus forte. Agaillardie.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro