Prologue
-Le savais tu ?
Sa voix puissante et suave résonnait violemment dans mon esprit, se répercutant contre ses parois en des milliers d'échos qui vrillaient mais tympans, et semblait se répéter à l'infini.
-Certains mortels ont convenu d'un moyen de prouver que l'existence d'un être omnipotent était impossible. Continua-t-elle, sans la moindre considération pour la violence à laquelle le simple fait de devoir l'écouter me soumettait. Une forme de... paradoxe.
J'entrouvris les yeux. Tout semblait être d'un bleu profond, parcouru d'infimes variations ça et la. Bleu le ciel, bleu l'horizon, et bleu, le sol sur lequel je reposais. Un sol... si c'en était bien un? Sa surface transparente semblait celle d'un océan profond, sans fond, émettant sa propre lumière diffuse, réchauffant mes membres et mon corps endoloris. L'Océan infini semblait prêt à m'engloutir toute entière sans jamais me laisser la possibilité de me débattre, de nager vers la surface, m'entrainant dans ses profondeurs infinies pour m'y noyer. Pourtant, je ne m'y enfonçais pas. Mes jambes repliées sous mon corps, reposaient sur la surface de cette mer éternelle, comme si elle fut plus solide qu'un roc. Et, tout autour de moi, aussi loin que pouvait porter mon regard, le même paysage se reproduisait. Le même océan. Le même bleu. Partout. Tout le temps. Et pour toujours.
Je déglutis. Ce n'était pas comme si je ne savais pas ce qu'il m'arrivait. Cet endroit, je le connaissais par coeur. Il hantait mes rêves depuis tant d'années que j'avais cessé de craindre couler sous cette surface limpide, ou de chercher une sortie qui n'existait pas. Tout cela, c'était dans ma tête. Et pourtant, c'était aussi parfaitement réel. Pour être plus précise... c'était la punition pour mon crime.
-Ce paradoxe fait le constat suivant. Reprit celle qui jouait le rôle de ma tortionnaire. Si un être omnipotent, possédant tous les pouvoirs du monde, absolument universel, existait réellement, alors pourrait-il créer un rocher que lui même ne peut pas soulever ? Deux réponses apparaissent alors. Ou bien il ne le peut point... auquel cas, il ne peut se revendiquer omnipotent, puisqu'il ne peut pas tout créer. Ou bien, il le peut... et n'est pas non plus tout puissant, puisqu'il existe quelque chose qu'il soit incapable de faire – à savoir, soulever ce même rocher. Brillant, n'est ce pas ?
Je ne répondis pas, me contentant de me relever en silence, et de fixer son dos. Elle était la seule chose qui existe sur cette immensité bleuté. Flottant à quelques centimètres de la surface, qui semblait vouloir se tendre hors de son usuelle platitude pour venir embrasser ses petits pieds nus, elle était tout simplement resplendissante. Son corps drapé d'une longue robe aux milles nuances de bleu se confondait avec l'univers alentour. Sa longue chevelure d'un blanc de neige ondulait lentement, comme portée par un lent courant océanique. Et son visage incarnait une forme de perfection, fin, délicat... parfait. Trop parfaite pour être humaine. Ce qui faisait sens.
Elle n'avait, après tout, rien d'humain.
-Les mortels sont si fiers de leurs petites inventions. Soupira-t-elle, se laissant porter par un courant invisible qui l'amena à flotter plus près de moi encore. Mais leur conception de la réalité est tout simplement tronquée. Car un tel être tout puissant, omnipotent, un véritable Dieu, ne l'est pas juste par sa capacité d'altérer la réalité elle même. Un Dieu est tel, parce qu'il fixe les règles du monde. Et tel un maître du jeu habile, s'amusant de voir ses joueurs profiter de son jeu... il ne change pas les règles.
Elle arriva à mon niveau. Ses paupières, closes, jusqu'ici, s'entrouvrirent... révélant sa nature inhumaine. Il n'y avait pas d'œil. En lieu et place de ce qui aurait dû être des yeux, se trouvait espace, galaxies, constellations et nébuleuses, myriades de variations de couleurs allant du mauves au pourpre, semblant se mouvoir derrière ses paupière quand elle daignait les ouvrir. C'était comme si l'univers entier se reflétait dans ses yeux. Et sa voix avait le pouvoir de le faire trembler.
-En conséquence, ce paradoxe à une réponse très simple, finalement. L'être omnipotent peut créer un rocher que lui même ne peut soulever. Et s'il ne peut le soulever, ce n'est pas un signe de son manque de puissance... c'est qu'en tant qu'être ultime, universel, en tant que source de toute chose, il a édicté une règle. Et lui même s'y soumet. Car quel genre de maître du jeu s'amuse à changer les règles en cours de partie ? C'est la porte ouverte à l'anarchie...
Bien qu'elle n'ait aucune pupille pour que je puisse m'en assurer, je savais qu'elle me fixait, intensément. Un sourire éthéré se glissa sur son visage parfait.
-Et tu as tenté de briser une de ces règles, Chae... murmura-elle, sa voix résonnant tout de même violemment dans mon crâne. J'espère que tu comprends la gravité de ton crime.
-Oui... murmurai-je. Je comprends.
-Vraiment ? Je ne suis pas sûre que tu le comprenne vraiment. Rétorqua-t-elle. Mais ce n'est pas grave. Contrairement à toi, j'ai toute l'éternité devant moi pour te faire saisir toute la gravité de tes actions. Mais je crois que pour le moment... il est temps que tu retourne dans ton monde.
***
-Chae ?
-Hm ?
-Tu devrais te réveiller. Me glissa Jude. L'avion va bientôt se poser.
-L'avion ?
Je tournai la tête pour entrapercevoir, au travers du hublot, la galaxie de lueurs qui s'étendait dans l'obscurité nocturne en contrebas. Le très léger vrombissement de l'avion, faisait vibrer mon siège. L'habitacle commençait lui aussi à se réveiller, et à se préparer à l'atterrissage. Partout l'on s'étirer, on bâillait, on commençait à réunir ses affaires, à attacher sa ceinture, à murmurer avec une excitation à peine contenue à l'idée de l'arrivée prochaine. Ou à craindre, en silence, que celle-ci n'arrive.
-Combien de temps cela fait-il ?
-Tu as dormi à peu près deux heures. Me répondit mon manager.
Ce n'était pas de cela que je parlais. Et il en était bien conscient. Jude préférait probablement prétendre ne pas comprendre la question, préférait sans doute ne pas avoir à évoquer des choses qui, il le savait, me blessaient. Mais j'avais besoin de me souvenir de ces choses. Elles étaient mon passé, elles faisaient partie de moi. Et, tout comme le crime dont j'étais accusée chaque nuit, sur cette océan infini, elles m'avaient construites. C'était grâce à elles que j'étais... moi. Autant que je pouvais l'être, en tout cas.
Cela faisait 12 ans. C'était cela, la réponse que Jude n'avait pas voulu me donner. C'était il y a douze ans que nous avions atterri en ce même lieu, pour la première fois. La situation était bien différente, à l'époque. Tout d'abord, j'avais huit ans, et non vingt. Et j'arrivais en fuyarde, en réfugiée, tentant désespérément d'échapper au griffes de mon passé, tandis que désormais, je revenais en victorieuse, après une tournée mondiale à guichet fermé, pour un dernier grand concert de clôture dans la cité si paradoxale qu'était Illica. Cette ville que je haïssais tant, tout en savant qu'elle m'avait sauvée. Mais combien de temps encore pouvais-je y rester en sécurité ? Après tout, quoi qu'il arrive, j'étais en cavale. Je fuyais mon passé. Je fuyais mes tortionnaires. Je fuyais les conséquences de mes propres actions. Et je fuyais les rétributions de mon crime.
Oui... ces rêves qui me hantaient chaque nuit, n'étaient pas que de simples rêves. Cet océan infini n'était pas qu'une simple construction de mon esprit épuisé par des mois de concerts et de voyage. Je le savais bien. Après tout, je m'étais déjà rendue une fois dans ce lieu.
C'était là bas que je l'avais rencontrée. Elle.
L'origine de tout.
L'ultime existence gouvernant l'univers.
La Source de toute vie.
C'était elle. La chose qui se rapprochait sans doute le plus de ce que certains de mes pairs humains nommaient « Dieu ».
Je l'avais rencontrée, dans son propre repaire, au dessus de cet immense océan infini où toute chose avait un jour pris vie.
C'était en ces lieux que j'avais trouvé mes réponses. Que j'avais trouvé comment fuir. Comment survivre. C'était grâce à la Source de toute vie que j'étais la personne que j'étais aujourd'hui.
Mais c'était aussi durant cette rencontre que j'avais commis mon crime. Mon crime impardonnable. La raison pour laquelle la Source continuait d'apparaître dans mes rêves chaque fois que Morphée venait me trouver, pour demander rétribution.
J'avais offensé le Coeur même de tout l'univers. L'origine de tout. J'avais tenté de briser une des règles intransigeantes qui formaient la fondation même de l'univers.
Et ce crime là, plus que tous les autres que j'avais commis... je savais que je ne pourrai jamais l'expier.
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